28/06/2022

La France détruit un barrage hydro-électrique en même temps qu'elle rouvre une centrale à charbon

 C’est un scandale passé sous silence par les grands médias nationaux, un scandale d’Etat : le gouvernement français, prisonnier de l’alliance contre-nature de lobbies intégristes du retour à la nature sauvage et de pêcheurs de saumons, détruit les barrages hydro-électriques du pays en pleine crise énergétique et en pleine transition climatique. Dans le même temps, il annonce qu'il rouvre une centrale à charbon! On marche sur le tête. L’administration de l'eau s'est mise au service de minorités sans rapport à l’intérêt général. Il faut que cela cesse. Nous vous demandons de saisir vos nouveaux députés pour qu'ils interpellent Elisabeth Borne et que la Première Ministre exige de son administration la fin de toute destruction d'ouvrage hydraulique, comme la loi l'ordonne. 



Destruction en cours du barrage EDF de la Roche-Qui-Boit : le lobby casseur a été soutenu par le ministère de l'écologie, malgré les avis du conseil d'Etat et du conseil constitutionnel sur l'intérêt du patrimoine hydraulique.

Cette semaine, deux actualités se percutent. Le gouvernement vient d’annoncer qu'il comptait relancer la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle. Emmanuel Macron avait promis en 2017 de toutes les fermer avant 2022, car cette source d’énergie est particulièrement polluante et émettrice de carbone. Dans le même temps, EDF a engagé sur pression du même gouvernement la destruction du deuxième barrage hydro-électrique de la Sélune, le site de la Roche-Qui-Boit. 

Ce chantier de pure gabegie prive une région de production hydraulique bas-carbone, d’un lac de réserve d’eau potable et de nombreuses activités nautiques. Pourquoi une telle folie? Car le lobby des pêcheurs de saumon espère le retour de 1300 poissons pour son loisir et parce que l’idéologie intégriste du retour à la nature sauvage a été adoptée sans concertation par les hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie en charge des rivières. (Voir notre dossier complet dans les liens en bas de cet article). 

Ce scandale doit cesser : l’avenir énergétique et hydrologique de la France ne doit plus être bloqué voire anéanti sous prétexte que quelques experts, fonctionnaires et lobbies militants se sont arrogés le droit de décider de l’avenir des rivières, de leurs patrimoines et de leurs usages, tout en prenant les riverains comme cobayes de leurs idées hors-sol.

Nous vous demandons de saisir vos nouveaux députés et vos sénateurs pour interpeller Elisabeth Borne à ce sujet. La Première Ministre en charge de la transition écologique ne doit pas avoir une minute de repos sur ce dossier tant qu’elle n’ordonne pas clairement à son administration de cesser les destructions de barrages et le financement public de ces folies. . 

Modèle argumentaire pour écrire à votre député/sénateur
et lui donner les éléments d'une question parlementaire à la Première Ministre

Alors que la France est en retard sur la transition énergétique bas-carbone et que son gouvernement a été condamné en justice pour cela, alors que nous rouvrons des centrales fossiles en urgence pour faire face à la pénurie énergétique et à l’inflation, alors que le changement climatique menace la ressource en eau, le gouvernement a ordonné à EDF de détruire le dernier barrage producteur d’électricité du fleuve Sélune (Manche), après avoir détruit un autre ouvrage du même fleuve voici deux ans. 

D’autres chantiers de destruction de seuils et de barrages sont programmés, sur argent public, alors que ce choix est contraire à la production électrique bas-carbone et à la préservation / régulation de l'eau en situation d’incertitude climatique forte.

Les parlementaires ont demandé en 2021 (loi Climat et énergie) que la continuité écologique des rivières se fasse désormais sans aucune destruction des usages actuels et potentiels des ouvrages hydrauliques. Il est tout fait possible de faire circuler des poissons migrateurs par des méthodes qui conservent les ouvrages des rivières, et sont donc véritablement respectueuses de l'ensemble des enjeux écologiques, sociaux, économiques.

Mme la Première Ministre Elisabeth Borne peut-elle expliquer pourquoi son gouvernement persiste à détruire des barrages sur argent public dans la très grave crise que traverse le pays ? Pourquoi aucune circulaire d’application de la loi Climat et énergie de 2021 n’a été faite pour informer les administrations eau/énergie de la nécessité de restaurer et équiper tous les seuils et barrages de France dans un but de transition écologique, de production énergétique et d’intérêt général ? 


26/06/2022

L’Europe propose une loi de restauration de la nature

 La commission européenne vient de proposer un projet de loi relatif à la restauration de la nature. Nous analysons sa disposition sur la continuité des rivières, tout en rappelant que la notion floue de «restauration de la nature» est contestée par une partie de la recherche scientifique: cette construction intellectuelle inspirée de spécialistes de l’écologie de la conservation ne correspond pas à la manière réelle dont les humains vivent leur environnement et interagissent avec lui depuis des millénaires, comme elle n'inclut pas la réalité des nouveaux écosystèmes créés par les humains dans l'histoire. Plusieurs évolutions de ce texte vont donc être suggérées aux parlementaires européens pour son adoption, puis aux parlementaires français pour sa transposition.



La direction générale de l’environnement de la Commission européenne vient de proposer, dans le cadre du Pacte vert, un projet de directive sur les écosystèmes. Voici un extrait de son communiqué :

« La Commission propose aujourd’hui le tout premier acte législatif qui vise explicitement la restauration de la nature en Europe, dans le but de réparer les 80 % d’habitats européens qui sont en mauvais état et de ramener la nature dans tous les écosystèmes, depuis les forêts et les terres agricoles jusqu’aux écosystèmes marins, d’eau douce et urbains. Dans le cadre de cette proposition de loi sur la restauration de la nature, des objectifs juridiquement contraignants en matière de restauration de la nature dans différents écosystèmes s’appliqueront à chaque État membre, en complément de la législation existante. L’objectif est de couvrir au moins 20 % des zones terrestres et marines de l’UE d’ici à 2030 par des mesures de restauration de la nature et, d’ici à 2050, d’étendre ces mesures à tous les écosystèmes qui doivent être restaurés. »

Le memorandum de justification (en anglais) peut se lire à ce lien

Continuité écologique des rivières: la France a déjà largement fait sa part, avec beaucoup de problèmes en retour d'expérience 
Dans le cas particulier des rivières qui nous intéresse, cette proposition européenne vise à obtenir en 2030 un linéaire de 25 000 km de cours d’eau sans obstacle à échelle de l’union européenne. Comme nous l’avions déjà fait observer, la France à elle toute seule a déjà classé à peu près cette dimension de linéaire de rivière par les arrêtés administratifs de continuité écologique de 2012 et 2013, faisant suite à la loi sur l’eau de 2006. 

Cela signifie que notre pays a à en quelque sorte «surtransposé» par avance les normes européennes (non encore existantes voici 10 ans), avec des objectifs qui se sont d'ailleurs révélés très peu réalistes par rapport aux capacités d’action. Si cet acte législatif venait à être adopté au niveau européen, nous pourrons donc informer les décideurs nationaux que la France est déjà largement dans l’excès d’ambition sur ce dossier, et non pas dans le manque d’action. Inversement, la France est très en retard dans la lutte contre les polluants émergents, ce que l'Europe lui a reproché. De surcroît, la méthode de mise en œuvre de la continuité écologique de rivières a soulevé depuis 10 ans des contentieux juridiques, des contestations scientifiques, des conflits sociaux et des réformes législatives, donc l’expérience française indique plutôt à l’Europe que ce sujet particulier doit être repensé avec beaucoup plus de précision et d’attention, certainement pas asséné comme une évidence. 

De nombreux universitaires et chercheurs mettent en garde contre l'opposition stérile et fausse entre nature et société
Sur le fond, ce texte européen déploie parfois une idéologie déjà datée sur l’opposition entre la nature et la société. Il y a un consensus large sur la nécessité de maîtriser des substances toxiques pour la santé humaine et environnementale. Il y a aussi souvent un désir social de préserver des paysages et cadres de vie où la biodiversité n’est pas trop altérée. Mais l’idée directrice de « restauration de la nature » nous semble bien trop contestée au plan scientifique et politique pour en faire une ligne normative directrice à échelle de l’Union européenne. 

Des universitaires ont ainsi critiqué la posture intellectuelle des experts et hauts fonctionnaires de l’Union européenne qui inventent une notion de « nature » plus philosophique ou technocratique que scientifique (voir Linton et Krueger 2020Vos et Boelens 2020). En effet, pour les sciences d’observation (naturelle, humaine, sociale), il existe des phénomènes physiques, chimiques, biologiques, sociaux, économiques, techniques ne pouvant pas être arbitrairement séparés entre ce qui serait d’un côté « la nature » et de l’autre un « humain » qui en serait exclu, différent. En réalité, nos environnements humains et non-humains ne font qu’évoluer ensemble depuis des millénaires. 

Dans le cas des rivières, la recherche scientifique a montré que les bassins versants actuels sont tous issus d’une co-évolution des conditions  physiques et des pratiques humaines à compter de la sédentarisation néolithique, sans qu’il soit possible ou simplement sensé de dire que la référence «naturelle» serait la rivière telle qu’elle était en l’an 1800, en l’an 1000, en l’an 0, ou encore au paléolithique – sans compter l'effet actuel et futur du changement climatique faisant évoluer ces références «naturelle»  (voir Bouleau et Pont 2014, 2015Lespez 2015Verstraeten 2017Su 2021). Hélas, la direction générale de l'environnement de la commission européenne entretient une ligne de pensée simpliste à ce sujet, dont l’expérience concrète des chantiers de «restauration de la nature» a déjà montré de nombreuses limites.

Deux évolutions nécessaires : intégrer la protection des nouveaux écosystèmes créés par les humains, garantir la priorité à la lutte contre le changement climatique en cas de conflit de normes
Concrètement, nous allons demander aux parlementaires européens en charge de la discussion du texte puis aux parlementaires français en charge de sa transposition deux évolutions indispensables :
  • Les ambitions sur les écosystèmes aquatiques et humides doivent impérativement inclure la préservation et la valorisation écologiques ce que l’on appelle les «écosystèmes culturels», «nouveaux écosystèmes» ou «écosystèmes anthropiques», c’est-à-dire les milieux ayant émergé des activités socio-économiques au fil des siècles passés et ayant produit des états écologiques alternatifs. Cela inclut par exemple la protection des retenues, lacs, mares, étangs, biefs, canaux, etc.
  • Face à la crise climatique et énergétique prenant peu à peu une dimension existentielle en Europe, les normes doivent être hiérarchisées et, comme le proposent de nombreuses voix dans les pays européens, toutes les énergies renouvelables doivent avoir priorité (notion d’ «intérêt public majeur» assurant la hiérarchie des normes dans la conduite des politiques publiques). Cela signifie que les opérations de «restauration de la nature» doivent être placées secondairement aux opérations assurant la souveraineté énergétique et la prévention d’un changement climatique dangereux. Cela exclut tout ce qui affaiblit, retarde, empêche la mobilisation européenne d’une source d'énergie bas-carbone, en particulier dans le cas de l’hydraulique, qui a l’un des meilleurs bilans en ce domaine. 

16/06/2022

Les 10 mensonges sur les moulins et étangs que nous ne voulons plus entendre

 Les ouvrages hydrauliques anciens de nos rivières (moulins, forges, étangs) ont été bâtis par dizaines de milliers au fil des deux derniers millénaires. Ils ont fait l’objet en France d’une campagne de harcèlement, dénigrement et destruction fondée sur des arguments trompeurs ou mensongers. Voici les 10 manipulations les plus fréquentes auxquelles les propriétaires, riverains et leurs associations doivent répondre systématiquement. Loin d’être nuisibles à l’intérêt général et la transition écologique, les ouvrages des rivières en sont un outil.



Les moulins et étangs sont la principale cause de disparition des poissons migrateurs.
Faux. La recherche scientifique a montré que les poissons migrateurs comme le saumon et l’anguille étaient encore présents dans les têtes de bassin au début du 19e siècle, alors qu’il y avait déjà des centaines de milliers d’ouvrages en rivière sous l’Ancien régime. Le déclin des migrateurs depuis 150 ans est d’abord associé à la construction de grands barrages, à la pollution de l’eau, du sédiment et des estuaires, au changement climatique.

Les moulins et étangs sont les premières causes de mauvais état écologique des rivières.
Faux. Tous les travaux de recherche montrent que les deux premières causes d’un mauvais état écologique d’une rivière (au sens de la directive cadre européenne) sont les pollutions chimiques et l’occupation humaine du lit majeur du bassin versant. La morphologie (forme de la rivière) ne vient qu’ensuite et, au sein de la morphologie, ce ne sont pas les ouvrages hydrauliques qui ont le plus d’impact.

Les moulins et étangs sont nuisibles à la biodiversité.
Faux. Les ouvrages hydrauliques créent des milieux en eau (retenues, biefs, zones humides attenantes) qui accueillent des peuplements de faune et de flore. Les populations d’invertébrés et de poissons ne sont pas les mêmes dans une rivière avec ou sans ouvrage, mais cela n’implique pas en soi une disparition du vivant. De nombreux sites hydrauliques créés par les humains jadis sont classés ZNIEFF, Natura2000, Ramsar.

Les moulins et étangs aggravent les sécheresses.
Faux. C’est le contraire : tout ce qui favorise la rétention et la diversion de l’eau entre la source et la mer permet de nourrir en eau les sols, les aquifères, la végétation proche. Détruire des ouvrages en rivière incise les litsbaisse les nappes, renvoie plus vite l’eau à la mer comme si la rivière était un tuyau devant tout chasser très vite. De plus, un plan d'eau n'évapore pas davantage l'eau qu'une zone humide naturelle.

Les moulins et étangs aggravent les crues.
Faux. C’est là encore le contraire : le fait de retenir l’eau dans des dizaines de milliers de petits réservoirs et de la divertir vers des canaux latéraux tend à ralentir les ondes de crues, à réduire le risque d’inondation éclair à l’aval, à mieux gérer les épisodes de crues.

Les moulins et étangs polluent l’eau.
Faux. Loin de nuire à l’autoépuration comme l’ont indûment prétendu des autorités, les ralentissements d’écoulement liés aux ouvrages (des humains, des castors, des embâcles) sont favorables à la dépollution locale par minéralisation et bioaccumulation. En outre, les propriétaires d’ouvrages gèrent les déchets flottants envoyés dans l’eau par les riverains et usagers indélicats. 

Les moulins et étangs nuisent à l’environnement.
Faux. La recherche scientifique a montré que les plans d’eau peu profonds peuvent rendre jusqu’à 39 services écosystémiques à la société. Il y a donc des bénéfices socio-environnementaux à ces ouvrages, l’important est de les gérer de manière informée et responsable, avec une bonne compréhension des enjeux écologiques, hydrologiques et sociétaux.

Les moulins et étangs représentent un potentiel d’énergie bas-carbone négligeable.
Faux. Une étude scientifique commandée par l’Europe a montré que la mobilisation de 25000 moulins français pourrait produire 4 TWh, soit la consommation électrique hors chauffage d’un million de foyers. Cette énergie hydraulique sur site déjà existant a le meilleur bilan carbone et matières premières. Et au moins deux fois plus d’ouvrages pourraient produire.

Les moulins et étangs sont sans usage.
Faux. Il existe un usage d’agrément massif par les propriétaires et les riverains des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes, un engagement pour le petit patrimoine culturel, technique et paysager, une relance énergétique croissante de sites, une production alimentaire locale (farines traditionnelles, huiles, piscicultures). Il s’agit d’encourager et non décourager cette réappropriation utile et active du patrimoine.

Les moulins et étangs sont d’intérêt particulier, pas d’intérêt général.
Faux. Les ouvrages hydrauliques sont conformes à la gestion équilibrée et durable de l’eau telle que définie par la loi, expression de la volonté générale. Le Conseil constitutionnel a posé en 2022 que le patrimoine hydraulique et l’énergie hydro-électrique relèvent de l’intérêt général


Pourquoi les moulins, forges, étangs ont-ils été diabolisés en France depuis 20 ans, au point qu’il y a eu une tentative pour les détruire systématiquement ? Parce que deux publics particuliers ont développé dans notre pays une idéologie simpliste et un harcèlement anti-ouvrages : certains  pêcheurs de salmonidés qui ne supportent aucune entrave (supposée) à la maximisation des poissons liés à leur loisir (truite, saumon) ; les partisans intégristes du retour à la nature sauvage qui critiquent par principe toute présence humaine dans un milieu (cette approche militante pouvant inspirer des paradigmes scientifiques ou des expertises, ce qui n'ôte rien à son biais initial de militantisme). Hélas, les administrations liées au ministère de l’écologie (direction eau et biodiversité du ministère, agences de l’eau, office français de la biodiversité, direction régionale environnement, aménagement et logement, direction départementale des territoires et de la mer) ont repris les éléments de langage de ces publics pourtant très minoritaires et ont développé elles aussi une vision manichéenne, incomplète voire trompeuse sur les ouvrages hydrauliques. Un aspect non-dit de cette propagande : la France prend du retard dans la lutte contre la pollution de l’eau et pour la maîtrise de ses usages quantitatifs, donc faute d’avoir le courage d’affronter ces problèmes de fond, on détourne l’attention sur des sujets totalement secondaires, voire on désigne des boucs émissaires. 

Ces pratiques de l’Etat et de ses administrations doivent non seulement cesser – d’autant qu’elles ont été condamnées à plusieurs reprises par les cours suprêmes de justice –, mais il convient que les politiques publiques à échelle nationale et territoriale s’engagent dans une vision positive des ouvrages hydrauliques au service de la transition écologique, énergétique et climatique. Les rivières du 21e siècle auront toujours des ouvrages hydrauliques de moulins, d'étangs mais aussi de barrages à divers usages. Et ceux-ci représentent un formidable atout pour baisser les émissions carbone, gérer le cycle de l’eau, relocaliser l’économie et les loisirs, assurer des habitats au vivant des zones aquatiques et humides.