31/03/2018

Les milieux humides et aquatiques sont fragiles… alors cessons de les détruire et de les assécher!

Dans le cadre de l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE), le commissariat général du développement durable vient de publier un rapport sur les milieux humides et aquatiques continentaux en France. Il vise à documenter les évolutions récentes de ces milieux menacés et les implications en termes de durabilité. Malheureusement, issu d'une rédaction collective où chaque contributeur semble avoir ajouté sa marotte sans cohérence d'ensemble, le rapport se montre totalement contradictoire dans le domaine de la continuité en long : cette politique publique aujourd'hui centrée sur l'effacement des ouvrages et la disparition de leurs annexes est à l'origine de la disparition de nombreux milieux aquatiques et humides depuis une dizaine d'années, sans estimation de la biodiversité locale impactée et sans examen des services écosystémiques détruits. Cette soi-disant "écologie" parcellaire et lacunaire, centrée dès le départ sur quelques enjeux halieutiques de poissons spécialisés, sera nuisible aux milieux aquatiques et humides si elle ne fait pas l'objet de révisions substantielles dans sa mise en oeuvre. Comme on a détruit des haies et leurs écocomplexes voici 50 ans, on détruit aujourd'hui chaque année en France des retenues, des lacs, des étangs, des canaux, des biefs et tous les milieux attenants à ces hydrosystèmes: cela doit cesser. Et chacun doit s'engager pour cela cesse au plus vite!




La rapport du CGDD pose ainsi sont objet : "Définis comme les portions du territoire, naturelles ou artificielles, caractérisées par la présence d’eau, les milieux humides et aquatiques continentaux présentent une grande diversité biologique. Ils fournissent notamment de l’eau, de la nourriture et un abri à un grand nombre d’espèces telles que les amphibiens et les poissons mais également à de nombreux oiseaux, mammifères et insectes. Ces écosystèmes fournissent également des services aux sociétés humaines, que ce soit pour l’alimentation, les possibilités de loisirs et de tourisme ou la maîtrise des crues, etc."

Voici un extrait de la synthèse, présentant l'état de ces milieux.

"Situation en France
1. À l’heure actuelle, aucun inventaire national ne permet d’évaluer de manière précise et parfaitement exhaustive la surface des milieux humides et aquatiques continentaux sur l’ensemble du territoire français métropolitain et ultramarin. Les travaux cartographiques les plus récents estiment que les milieux potentiellement humides couvrent environ 23 % du territoire métropolitain, soit près de 13 millions d’hectares.

2. On estime qu’environ la moitié des zones humides françaises a disparu entre 1960 et 1990. Cette disparition est en partie due à l’urbanisation et aux nombreux drainages de terres, dans le but d’améliorer la régularité des productions céréalières, ou encore pour transformer des prairies en grandes cultures. La reconnaissance des différents intérêts que peuvent revêtir ces milieux a permis un ralentissement de cette régression depuis 1990.

Etat écologique des milieux humides et aquatiques continentaux
3. Les milieux humides et aquatiques continentaux présentent une biodiversité d’une grande richesse grâce à leurs habitats essentiels pour un grand nombre d’espèces. En métropole, ceux-ci abritent plus du tiers des espèces recensées sur le territoire. Au sein des départements ultramarins, ils abritent une biodiversité parfois endémique.

4. Les milieux humides et aquatiques continentaux font partie des écosystèmes les moins bien conservés à l’échelle nationale, ce qui les place au cœur des enjeux de conservation. Ces milieux abritent en effet près de 45 % des espèces menacées en France métropolitaine. Cette situation peut être nuancée par le fait que les populations d’oiseaux d’eau, en France métropolitaine, sont, de manière générale, dans un bon état de conservation.

5. Dans l’ensemble, moins de la moitié des masses d’eau françaises étaient jugées en bon, ou très bon, état écologique en 2013 au sens de la Directive cadre sur l’eau. Ce bilan recouvre des réalités contrastées selon les paramètres considérés. Alors que les teneurs en nitrates dans ces milieux sont restées stables et demeurent à des niveaux susceptibles de perturber le fonctionnement de ces milieux depuis le milieu des années 2000, la pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées, source de perturbations de l’équilibre biologique, a nettement diminué sur la même période."

Malgré cette situation appelant à préserver les milieux aquatiques et humides, le rapport du CGDD persiste néanmoins dans la répétition paresseuse du dogme de la continuité écologique:

"Outre la pollution des eaux, la fragmentation et la destruction des habitats apparaissent comme les facteurs de changement ayant le plus fort impact sur les milieux humides et aquatiques continentaux. Ainsi, à l’échelle du territoire, les 80 000 obstacles recensés sur les cours d’eau ont un impact significatif sur la continuité écologique"

L'argument est repris en page 65-67 du rapport, avec un centrage de la rédaction sur les migrateurs amphihalins — au lieu de parler du rôle majeur des continuités latérales, une assez scandaleuse dissimulation de ce qui devrait être un enjeu prioritaire de connectivité vu la forte biodiversité des plaines d'inondation.

Ce point est donc critiquable à plusieurs titres :
  • la discontinuité longitudinale (principalement recensée à fin halieutique par l'Onema-AFB) a moins d'effets négatifs pour les milieux humides que la discontinuité latérale (bloquant le lit majeur), et les hydrosystèmes artificiels nés des ouvrages sont eux aussi des milieux aquatiques,
  • les instructions de l'EFESE intègrent au demeurant des milieux aquatiques ou humides créés par des obstacles à l'écoulement (étangs, lacs) tout comme la plupart des approches internationales en conservation de ces milieux (Ramsar 1971, UICN 1973, etc.), ce qui rend incompréhensible leur dévalorisation ou leur ignorance,
  • la recherche scientifique montre depuis les années 2000 l'intérêt des milieux lentiques et des masses d'eau anthropiques pour la préservation de la biodiversité régionale, en particulier là où elle est menacée par les usages agricoles et urbains (ce qui est le cas en France), cf référence ci-dessous,
  • les chantiers de destructions d'ouvrages — aujourd'hui ouvertement favorisés par plusieurs agences de l'eau, par l'AFB et par la direction de l'eau du ministère de l'écologie — se traduisent par des pertes de surface et hauteur des retenues, par des assèchements de biefs, canaux et milieux humides annexes, par des baisses de nappe et par une hausse du risque d'assec complet sur certaines rivières,
  • aucun inventaire de biodiversité des milieux humides et aquatiques d'origine artificielle n'est aujourd'hui réalisé en routine, la diagnostic des ouvrages étant centré sur le seul intérêt piscicole et halieutique en raison de l'origine historique de la réforme de continuité (attente du lobby pêche, cf loi de 1984),
  • le rapport observe lui-même que "certains milieux humides et aquatiques continentaux permettent un stockage de l’eau et un ralentissement des écoulements, jouant ainsi un rôle d’atténuation des phénomènes de crues", sans assumer la contradiction consistant à faire disparaître ces zones de diversion et stockage.
Le choix français de détruire préférentiellement les ouvrages hydrauliques pour rétablir la continuité en long et de dénigrer la valeur de biodiversité d'un hydrosystème sous prétexte qu'il est d'origine artificielle est un dogme, et une erreur de même nature que la destruction des haies dans les années 1960-1970.

Cette politique de destruction a déjà abouti à la disparition de milliers de kilomètres carrés de milieux humides et aquatiques : elle doit cesser, et elle cessera d'autant plus vite que les citoyens s'engageront pour la combattre. Pas seulement au nom du patrimoine et du paysage, dont la protection est légitime, mais aussi au nom de l'environnement. Tout projet induisant une perte de milieux en eau sans diagnostic et sans compensation doit désormais être combattu devant la justice par les riverains et les associations, aussi longtemps que le gouvernement et sa haute administration ne retrouveront pas la raison sur ce dossier.

Référence : CGDD (2018), Efese. Les milieux humides et aquatiques continentaux, collection Thema, 248 p.

A lire sur ce thème
Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018) 
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018) 
Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008) 

A diffuser aux élus, gestionnaires et administrations
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes (2018)
Etude de biodiversité des chaussées de la Sarthe: "Toute destruction sans connaissance préalable de la faune présente est un non sens!"

Illustration : la Beaume à sec après une ouverture forcée de vannes à Rosières. La continuité écologique est menée de manière dogmatique, sans prise en compte des effets systémiques et des milieux en place hors cible piscicole spécialisée. Ce n'est pas de la gestion écologique, mais de la routine bureaucratique pour déployer aveuglément des règlements décidés dans les cénacles de la haute administration.

30/03/2018

Les poissons se plaisent dans les rivières de contournement (Tamario et al 2018)

Une équipe de chercheurs suédois vient d'étudier 23 paires de passes à poissons de type naturel (rivières de contournement) et de cours d'eau lotiques adjacents. Résultat: il n'y a quasiment aucune différence significative dans les peuplements de poissons. Des poissons mobiles comme la truite ou le brochet les adoptent, de même que des migrateurs comme l'anguille. Ces dispositifs de franchissement devraient être davantage implémentés et testés en France, où le gestionnaire perd du temps depuis 10 ans à essayer d'imposer partout des effacements contestés de seuils et barrages.  



Les chercheurs présentent ainsi leur étude : "La construction de barrages sur les cours d'eau perturbe la migration des poissons et fait que les habitats lotiques sont plus rares et plus espacés, ce qui finit par affecter les communautés de poissons de la rivière. Les passes à poissons naturelles sont souvent conçues comme des canaux de dérivation, construits avec des matériaux naturels qui redirigent une partie de l'eau autour des seuils et des barrages, rétablissant la connectivité longitudinale et formant des habitats mimétiques de la nature. Nous avons évalué le potentiel de ces dérivations à fonctionner comme des habitats lotiques de compensation, en comparant la faune piscicole de 23 paires de passes et d'habitats de cours d'eau lotiques adjacents."

La recherche a consisté à comptabiliser les poissons par pêche électrique, tout en intégrant 10 descripteurs de morphologie et d'environnement immédiat (dont végétation des berges).

Au total, 17 espèces ont été inventoriées dont 14 communes aux rivières et aux passes de type naturel. Les 3 espèces divergentes n'ont été observé qu'1 à 3 fois, ce qui est attribué à une variation aléatoire sans signification.

Les espèces les plus fréquemment trouvées ont été par ordre décroissant les truites (S trutta), les lottes (L lota), les perches (P fluviatilis), les brochets (E lucius)  et les gardons (R rutilus).


Extrait de Tamario et al 2018, art cit, droit de courte citation.

La tableau ci-dessus synthétise les différences observées sur tous les paramètres (cliquer pour agrandir). On voit que la seule différence significative (en gras) pour les espèces de poissons est l'abondance plus marquée de perches fluviatiles dans les rivières de contournement. Des truites juvéniles (YOY) sont signalées dans les passes de type naturel comme dans les rivières.

Au final, notent les chercheurs, "les contournements étaient plus étroits, moins profonds et moins ombragés que les habitats riverains adjacents, mais très peu de différences significatives ont pu être détectées dans les communautés de poissons, indiquant le potentiel de telles passes migratoires naturelles à constituer des habitats lotiques de compensation pour les poissons. Les analyses ont également indiqué comment la conception peut être modifiée pour favoriser ou défavoriser certaines espèces cibles. Généralement, les rives plus étroites et moins profondes avec une forte pente favorisaient la truite (Salmo trutta), alors que l'anguille européenne (Anguilla anguilla) était plus abondante dans les sites à plus faible gradient."

Discussion
Contrairement aux destructions de seuils et barrages, qui soulèvent des controverses aux Etats-Unis comme en Europe et font désormais l'objet de nombreux retours critiques après une phase initiale de popularité, les dispositifs de franchissement sont mieux acceptés socialement : ils préservent les fonctions d'intérêt des ouvrages hydrauliques tout en améliorant le cycle biologique local de certains poissons. Le travail de C. Tamario et de ses collègues suggère que la rivière de contournement ne diffère guère d'un habitat naturel pour ses peuplements pisciaires. Ce qui demande à être vérifié dans d'autres travaux, bien sûr, car sur les questions écologiques une seule étude ne permet jamais de dériver des principes généraux.

Les rivières de contournement ne sont pas très complexes à concevoir, d'autant que l'existence d'un courant soutenu donne rapidement un profil naturel à l'écoulement et au substrat. C'est le contrôle du débit d'entrée (à l'amont) et de l'exutoire d'appel (à l'aval) qui demande le plus de précision. Le facteur limitant de la rivière de contournement est la maîtrise du foncier et la hauteur du barrage à contourner (plus le barrage est haut plus la rivière sera longue car sa pente et donc sa vitesse de courant doivent rester compatibles avec les capacités des espèces cibles).

La France a de grandes ambitions dans le domaine de la restauration de connectivité: il est dommage que l'effort ne soit pas consacré à optimiser des solutions de franchissement (passes naturelles comme passes techniques), en raison du dogme actuel de l'effacement prioritaire posé par certaines administrations. Comme ce dogme se heurte aujourd'hui à ses limites, gageons que l'on va évoluer vers des solutions mieux acceptées, et à effet généralement suffisant par rapport à la modestie des enjeux piscicoles sur de nombreuses rivières.

Référence : Tamario C et al (2018), Nature‐like fishways as compensatory lotic habitats, River Research and Applications, 34, 3, 253-261

Illustration : rivière de contournement, par Benoit Caby (travail personnel) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons.

A lire sur le même thème
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017) 
Quelles espèces circulent dans les passes à poissons ? (Benitez et al 2015) 

29/03/2018

Conseil d'Etat: pas d'annulation du droit d'eau ni de remise en état d'un site sans procédure contradictoire

Dans un arrêt venant d'être rendu, le Conseil d'Etat donne tort à une fédération de pêche et à une préfecture qui avaient voulu annuler un droit d'eau et remettre la rivière en état sans informer ni entendre le co-propriétaire des installations autorisées jouissant de ce droit d'eau. Les hauts magistrats rappellent que tous les détenteurs de droits réels sur un ouvrage ou ses annexes doivent être consultés. Ils remettent utilement à leur place les fonctionnaires et lobbies qui se précipitent aujourd'hui à casser des ouvrages hydrauliques un peu partout, dans le mépris des ayant-droits, et parfois également des milieux.



La décision que viennent de rendre les magistrats du Conseil d'Etat (CE, 16 mars 2018, n°405864) est fort intéressante à l'heure où diverses préfectures, se heurtant à la difficulté croissante à appliquer l'article L 214-17 du code de l'environnement après 10 ans d'interprétation biaisée et militante de son contenu, essaient de se rabattre sur l'abandon du droit d'eau pour continuer la politique décriée de destruction du patrimoine hydraulique français.

Voici les faits ayant mené à cette décision :
"il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'un décret présidentiel du 5 juin 1852 a autorisé l'édification du moulin dit " Breuschmühle " à Dinsheim-sur-Bruche et a autorisé son propriétaire à utiliser l'énergie hydraulique de la Bruche ; qu'un arrêté du ministre pour l'Alsace Lorraine du 12 juillet 1904 a modifié la consistance de cette autorisation ; qu'une partie de l'installation, comprenant les terrains sur l'emprise desquels se trouve le canal d'amenée de l'eau, a été cédée avec la mention "en ce compris le droit de l'eau du canal usinier" à la fédération du Bas-Rhin pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDPPMA) par un acte du 9 novembre 1995 ; que la société MMC a acquis auprès de la société Bubendorf, le 2 décembre 2005, le reste de l'installation, comprenant notamment le bâtiment de l'usine hydroélectrique ; que le 21 janvier 2011, après avoir abandonné un projet d'ouvrage piscicole sur ce site, la FDPPMA a informé le préfet du Bas-Rhin de son intention de remettre le site en état et lui a demandé l'abrogation de l'autorisation réglementant l'usage du cours d'eau ; qu'elle a porté à la connaissance du préfet, le 16 mai 2012, le dossier de remise en état du site ; que, par un arrêté en date du 18 septembre 2012, le préfet a, d'une part, prescrit les modalités de remise en état du site, et d'autre part, abrogé le décret du 5 juin 1852 et l'arrêté du 12 juillet 1904 précités"
Nous avons donc un canal dont la propriété avait été partiellement cédée à une fédération de pêche, qui voulait le détruire. Le préfet a cassé le droit d'eau et ordonné la remise en état. C'est ce point qui a été contesté par le propriétaire des autres éléments constitutifs du droit d'eau (dont l'usine).

Le Conseil d'Etat rappelle d'abord la procédure à suivre en pareille circonstance :
"aux termes de l'article R. 214-29 du code de l'environnement alors applicable : "La décision de retrait d'autorisation est prise par un arrêté préfectoral ou interpréfectoral qui, s'il y a lieu, prescrit la remise du site dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun danger ou aucun inconvénient pour les éléments concourant à la gestion équilibrée de la ressource en eau." ; que l'article R. 214-30 du même code, alors applicable, prévoit que ces dispositions sont applicables à une demande de retrait présentée par le bénéficiaire d'une autorisation ; qu'aux termes de l'article R. 214-26 du même code, dans sa rédaction alors applicable : "Lorsqu'il y a lieu de retirer une autorisation, le préfet peut établir un projet de remise en état des lieux, accompagné des éléments de nature à le justifier. / Le préfet notifie un exemplaire du dossier ainsi constitué au bénéficiaire de l'autorisation, au propriétaire de l'ouvrage ou de l'installation, ou aux titulaires de droits réels sur ceux-ci." ; qu'aux termes de l'article R. 214-28 du même code, dans sa version alors applicable : "Les personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article R. 214 26 disposent, selon le cas, d'un délai de deux mois à compter de la notification qui leur a été faite en application de cet article ou du délai fixé par l'avis prévu à l'article R. 21 27 pour faire connaître, par écrit, leurs observations." 
Or, la préfecture a cédé à la demande de la fédération de pêche sans informer le propriétaire de l'usine et sans lui permettre de poser des observations. Le Conseil d'Etat caractérise ce point comme défaut d'information et concertation rendant caduque la procédure :
"Considérant que l'arrêté litigieux a prononcé, à la demande de la FDPPMA, l'abrogation de l'autorisation administrative relative à l'usage de la force motrice de la Bruche acquise au bénéfice des dispositions de l'article L. 511-9 du code de l'énergie ; qu'il ressort des pièces du dossier soumises aux juges du fond que la SCI MMC était bénéficiaire, en sa qualité de propriétaire d'une partie de l'installation, de cette autorisation, même si l'installation n'était plus en fonctionnement ; que cette abrogation a été prononcée sans que la SCI MMC en ait fait la demande ni qu'elle ait été mise à même de présenter ses observations dans les conditions fixées par les articles R. 214-26 et R. 214-28 du code de l'environnement cités au point précédent ; que, par suite, en jugeant que cette circonstance était sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit"
Parmi les points intéressants à relever :
  • même si un droit d'eau n'est plus employé, ses co-bénéficiaires doivent participer à une procédure visant son abrogation,
  • tous les titulaires de droits réels sur les ouvrages et leurs annexes hydrauliques doivent être intégrés dans les procédures de préparation des arrêtés préfectoraux les concernant.
En dehors du moyen principal de cet arrêt, même quand un propriétaire abandonne son droit d'eau, le projet de remise en état doit prendre en considération "les éléments concourant à la gestion équilibrée de la ressource en eau" (R 214-29 Code env) de sorte qu'une destruction de l'ouvrage, un assèchement des canaux et un reprofilage de la rivière ne sont pas les seules issues envisageables, et que ces issues peuvent parfaitement être contestées en justice si elles contreviennent aux différents éléments qui concourent à le gestion équilibrée et durable de l'eau telle que définit par l'article L 211-1 du code de l'environnement (et divers autres).

Les riverains, les propriétaires, les associations de protection des patrimoines naturels et culturels trouveront donc matière dans cette décision du Conseil d'Etat et dans les dispositions de la loi à motiver des requêtes contre les casseurs d'ouvrage hydraulique. Certains effacements sont peu contestés. Mais ceux qui le sont doivent faire systématiquement l'objet de contentieux si les administrations et lobbies refusent  d'entendre la voix des riverains. Notre association vous aidera à défendre vos droits.

Illustration : casse du patrimoine hydraulique de l'Ellé au service du lobby pêche, souhaitant y augmenter la pression de prédation du saumon pour son loisir — un loisir de plus en plus contesté par ailleurs. Les pêcheurs attachés au patrimoine hydraulique et à ses milieux gagneraient à se désolidariser clairement des dérives de certaines de leurs fédérations au regard des tensions de plus en plus fortes et contentieux de plus en plus nombreux que provoquent les opérations de destruction.

26/03/2018

Destruction d'ouvrages hydrauliques à Meursanges et Combertault, la gabegie continue

La préfecture de Côte d'Or annonce sur son site une enquête publique sur deux nouvelles destructions d'ouvrages hydrauliques de la Bouzaise. Dans un cas, la rivière n'a pas été classée en liste 2 mais en liste 1, choix censé indiquer un bon état écologique. Et le bief est signalé comme milieu d'intérêt pour sa biodiversité, un comble. Dans l'autre cas, l'ouvrage était utilisé pour divertir les crues en lit majeur… précisément ce que nous sommes censés rechercher pour éviter les inondations! Le denier public est encore gâché pour le dogme de la continuité écologique. Pendant que les bureaucraties divertissent l'attention et dépensent les rares moyens sur ces sujets secondaires, la biodiversité crève à petit feu. 


Le complexe hydraulique de l’ancien moulin d’Aignay est implanté sur le cours de la Bouzaise, aux limites communales de Meursanges et Marigny-les-Reullée.

Les espèces cibles locales du projet sont le brochet et la truite fario, dont rien n'indique dans le projet soumis à enquête qu'elles rencontrent un déficit de peuplement dans la rivière et que ce déficit serait attribuable aux ouvrages. Rien n'indique non plus que la protection de la truite et du brochet, justifiant des choix radicaux de destruction et reprofilage, sera associé à d'autres mesures de sauvegarde, comme l'interdiction de leur pêche de loisir. (Rappelons que sur ces rivières non domaniales, tout riverain peut s'opposer à la pêche, nous contacter à cette fin.)

Le projet précise : "Le cours de la Bouzaise est classé en liste 1 par arrêté préfectoral au titre du L214-17CE mais pas en liste 2, il n’y a donc pas aujourd’hui d’obligation réglementaire à restaurer une continuité écologique. Néanmoins, la restauration de la continuité écologique sur ce site a été identifiée comme un enjeu majeur sur la Bouzaise et inscrite à l’annexe 1 du Contrat d’Agglomération et de Territoire Beaune-Dheune (2014-2017)."

Comme d'habitude, on nage dans l'arbitraire. Le classement en liste 1 de la rivière est censé refléter sa bonne qualité écologique et ne devrait donc induire aucun chantier tant que les rivières en listes 2 à visée de restauration prioritaire ne sont pas déjà traitées (80% des ouvrages y sont orphelins de financement). A moins que ces classements n'aient finalement aucune valeur, hypothèse que l'on saurait exclure vu l'opacité complète des travaux ayant abouti à leur définition, en comités fermés de l'Onema, des Dreal et des pêcheurs, sans aucune modélisation scientifique pour prioriser les axes, les espèces, les sites.



A noter cette précision intéressante : "Au cours des phases précédentes, le maintien de l’alimentation de ce bief est apparu comme important. En effet, il permet l’alimentation d’un étang en rive droite de la Bouzaise, mais il constitue aussi un ensemble écologique intéressant. En effet, de nombreuses espèces faunistiques et floristiques ont proliféré sur ce linéaire et présente un intérêt vif pour les riverains de ce secteur. Le portfolio ci-dessous présente une partie de cette vie au sein du bief (nénuphars, oiseaux, cygnes, canards, libellule, héron etc)." (image ci-dessus).

On reconnait donc que les biefs et étangs sont d'intérêt (au moins l'effort est fait ici d'un inventaire, ce que des syndicats plus paresseux et plus dogmatiques refusent). Mais cela n'empêche pas de perturber les ouvrages et milieux en place.

Coût : 258 645 € incluant les tranches conditionnelles dues au changement futur de lit de la rivière.

Le vannage de Combertault se situe pour sa part sur la commune éponyme, lui aussi sur le cours de la Bouzaise, en aval du village.



Le projet précise : "Cet ancien vannage a vraisemblablement été construit dans le milieu du XXe siècle avec le dessein de favoriser l’inondation des champs alentours dans l’objectif de les amender avec les sédiments fins et organiques transportés par la Bouzaise."

Or, le ministère de l'Ecologie et les divers acteurs publics de l'eau ne cessent de communiquer sur le fait que la prévention des crues passe par des solutions plus naturelles, en particulier l'usage du lit majeur d'inondation comme réceptacle des eaux en excès.

Mais à Combertault, cette méthode ancienne va être détruite avec le tampon de la préfecture. Bien entendu, nos fonctionnaires de l'eau inventeront toujours des explications ad hoc pour dire que leurs contradictions n'en sont pas et que le citoyen doit de toute façon respecter leur opinion arbitraire comme la voie de la sagesse.

Coût de ce chantier : 26 000 €.

Pendant qu'on s'acharne à détruire ainsi des ouvrages aux impacts mineurs, voire des ouvrages présentants des bénéfices pour des milieux aquatiques et rivulaires ou des intérêts pour la gestion des crues, l'IPBES vient de publier un premier rapport mondial sur l'état de la biodiversité, indiquant une crise majeure, et notamment en Europe. Ceux qui divertissent l'argent public pour des chantiers à enjeux secondaires pour la santé des milieux aquatiques portent la co-responsabilité de l'impuissance à conjurer cette crise. Ce sont les mêmes institutions qui n'ont rien fait d'efficace depuis 50 ans contre l'artificialisation et la pollution de nombreux bassins versants, quand elles ne les ont pas financées. Affirmer que la destruction des ouvrages anciens est une priorité, voire un intérêt malgré la biodiversité observée dans certains cas, est une absurdité totale qu'il s'agit de dénoncer sans relâche dans le débat public comme auprès des parlementaires.

25/03/2018

Les crues de janvier 2018 en Châtillonnais

Pierre Potherat, ingénieur en chef des travaux publics de l’Etat aujourd'hui retraité, livre une réflexion intéressante sur les dernières crues de la Seine et ses affluents en Châtillonnais. L'auteur demande notamment aux autorités d'évaluer les impacts des actions en rivières et berges, notamment la destruction des ouvrages hydrauliques qui tend à accélérer l'écoulement dans le lit mineur et à limiter des expansions de crue en amont des points durs que représente chaque ouvrage. Nous souhaitons que cette démarche d'expertise publique soit menée, à l'heure où certains apprentis sorciers ont décidé de détruire le maximum de moulins, étangs et plans d'eau sans procéder à une évaluation des conséquences de leurs actions cumulées à échelle du bassin versant. 




Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.

Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.

Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.

Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.

Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.

Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?

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Illustration : à l'amont d'un ouvrage de l'Ource dont la crête est encore visible, l'eau se répand vers le lit majeur. Lorsque l'onde de crue se forme sur une rivière, quel rôle peuvent jouer les ouvrages dans la vitesse de l'écoulement puis dans son expansion latérale? Répondre à cette question paraît une précaution élémentaire pour la puissance publique. Surtout à l'heure où l'on vante les méthodes naturelles d'usage des lits majeurs pour diminuer le risque aval des zones urbanisées.

A lire sur le sujet
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités 
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique" 
La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages, rapport OCE 

21/03/2018

Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018)

Une équipe de 11 chercheurs appelle à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques. Au cours des années 2000, la recherche a montré que ces milieux, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières et les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Ce message doit être entendu en France où des destructions d'étangs et plans d'eau sont trop souvent menées au nom d'une approche rigide et mal informée de la continuité en long, sans aucune étude de leur biodiversité et de leur connexion aux milieux environnants, sans compensation lorsque l'on fait disparaître des surfaces en eau et des milieux humides profitant localement au vivant. 



Le terme anglais "pond" désigne la mare, l'étang et par extension la zone lentique de faible superficie et de faible profondeur. Elle se distingue du lac par l'absence de zone profonde aphotique (fond privé de lumière) et thermiquement stratifiée. Au Royaume-Uni, où ces habitats sont suivis de manière poussée par rapport à d'autres pays d'Europe, le rapport d'inventaire de Williams et al 2010 avait apporté des informations intéressantes pour le cas anglais :  478000 sites (entre 1,8 et 2,2 par km2), 205 espèces de plantes représentant la moitié de toutes les espèces spécialisées en milieux humides et aquatiques (dont 5 protégées et 40 rares), 63% des mares, étangs et plans d'eau directement reliés à la rivière (dont les 2/3 en lit avec exutoire).

Ces habitats lentiques de taille modeste ont longtemps été négligés, l'attention des pouvoirs publics mais aussi des gestionnaires et chercheurs se tournant vers les rivières, les grands lacs ou les eaux côtières. Mais à compter des années 2000, une moisson de travaux a changé la donne. On s'aperçoit que des ensembles de petits habitats offrent généralement une valeur de conservation aussi élevée (ou plus élevée) qu'un seul grand habitat de même superficie.

Matthew J Hill et dix collègues spécialistes de ces milieux rappellent ainsi:

"Des preuves récentes indiquent que les paysages d'étangs et mares soutiennent une biodiversité élevée (voir The Pond Manifesto: EPCN 2008) et contribuent de manière proportionnellement bien plus forte à la biodiversité aquatique des bassins hydrographiques que les masses d'eau douce plus vastes et plus étudiées comme les rivières et les lacs (Davies et al 2008). En outre, les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles (Davies et al 2008, Chester et Robson 2013). La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013). Les mares et étangs jouent également un rôle important dans le soutien de la faune et de la flore semi-aquatique et terrestre, par exemple les zones agricoles qui contiennent des mares et étangs détiennent une richesse et une abondance d'espèces terrestres supérieures aux zones agricoles sans ces plans d'eau (Stewart et al 2017; : Davies et al 2016)."

Ces observations n'ont cependant pas encore été traduites en choix publics. Les chercheurs observent:

"Les politiques internationales de conservation de l'environnement et de la nature (telles que la Convention de Ramsar, la Convention sur la diversité biologique et la Directive-cadre européenne sur l'eau) sont importantes pour protéger les espèces et les habitats face aux pressions anthropiques croissantes (Dudgeon et al. 2006). Malgré cela, le nombre d'espèces menacées figurant sur la Liste rouge de l'UICN continue d'augmenter, les terres modifiées par les humains (urbaines, agricoles) continuent de remplacer les terres naturelles (Decker et al., 2016) et un certain nombre d'habitats terrestres et d'eau douce continuent à être négligés par les décideurs. Les mares et étangs, définis au Royaume-Uni et dans la majeure partie de l'Europe comme des plans d'eau lentiques de moins de 2 ha (Williams et al., 2010), et la trame des plans d'eau [pondscape], définie comme un réseau de mares et étangs avec leur matrice terrestre environnante, sont l'un de ces habitats historiquement négligés. Récemment, il y a eu une hausse significative de la reconnaissance par les communautés scientifiques et non scientifiques de l'importance des mares, étangs et de leur trame pour la biodiversité et les services écosystémiques. Pourtant, ces petits plans d'eau restent largement en dehors des attributions de la législation internationale, et dans de nombreux cas nationale, de la conservation et de l'environnement."

Une série de recommandations est produite, à commencer par un approfondissement de la recherche scientifique et des inventaires de biodiversité dans ces hydrosystèmes négligés. Ce que notre association réclame aujourd'hui, alors que l'AFB est défaillante à produire des exigences de bonnes pratiques écologiques, notamment avant toute destruction des ouvrages et de milieux lentiques.

Référence : Hill MJ et al (2018), New policy directions for global pond conservation, Conservation Letters, doi.org/10.1111/conl.12447

A lire sur ce thème
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018) 
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)

Un exemple en Morvan
Etangs de Marrault: quand le patrimoine historique enrichit la biodiversité 

Illustration : étang de Montigny en Côte d'Or. Un exemple de gestion administrative déplorable des milieux aquatiques. Alors que ce plan d'eau a été créé comme retenue collinaire, que le fossé de quelques centaines de mètres avant la source (supposée) est intermittent dans sa mise en eau (absente 4 à 6 mois de l'année), qu'aucune espèce migratrice de poisson n'est évidemment attestée à l'amont, la DDT et l'AFB focalisent sur la soi-disant nécessité de restaurer une continuité en long (revenant à vider la retenue) tout en ne témoignant aucun intérêt pour la biodiversité aquatique et rivulaire du site. De telles approches dogmatiques et haliocentrées nuisent aux milieux et représentent le même type d'erreur que l'arasement des haies dans les années 1960-1970. Ces petits plans d'eau et zones humides en contexte agricole ont de l'intérêt pour le vivant, il faut s'en féliciter au lieu de chercher à les faire disparaître ou d'exiger des fonctionnalités coûteuses, sans enjeu dans le contexte.

18/03/2018

Remarques sur l'instruction législative des 12-20 août 1790

Les droits d'eau fondés en titre des moulins et autres ouvrages hydrauliques ne sont pas nés en antériorité de l'abolition des privilèges par les décrets des 4-11 août 1789, comme on le croit parfois, mais par leur existence avant l'instruction législative des 12-20 août 1790, qui instaure l'obligation d'une autorisation départementale pour créer un ouvrage en cours d'eau non domanial. La lecture de cette instruction montre que les moulins et écluses étaient accusés d'inonder les parcelles du lit majeur - ce qui, aujourd'hui, équivaudrait plutôt à limiter le risque d'inondation aval et à favoriser l'émergence de zones humides!



L'instruction législative des 12-20 août 1790 est à l'origine de la distinction entre les droits fondés en titre et les droits fondés sur titre (c'est-à-dire sur autorisation administrative). L'abolition des privilèges et la vente des biens nationaux laissent une période de flottement après 1789 : les ouvrages hydrauliques ne sont pas collectivisés, mais relèvent désormais de la propriété privée. Il est présumé que leur droit est établi pour ceux qui existent, d'où la notion de droit fondé en titre pour tous les ouvrages présents au moment des décisions de l'assemblée constituante.

En revanche, à compter de le prise d'effet de l'instruction des 12-20 août 1790, la création d'un nouvel ouvrage hydraulique sur les cours d'eau ni flottables ni navigables est réglementée : son autorisation est désormais confiée à la police des eaux et forêts officiant dans chaque département sous l'autorité du préfet.

De là procède qu'un moulin (ou tout autre ouvrage) créé après le 20 août 1790 n'est plus fondé en titre, mais relève d'une autorisation formelle délivrée par la préfecture. Par suite des évolutions de la loi et de la jurisprudence, cette autorisation est sans limite de temps si elle été accordée entre 1790 et 1919 pour les puissances inférieures à 150 kW.

Si l'on revient à l'instruction législative des 12-20 août 1790, son chapitre 6 sur la question des ouvrages énonce :
"Elles [les administrations départementales] doivent aussi rechercher et indiquer les moyens de procurer le libre cours des eaux, d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses des moulins et par les autres ouvrages d'art établis sur les rivières, de diriger enfin, autant qu'il sera possible, toutes les eaux de leur territoire vers un but d'utilité générale, d'après les principes de l'irrigation."
On note d'abord que le "libre cours des eaux", et donc une certaine "continuité" avant la lettre, est valorisée par le législateur. Le libre cours de l'époque n'est pas tellement pensé en lien direct aux poissons - même s'il existe déjà diverses interventions du pouvoir monarchique pour réglementer la pêche et la gestion d'ouvrages sur certaines rivières. D'autres usages de l'eau sont aussi à l'esprit des constituants, comme par exemple le flottage, qui connaît son maximum historique au moment de la Révolution et dont Paris dépend pour son approvisionnement en bois de chauffage.

On observe ensuite que le risque d'inondation des parcelles à l'amont des retenues est dans les esprits. C'était une accusation régulièrement portée contre les ouvrages, comme le montrent de nombreux contentieux de riveraineté sous l'Ancien Régime. Ce rappel est intéressant à l'heure où l'on parle de prévention des crues par expansion dans le lit majeur... tout en supprimant des ouvrages pour que l'eau retrouve un cours plus rapide (voir cet article)! Ou encore de favoriser les zones humides, une préoccupation que n'avaient certes pas les acteurs de la Révolution puisqu'ils ont pris un décret d'assèchement des étangs (voir ce livre d'Abad 2006), en conformité à une tendance ancienne au draingage des marais, marécages et autres zones jugées peu favorables à la santé comme à l'agriculture (voir ce livre de Derex 2017 et des éléments dans Lévêque 2016).

On remarque enfin que la pensée des constituants est utilitariste : c'est le "but d'utilité générale" qui doit guider "toutes les eaux du territoire". Et en cette époque où famines et crises frumentaires sont encore fréquentes, l'usage agricole ("irrigation") compte parmi les priorités.

Illustration : paysage avec moulin à eau par François Boucher (1703-1770).

16/03/2018

Les amphibiens et leur protection en France, un enjeu pour les moulins, étangs et plans d'eau

L'administration française et certaines fédérations de pêche essaient de promouvoir un peu partout la destruction ou l'assèchement des étangs, lacs, plans d'eau, biefs et leurs zones humides attenantes. Ces choix, favorables à certaines espèces (poissons migrateurs), sont défavorables à d'autres. En particulier les amphibiens, qui sont des espèces menacées et protégées. Rappel de droit et quelques conseils à ce sujet.




Les amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres, tritons) sont des espèces menacées par la disparition et la fragmentation de leurs habitats depuis plusieurs siècles, ainsi que par la pollution, le changement climatique et l'expansion des pathologies liées à des espèces exotiques. Le drainage des zones humides et l'artificialisation des sols ont considérablement réduit les sites favorables à ces espèces.

Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Muséum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole. Huit espèces d'amphibiens sont considérées comme menacées (soit 23%)

Ces espèces se rencontrent souvent dans des sites aujourd'hui à risque de destruction ou d'assèchement dans le cadre de la restauration de continuité longitudinale des rivières : étangs, biefs, zones humides annexes de ces sites (sur l'intérêt de ces milieux, voir par exemple Chester et Robson 2013Wezel et al 2014Kirchberg et al 2016).

La continuité latérale (inondation du lit majeur) davantage que longitudinale est un enjeu de premier plan pour les amphibiens (pour la biodiversité en général). Il faut toutefois mener une réflexion à ce sujet aussi, car un facteur défavorable est la présence de poissons. Le reprofilage systématique des annexes hydrauliques comme frayères à brochet (souvent promu aujourd'hui) ne sera ainsi pas optimal pour les amphibiens. Il faut donc favoriser également au long des cours d'eau des annexes intermittentes dont les entrées ne sont pas conçues pour favoriser le passage des poissons.

Il appartient aux propriétaires, riverains et associations de demander au gestionnaire et à l'administration de réaliser des campagnes d'observation et d'inventaire de ces espèces dans tout chantier mettant en péril des habitats favorables aux amphibiens. Le cas échéant de les réaliser eux-mêmes, les amphibiens étant observables à compter de la sortie de l'hiver (vers février mars). Par ailleurs, les maîtres d'ouvrage peuvent créer facilement des micro-habitats favorables aux amphibiens, en usant avec discernement de la présence de l'eau sur leurs propriétés.

La protection juridique des amphibiens
Au plan du droit, l'arrêté du 19 novembre 2007 a fixé les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

Article 2
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.
II. - Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l'espèce est présente ainsi que dans l'aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s'appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l'espèce considérée, aussi longtemps qu'ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l'altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques.

Urodèles
Salamandridés : 
Euprocte des Pyrénées (Euproctus asper) (Dugès, 1852). Euprocte corse (Euproctus montanus) (Savi, 1838). Salamandre noire (Salamandra atra) (Laurenti, 1768). Salamandre de Lanza (Salamandra lanzai) (Nascetti, Andreone, Capula et Bullini, 1988). Triton crêté italien (Triturus carnifex) (Laurenti, 1768). Triton crêté (Triturus cristatus) (Laurenti, 1768). Triton marbré (Triturus marmoratus) (Latreille, 1800).

Plethodontidés :
Spélerpès brun (Speleomantes [Hydromantes] ambrosii) (Lanza, 1955). Spéléomante de Strinati (Speleomantes [Hydromantes] strinatii) (Aellen, 1958).

Anoures
Discoglossidés : Crapaud accoucheur (Alytes obstetricans) (Laurenti, 1768). Crapaud sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) (Linné, 1758). Discoglosse corse (Discoglossus montalentii) (Lanza, Nascetti, Capula et Bullini, 1984). Discoglosse peint (Discoglossus pictus) (Otth, 1837). Discoglosse sarde (Discoglossus sardus) (Tschudi, 1837).

Pélobatidés : Pélobate cultripède (Pelobates cultripes) (Cuvier, 1829). Pélobate brun (Pelobates fuscus) (Laurenti, 1768).

Bufonidés : Crapaud calamite (Bufo calamita) (Laurenti, 1768). Crapaud vert (Bufo viridis) (Laurenti, 1768).

Hylidés : Rainette verte (Hyla arborea) (Linné, 1758). Rainette méridionale (Hyla meridionalis) (Boettger, 1874). Rainette corse (Hyla sarda) (De Betta, 1857).

Ranidés : Grenouille des champs (Rana arvalis) (Nilsson, 1842). Grenouille agile (Rana dalmatina) (Bonaparte, 1840). Grenouille ibérique (Rana iberica) (Boulenger, 1879). Grenouille de Lessona (Rana lessonae) (Camerano, 1882).

Article 3 
Pour les espèces d'amphibiens et de reptiles dont la liste est fixée ci-après :
I. - Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l'enlèvement des oeufs et des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel.

Urodèles
Salamandridés : Salamandre de Corse (Salamandra corsica) (Savi, 1838). Salamandre tachetée (Salamandra salamandra) (Linné, 1758). Triton alpestre (Triturus alpestris) (Laurenti, 1768). Triton de Blasius (Triturus blasii) (de l'Isle, 1862). Triton palmé (Triturus helveticus) (Razoumowski, 1789). Triton ponctué (Triturus vulgaris) (Linné, 1758).

Anoures
Pélodytidés : Pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus) (Daudin, 1803).

Bufonidés : Crapaud commun (Bufo bufo) (Linné, 1758).

Ranidés : Grenouille de Berger (Rana bergeri) (Günther, 1985). Grenouille de Graf (Rana grafi) (Crochet, Dubois et Ohler, 1995). Grenouille de Perez (Rana perezi) (Seoane, 1885). Grenouille des Pyrénées (Rana pyrenaica) (Serra-Cobo, 1993). Grenouille rieuse (Rana ridibunda) (Pallas, 1771).

A lire :
Guide ASPAS de protection des amphibiens
UICN, liste rouge des amphibiens et reptiles en France

Illustration : petite zone humide en contrebas d'un bief de moulin, hébergeant des amphibiens. Les propriétaires d'ouvrage hydraulique doivent se montrer attentifs aux espèces profitant des écoulements et de leurs annexes. Il est aussi possible de réaliser des optimisations favorables aux amphibiens (création de mares et plans d'eau séparés des poissons, creusement de sillons servant de zones humides et régulièrement alimentés en pied de bief). Les amphibiens cherchent des zones fraîches et humides, une faible profondeur en eau suffit à la reproduction pour la plupart.

14/03/2018

Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités

A Kerguinoui, les riverains du Léguer se plaignent que les modifications des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique ont aggravé les inondations. On leur dit qu'ils ont tort. A Poilley, le maire du village s'inquiète de l'effet des crues si les barrages de la Sélune venaient à être détruits. On lui dit qu'il a tort. Mais est-ce si sûr? La destruction d'ouvrages au nom de la continuité écologique aura-t-elle des effets négligeables et l'argent public est-il dépensé à bon escient? Ce n'est pas du tout l'avis de René Autelet, ingénieur conseil, dont nous publions une tribune avec son aimable autorisation. Détruire ou assécher un peu partout les retenues, les étangs, les canaux, les biefs, les plans d'eau alors que l'on vante les stratégies de rétention et d'expansion des eaux de crue lui paraît une complète contradiction de la part de nos décideurs. Car ces ouvrages ont aussi une fonction de gestion de l'eau, en crue comme à l'étiage, dont les Anciens usaient avec sagesse. Aucune étude n'a jamais simulé les variations d'inondation à échelle d'un bassin entier selon les hypothèses retenues pour la continuité écologique : il serait temps de le faire... avant de défaire!



Qui n'a jamais entendu dire par certains esprits chagrins que les politiques agricoles étaient incohérentes ?

À une certaine époque, nous nous gaussions entre étudiants du fait que tel ou tel agriculteur ait pu toucher, la même année bien sûr, une prime à l''abattage de ses pommiers et une autre à la replantation… de pommiers. Une blague semblable circulait sur la "prime à la vache", qui aurait financé en même temps l'abattage et la reconstitution du troupeau. Si notre jeunesse a pu excuser la propagation de telles allégations, sans les vérifier c'est bien normal, j'ai pu les répéter, pour rire, sans vraiment y croire.

Et pourtant, en cette deuxième année d'inondations catastrophiques, un article local paru dans l'une des régions les plus touchées, vient d'attirer mon attention et semer un doute affreux dans mon esprit. L'Eclaireur du Gâtinais dans son édition du mercredi 24 janvier 2018, sous le titre "Face au tumulte des eaux boueuses" annonce "qu'il faudra attendre deux ans avant que les premières actions soient entreprises et financées pour aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles (afin de réduire l'impact des crues sur les zones habitées)".

Aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles! C'est sidérant! Devons-nous rappeler que, depuis l'antiquité jusqu'au 19e siècle en passant par le moyen âge, des seuils, chaussées et moulins ont été aménagés tout au long des rivières du monde occidental, pour capter l'énergie d'une part, et indirectement pour réguler les crues ?

Devons-nous rappeler que depuis la transposition de La directive européenne 2000/60/ CE du 23 octobre 2000 en droit français, les services publics s'appliquent, au nom d'une interprétation abusive de la "continuité écologique", à détruire et à effacer toute retenue d'eau, travaux dantesques appliqués sur la plupart de nos rivières de France ?

Un observateur attentif pourra facilement remarquer que les ouvrages de retenue de l'ensemble de nos vieux moulins sont aménagés sur le même niveau que les prairies environnantes et souvent les surplombant légèrement. La moindre crue, concrétisée par un passage de l'eau au-dessus des murs provoque immanquablement le déversement sur les terres alentour, répertoriées de ce fait sous le nom de "prairies inondables".

La carte de Cassini, établie sur ordre de Louis XV au 18e siècle, fait l'inventaire des moulins de cette époque. Le 19e siècle fut riche de créations et nous pouvons constater que la grande majorité de nos rivières était parsemée de moulins à eau. A raison d'une retenue en moyenne tous les 2 km, voire 1,5 km sur certaines rivières, capable d'inonder ne serait-ce que 2 à 4 hectares, ne serait-ce encore que de 25 à 50 cm d'eau, et compte tenu du nombre de kilomètres de nos cours d'eau, il est facile de calculer que les 2 mètres d'eau qui ont sinistré Nemours en juin 2016 auraient été largement épongés… si du Betz à la Bezonde en passant par l'Ouanne, le Solin, le Puiseaux, le Vernisson, la Cléry ou le Loing, nos cours d'eau n'avaient été la proie des idéologues et de leur folie destructrice. Surtout si l'on ajoute à cela qu'une coordination aurait pu permettre de vider préventivement toutes les retenues existantes à l'annonce de fortes pluies.

Dans le concours de circonstances à l'origine des crues exceptionnelles de ces deux dernières années, c'est à cette cause déterminante que nous pouvons attribuer la grande part de responsabilité. C'est la raison pour laquelle face à l'omerta des services publics et au silence des médias, nous avons publié dans notre bulletin SITMAFGR n°106 de juillet-août 2016 l'article "Petits ruisseaux font grandes rivières…".

De même, dans l'excellent article de Loup Francart, publié dans La Propriété Privée Ruralen°415 de février 2012, nous pouvons lire : "L'administration, en imposant massivement les destructions d'ouvrages, va  reproduire les mêmes erreurs (…). En imposant des mesures sans avoir connaissance de l'impact qu'elles produiront, elle laisse les usagers (…) contraints de faire face (…) aux inconvénients générés par cette politique (…). Dans 20, 30, voire 50 ans, la France reconstruira sans aucun doute ces ouvrages...".

L'auteur ne pensait pas si bien dire, ni d'avoir raison si tôt. Les projets d'aménagements de zones d'expansion des eaux en terres agricoles sont déjà sur la table… et on en cherche le financement… en oubliant qu'il faudra et c'est normal indemniser aussi ces nouvelles terres agricoles que l'on prévoit de rendre inondables. Avec quel argent justement? Une "taxe inondation" sera-t-elle instaurée? Certaines communautés de communes y pensent sérieusement (l'Eclaireur du Gâtinais : article "Solidaires pour lutter contre les crues").

Pendant ce temps, des dizaines voire des centaines de milliers d'euros sont engloutis pour chaque ouvrage joyeusement détruit, somme à multiplier par des dizaines de chantiers sur chaque cours d'eau, à multiplier par le chiffre impressionnant de nos kilomètres de rivière, supérieur à 500 000!

Cette débauche d'incohérences dans l'utilisation de l'argent public est suffocante. Elle l'est également pour les propriétaires de moulins qui se défendent pour sauver leurs aménagements, sous le harcèlement permanent des techniciens de rivière et leurs commissions en tout genre.

"Faire et défaire, c'est toujours travailler", ce dicton populaire ne s'applique pas dans notre cas, car ce "défaire et faire" est totalement contre-productif, avec de l'argent public qui fait cruellement défaut par ailleurs. Une incitation à l'aménagement énergétique des moulins était possible, à l'instar de ce qui a été fait pour les capteurs photovoltaïques. Des solutions rationnelles répondant aux exigences de la continuité écologique existent. Détruire les obstacles, de façon irréversible, correspond à la pire des orientations.

L'histoire de "la prime à la vache", si elle n'est pas certaine, peut toujours faire rire, mais il y a bien plus grave et inquiétant…

Illustration : lors d'une crue, le bief d'un moulin (au premier plan) se remplit, puis commence à déborder sur la prairie d'inondation en contrebas. Ce mécanisme contribue à ralentir et diffuser l'onde de crue. Il a par ailleurs de l'intérêt pour la biodiversité. L'administration française a classé 20 000 ouvrages hydrauliques à traiter en 5 ans, avec comme solution de première intention la destruction de ces ouvrages, donc des équilibres hydrauliques en place. Aucune simulation à grande échelle n'a jamais été produite pour vérifier les effets cumulés de ces choix. Et dans le même temps, l'administration vante les mérites des champs d'expansion de crue en lit majeur... qu'elle incite justement à détruire sur argent public! On nage en pleine contradiction pour cette politique dogmatique, précipitée et décriée.

Cette tribune est originellement parue dans Sitmafgr Liaison n°115 - janvier-février 2018

08/03/2018

Le parc Champagne-Bourgogne, l'obstacle à l'écoulement et la truite arc-en-ciel

Le parc national des forêts de Champagne et Bourgogne est un futur parc national français en cours de concertation. La prochaine assemblée générale, qui risque de se tenir dans un climat tendu, propose d'adopter la charte du Parc. Ce texte a valeur contraignante, donc ses dispositions nombreuses soulèvent des débats. Nous commentons ici la mesure sur la naturalité et la fonctionnalité des cours d'eau, d'où il ressort qu'il faut avant toutes choses traquer et effacer chaque obstacle à l'écoulement, mais que déverser des truites arc-en-ciel ne pose pas de problème majeur à la bien étrange "naturalité"



L'objectif 6 de la charte vise à "garantir le bon fonctionnement des écosystèmes et l’expression de la biodiversité", et sa mesure n°3 à "renforcer la naturalité et la fonctionnalité des cours d’eau". Cliquer sur l'image ci-dessus pour lire ce texte.

Que peut-on y lire?
"La qualité des cours d’eau des têtes de bassin versant, qui repose notamment sur leurs eaux courantes, fraîches et bien oxygénées, est recherchée avec les signataires de la charte."
Cet incipit ressemble à une image de carte postale. Une rivière de tête de bassin versant boisé livrée à sa naturalité serait bien souvent une succession d'embâcles et de barrages de castors avec des alternances d'eaux courantes et stagnantes, des bras temporaires, des changements de lit, etc. L'image ci-dessous (DR) donne une idée de ce type de rivière, dont le cours tout à fait naturel mais peu prévisible n'est d'ailleurs pas sans provoquer des soucis aux propriétaires des rives.


"Le rétablissement de la continuité écologique aquatique de tous les cours d’eau du cœur, quel que soit leur classement, est accompagné sur la base de démarches concertées et d’études analysant l’ensemble des enjeux (naturels, paysagers, culturels et économiques) afin de mettre en œuvre des solutions exemplaires. Il tient compte notamment de la présence d’un important patrimoine bâti en bordure des cours d’eau et d’aménagements parfois à forte valeur sociétale/sociale, historique ou architecturale qu’il contribue à mieux connaître."
Ce texte montre des avancées dans la perception et la prise en compte des ouvrages anciens. Mais après 10 ans de conflit sur la continuité écologique, le projet du Parc ne retient pas la leçon et n'arrive pas à énoncer la phrase claire qui aurait débloqué les choses, à savoir que la protection du patrimoine hydraulique bâti des moulins et étangs, incluant les retenues et les biefs, est la solution de première intention. Au lieu de cela, nous avons le jargon technocratique des "solutions exemplaires" dont les propriétaires et riverains ont appris depuis 10 ans la signification exacte : soit vous effacez, soit vous payez de votre poche les centaines de milliers d'euros de "l'exemplarité". Vu que la charte considère les buses et gués comme des problèmes graves, on se doute que des chaussées, digues et barrages n'auront pas des arbitrages favorables.
"Pour garantir la naturalité des cours d’eau en cœur, la charte encadre les opérations de repeuplement de poisson. Seul le déversement de truite arc-en-ciel est possible sans autorisation préalable dans certains secteurs identifiés."
La truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) est une espèce nord-américaine, acclimatée en Europe à fin de loisir par les adeptes de la pêche sportive. Le manuel de référence de Bruslé et Quignard 2013 nous dit qu'"introduite dans 97 pays, elle peut être considérée comme invasive et, suite à un impact, menacer la survie des populations naturelles de truites et de saumons" (Biologie des poissons d'eau douce européens, p. 111). La truite arc-en-ciel n'a pas beaucoup d'intérêt en rivière, à part procurer au pêcheur du dimanche la satisfaction de son quota de prédation. Qu'une charte visant la naturalité prévoit la possibilité de son déversement dans les eaux du coeur de parc de Champagne et Bourgogne indique l'efficacité du lobby pêche et la complaisance laxiste de l'AFB ex Onema dès que ces intérêts halieutiques sont en jeu.

Conclusion : dans le domaine aquatique, le projet de Parc illustre surtout les idées dans l'air du temps et les contradictions qu'elles affrontent pour devenir une politique écologique de territoire. Il est peu pédagogique de véhiculer des illusions de "naturalité" alors que l'on a seulement ici une certaine vison de la nature. Les seules options conformes à cette idée sous-jacente de "naturalité comme nature sans l'homme" seraient les choix d'interdiction totale de présence humaine et de non-intervention, comme cela peut se pratiquer dans les parcs de certains pays. Mais c'est peu envisageable dans les zones densément et anciennement peuplées comme l''Europe. Sinon, on a un mode de gestion de la nature conforme au goût et à l'intérêt de certains acteurs. Pourquoi pas, mais autant le dire.

06/03/2018

Modèle de courrier pour un chantier de continuité écologique imposé au titre du L 211-1 code de l'environnement

Depuis quelques mois, l'administration en charge de l'environnement, s'appuyant sur un arrêt du Conseil d'Etat, tend à exiger des aménagements de continuité écologique en dehors des rivières ayant fait l'objet d'un classement (liste 2 du L 214-17 CE). Elle s'appuie sur l'article L 211-1 du code de l'environnement. Nous proposons ci-dessous pour les associations, les collectifs riverains ou le cas échéant les particuliers un modèle de courrier à ce sujet. L'article L 211-1 code de l'environnement est intéressant car s'il mentionne bien la continuité de la rivière, il énumère surtout l'ensemble des conditions de la "gestion équilibrée et durable de l'eau" (donc de l'intérêt général). Or ce texte, associé à d'autres rappelés dans ce modèle de courrier, montre que la destruction des ouvrages hydrauliques est généralement contraire à cet intérêt général car elle nuit à des éléments protégés par la loi. C'est donc un levier pour combattre certains chantages à l'effacement, qu'ils proviennent des agences de l'eau, des DDT-M ou de l'AFB, et plaider en faveur de solutions simples d'aménagement. 



Modèle de courrier (ici pour une association) aux DDT(-M)

Dans votre courrier visé en objet, vous signalez à notre association que le cours d'eau ne figure pas dans les listes 1 ou 2 au titre de l'article L 214-17 code de l'environnement, mais que l'article L 211-1 code de l'environnement 7° mentionne le "rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques" comme l'un des éléments de la gestion équilibrée et durable de l'eau.

C'est tout à fait exact. Nous souhaitons cependant mettre en contexte cette disposition dont vous vous prévalez.

Les arguments ici développés valent pour toute instruction de vos services motivée par cet article L211-1 CE sur les cours d'eau et plans d'eau du département

La "continuité écologique" : notion à spécifier
La "continuité de la rivière" est inscrite dans l'annexe V de la directive cadre européenne sur l'eau 2000 de même que la "continuité écologique" est inscrite dans la loi française (article L 211-1 code de l'environnement, article L 214-17 code de l'environnement).

La continuité en question désigne la continuité longitudinale, latérale, verticale et temporelle de l'écoulement de l'eau, du transport des sédiments et de la circulation des espèces.

Pour les espèces migratrices de poissons formant la cible biologique première de la défragmentation des rivières, la continuité en long au droit d'un ouvrage hydraulique peut être rétablie par :

  • Ouverture ou dépose de vanne
  • Rivière de contournement
  • Rampe rustique
  • Passe technique adaptée aux besoins migrateurs
  • Destruction partielle (arasement) ou totale (dérasement)

Donc d'une part, la continuité en long n'est qu'une des dimensions de la continuité écologique ; d'autre part, la destruction d'un ouvrage est une option extrême de rétablissement de cette continuité, dont la justification doit être forte en termes de garantie de bénéfices pour les milieux et stricte pour le respect des droits des tiers. Dans certains cas, la destruction d'un ouvrage et de sa retenue peut rompre la continuité temporelle (risque d'assec par exemple).

Dans le cas discuté en objet, il s'agira de démontrer in concreto a) l'existence d'espèces présentant un besoin de migration et b) l'entrave réelle à cette migration en l'hydrologie et la morphologie actuelles du site (ce qui peut s'observer le cas échéant par un déséquilibre des populations amont / aval). Vous voudrez bien nous transmettre les pièces en ce sens, par exemple les relevés de l'AFB. Une absence de motivation de la nécessité de la continuité en long dans le cours de la procédure contradictoire conduirait de notre point de vue à invalider le projet.

La continuité en long : les lois demandent l'aménagement et non la destruction d'ouvrages

Les lois françaises et les directives ou règlements européens - dont on rappellera la supériorité aux arrêtés préfectoraux (incluant SAGE ou SDAGE) dans la hiérarchie des normes juridiques - n'ont pas demandé la destruction des ouvrages hydrauliques.

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 créant l'article L 2147 code de l'environnement évoque " Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. "

Ni l'arasement ni le dérasement n'est défini comme solution, l'ouvrage doit être géré, équipé ou entretenu lorsqu'il y a un classement réglementaire de continuité écologique.

Le loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, créant la Trame verte et bleue, énonce dans son article 29 : " La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés."

Là encore, la loi évoque l'aménagement, et non l'arasement. Les députés et sénateurs ont expressément retiré un amendement qui prévoyait d'inscrire la destruction d'ouvrage dans les orientations du législateur pour la Trame verte et bleue. La loi demande également de traiter "les ouvrages les plus problématiques", ce qui suppose une analyse par bassin pour hiérarchiser les enjeux et garantir la cohérence des interventions financées sur argent public.

Le Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe (Blue print) COM/2012/0673 de 2012 édicté par la Commission européenne et notamment relatif à l'application de la DCE 2000  énonce à propos de la continuité en long de la rivière : "Si les évaluations de l'état écologique doivent encore être améliorées, il apparaît que la pression la plus courante sur l'état écologique des eaux de l'UE (19 États membres) provient de modifications des masses d'eau dues, par exemple, à la construction de barrages pour des centrales hydroélectriques et la navigation ou pour assécher les terres pour l'agriculture, ou à la construction de rives pour assurer une protection contre les inondations. Il existe des moyens bien connus pour faire face à ces pressions et il convient de les utiliser. Lorsque des structures existantes construites pour des centrales hydroélectriques, la navigation ou à d'autres fins interrompent un cours d'eau et, souvent, la migration des poissons, la pratique normale devrait être d'adopter des mesures d'atténuation, telles que des couloirs de migration ou des échelles à poissons. C'est ce qui se fait actuellement, principalement pour les nouvelles constructions, en application de la directive-cadre sur l'eau (article 4, paragraphe 7), mais il est important d'adapter progressivement les structures existantes afin d'améliorer l'état des eaux."

Les aménagements non destructifs sont donc présentés comme préconisation de première intention au plan européen également.

De ces textes, il résulte que des solutions de destruction d'ouvrages hydrauliques ne sont pas les préconisations nationales ou européennes quand il s'agit de rétablir une continuité longitudinale. Dans le cas du chantier visé en objet, l'ignorance de ces textes par le pétitionnaire et ses maîtres d'oeuvre, par vos services ou par ceux de l'agence de l'eau dans l'évaluation des financements conduirait notre association à contester la rigueur de l'instruction et la qualité de sa procédure contradictoire.

L'article L 211-1 code de l'environnement définit les conditions d'une gestion équilibrée et durable de l'eau conforme à l'intérêt général

Comme vous le rappelez dans votre courrier, la doctrine publique de la "gestion équilibre et durable de la ressource en eau" est spécifiée dans l'article L 211-1 code de l'environnement.

Mais vous ne citez que l'aliéna 7° du I relatif à la continuité écologique, en omettant de référer à l'intégralité de cet article, dont toutes les dispositions s'appliquent à tout projet en rivière. Or, c'est bien l'ensemble de ces dispositions qui va construire l'appréciation d'un intérêt général, et non telle ou telle isolée des autres.

"I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
(…)
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.- La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme."

Pour que le projet d'évolution de l'ouvrage hydraulique soit réputé d'intérêt général et conforme à cet article L 211-1 CE, il ne devra pas seulement rétablir une continuité en long (s'il est établi que la fragmentation représente en l'espèce un impact biologique significatif au droit du site), mais également vérifier dans quelle mesure l'objectif de continuité est conforme à ces autres enjeux :

  • contribuer à la prévention des inondations, 
  • préserver les zones humides (dont les plans d'eau, annexes humides et queues marécageuses, canaux font partie),
  • éviter tout écoulement sédimentaire dommageable (pollution, colmatage),
  • contribuer à une politique de stockage de l'eau à l'étiage,
  • respecter la vie biologique installée dans les milieux en place,
  • protéger les sites et les loisirs,
  • préserver le patrimoine hydraulique.

Notre association serait conduite à refuser le caractère d'intérêt général de tout chantier qui ne garantirait pas le respect optimal de l'ensemble de ces conditions d'une gestion durable et équilibre de l'eau, ou ne prévoirait pas des compensations si un choix particulier d'évolution du site devait nuire aux autres enjeux protégés par le L-221-1 code de l'environnement.

Illustration : exemple de passe à poissons (bassins successifs enrochés) au droit d'un moulin de la rivière Cousin, bien intégrée paysagèrement, ayant bénéficié d'un financement à 100% dans le cadre du programme LIFE+ Parc du Morvan. De tels montages de continuité en long ne posent pas de problème majeur et préservent les différentes dispositions de l'article L 211-1 code de l'environnement, contrairement aux destructions.