20/12/2022

L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe

 Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.







18/12/2022

Les pesticides sous-évalués dans la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau (Weisner et al 2022)

 En échantillonnant des cours d’eau de zones agricoles, des chercheurs montrent que la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau minore largement la pollution des rivières par les pesticides. Ils proposent de changer les méthodologies pour avoir une mesure plus juste du poids des toxiques dans les impacts aquatiques. Leur étude est allemande, mais les mêmes problèmes se posent en France et dans les autres Etats-membres. Alors que toutes les analyses en hydro-écologie quantitative ont montré que les pollutions et les usages des sols du bassin versant sont les deux premiers prédicteurs de mauvaise qualité écologique d’une masse d’eau, trop de gestionnaires publics divertissent l’attention sur des sujets très secondaires. 



La directive cadre européenne sur l’eau 2000 a exigé de tous les Etats-membres une analyse par indicateur de la qualité chimique et écologique des cours d’eau, des plans d’eau, des estuaires et des nappes. Mais encore faut-il que les indicateurs soient corrects. Oliver Weisner et huit collègues viennent de montrer que l’analyse de la présence des pesticides dans l’eau est défaillante.

Voici le résumé de leur étude

« La directive-cadre sur l'eau (DCE) exige qu'un bon état soit atteint pour toutes les masses d'eau européennes. Alors que la surveillance gouvernementale dans le cadre de la DCE conclut principalement à un bon état de la pollution par les pesticides, de nombreuses études scientifiques ont démontré des impacts écologiques négatifs généralisés de l'exposition aux pesticides dans les eaux de surface. 

Pour identifier les raisons de cet écart, nous avons analysé les concentrations de pesticides mesurées lors d'une campagne de surveillance de 91 cours d'eau agricoles en 2018 et 2019 en utilisant des méthodologies qui dépassent les exigences de la DCE. Cela comprenait une stratégie d'échantillonnage qui prend en compte l'occurrence périodique des pesticides et un spectre d'analytes différent conçu pour refléter l'utilisation actuelle des pesticides. Nous avons constaté que les concentrations acceptables réglementaires (RAC) étaient dépassées pour 39 pesticides différents dans 81 % des sites de surveillance. En comparaison, la surveillance conforme à la DCE des mêmes sites n'aurait détecté que onze pesticides comme dépassant les normes de qualité environnementale (NQE) basées sur la DCE sur 35 % des sites de surveillance. 

Nous suggérons trois raisons pour cette sous-estimation du risque lié aux pesticides dans le cadre de la surveillance conforme à la DCE : 
(1) L'approche d'échantillonnage - le moment et la sélection du site sont incapables de saisir de manière adéquate l'occurrence périodique des pesticides et d'enquêter sur les eaux de surface particulièrement sensibles aux risques liés aux pesticides ; 
(2) la méthode de mesure - un spectre d'analytes trop étroit (6 % des pesticides actuellement autorisés en Allemagne) et des capacités analytiques insuffisantes font oublier des facteurs de risque; 
(3) la méthode d'évaluation des concentrations mesurées - la niveau de protection et la disponibilité de seuils réglementaires ne suffisent pas à assurer un bon état écologique. 

Nous proposons donc des améliorations pratiques et juridiques pour améliorer la stratégie de surveillance et d'évaluation de la DCE afin d'obtenir une image plus réaliste de la pollution des eaux de surface par les pesticides. Cela permettra une identification plus rapide des facteurs de risque et des mesures de gestion des risques appropriées pour améliorer à terme l'état des eaux de surface européennes. »

Discussion
Le problème pointé ici en Allemagne est répandu dans toute l’Europe (voir nos articles sur les pollutions par pesticides). Les chercheurs admettent qu’il circule bien davantage de substances toxiques que celles «officiellement» et occasionnellement mesurées sur les points de contrôle de la DCE. Le problème ne concerne d’ailleurs pas que les pesticides (par exemple les microplastiques et les médicaments sont mal cernés), ni que l’eau (les sédiments sont aussi contaminés).

Cette sous-estimation pose un problème évident dans la construction des politiques publiques. L’objectif de bonne qualité écologique de l’eau suppose que l’on mesure et pondère correctement ce qui affecte la vie aquatique. Or, si un facteur connu comme nuisible au vivant est ignoré ou minimisé, cela fausse les analyses, les conclusions et les orientations d’action.  Aujourd’hui, les études d’hydro-écologie quantitative comparent l'état de nombreuses rivières en fonction des impact connus de leur bassin versant, afin de hiérarchiser ces impacts et de définir les plus délétères. La pollution chimique y est souvent estimée à partir des marqueurs nitrates et phosphates, faute de données suffisantes sur d’autres substances. Même avec cette limitation, ces études concluent déjà que la pollution est (avec l’usage des sols du bassin versant) le premier prédicteur de dégradation écologique. D’autres causes qui sont souvent mises en avant par des gestionnaires publics (comme la morphologie et, en particulier, les ouvrages hydrauliques) n’ont qu’un poids faible sur les différences écologiques entre masses d’eau, au moins telles que les mesure la DCE. 

Référence : Weisner O et al (2022), Three reasons why the Water Framework Directive (WFD) fails to identify pesticide risks, Water Research,  208, 117848

13/12/2022

L’Europe va-t-elle voter en catimini la destruction en série des barrages, moulins, étangs, retenues, canaux et plans d’eau ?

 La règlementation Restore Nature, inspirée à la commission européenne par les lobbies et experts militant pour le retour à la rivière sauvage, prévoit comme seule option sur les cours d’eau concernés la destruction des ouvrages hydrauliques. Ce choix radical a pourtant déjà mené à des conflits, contentieux et condamnations en France, pays qui a tenté d’en faire l’essentiel de sa politique publique des ouvrages en 2010, avant d’abandonner. Nous appelons les députés européens à mener leur travail politique d’analyse critique des positions bien trop radicales de la commission sur ce sujet, d’autant qu’elles viennent d’être aggravées et non améliorées par le rapporteur environnement du Parlement. L’eau et l’énergie sont des dimensions critiques pour les populations européennes , elles vont le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. L'avenir des ouvrages hydrauliques se réfléchit à la lumière de ces enjeux. Quant à la négation de six millénaires de relations humaines aux rivières au nom d’une vision théorique de la nature déshumanisée, c’est un choix idéologique n’ayant certainement pas vocation à inspirer une politique publique à échelle du continent. Une réécriture plus démocratique, plus intelligente et plus inclusive du texte est indispensable.



La commission environnement du parlement européen vient de rendre un premier rapport préliminaire d’évolution de la règlementation «Restore Nature» (lien pdf).

Nous sommes au regret de constater que le rapporteur principal Cesar Luena (S&D, Espagne) n’a pour le moment tenu aucun compte de nos observations faites sur les défauts du texte de la commission concernant la restauration de rivière, et qu’il les a même aggravés.

Rappelons que cette règlementation européenne, dans son article 7, propose la seule «destruction d’obstacle» comme outil de restauration de rivière. Concrètement, détruire les barrages, seuils, chaussées, digues, assécher leurs milieux aquatiques attenants, faire disparaître leur patrimoine paysager et culturel, éliminer leurs usages sociaux. Ce choix est navrant par sa radicalité, car il correspond aux seules demandes des lobbies intégristes du retour à la rivière sauvage – lobbies soutenus par une fraction de la recherche en écologie de la conservation, qui est sur cette même ligne idéologique (mais qui ne résume évidemment et heureusement pas tout ce que les sciences peuvent dire des ouvrages hydrauliques). Il est possible de restaurer des fonctionnalités au droit d’un ouvrage en rivière par des mesures de gestion ou d’équipement, options qui doivent donc figurer dans le texte de la réglementation. La destruction doit être l'exception, pas la norme.

Par ailleurs, si le texte actuel rappelle que la mesure est censée concerner des sites «obsolètes» sans usage d’énergie ou de stockage d’eau, il oublie de nombreuses dimensions qui ont été soigneusement niées par les lobbies (et parfois les experts) : existence d’habitats anthropiques d’intérêt sur les  sites anciens , patrimoines locaux, régulation de crues et sécheresses, etc. L’ajout fait par Cesar Luena et deux co-rapporteurs tend même à aggraver le texte initialement proposé par la Commission, puisqu’il inclut désormais sans réserve d’usage des «barrières dont la suppression a un fort impact écologique». C’est notamment ici la demande du lobby naturaliste WWF, de Dam Removal et de quelques autres acteurs ne faisant pas mystère de leur souhait de détruire des barrages même s’ils produisent de l’hydro-électricité ou assurent des stocks d’eau. Un choix qui indigne le citoyens partout où il est proposé.

Nous allons bien évidemment appeler les parlementaires européens à revenir à la raison. Un dossier consacré à l’échec français en matière de continuité écologique commence à leur être diffusé (il sera bientôt disponible sur ce site). 

Ce texte européen  se veut un banc d’essai sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de rivières à restaurer, avec une amplification après 2030. Il doit partir sur des bonnes bases :
  • L’Europe affrontera des besoins critiques en eau et en énergie, qui doivent avoir primauté normative non ambigüe sur les options de «ré-ensauvagement» des milieux aquatiques.
  • Les tentatives d’imposer aux populations locales des solutions uniques décidées par des technocraties lointaines échouent partout, elles se traduisent par des injustices territoriales et par une régression de la perception de l’écologie.
  • Les rivières européennes sont des réalités anthropisées depuis 6 millénaires, tandis que le réchauffement climatique est en train de changer les conditions de tous les systèmes aquatiques. Il est donc simpliste et même aberrant de faire encore croire aux citoyens qu’une «nature» se «restaure» dans un état antérieur sous prétexte que tel ouvrage est ou non présent.
  • L’obsession du retour à une nature pré-humaine peut aussi se traduire par la destruction d’habitats anthropiques d’intérêt, cette issue doit donc être clairement traitée par le droit en exigeant des inventaires préalables complets de biodiversité sur site, en interdisant des perturbations ne correspondant à aucun intérêt public réel, ou ayant des alternatives meilleures. 
  • Il est tout à fait possible de préférer des aménagements de tronçons de rivière en vue d’avoir une  haute «naturalité» (entendue comme faible impact humain), mais un tel choix doit relever des préférences locales au cas par cas, avec justification forte et adhésion réelle. Un tel choix constitue par ailleurs lui aussi et en dernier ressort un aménagement anthropique (la création d’un certain type de paysage fluvial désiré par des riverains). Opposer l’humain et la nature n’a pas ici de sens, ce sont toujours des relations nature-culture qui se décident et se déploient. 
  • La technocratie européenne doit écouter l'ensemble des parties prenantes concernées dans la construction de ses décisions, et non une sélection d'acteurs confortant des choix administratifs sectoriels. Elle doit aussi respecter le principe de subsidiarité et ne pas imposer aux Etats et aux communautés des choix prédéfinis là où il existe des alternatives.

08/12/2022

En cadeau pour l’hiver, France Nature Environnement obtient l’arrêt et la démolition d’une centrale hydro-électrique neuve

 Le lobby naturaliste FNE a réussi son timing : à l’entrée de l’hiver, alors que la France souffre de pénurie et inflation énergétiques, le tribunal administratif de Grenoble vient de prononcer à sa requête l’illégalité d’une centrale hydro-électrique neuve et d’ordonner la démolition des ouvrages. Le motif en est que la baisse du débit dans le tronçon court-circuité serait assimilable à une rupture de continuité écologique pour une rivière classée liste 1 en réservoir biologique. Mais ce jugement de première instance fera probablement l’objet d’un appel. Les règlementations de biodiversité sont devenues l'un des premiers freins aux projets d’énergie renouvelable : les élus doivent donc exposer aux citoyens la manière dont ils vont assurer leur promesse d’une accélération de la transition énergétique, alors que les deux-tiers de l’énergie finale consommée en France sont encore d’origine fossile. Car notre association comme bien d’autres n’hésiteront pas à mener leurs propres contentieux contre l’Etat s’il se maintient en carence fautive sur la décarbonation, s’il méconnaît l’obligation légale de développer la petite-hydro-électricité et s’il met en danger la population par des choix affectant la garantie d’accès à l’énergie. 



Source de  l’image (photo) : Le Messager 

La régie de gaz et d’électricité de Sallanches a sollicité en 2018, une autorisation environnementale afin d’exploiter une centrale hydroélectrique sur la rivière la Sallanche. Ce projet consiste à créer en amont du Pont de la Flée, une prise d’eau reliée à la centrale située en contrebas par une conduite forcée enterrée. A l’issue de l’enquête publique, le préfet de la Haute-Savoie a, par arrêté du 26 décembre 2019, autorisé le projet et déclaré d’utilité publique l’établissement d’une servitude. France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE) en a demandé l’annulation. Le chantier vient tout juste d’être terminé et l’inauguration de la centrale était prévue pour le mois de janvier prochain.

La centrale hydroélectrique consiste en l’installation d’un seuil sur le cours d’eau de la Sallanche où 72 % du tronçon court-circuité (4 200 mètres) de la rivière est classé, par arrêté du préfet de la région Rhône-Alpes du 19 juillet 2013, en liste 1 ainsi qu’en réservoir biologique , en application du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027.

L’étude d’impact initiale sollicitait l’attribution d’un débit réservé de 50 l/s, correspondant au 12.5% du module. Le débit réservé finalement autorisé a été porté à 80 l/s, soit 20% du module du cours d’eau. Dans son avis du 12 décembre 2018, sollicité pour prendre en compte le nouveau débit réservé de 80 l/s, l’Agence française pour la biodiversité (aujourd’hui Office français pour la biodiversité) conclut que cette modification était toujours à une réduction de 53% du débit de la réserve biologique. Cet avis précise en outre que les données hydrologiques, avancées par la pétitionnaire dans son étude d’impact, se basent sur l’influence de l’aménagement au niveau de la restitution de l’usine alors que l’influence d’une dérivation sur un réservoir biologique doit logiquement être évalué dès la prise d’eau et non pas seulement à l’extrémité avale du tronçon court-circuité.

Le tribunal conclut : «Ainsi, il résulte de l’instruction que le projet modifie substantiellement l’hydrologie du cours d’eau et l’arrêté attaqué méconnaît dès lors les dispositions précitées du 4°du I de l’article R. 214-109 du code de l’environnement.»

L’article R. 214-109 du code de l’environnement, dans sa version remise en vigueur à la suite de l’annulation de l’article 1er du décret n°2019-827 par le Conseil d’Etat, précise que : «Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 (…), l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants : (…) 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques».

Ce que l’on peut en dire en débat scientifique
Une centrale hydro-électrique en dérivation modifie forcément le débit donc l’hydrologie du tronçon court-circuité. Par conception, une partie du débit de la rivière passe vers la centrale et non vers le lit originel du cours d’eau. Cette baisse de débit affecte la vie aquatique, de manière différente selon les saisons et le débit total du cours d'eau, mais dans quelle mesure ? Pour l’estimer, il faudrait avoir des analyses systématiques du vivant dans les tronçons court-circuités, selon les typologies de centrales et de gestion des débits. Les études restent lacunaires et ont concerné pour l'essentiel de plus grands ouvrages sur de plus grandes rivières (des producteurs ont commencé leurs propres études et demandent régulièrement à l'OFB de lancer un programme de connaissance à ce sujet). La biomasse aquatique y est très probablement moindre (moins de surface et volume en eau), mais rien ne dit a priori que la biodiversité proprement dite est substantiellement affectée (les espèces n’ont pas de raison de disparaître dans un tronçon court-circuité s’il reste en eau en permanence). Par ailleurs, au vu de ce que prévoit les chercheurs sur le changement climatique, la faune et la flore aquatique pourraient connaitre un bouleversement thermique et hydrologique d’une vitesse quasi-inconnue depuis des millions d’années, si nous ne parvenons pas à baisser très rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Donc la réflexion sur les impacts ne se limite pas aux effets locaux. Enfin, la notion de "réservoir biologique" est plus administrative que scientifique : il conviendrait d'exposer plus précisément en quoi la rivière Sallanche exprime cette propriété de réservoir (pour quelles espèces, présentant quel niveau de menace, etc.). Il a été régulièrement reproché au classement de 2012-2013 d'obéir à une logique halieutique (en particulier sur des cours d'eau à truites communes sans enjeu grand migrateur) davantage qu'écologique. 

Ce que l’on peut en dire en débat juridique
Si, comme on peut le penser, le maître d’ouvrage fait appel de la décision et porte au besoin le cas devant le conseil d’Etat, il reviendra à la jurisprudence d’apprécier ce que signifie une modification «substantielle» du débit d’un réservoir biologique et de dire si cette modification est constitutive ou non d’une rupture de continuité écologique. Le conseil d’Etat a déjà précisé que ces changements devaient s’apprécier au cas par cas (CE 11 décembre 2015 n° 367116). Mais cela implique une casuistique où le juge décide en dernier ressort de ce qui est, ou non, un motif grave de perturbation de fonctionnalités aquatiques.  Dans un cas similaire jugé par la cour de justice de l’Union européenne, les magistrats devaient évaluer si une centrale hydro-électrique pouvait dégrader une qualité de masse d’eau de très bonne à bonne, justement en raison des effets hydrologiques et hydromorphologiques de le centrale sur le tronçon court-circuité. En l’espèce, le juge avait conclu que le requérant pouvait à bon droit mettre en avant l’intérêt majeur de l’électricité décarbonée pour justifier une dégradation de classe de qualité. (CJUE, 4 mai 2016, 62014CJ0346). Enfin, il faut noter que la loi de 2019 fait obligation à l’Etat d’encourager la petite hydro-électricité face à l’urgence écologique et climatique.

Ce que l’on peut en dire en débat politique
Il y a désormais conflit ouvert entre une branche de l’écologie qui donne la primauté à la protection de la nature et de la biodiversité, une autre qui donne primauté à la lutte contre un changement climatique dangereux et au développement de circuit-court à moindre empreinte matérielle. Les questions de biodiversité sont parmi les premiers motifs des recours contre des projets renouvelables au motif qu’ils impactent des habitats et des espèces, donc la protection plus ou moins stricte de biodiversité devient parmi les premiers freins au déploiement du renouvelable, et à une partie de la lutte concrète contre le changement climatique. C’est un choix de la loi et des associations qui s'en réclament (ou en réclament une certaine interprétation). Mais le débat démocratique doit reconnaître cet état de fait (au lieu de le nier, l’euphémiser ou le glisser sous le tapis) pour en déduire une discussion politique sur l’ordre des priorités dans nos normes – nos lois et nos règlementations. 

L’hydro-électricité en France fait l’objet d’un blocage depuis 40 ans, inspiré par les lobbies naturalistes et pêcheurs comme par les administrations eau & biodiversité ayant des sympathies pour ces lobbies. Non seulement on tend à décourager la relance de sites anciens ne créant pourtant pas de nouveaux impacts, par des exigences n’ayant aucune sorte de réalisme économique et biologique, mais on menace de nombreux projets de création de site de contentieux, pour décourager leurs investisseurs. Quand on ne détruit pas sur argent public des ouvrages producteurs d’énergie bas carbone y compris des grands barrages EDF

Nos élus sont en train de voter une loi sur l’accélération de l’énergie renouvelable, et nous les avons avertis à maintes reprises de la nécessité d’assumer des choix politiques, au lieu d’esquiver les sujets et de laisser croire au prix d'une pensée magique que des options contradictoires donneraient des résultats efficaces. Si les élus ne veulent pas prendre leur responsabilité, libre à eux. Mais ils devront de toute façon l’assumer dans l’hypothèse où la France ne réussit pas sa transition énergétique et où les citoyens souffrent de leurs choix délétères en ce domaine.

Car les recours en justice ne viennent pas seulement de France Nature Environnement : que l’Etat manque à son obligation de décarbonation ou que l’Etat opère des choix qui privent le citoyen de la garantie d’accès à l’énergie, notre association et bien d’autres le convoqueront également devant la justice. Le législateur comme l’administration n’échapperont donc pas à l’obligation d’assumer leur responsabilité dans la définition des priorités écologiques. 

Référence : Tribunal administratif de Grenoble, N°2002004, décision du 6 décembre 2022

04/12/2022

Appel aux députés pour relancer l'énergie hydraulique en France

 L’énergie hydraulique est la plus ancienne de nos énergies renouvelables. C’est aussi la plus appréciée des citoyens. La France fut une nation hydraulique pionnière jusqu’au 20e siècle. Cette source d’énergie peut produire à toutes les puissances, du kW au GW. Elle est d’intérêt majeur à l’heure de l’accélération du changement climatique. Il existe aujourd’hui des dizaines de milliers de sites pouvant être relancés. Mais ils sont bloqués par des excès de complexités, procédures, délais. Nous demandons à nos parlementaires d’accélérer la relance hydraulique, tout en posant dans la loi l’obligation de compatibilité entre continuité écologique, production d’énergie et stockage d’eau. Ce sont des enjeux critiques pour le pays et pour l’Europe. La loi doit être à hauteur des bouleversements climatiques et géopolitiques que nous vivons.  



Nous demandons à chacun de nos lecteurs convaincus de cette orientation politique de la réclamer personnellement à leur député en début de semaine prochaine (annuaire de contact des députés). Les amendements sur l'hydraulique seront examinés à compter du mercredi 7  décembre. 


Extraits du communiqué 

Le gouvernement adopte une position inacceptable sur la petite hydro-électricité

L’association Hydrauxois constate que, lors des débats parlementaires en cours sur la loi d’accélération des énergies renouvelable, le gouvernement par la voix de Mme Agnès Pannier-Runacher a pris des positions systématiquement défavorables à la petite hydro-électricité en écartant notamment la relance des moulins et usines à eau déjà présents partout sur notre territoire, en particulier dans les zones rurales.
  • Il est inacceptable que l’hydro-électricité sur sites déjà en place ne soit pas la première des énergies soutenues en France alors qu’elle a le meilleur bilan carbone, le meilleur bilan matières premières, la plus forte popularité riveraine et de nombreux services écosystémiques associés, à commencer par le stockage et la préservation de l’eau face aux sécheresses comme aux crues.
  • Il est inacceptable de présenter comme « négligeable » un potentiel de 1% du mix bas-carbone de la France en 2050, alors même qu’on rouvre une méga-centrale brûlant 1,2 million de tonnes de charbon par an pour obtenir ce même 1% du mix actuel. Et que nos concitoyens sont confrontés à la pénurie comme au risque de délestage.
  • Il est inacceptable que les centaines de ménages, de collectivités, d’entreprises ayant déjà relancé l’énergie de leur moulin ou usine à eau soient traités comme des parias et non comme des exemples à généraliser sur les dizaines de milliers d’ouvrages présents sur les rivières.
  •  Il est inacceptable de prétendre que des moulins et usines à eau présents depuis des siècles sur les cours d’eau seraient des « impacts » graves alors que le vivant co-existe avec ces ouvrages depuis deux millénaires, que ces ouvrages augmentent la surface des milieux aquatiques et humides, qu’aucune extinction d’espèce n’a jamais pu leur être attribuée.
  •  Il est inacceptable que le gouvernement continue de tolérer, implicitement encourager, des destructions de ces ouvrages de moulins et usines à eau alors que le résultat, observable lors de la sècheresse 2022  est la disparition de l’eau, l’extinction locale du vivant aquatique, les plaintes des riverains.
 
Nous appelons les députés à voter une vraie « accélération » de l’hydro-électricité face à l’urgence climatique

L’association Hydrauxois constate que les députés travaillant en commission ont détricoté le texte du sénat dans le domaine de l’hydro-électricité et continué ainsi dans la « malédiction française » : entraver, réprimer, compliquer, cela même dans le texte d’une loi qui a pour but affiché de dépasser des blocages ! Cet état d’esprit nous vaut d’être en retard sur le déploiement renouvelable et de risquer aujourd’hui amende pour ce retard (un demi-milliard d’euros). Il met surtout en péril nos concitoyens face à l’incapacité de décarboner rapidement notre énergie, à l’incapacité d’éviter les pénuries, à l’incapacité de rassembler tout le pays dans un même objectif de transition efficace et juste.
  • Nous appelons les députés  à restaurer en séance les mesures de simplification et d’intérêt majeur de l’hydro-électricité qui avaient été adoptées par le vote du sénat.
  • Nous appelons les députés à voter en séance l’interdiction définitive et sur toutes les rivières françaises des chantiers climaticides de continuité lorsqu’ils mettent en péril le potentiel d’énergie bas-carbone et de stockage de l’eau. 

30/11/2022

Comment les grands barrages ont bloqué l’accès des deux-tiers des rivières européennes aux poissons migrateurs (Duarte et al 2021)

 Si les barrages des moulins, forges et autres sites de l’hydraulique traditionnelle ont été partiellement franchissables aux poissons migrateurs en phase de montaison, il n’en va pas de même pour les grands barrages massivement construits au 20e siècle. Une publication de chercheurs analyse pour la première fois l’évolution spatiale et temporelle de la discontinuité fluviale par grands barrages sur le réseau hydrographique européen. Elle conclut qu’en l’espace de 60 ans, les deux-tiers de ce réseau ont été bloqués. Dans la mesure où les barrages voient leur importance plutôt renforcée en situation de réchauffement climatique et de transition énergétique, cela pose question sur les objectifs des politiques européennes de restauration et leur niveau de réalisme.



Les grands bassins européens analysés par Duarte et al 2021, art cit, classés selon leur exutoire maritime. 

Les rivières sont fragmentées de longue date par des barrages de toutes dimensions. Cela pose problème en particulier au comportement migratoire de certaines espèces de poissons diadromes (par exemple saumon, anguille), dont le cycle de vie passe d’une phase océanique à une phase continentale ou inversement, avec besoin de nager sur de grandes distances. Mais on manque de donnée concernant la dynamique spatiale et temporelle de la construction des barrages en lien à la connectivité, en particulier ceux de grandes dimensions qui bloquent totalement le franchissement des poissons. Dans quelle mesure la construction de ces grands barrages a-t-elle altéré la connectivité longitudinale des réseaux fluviaux européens? Comment le phénomène a-t-il évolué en Europe tout au long du XXe siècle? 

Gonçalo Duarte et ses collègues ont analysé l’histoire des barrages et leur  implantation spatiale dans le grands bassins fluviaux pour répondre à ces questions. Un grand barrage est défini comme un ouvrage mesurant plus de 15 m de sa fondation à sa crête, ou mesurant de 5 à 15 m mais stockant plus de 3 millions de m3 d'eau. Voici le résumé de leur travail :
« La connectivité longitudinale du fleuve est cruciale pour que les espèces de poissons diadromes se reproduisent et grandissent, sa fragmentation par de grands barrages pouvant empêcher ces espèces d'assurer leur cycle de vie. Ce travail vise à évaluer l'impact des grands barrages sur la connectivité longitudinale structurelle à l'échelle européenne, du point de vue des espèces de poissons diadromes, depuis le début du 20e siècle jusqu'au début du 21e siècle. 

Sur la base des emplacements des grands barrages et de l'année d'achèvement, une multitude de paramètres de dégradation des rivières ont été calculés à trois échelles spatiales, pour six régions océaniques européennes et douze périodes. Le nombre de bassins touchés par les grands barrages est globalement faible (0,4 %), mais pour les grands bassins fluviaux, qui couvrent 78 % de la superficie de l'Europe, 69,5 % de tous les bassins, 55,4 % des sous-bassins et 68,4 % de la longueur du fleuve sont altérés. La dégradation de la connectivité du réseau fluvial est devenue de plus en plus importante au cours de la seconde moitié du 20e siècle et est aujourd'hui spatialement répandue dans toute l'Europe. À l'exception de l'Atlantique Nord, toutes les régions océaniques ont plus de 50 % de la longueur des rivières touchées. Si l'on considère les grands bassins fluviaux, les régions de la Méditerranée (95,2 %) et de l'Atlantique Ouest (84,6 %) sont les plus touchées, tandis que les régions Mer Noire (92,1 %) et Caspienne (96,0 %) se distinguent comme celles dont la longueur fluviale est la plus compromise. 

En 60 ans, l'Europe est passée d'une altération réduite à plus des deux tiers de ses grands fleuves avec des problèmes structurels de connectivité dus aux grands barrages. Le nombre de ces barrières a considérablement augmenté dans la seconde moitié du 20e siècle, en particulier les barrages majeurs à distance décroissante de l'embouchure de la rivière. Actuellement, la connectivité longitudinale structurelle des réseaux fluviaux européens est gravement touchée. Cela concerne toutes les régions considérées, et celles du sud de l'Europe seront confrontées à des défis encore plus importants, étant donné qu'il s'agira d'un futur point chaud pour le développement de l'hydroélectricité et, de manière prévisible, d'une zone plus affectée par le changement climatique. »


Ces graphiques montrent l’évolution de la détérioration de la connectivité structurelle des fleuves européens décennie par décennie depuis la fin du 19e siècle jusqu'au début du 21e siècle. Graphique A, le nombre de grands barrages et la distance moyenne à l'embouchure du bassin pour les barrages principaux (# Mst Dams ; avg_dist_mouth_Mst) et les barrages présents dans les affluents (# Tb dams ; avg_dist_mouth_Tb) tout au long des intervalles de temps considérés. Graphique B, analyse à l'échelle du segment en utilisant trois métriques, le pourcentage de longueur de rivière affectée par un, deux à quatre et cinq barrages ou plus dans le chemin vers le segment de l'embouchure du bassin (%S_aff_length_1, %S_aff_length2-4 et %S_aff_length5+) et à échelle de sous-bassin utilisant deux métriques (%SB_Taff et %SB_Taff). Graphique C, pourcentage de longueur de rivière (%S_aff_length-1, colonnes) altérée et pourcentage de grands bassins altérés (B_aff_Lr, lignes pointillées) dans six régions océaniques. (La France est située pour partie dans le bassin Ouest Atlantique en rouge, pour partie dans le bassin Méditerranée en  orange.)

Discussion
Cette étude permet de situer le poids relatif de la fragmentation des cours d’eau entre la grande hydraulique du 20e siècle et la petite hydraulique qui l’a précédée. On observe que l'impact de la première est nettement plus important que ne le fut celui de la seconde. Ce travail est à mettre en parallèle avec une précédente publication des chercheurs qui, analysant l’histoire de la régression de certains espèces migratrices de poissons (en France), trouvaient que le phénomène s’accélérait surtout au 20e siècle (Merg et al 2020). Il est aussi à lire en complément de la recherche récente montrant que les rivières européennes sont probablement fragmentées par 1,2 million de barrières de toute dimension (Belletti et al 2020).

Gonçalo Duarte et ses collègues assument dans leur publication un angle plutôt naturaliste, qui place la question de la conservation des poissons migrateurs comme principal élément de réflexion sur l’avenir des barrages. Toutefois, leur travail et d’autres permettent d’interroger le réalisme et la désirabilité de cet horizon d’interprétation.

Ces recherches posent en effet question sur le sens que l’on donne aujourd’hui à la politique de restauration de continuité longitudinale en Europe. Les barrages de diverses dimensions sont utiles à la société et ne vont pas disparaître, d’autant que le réchauffement climatique risque de renforcer leur demande en stockage d’eau ou production d’énergie bas-carbone (Kareiva et Caranzza 2017). Même s’il est possible de rendre en partie franchissables des ouvrages, les poissons migrateurs ne pourront probablement pas retrouver l’expansion qu’ils avaient à l’époque où les ouvrages étaient de petite dimension, encore moins à celle du début du Holocène avec des rivières n’ayant que des barrières  naturelles de type barrages de castors, embâcles, chutes, cascades ou torrents. D'autant que les fleuves et rivières ont aujourd'hui bien d'autres impacts, allant de la pollution chimique à la sécheresse hydrologique en passant par l'altération sédimentaire ou l'introduction d'espèces exotiques. Il faut noter que le cycle océanique des poissons diadromes est également perturbé, même si le sujet est moins bien connu étant donné les difficultés d'observation. 

La politique de restauration de continuité longitudinale a des coûts non négligeables. Elle soulève des oppositions sociales, politiques et judicaires quand elle prétend démolir les ouvrages, leurs usages et leurs services écosystémiques. La France a été pionnière dans ce domaine de restauration du fait du fort soutien apporté par l'Etat, mais elle est aussi pionnière dans le retour critique sur l'expérience : les poissons migrateurs ne justifient pas tout du point de vue des populations riveraines ; et la protection de la part endémique de la biodiversité est aussi obligée de composer avec d'autres enjeux des politiques d'intérêt général. Il paraîtrait sage de définir une écologie de conservation des espèces menacées qui se limite à des axes où la continuité est moindrement impactée et plus facile à restaurer. Mais sans espoir à court terme de rendre à nouveau parfaitement transparent à la migration un très vaste linéaire hydrographique. D'autant que le rythme du changement climatique en Europe, plus rapide qu'attendu selon certains chercheurs, est susceptible de redéfinir substantiellement les conditions d'efficacité et faisabilité de la conservation écologique des espèces aquatiques. 

Référence : Duarte G et al (2021), Damn those damn dams: Fluvial longitudinal connectivity impairment for European diadromous fish throughout the 20th century, Science of The Total Environment, 761, 143293

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28/11/2022

Pluies et sécheresses en France, ce que les modèles climatiques prévoient pour ce siècle

 Les modèles du climat appliqués à la France et couplés à des modèles de l’eau prévoient tous une tendance à l’aggravation des sécheresses et à la hausse de la variabilité des précipitations, avec des phénomènes plus extrêmes que ceux connus dans les archives historiques. Il pourrait y avoir en tendance un niveau égal ou supérieur de précipitation en saison pluvieuse, mais une baisse nette en saison sèche. Les tendances ne sont pas les mêmes au nord et au sud. Au regard de ces prévisions, il est critique de maintenir les outils de régulation de l’eau dont nous disposons, et d’en créer de nouveaux. L'interdiction de destruction des ouvrages de stockage d'eau devrait être généralisée à tous les bassins, et non seulement à ceux classés continuité écologique. L'évolution des pratiques estivales les plus consommatrices d’eau sera nécessaire afin d’augmenter leur résilience. 


Concernant l’évolution des précipitation, il faut garder à l’esprit une mise en garde : les prévisions des modèles climatiques sur l’eau restent entachées d’incertitudes, par rapport à celles des températures de surface. La raison en est que certains phénomènes physiques sont difficiles à modéliser comme l’évolution des nuages dans un climat réchauffé ou la modification des oscillations naturelles du climat (des couplages régionaux océan-atmosphères qui vont changer avec l’influence des gaz à effet de serre).  De plus, l’hydrologie ne dépend pas que du climat mais aussi des usages des sols, le couplage entre modèles climatologiques et hydrologiques ajoutant de l’incertitude sur les projections. En outre, il est plus difficile d’avoir des séries longues sur la pluviométrie que sur la température.

Cela étant dit, ces modèles physiques restent notre meilleur outil pour essayer d’anticiper et ils dégagent quelques tendances centrale ayant une plus haute probabilité de décrire l’avenir de l’eau dans nos territoires. 

Observations depuis 1900
Concernant déjà  les observations, le Hadley Center a fait récemment une synthèse sur l’évolution des précipitations en Europe entre 1901 et 2018 dans le cadre d’un exercice de détection-attribution des causes des observations (Christidis et al 2022).

Ce graphique montre l’évolution saisonnière en hiver (DJF), printemps (MAM), été (JJA) et automne (SON) :
On note en France une tendance dominante à la hausse des précipitations en hiver et à la baisse en été, avec des signaux plus divers les autres saisons. En revanche, la zone méditerranéenne a une tendance à la baisse dans quasiment toutes les saisons.

Autre enseignement des données : il existe une tendance à la variabilité des précipitations, leur caractère moins constante prévisible d’une année sur l’autre. Ce graphique montre la différence entre les 30 dernières années et les 30 premières du 20e siècle, une forte variabilité au printemps, un peu moins en hiver et en automne. En revanche les étés ont évolué vers une moindre variabilité sur la majeure partie du territoire en France :


Prévisions pour ce siècle
Venons en prévision. Rappelons que celles-ci dépendent de scénario d’émission (les RCP) qui changent selon la quantité de gaz à effet de serre que nous émettrons, donc le forçage radiatif de ces gaz (capacité de changement du bilan énergétique, RCP 2.5, 4.5 ou 8.5 W/m2) .

Les chercheurs français (Meteo France, CNRM, Cerfacs, IPSL) développent des projections climatiques de référence pour la France au 21 siècle, selon un modèle appelé DRIAS. Il y a toutefois des phases d’ajustement en cours entre ce modèle (qui est régionalisé) et les modèles globaux utilisés pour les rapports du GIEC (qui sont utilisés en simulation multi-modèle appelés CMIP). 

Concernant la projection climatique de référence de DRIAS et pour les précipitations, voici ce que donnent les résultats (selon les scénarios RCP et les périodes du 21e siècle)  :

On aurait un maintien ou une hausse légère des précipitations en hiver, un signal incertain au printemps et en automne, une baisse des précipitations en été.

Un autre publication (Dayon 2018) a utilisé les modèles globaux et analyser ce qu’ils disent pour la France, dans le scénario « business as usual » de poursuite des émissions de gaz à effet de serre.

Ce graphique montre les tendances des précipitations à la fin du siècle (2070-2100 par rapport à 1960-1990) en hiver (DJF), été (JJA) et moyenne de l’année :

Sur un tiers nord et est du pays, la tendance serait sans variation voire avec un peu plus de précipitations, mais pour les deux-tiers sud et ouest, la tendance est à la baisse. Mais il y aurait une hausse des précipitations hivernales dans le nord, une baisse dans la pointe sud. Et les précipitations estivales seraient plus faibles partout, surtout dans le sud. 

On le retrouve dans ce graphique des tendances de sécheresses hydrologiques (QMNA5), météorologique (PMNA5) et agricole / édaphiques (SMNA5) : 

Les sécheresses seront plus sévères dans tous les bassins versants. 

Cet autre graphique montre les tendances sur les quatre grand bassins versants métropolitains (Seine, Loire, Garonne, Rhône), où l’on peut voir par saison et à l’année les tendances estimées des précipitations (bleu), de l’évapotranspiration (vert) et du débit en résultant (rouge), avec les traits indiquant la valeur centrale selon les scénarios d’émission carbone : 


Les débits annuels diminueraient environ de 10 % (±20 %) sur la Seine, de 20 % (±20 %) sur la Loire, de 20 % (±15 %) sur le Rhône et de 40 % (±15 %) sur le Garonne.

Préparer la société à affronter un climat plus variable aux épisodes extrêmes plus dangereux
Face à ces évolutions, les mesures sans regret sont celles qui vont conserver ou augmenter la capacité de notre société à stocker et réguler l’eau, pour les besoins humains, pour la prévention des crues dangereuses et pour le soutien aux milieux naturels menacés d’assèchement. La difficulté pour le gestionnaire est de faire des choix avec deux cas extrêmes et contraires en hypothèse : des précipitations plus fortes que celles connues dans l'histoire (ce qui est probable en épisodes ponctuels), des sécheresses plus intenses que les cas archivés (idem).

Par ailleurs,  le climat et l’hydrologie ne suivent ne suit pas nos divisions politiques et administratives, il n’y a pas une seule stratégie nationale cohérente aux prévisions. Le sud et le nord de la France n’auront probablement pas les mêmes évolutions hydroclimatiques. Chaque bassin versant doit donc s’approprier les données et réflexions pour réfléchir depuis les réalités de son territoire. 

Concernant la question des ouvrages hydrauliques (retenues, plans d’eau, canaux), les prévisions des chercheurs sur la variabilité des précipitations, le risque accru de sécheresse, la possibilité de précipitations extrêmes, le décalage entre maintien des pluies en saison froide et nette baisse en saison chaude indique qu’il faut impérativement les conserver. La loi de 2021 interdit seulement de les détruire en rivière classée continuité écologique, mais cette interdiction devrait être étendue à tous les bassins versants. La France doit se doter d'une politique éco-hydraulique cohérente et prudente, au lieu des choix troubles et inefficaces faits depuis une dizaine d'années. En particulier, aucun chantier ne doit réduire le stockage d'eau en surface et en nappe, tout chantier devrait au contraire prévoir de l'augmenter. 

En revanche, ces systèmes hydrauliques vont avoir des contraintes plus fortes liées au réchauffement (eutrophisation, bloom, biofilm, etc.) : cela suggère d'en améliorer la gestion et surtout d’accélérer la dépollution des eaux, qui aggrave ses effets toxiques lors de la sécheresse. 

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19/11/2022

Les habitats aquatiques humains et la conservation des moules d’eau douce (Sousa et al 2021)

 Des chercheurs ont passé en revue la littérature scientifique et documenté que les habitats anthropiques (retenues, canaux, plans d’eau) pouvaient servir à plus de 200 espèces de moules d’eau douce, dont 34 espèces menacées sur les listes rouges de l’UICN. Mais ces habitats ont un intérêt dépendant de leur gestion : parfois ils peuvent devenir des pièges écologiques si leurs manoeuvres hydrauliques ou leurs abandons produisent des détériorations de milieux ou des mortalités. Les chercheurs soulignent qu’il est devenu urgent de documenter systématiquement les peuplements des habitats aquatiques d’origine humaine, ainsi que de travailler à des règles d’aménagement et gestion favorables au vivant. C’est la position de notre association. Et ce qui est dit ici des mollusques concerne aussi bien les invertébrés, les poissons, les amphibiens, les oiseaux, les mammifères… Sortons au plus vite de l’opposition stérile entre naturel et artificiel qui conduit à négliger une part importante des milieux aquatiques et humides, voire à assécher ces milieux en dehors de toute précaution et réflexion. 


Exemple d’habitats anthropiques colonisés par les moules d’eau douces : biefs de moulins à eau, canaux d’usine ou d’irrigation, étangs et plans d’eau…. Extrait de Sousa et al 2021

Trente-six spécialistes de la conservation des moules d’eau douce viennent de publier une synthèse sur les connaissances concernant le rôle des habitats anthropiques.

Voici le résumé de leur étude : 
«Les habitats anthropiques d’eau douce peuvent offrir des perspectives sous-évaluées de conservation à long terme dans le cadre de la planification de la conservation des espèces. Cette question fondamentale, mais négligée, nécessite une attention particulière compte tenu de la vitesse à laquelle les humains ont modifié les écosystèmes d’eau douce naturels et des niveaux accélérés de déclin de la biodiversité au cours des dernières décennies. Nous avons compilé 709 enregistrements de moules d’eau douce (Bivalvia, Unionida) habitant une grande variété de types d’habitats anthropiques (des petits étangs aux grands réservoirs et canaux) et examiné leur importance en tant que refuges pour ce groupe faunique. La plupart des enregistrements provenaient d’Europe et d’Amérique du Nord, avec une nette dominance des canaux et des réservoirs. L’ensemble de données couvrait 228 espèces, dont 34 espèces menacées figurant sur la Liste rouge de l’UICN. Nous discutons de l’importance de la conservation et fournissons des conseils sur la façon dont ces habitats anthropiques pourraient être gérés pour assurer une conservation optimale des moules d’eau douce. Cet examen montre également que certains de ces habitats peuvent fonctionner comme des pièges écologiques en raison de pratiques de gestion contraires à la conservation ou parce qu’ils agissent comme un puits pour certaines populations. Par conséquent, les habitats anthropiques ne devraient pas être considérés comme une panacée pour résoudre les problèmes de conservation. Il est nécessaire de disposer de plus d’information pour mieux comprendre les compromis entre l’utilisation humaine et la conservation des moules d’eau douce (et d’autres biotes) dans les habitats anthropiques, compte tenu du faible nombre d’études quantitatives et du fort biais des connaissances biogéographiques qui persiste.»
Les travaux recensés dans ce passage en revue montre que l’on trouve des moules d’eau douce et notamment des espèces protégées dans des milieux anthropiques très divers : «Nos données indiquent que les moules d’eau douce peuvent coloniser les canaux (y compris les  canaux d’irrigation, de transport et de refroidissement, des moulins à eau et les fossés), les rivières canalisées, les réservoirs (y compris les  réservoirs d’exploitation minière), les  étangs artificiels, les lacs artificiels (y compris les lacs  urbains et  les gravières), les  rizières, les bassins de navigation et les ports».

Mais l’étude des chercheurs montre l’importance du cas par cas. Il n’y a pas de règles prédéfinies : des aménagements de rivières peuvent agir comme refuges et d’autres comme pièges ou comme dégradations. 

Par exemple, un ouvrage mal géré peut entraîner des mortalités de moules, comme cet exemple de vidange intempestive de réservoir :


Ou bien encore, un habitat anthropique peut se dégrader faute d’entretien ou à cause de pollution, et en ce cas sa fonction de refuge de biodiversité est perdue, comme l’illustre cet autre exemple :


Ces spécialistes de la biodiversité insistent néanmoins sur le fait qu’il est impossible désormais de négliger l’importance des habitats anthropiques dans la conservation de biodiversité, ce qui est l’objet principal de leur article :
« Dans un monde presque totalement dominé par l’homme et ses infrastructures, il ne fait aucun doute que les habitats anthropiques augmenteront en nombre et en étendue spatiale à l’avenir. Par exemple, 3700 barrages hydroélectriques de plus de 1 MW sont actuellement proposés ou en construction, et de nombreux autres barrages de plus petite taille devraient être construits pour répondre à la demande mondiale croissante d’énergie, de contrôle des inondations et d’irrigation (Thieme et al., 2020; Zarfl et coll., 2015). Une situation similaire est vraie pour les canaux, car, par exemple, des dizaines de mégaprojets de transfert d’eau (c’est-à-dire des interventions d’ingénierie à grande échelle pour détourner l’eau à l’intérieur des bassins fluviaux et entre ceux-ci; Shumilova et al., 2018) sont prévus dans un avenir proche (Daga et al., 2020; Shumilova et coll., 2018; Zhan et coll., 2015; Zhuang, 2016). Par conséquent, l’importance écologique, conséquente et socio-économique des habitats anthropiques ne doit pas être ignorée et devrait augmenter.

Les fonctions sociales et les services des habitats anthropiques peuvent changer au fil du temps, et influencer les objectifs de gestion. Par exemple, le passage d’une focalisation sur la navigation commerciale à des activités récréatives et à la préservation du patrimoine, ou le remplacement des anciens canaux d’irrigation par des technologies d’irrigation modernes, peut entraîner la désactivation ou même la destruction de certains habitats anthropiques (Hijdra et coll., 2014; Lin et coll., 2020; Walker et coll., 2010). Ces situations doivent être soigneusement évaluées, car certains de ces habitats anthropiques peuvent être colonisés par des moules d’eau douce et d’autres espèces présentant un intérêt pour la conservation. 

Les différences environnementales et biologiques entre les habitats anthropiques et naturels sont dans certains cas mineures et peuvent souvent être surmontées par l’ingénierie écologique, afin de rendre l’environnement plus approprié pour les moules d’eau douce et d’autres espèces endémiques, et/ou d’assister la dispersion pour permettre aux organismes endémiques appropriés d’atteindre ces écosystèmes artificiels (Lundholm et Richardson, 2010). Parfois, des activités mineures d’ingénierie écologique peuvent créer des habitats propices à la conservation de la biodiversité (par exemple, l’ajout de substrats appropriés et le contrôle des hydropériodes) qui imitent les conditions naturelles. La mise en œuvre de mesures susceptibles d’accroître l’hétérogénéité de l’habitat (ajout de bois ou de gros rochers, augmentation des refoulements) et l’utilisation de matériaux plus respectueux de l’environnement dans les cours d’eau canalisés (par exemple, dépôt de substrat avec des granulométries appropriées, utilisation de matériaux perméables autres que le béton) peuvent mieux convenir aux moules d’eau douce (et d’autres espèces) et même améliorer les services écosystémiques tels que la lutte contre les inondations et l’attrait des loisirs (Geist, 2011). Il y a beaucoup à apprendre sur ce sujet des habitats anthropiques situés dans des écosystèmes marins (voir par exemple Strain et al., 2018). De même, une gestion prudente des niveaux d’eau dans ces habitats anthropiques en utilisant, par exemple, des techniques de télédétection pour évaluer les changements spatiaux et temporels de l’hydropériode (voir Kissel et al., 2020; encadré 3), en particulier dans des conditions de sécheresse, peut être essentiel pour réduire la mortalité. En fait, de nombreux barrages disposent déjà de programmes en place de surveillance des données à petite échelle pour s’assurer que les niveaux d’eau n’atteignent pas des niveaux critiques et ces programmes peuvent être utilisés pour mieux gérer les niveaux des rivières et réduire la mortalité des moules. »

En piste pour la recherche, voici les propositions des auteurs :
« Notre compréhension de la façon dont les habitats anthropiques affectent les moules d’eau douce en est à ses balbutiements, avec plus de questions que de réponses (c.-à-d. certains exemples montrant leur importance pour la conservation et d’autres montrant leur rôle en tant que pièges écologiques). Par conséquent, des comparaisons écologiques minutieuses devraient être effectuées en tenant compte des échelles spatiales et temporelles appropriées. La connectivité et le temps écoulé depuis la construction peuvent être des aspects clés auxquels il faut prêter attention, car nous prévoyons qu’une connectivité accrue et des structures plus anciennes permettront la succession à une communauté plus stable, avec une augmentation de la diversité et de l’abondance des espèces de moules d’eau douce. Un autre aspect clé à prendre en compte est le type de matériau utilisé dans la construction de ces structures. Par exemple, on s’attendrait à ce que la valeur de conservation d’un canal entièrement en béton soit très différente de celle d’un canal contenant des sédiments naturels. Pour une espèce benthique, telle qu’une moule d’eau douce, cette situation devrait être soigneusement évaluée et guider la mise en œuvre future de solutions fondées sur la nature (voir Palmer et coll., 2015). Compte tenu de la prédominance des structures en béton dans les écosystèmes aquatiques et de leurs effets négatifs sur de nombreux aspects écologiques (pour une revue, voir Cooke et al., 2020), les études futures devraient viser à développer des matériaux plus respectueux de l’environnement et plus durables. Ces nouveaux matériaux, y compris le béton plus perméable et les matériaux fibreux tels que les cordes floues (Cooke et al., 2020), peuvent bénéficier non seulement au biote, mais aussi aux humains (par exemple grâce à un cycle biogéochimique amélioré), avec des coûts environnementaux, sociaux et économiques plus faibles (Palmer et al., 2015).

Les recherches futures devraient comprendre l’élaboration de programmes de surveillance axés sur la comparaison des habitats anthropiques avec les écosystèmes naturels adjacents. Des outils nouveaux et émergents tels que les technologies de télédétection et l’ADN environnemental peuvent être d’une grande aide non seulement pour détecter les espèces rares et envahissantes, mais aussi pour caractériser les écosystèmes terrestres adjacents (Prié et al., 2020; Togaki et coll., 2020). Les données générées par de nouvelles techniques de télédétection, telles que l’imagerie aérienne pour estimer la surface et l’hydropériode (voir Kissel et al., 2020), peuvent être essentielles pour améliorer la comprendre la dynamique hydrologique des habitats anthropiques. Dans le même ordre d’idées, étant donné que les habitats anthropiques sont affectés par des facteurs de stress mondiaux, tels que la perte d’habitat, la pollution, les espèces envahissantes et le changement climatique, leurs effets devraient être évalués simultanément. 

La valeur sociale des habitats anthropiques est également particulièrement importante à évaluer à l’avenir, en utilisant, par exemple, les connaissances écologiques locales et l’i-écologie ainsi que des outils culturomiques (voir Jarić et al., 2020; Sousa et al., 2020) pour déterminer comment le grand public perçoit ces habitats en termes de conservation de la biodiversité. De plus, les études évaluant les réponses fonctionnelles, telles que les taux de filtration, le cycle des nutriments et la bioturbation dans les écosystèmes anthropiques par rapport aux écosystèmes naturels, sont totalement inexistantes et ces lacunes limitent notre compréhension des réponses fonctionnelles des moules d’eau douce à ces infrastructures. Enfin, et bien que complètement spéculatives compte tenu de l’inexistence d’études, ces structures anthropiques aquatiques pourraient avoir des implications évolutives (voir Johnson & Munshi-South, 2017; Schilthuizen, 2019 pour les zones urbaines). Les moules d’eau douce pourraient s’adapter à ces habitats anthropiques, et cette situation pourrait être extrêmement intéressante à étudier à l’avenir. » 
Discussion
Le travail de Sousa et de ses collègues rejoint une littérature croissante qui appelle à prendre en considération les milieux aquatiques et humides d’origine artificielle, dit aussi anthropiques (voir recensions de Lin 2020Koschorrek et al 2020Zamora-Martin et al 2021). Car le travail fait ici sur les moules peut être étendu à d’autres mollusques, aux invertébrés, aux poissons, aux amphibiens, aux oiseaux, aux mammifères, aux végétaux. 

La France accuse un retard évident en ce domaine, comme on a pu le voir dans les campagnes de restauration de continuité longitudinale fondées sur une indifférence totale et un assèchement massif de milieux anthropisés – une politique faisant perdre, et non gagner, de la surface aquatique et humide. 

L’idée qu’un habitat d’origine artificielle serait sans intérêt biologique est pourtant contredite par les faits, de plus en plus massivement à mesure que la recherche progresse. Il en résulte d’abord que détruire ou perturber de tels habitats sans précaution n’est pas souhaitable pour ce qui concerne la gestion des milieux aquatiques et humides. Il en résulte ensuite qu’avant de vouloir systématiquement «renaturer» des milieux anthropisés au risque de les assécher, comme la restauration tend parfois à le faire de manière précipitée, systématique et avec peu de connaissances, le plus urgent serait déjà de les étudier et de proposer lorsque c’est possible quelques règles écologiques de bonne gestion. 

Ces travaux en écologie de conservation devraient être phasés avec ceux d’économistes pour aller plus loin. En effet, la gestion attentive à la biodiversité représente presque toujours des contraintes nouvelles de temps et d’argent, parfois des budgets conséquents. Le particulier ou le professionnel qui dispose d’un habitat d’intérêt ne pourra pas aller loin s’il supporte de tels coûts sans aide ni compensation. Les paiements pour services écosystémiques, tels que l’on commence à les proposer dans le cadre agricole, peuvent être des voies à creuser. 

Enfin, notre association recevant souvent des plaintes de riverains d’habitats anthropiques menacés d’assèchement et de destruction (canaux, étangs, plans d’eau), nous rappelons que le code de l’environnement ne distingue pas les milieux aquatiques ou les zones humides selon leur origine (naturelle, artificielle). Tout projet qui menace un tel habitat doit commencer par un diagnostic de biodiversité et une étude d’impact des options proposées : en cas d'indifférence, le rappel doit en être fait au maître d'ouvrage avec copie au préfet et au procureur. Si cet habitat est dégradé de manière intentionnelle, durable et sans précaution, une plainte peut être déposée. N'hésitez pas à nous signaler par courrier des menaces, particulièrement sur les hydrosystèmes de types plans d'eau et canaux.

Référence : Sousa R et al (2021), The role of anthropogenic habitats in freshwater mussel conservation, Global Change Biology, 27, 11, 2298-2314

17/11/2022

La renaturation fait l’apprentissage de la démocratie, réponse à Truites & compagnie

 

Par leur récente victoire au conseil d’Etat, notre association et ses consœurs ont rétabli la démocratie riveraine et la démocratie environnementale en soumettant à l’étude d’impact et à l’enquête publique tout chantier qui modifie un linéaire conséquent de milieux aquatiques. Un billet de Truites & compagnie déplore cette décision du conseil d’Etat, prétend qu’elle serait contraire à l’intérêt général et accuse notre association d'être mue par la simple quête d'un intérêt privé lié à l'hydro-électricité. Réponse et précisions à ce sujet.



L’article de Truites et compagnie est principalement axé sur l’idée que «l’intérêt général» et «les intérêts privés» s’opposent. En forçant le trait (mais à peine, car le billet est assez caricatural), il y a les gentils défenseurs de l’intérêt général qui veulent renaturer les rivières selon leur vision de l’écologie et sans qu’on les importune, les méchants défenseurs des intérêts privés qui osent leur mettre des bâtons dans les roues (car leur désir secret serait de se faire plein d’argent avec de l'hydro-électricité). 

L’intérêt général, ce n’est pas chacun qui le proclame
Depuis 1789, et comme l’observe un universitaire spécialiste du sujet (Truchet 2017), «l’intérêt général désigne toujours les besoins de la population, ou pour reprendre une expression de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, «la nécessité publique» : est d’intérêt général ce que ces besoins ou cette nécessité commandent ou permettent en un lieu donné et à un moment donné.» Il est donc pour le moins curieux de considérer comme contraire à l’intérêt général une avancée du droit qui permet à la population de donner son avis (ici, sur des chantiers en rivière). En fait, tout le sens de la démocratie environnementale depuis 30 ans est justement de conférer ce droit aux citoyens.

L’intérêt général s’exprime dans la loi, après que le législateur a entendu l’ensemble de la société. Eventuellement, si les citoyens sont en désaccord sur le sens de la loi, l’intérêt général se tranche par le juge. L’intérêt général n’est donc pas la décision arbitraire d’une faction administrative et gestionnaire qui estimerait être au-dessus des autres citoyens, ici dans sa vision et gestion de la nature. Ne pas comprendre cela, c’est avoir un problème profond de cohérence vis-à-vis de ce que sont la démocratie et l’état de droit. Ce n’est pas tenable longtemps pour une action publique.

L’auteur du billet de Truites & compagnie dit à ses pairs qu’il leur faut se pencher sur le droit. C’est en effet indispensable et il est bien dommage que le personnel d’instances publiques ou d’associations à agrément public ne dispose pas d’une solide formation en ce domaine. Se pencher sur le droit, c’est découvrir que les normes de l’action humaine ne sont pas réductibles à l’idéologie de tel ou tel citoyen ou de telle ou telle faction de citoyen. Le droit est donc une bonne école de découverte du pluralisme, de compréhension de la complexité et de respect de la diversité des vues en démocratie. 

Les chantiers de renaturation sont des chantiers comme les autres
Comme nous l’avions déjà exposé, le droit français et plus précisément le code de l’environnement définit les termes de la gestion durable et équilibrée de la rivière. Les chantiers dit de renaturation ou restauration de rivière sont des chantiers de gestion : ils doivent donc respecter ce que dit le droit à ce sujet. Or il suffit de lire le texte de la loi pour comprendre que les dimensions naturelles de l’eau (fonctionnalités, biodiversités, etc.) y sont équilibrées par des considérations sociales, sanitaires, sécuritaires, économiques. Demander un « blanc-seing » pour changer des linéaires importants de milieux aquatiques sans contrôle du citoyen et sans étude d’impact de ce que l’on fait, c’est évidemment arbitraire. 

Il faut aussi rappeler qu’un chantier est un chantier. N’importe quel manuel de génie écologique reconnaît que certains travaux, et en particulier les destructions d’ouvrages hydrauliques, ont des effets adverses et indésirables à contrôler. Citons notamment :
  • incision de lit,
  • affaissement de berge,
  • risque géotechnique par rétraction argile ou pourrissement de fondation bois, 
  • remobilisation de sédiments pollués, 
  • baisse du niveau de la nappe et effet sur les réseaux d’eau, 
  • changement du régime local des crues et des sécheresses, 
  • risque de destruction d’espèces protégées ayant colonisé l’habitat, 
  • risque de remontée d’espèces invasives. 
Cette liste ne concerne que des dimensions physiques, chimiques, biologiques, sans parler de l’appréciation des citoyens sur les usages et les paysages, ainsi que des droits de propriété protégés constitutionnellement. 

Et vous voulez que tout cela se passe d’étude d’impact et d’enquête publique ? C’est vraiment inquiétant si vous prétendez avoir un rôle de gestionnaire public… 

L’hydro-électricité sans caricature
Concernant l’hydro-électricité, le billet est franchement caricatural. Mais assez classique des éléments de langage du milieu pêcheur, qui fait croire aux élus que les personnes relançant des moulins à eau sont d’affreux capitalistes voulant amasser des fortunes immenses en tuant des poissons. Ce type de discours est un résidu assez archaïque des années 1980,  déconnecté de la réalité des sites et des pratiques. Il est à peu près inaudible à l’heure où tout le monde a désormais conscience des risques climatiques et où chaque kWh compte pour éviter les émissions carbone, tant en production (élimination du carbone) qu’en consommation (sobriété du carbone).

En tout état de cause, Hydrauxois n’est pas un syndicat de producteur d’hydro-électricité, c’est une association de riverains qui défend l'eau et le droit de l'eau (voir le PS plus bas). Cela inclut l’écologie et le climat mais aussi bien la culture, le paysage, la société, l’économie. Car justement, l’intérêt général ne peut pas être confisqué par une seule vision de l’eau, ses usages, ses imaginaires. 

L’hydro-électricité fait partie des énergies soutenues à échelle nationale, européenne et mondiale dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et de l'urgence à ne pas dépasser les 2°C de hausse de température, si possible les 1,5°C. Elle est aussi promue comme option par le GIEC. C’est donc difficile de recevoir des leçons d’intérêt général de la part de gens qui s’opposent au développement de cette hydro-électricité, voire qui détruisent des ouvrages producteurs, même des ouvrages EDF détenus par l'Etat, donc les citoyens

La renaturation n’est pas une mission sacrée, elle est objet d’examen critique
A dire vrai, beaucoup de chantiers de restauration des milieux aquatiques sont intéressants et notre association y est favorable. Ce sont certains travaux qui ont focalisé une forte opposition, dont la nôtre, et il faut comprendre pourquoi. 

La restauration de continuité écologique en long est la plus contestée des politiques publiques de l’eau, car elle a de nombreux défauts quand elle se fonde sur la destruction des ouvrages hydrauliques (choix français ultra-majoritaire de la décennie 2010). Elle nuit en ce cas à des éléments de biens communs comme à des règles inscrites dans la loi sur la gestion durable et équilibrée de l’eau : protection des milieux aquatiques et humides en place, stockage de la ressource en eau, adaptation climatique, lutte contre la pollution, promotion de l’énergie renouvelable, protection du patrimoine culturel. C’est justement son défaut d’intérêt général qui a mené à sa réforme et, parfois, à sa condamnation par la justice. Cette destruction d'ouvrages et de milieux liés aux ouvrages est d'autant plus déplorable qu'il existe diverses options non destructrices pour assurer la continuité.

Plus largement, les politiques de renaturation ou restauration de rivière doivent être soumises à l’examen critique et à l’avis des citoyens. Les rivières sont un hybride de nature et de culture, il est impossible de prétendre les confisquer dans une vision purement naturaliste alors que c’est contraire à l’expérience humaine depuis toujours. L’écologique contre le social, cela ne marche pas. Il est symptomatique que l’auteur voit sa mission comme «offrir aux milieux les moyens d’être plus résilients face aux agressions de notre société».

Les humains vivent avec l’eau comme l’eau vit avec les humains, une séparation mentale à ce sujet est une sorte de contradiction insoluble (je défends l’eau contre les humains… alors que je suis humain et que mon action vise comme celle des autres humains à un certain état de l’eau). 

Même le choix de «renaturer» est lui aussi un choix humain de configuration de la rivière selon certains objectifs et certaines préférences. Mais ce choix se discute forcément, il ne peut pas être arbitraire. Au demeurant, les politiques de renaturation affirment en général qu’elles vont apporter d’autres choses que la seule nature (baisser des pollutions, réduire des crues, adapter au climat, élargir les services de la biodiversité, etc.) et il faut donc au minimum démontrer que leurs chantiers parviennent vraiment à de tels objectifs. 

Qui a gâché l’idée de continuité au nom de dogmes et d’intérêts particuliers ? 
La restauration de continuité écologique en long par démolition des sites et milieux en place échoue souvent à cette démonstration de son intérêt, elle a donc suscité une forte résistance citoyenne dont notre association est l'une des voix. Dans bien des cas, la continuité en long aura été l’alibi de publics particuliers pour des intérêts particuliers (par exemple, dépenser l'argent public rare de l'écologie pour maximiser des salmonidés à la demande des pêcheurs de salmonidés). Cela s’explique notamment par le fait que cette continuité a été reprise en France de la loi pêche 1984, c’est-à-dire par le petit bout de la lorgnette halieutique.

En fait, la continuité ou connectivité de milieux est plutôt une idée intéressante issue de la recherche écologique, mais elle a été largement gâchée par une approche dogmatique, une mise en œuvre brutale et centrée sur les buts de certains publics. 

Le principal enjeu de la continuité de l’eau est la continuité latérale, bien plus importante pour la biodiversité et pour la régulation de l’eau. Or elle a été ignorée dans la loi et reléguée au second plan parce que certains voulaient juste casser du moulin et de l’étang au nom de leurs dadas. Un autre enjeu est la continuité temporelle, les assecs sont un facteur de destruction massive de la biodiversité ainsi que de mise en péril de la santé et de la sécurité de nos sociétés. Mais cette continuité temporelle de l’eau n’a pas à être prisonnière, elle non plus, d’un dogme de «naturalité» : des solutions humaines et des habitats anthropiques peuvent aussi aider à conserver de l’eau, donc à avoir davantage de vivant aquatique et humide qu’en laissant les rivières et plans d’eau se vider. Opposer les solutions fondées sur la nature et sur la technique relève, là encore, d’un dogmatisme dont notre société n’a pas besoin. Et le vivant non plus.

En conclusion
Si certains se pensent comme des croisés de la nature en lutte contre la société, ils doivent donc mener un important travail de réflexion critique et de recul sur soi. Une telle posture mène à l’impasse. La nature (pour peu que ce terme ait un sens) est un objet de la discussion démocratique, elle n’est pas séparable de la société. Les citoyens sont égaux devant elle comme devant la loi.  C’est pourquoi les citoyens disposent du droit d’être informés et de donner leur avis sur toute évolution des milieux naturels, peu importe les motivations de cette évolution.  

Post scriptum
L'objet légal de l'association Hydrauxois est le suivant.
L’association a pour objet la protection de la nature, de l’environnement et des patrimoines de l’eau dans une perspective de développement durable, et donc notamment de :
Protéger et restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, terrestres et marins, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres fondamentaux de la biosphère, l'eau, l'air, le sol, le sous-sol, les sites et paysages, le cadre de vie,
Promouvoir une utilisation de l'énergie sobre et efficace, un développement des énergies renouvelables compatible avec les intérêts environnementaux, sociaux, économiques et paysagers,
Prévenir les dommages écologiques et les risques naturels et technologiques et leurs impacts sanitaires, notamment dans le domaine des déchets et pollutions,
Exiger un urbanisme économe, harmonieux et équilibré dans l'aménagement du territoire et défendre la protection du littoral et de la montagne,
Susciter l'intérêt, la connaissance et la participation des citoyens à la protection des patrimoines naturels et bâtis, encourager l’information, la formation et l’éducation en ce sens,
Agir pour une meilleure transparence des décisions publiques, de favoriser l'information et la participation des organisations représentatives de la société civile et du public à l'élaboration des décisions ayant un impact sur l'environnement,
Veiller à la bonne application de la législation et de la réglementation ainsi qu'au bon emploi des fonds publics en matière d'environnement, cela dans tous les domaines liés à l'eau et aux usages de l’eau,
Agir en justice pour faire valoir la défense des intérêts qu'exprime son objet statutaire et ceux de ses membres.

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