27/02/2021

La biodiversité des poissons d'eau douce à l'Anthropocène (Su et al 2021)

 

Les cours d’eau abritent une riche biodiversité en poissons, avec près de 18 000 espèces recensées, soit un quart des vertébrés. Une équipe de scientifiques menée par des laboratoires français a développé un nouvel indicateur de biodiversité prenant en compte le nombre d’espèces (diversité taxonomique), le nombre de fonctions (diversité fonctionnelle) et les liens de parenté entre espèces (diversité phylogénétique). Dans un article de la revue Science, ils montrent que plus de 50 % des 2 456 cours d’eau analysés ont eu leurs faunes de poissons fortement modifiées par les activités humaines. L'Europe est la première concernée par cette tendance déjà ancienne. Environ 14 % de cours d’eau étudiés restent peu impactés et ils n’abritent que 22 % des espèces de poissons d’eau douce du globe. Certains résultats de cette étude vont à l'encontre d'idées reçues en montrant que les diversités spécifique, fonctionnelle ou phylogénétique se sont plutôt accrues localement dans une majorité de rivières, du fait des introductions d'espèces, alors que les différences entre bassins ont décru. La biodiversité évolue et, à l'Anthropocène, le facteur humain en est désormais un agent incontournable. Ces travaux ont des conséquences sur les choix en restauration écologique, car l'idée de "restaurer" un état antérieur du vivant aquatique paraît de plus en plus naïve ou impraticable.


Plus une zone tend vers le rouge foncé, plus sa biodiversité de poisson a été modifiée. Extrait de Su et al 2021, art cit

Une équipe de scientifiques menée par Sébastien Brosse, professeur à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, laboratoire Évolution et diversité biologique (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier/IRD), a développé un nouvel indicateur de biodiversité prenant en compte ses différentes dimensions et l'a appliqué à l'analyse globale de l'évolution des poissons d'eau douce. Leur résultat vient d'être publié dans la revue Science

Les rivières et les lacs couvrent moins de 1% de la surface de la Terre mais ils représentent une biodiversité importante, dont près de 18 000 espèces de poissons. Ces poissons d'eau douce jouent des rôles dans le fonctionnement des écosystèmes par la production de biomasse, la régulation des réseaux trophiques et la contribution aux cycles des nutriments. Ils participent aussi au bien-être humain en tant que ressources alimentaires et à travers des activités récréatives ou culturelles.

Depuis des siècles, parfois des millénaires, les populations humaines ont affecté la biodiversité des poissons de diverses manières : l'extraction par la pêche, l'introduction d'espèces non indigènes, le changement des régimes d'écoulement par fragmentation (barrage), la pollution des sols et des eaux, la modification du climat et des habitats. "Ces impacts anthropiques directs et indirects ont conduit à une modification de la composition des espèces locales, soulignent les chercheurs. Cependant, la biodiversité ne se limite pas aux composantes purement taxonomiques, mais comprend également les diversités fonctionnelles et phylogénétiques."

Les chercheurs ont mis au point un indice de changement cumulatif des dimensions de la biodiversité. Ce schéma résume le calcul :
Extrait de Su et al 2021, art cit.

Il y a 3 indices de richesse au sein d'un bassin (local) et 3 indice de dissimilarité entre les bassins (régional), sous l'angle taxonomique (nombre d'espèces), fonctionnel (nombre de fonctions des espèces) et phylogénétique (nombre de lignages différents). Plus la valeur de l'indice est élevée, plus on observe de différences entre l'état historique et l'état actuel de la biodiversité des poissons.

Ces cartes montrent les calculs de l'indice sur la Terre, en entrant dans le détail des composantes. 
Extrait de Su et al 2021, art cit.

Les chercheurs soulignent : "À l'exception de quelques rivières dans la partie nord des royaumes paléarctique et néarctique, la biodiversité des poissons n'a pas diminué dans la plupart des rivières. Cela diffère nettement des résultats récents documentant le déclin des ressources vivantes en eau douce à l'échelle locale (c.-à-d.> 1 à 10 km de tronçon fluvial) dans certains de ces bassins fluviaux. Fait intéressant, nous rapportons une tendance inverse chez les poissons d'eau douce pour la richesse taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique locale dans plus de la moitié des rivières du monde. Cette augmentation de la diversité locale s'explique principalement par les introductions humaines d'espèces qui compensent voire dépassent les extinctions dans la plupart des rivières. Parmi les 10 682 espèces de poissons considérées, 170 espèces de poissons ont disparu dans un bassin fluvial, mais ce nombre pourrait être sous-estimé en raison du délai entre l'extinction effective et les rapports d'extinction publiés. En outre, 23% des espèces de poissons d'eau douce sont actuellement considérées comme menacées, et certaines d'entre elles pourraient disparaître dans un proche avenir."

Si la richesse locale de biodiversité augmente, le phénomène est contraire pour la diverité réginale, qui tend à devenir uniforme : "Outre l'augmentation globale de la richesse des assemblages de poissons dans les bassins fluviaux, l'homogénéisation biotique - une tendance générale à la baisse de la dissimilarité biologique entre les bassins fluviaux - semble omniprésente dans tous les fleuves du monde. La dissimilarité fonctionnelle était la facette la plus touchée, avec une diminution dans 84,6% des rivières, alors que la dissimilarité taxonomique et la dissimilarité phylogénique ont diminué dans seulement 58% et 35% des rivières, respectivement. L'écart entre l'évolution de la diversité fonctionnelle et les modifications de la diversité taxonomique et phylogénétique provient principalement de l'origine non indigène des espèces introduites dans les rivières. Les espèces transférées d'une rivière vers des bassins voisins favorisent des pertes de dissemblance car elles sont déjà indigènes dans de nombreuses rivières de la même écozone, et sont souvent fonctionnellement et phylogénétiquement proche d'autres espèces locales. En revanche, les espèces exotiques (c'est-à-dire provenant d'autres écozones) sont moins fréquemment introduites, et leur histoire évolutive divergente avec les espèces indigènes a conduit à une dissemblance phylogénétique accrue de leurs rivières receveuses."

Discssion
L'article de Guohuan Su et de ses collègues est intéressant à plusieurs titres.

D'abord, il rappelle qu'il existe de nombreuses manières de mesurer la biodiversité. La plus commune consiste à s'interroger sur le nombre total d'espèces. Mais elle n'est pas la seule car cette richesse spécifique ne dit pas si les espèces accomplissent ou non les mêmes fonctions dans les milieux, ni si les assemblages d'espèces offrent une diversité génétique permettant au vivant de résister plus facilement à des pressions de sélection dans l'évolution.

Ensuite, cette étude montre que l'Anthropocène est une réalité : partout où il y a eu expansion démographique des humains et développement économique moderne, les milieux ont déjà considérablement évolué. Au demeurant, on le voit dans une des figures de l'article, où les corrélats des évolutions les plus marquées de la biodiversité sont montrés. Voici l'extrait pour la zone paléarctique (Eurasie, où se situe donc la France):


Le premier corrélat en vert est l'indicateur FPT qui signifie empreinte humaine à travers l'économie et l'industrialisation. Le suivant est la taille des bassins (RBA en hachuré gris) et ensuite la fragmentation par barrage (DOF en bleu). 

Enfin, l'évolution de la biodiversité des poissons d'eau douce est plus complexe que le schéma d'effondrement souvent entendu dans les médias. Dans les zones peuplées et développées comme l'Europe et l'Asie, la richesse taxonomique, fonctionnelle ou phylogénétique a localement augmenté plus que diminué dans un plus grand nombre de bassins. Cela tient notamment à l'introduction de nouvelles espèces, parfois dans des nouveaux milieux où ces espèces sont adaptées. En revanche, dans la même zone, la dissimilarité taxonomique et fonctionnelle entre les bassins a baissé : ils sont plus riches en leur sein mais aussi plus uniformes entre eux. Le schéma est plus variable selon les régions pour la dissimilarité phylogénétique. On notera que c'est une étude "à grande maille" : l'analyse détaillée de tous les habitats d'un bassin peut éventuellement révéler des diversités locales échappant aux synthèses, avec par exemple des espèces endémiques rares, mais non éteintes. Cela dépend également de la qualité d'échantillonnage des poissons. Le remplacement de la pêche électrique de contrôle par l'ADN environnemental circulant dans l'eau (plus puissant en détection) pourra peut-être amené des évolutions des données, et donc des modèles. 

Pour conclure, il est manifeste que la biodiversité évolue rapidement avec l'activité humaine. Parfois en "négatif", comme les extinctions locales ou globales d'une espèce, parfois en "positif" comme l'ajout d'espèces à des milieux, voire la spéciation à partir d'un lignage séparé qui divergera de la population mère au fil des générations. Le schéma de l'écologie a longtemps été qu'il existe une nature stable, à l'équilibre. Eventuellement que l'on pourrait revenir facilement à l'équilibre antérieur si une action humaine l'a changé. Mais nous découvrons que la nature est en équilibre dynamique plutôt instable, et que l'humain fait pleinement partie de l'équation, induisant des transformations massives et rapides. Il paraît donc nécessaire d'adopter d'autres représentations de la nature, et de se poser d'autres questions sur les natures que nous voulons pour demain : nature comme naturalité (respect d'un écosystème peu modifié), nature comme fonctionnalité (respect des conditions de reproduction et évolution du vivant), nature comme service écosystémique (respect des besoins humains en lien à la nature), nature comme construction sociale (reconfiguration de la nature selon des choix collectifs). Ces options sont davantage philosophiques ou politiques que scientifiques. Elles ne sont pas en soi exclusives les unes des autres, et une seule d'entre elles n'a probablement pas vocation à s'appliquer uniformément à l'ensemble des milieux aquatiques et humides.

Référence : Su et al (2021), Human impacts on global freshwater fish biodiversity, Science, 371, 835–838

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25/02/2021

L'administration doit être au service de la modernisation et non de la destruction des ouvrages en rivière

 La nouvelle sanction du ministère de l'écologie pour excès de pouvoir dans le domaine de la continuité des rivières est en train de raviver la colère des associations de riverains en lutte pour défendre leur cadre de vie. Il y a un ras le bol généralisé face à au blocage de certains fonctionnaires de ministère, d'agences de l'eau, de DDT-M, d'OFB ou de syndicats qui persistent à vouloir dénigrer et détruire les ouvrages hydrauliques au lieu d'accomplir leur devoir de service public pour des solutions constructives. A l'occasion du vote de la loi Climat et résilience, qui comporte des articles sur les hydrosystèmes, sur l'économie locale et sur l'énergie renouvelable, la coordination nationale eaux & rivières humaines (CNERH) appelle les parlementaires à apaiser la situation et à mettre fin au désordre permanent autour des questions de continuité écologique. La loi doit indiquer clairement que le rôle de l'administration est d'accompagner la modernisation des ouvrages hydrauliques au service de l'économie et de l'écologie. Pas de faire pression financière ou réglementaire pour leur destruction au nom d'une idéologie de la rivière sauvage et de l'humain chassé de la nature. 





Le 15 février 2021, examinant la plainte déposée par les syndicats et fédérations de moulins, riverains, étangs, hydro-électriciens, le conseil d’Etat a annulé de décret du 3 août 2019 qui donnait une définition abusive de l’obstacle à la continuité écologique. C’était, encore, un excès de pouvoir de l’administration dans l’interprétation de la loi sur l’eau de 2006.

Plusieurs autres contentieux ont été gagnés depuis 5 ans par les défenseurs du patrimoine hydraulique français et par les producteurs d’énergie hydraulique décarbonée. Deux autres demandes d’annulation visant des textes ministériels sur la continuité écologique sont déjà en cours d’examen au conseil d’Etat, contre la création abusive de régime à deux vitesses de rivières, non prévu dans la loi de 2006 (circulaire du 30 avril 2019) et contre l’incitation à détruire moulins ou étangs sur simple déclaration sans étude d’impact (décret du 30 juin 2020). 

L’administration du ministère de l’écologie a prétendu qu’elle menait une « politique apaisée » de continuité écologique. Ce n’est manifestement pas le cas. Ce contentieux perdu par elle en est la preuve.

Depuis 10 ans, des milliers de sites de moulins, d’étangs, de plans d’eau et de centrales hydro-électriques ont été détruits, et asséchés. Cela continue aujourd’hui. C’est une perte de ressource en eau, de biotopes aquatiques et humides, de production d’énergie propre, de mémoire culturelle et sociale.

Soucieuse de participer au débat démocratique, la CNERH a indiqué plusieurs évolutions possibles de la loi Climat et résilience qui doit être examinée à compter du 8 mars 2021. La CNERH demande solennellement aux parlementaires de voter 
• une protection forte du patrimoine hydraulique français, héritage culturel et paysager auquel sont attachés des millions de riverains, 
• une protection forte de tous les milieux en eau, incluant expressément ceux créés par les humains, face au péril climatique et à la perte de biodiversité,
• une incitation forte à équiper en hydro-électricité les ouvrages qui peuvent l’être, afin de tenir nos engagements de transition bas-carbone.

Moulins, étangs, plans d’eau, entreprises hydro-électriques sont prêts à participer à l’effort national pour que la France respecte les obligations de la directive européenne sur l’eau de 2000, atteigne l’objectif de réduction de 55% d’émission CO2 en 2030 par rapport à 1990, réussisse sa stratégie nationale de biodiversité.

23/02/2021

Sur la Risle, on cadenasse les vannes des moulins

 La préfecture de l'Orne a pris un arrêté contesté obligeant les ouvrages hydrauliques de la Risle à tenir toutes leurs vannes ouvertes, même hors période de crue. Ce qui a pour effet de vider biefs et retenues. Non seulement l'administration n'écoute pas les objections de l'association locale, mais des propriétaires ont eu la mauvaise surprise de découvrir que des cadenas ont été posés sur certaines vannes, pour empêcher toute action. Nous n'aurons jamais une continuité apaisée si les services de l'Etat et des syndicats de rivière persistent à harceler les ouvrages hydrauliques et à refuser de mettre les moyens pour un traitement au cas par cas de chaque ouvrage.



Le 13 novembre 2020, la préfecture de l'Orne a pris un arrêté exigeant d'ouvrir jusqu'à fin mars toutes les vannes des ouvrages hydrauliques sur la Risle. La motivation était un risque d'inondation, mais aussi de manière sous-jacente la restauration de continuité écologique. Or, ouvrir en permanence les vannes des ouvrages a pour effet hors crue de vider les biefs et les retenues. De plus, c'est contraire au respect de la consistance légale autorisée de chaque ouvrage, il faudrait une justification au cas par cas d'un risque inondation. Enfin, la succession des retenues et des biefs a pour effet de "tamponner" les crues de l'amont vers l'aval, au lieu que l'eau file à toute vitesse et augmente les risques en zone aval. D'ailleurs, il est aujourd'hui admis que des débordements latéraux sont bénéfiques pour la gestion de crue, la rétention d'eau et la biodiversité, si bien sûr ils n'affectent pas des tiers.

L'association les Amis des moulin 61, présidée par André Quiblier, a déposé un recours gracieux contre cette mesure jugée excessive de la préfecture de l'Orne. 

Voici un extrait des argument de l'association : 
"Il n’est pas de notre volonté de contester que  des mesures exceptionnelles s’imposent lors des crues de la rivière Risle mais nous insistons sur le fait qu’au-delà même de la violation des règlements d’eau existants et du droit d’usage attaché à la propriété de ces moulins, cet arrêté a pour conséquence de bouleverser le régime des eaux de la Risle tel qu’il existe  depuis des siècles, avec deux conséquences majeures :  accélération de la vitesse d’écoulement des eaux et abaissement des lignes d’eau. 
Ces effets ont pour conséquence : 
- d’exonder de nombreuses berges en amont des ouvrages et de provoquer  des processus d’érosion sur ces linéaires qui en étaient dépourvus autrefois entraînant chute d’arbres, effondrement de berge, entraînement des terres arables, déchaussement d’ouvrages d’art dont les moulins eux-mêmes,
- d’assécher des zones humides de bordure, plan d’eau ou étangs dont l’existence repose sur la permanence des niveaux d’eau existants, 
- de réduire la capacité de la rivière à recharger les nappes phréatiques d’accompagnement en période hivernale, 
- de détruire d’importants faciès d’écoulement lentiques abritant une faune et une flore spécifiques  alors que la loi impose de « préserver ces mêmes milieux » et non de les bouleverser,
- d’aggraver le régime de crue à l’aval, puisque l’eau moins retenue arrive à la fois plus vite et en plus grand volume vers ces zones aval du bassin.
Ces effets,  en cascade,  sont  tous absolument contraires aux différents enjeux légaux établis par l’article L211-1 du Code de l’environnement."

Non seulement les services du préfet n'ont pas donné suite à ce recours gracieux en retirant l'arrêté litigieux, mais certains propriétaires d'ouvrages sur la Risle ont eu la désagréable surprise de constater que des cadenas ont été posés sans aucune autorisation sur les mécanismes des vannes de certains moulins, afin d'empêcher leur gestion! L'affaire est en cours d'examen par l'association pour vérifier qui a pris cette initiative et quelles suites judiciaires peuvent être données le cas échéant. 

La continuité n'est toujours pas "apaisée": les préfectures persistent à harceler les ouvrages avec des a priori négatifs, à tenir des discours contradictoires sur la gestion des crues et des zones humides latérales (dont font partie les biefs), à chercher des solutions simplistes,  à refuser de mettre le personnel et les moyens financiers pour traiter dignement et efficacement la continuité écologique de chaque ouvrage au cas par cas. 

Nous demandons aux parlementaires de constater ces troubles publics persistants et de les faire cesser en assurant une protection des ouvrages et de leurs milieux dans la loi

20/02/2021

"La protection de la biodiversité ne peut plus faire abstraction des dimensions économiques, sociales et culturelles", Christian Lévêque

 

Dans une note très stimulante publiée par la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), l'écologue et hydrobiologiste Christian Lévêque suggère aux décideurs de repenser les orientations des politiques de biodiversité au regard notamment de l'évolution des connaissances en sciences naturelles et en sciences sociales. Le droit de l'environnement a été conçu sur le paradigme ancien d'une nature séparée de l'Homme, une nature qu'il faudrait protéger en accentuant cette séparation et en faisant des aires sauvages coupées de tout. Mais les progrès de la science et notamment de l'écologie montrent qu'il est en fait impossible de séparer l'humain du non-humain, d'isoler la nature de la société et de l'histoire. Le droit de l'environnement et en particulier de la biodiversité, fondé en France sur un idéal jacobin de normes homogènes de naturalité imposées par l'Etat central, doit donc évoluer. Et les métriques de la biodiversité doivent intégrer la réalité des évolutions du vivant sous l'influence humaine, pas uniquement les extinctions et risques d'extinction, mais aussi les transformations non réversibles et la création de nouveaux écosystèmes issus de l'histoire multimillénaire de notre espèce. 



Extraits de la note de Christian Lévêque

"En 2014, le chercheur Jacques Tassin faisait le constat suivant : «On traîne une vision obsolète de la nature, aujourd’hui décalée avec la réalité de notre monde et de notre savoir. Même si la science révèle toujours davantage qu’il n’y a ni équilibre ni ordre dans la nature, que le hasard y joue à plein et que tout n’y est que perpétuel changement, rien n’y fait. On en reste toujours attaché à cette idée, héritée du romantisme allemand, d’une nature fonctionnant comme un Tout, à l’image d’un organisme vivant dont il nous reviendrait de préserver l’intégrité et la santé

Des situations hétérogènes
C’est un fait que les activités humaines ont une influence sur la biodiversité, au même titre que les feux de forêt, les tsunamis, les sécheresses, les éruptions volcaniques ou les alternances de périodes climatiques telles que l’Europe les a vécues. Il est tout aussi exact que, selon des critères éthiques, certaines activités conduisent à la destruction d’un héritage de l’évolution et qu’il est nécessaire d’y prêter attention. Mais la question de la protection de la biodiversité se pose différemment selon les régions du monde, lesquelles n’ont pas la même histoire climatique et évolutive et qui en sont à des degrés d’anthropisation très différents. À ce titre, la biodiversité européenne, qui a connu plusieurs cycles de glaciation et une forte emprise des civilisations agricoles depuis des millénaires, n’est pas comparable à celle de la forêt de Bornéo ni à celle de la forêt amazonienne. Tenir des discours globalisants et généraux sur l’érosion de la biodiversité et sa protection n’est donc pas correct. Même en France, les problèmes ne sont pas comparables entre la Bretagne et la Corse ou entre la Guyane et la Réunion. Ces situations conjoncturelles nécessitent d’envisager des politiques adaptées aux contextes régionaux. Par analogie avec la génétique, chaque région a son «empreinte écologique» dont il faut tenir compte.

Anticiper les réponses à apporter par une diversité d’approches adaptées aux contextes écologiques locaux
Nous vivons dans un pays où la nature que nous aimons est une nature anthropisée. Comme l’analysait déjà fort bien Serge Moscovici en 1972, nous sommes passés «d’une nature qui nous a faits à une nature que nous faisons». La question est alors de savoir comment gérer cette nature anthropisée dans un contexte de changement global, où les usages des ressources et des systèmes écologiques se modifient, où le climat se réchauffe, où les espèces voyagent, où nos sociétés occidentales accordent plus d’importance qu’autrefois à leur cadre de vie et à la protection de la nature, etc. Pour compliquer les choses, nous savons que les nombreux aléas associés à ces facteurs de forçage 52 rendent toute prévision bien difficile.
Que vont devenir nos bocages si nous mangeons moins de viande et si l’élevage périclite ? Si la forêt regagne du terrain et que l’urbanisation grignote nos territoires, que deviendront les espèces de milieu ouvert ? Si, comme l’envisagent certaines études, la pluviométrie diminue sur une grande partie de l’Hexagone alors que l’évapotranspiration augmente en raison de l’élévation de la température, que vont devenir les zones humides dont la protection est devenue un enjeu national et qui sont particulièrement sensibles aux bilans hydriques ? Va-t-on laisser faire la nature ? Ou allons-nous essayer de les maintenir en eau ? Et, dans ce cas, comment procéder ? De même, on peut probablement anticiper le fait que certains de nos cours d’eau vont devenir intermittents, comme c’est le cas actuellement pour certains cours d’eau d’Europe du Sud.
Nombre de projets pèchent par un manque d’anticipation. Les réponses nécessitent une diversité d’approches adaptées aux contextes écologiques locaux et aux diverses attentes de la société. Il faut adopter une démarche qui fasse appel à l’intelligence collective et se garder d’un certain jacobinisme qui est de mise actuellement. Comme l’écrit Sylvie Brunel : «Pour construire des solutions durables, il faut changer de regard. Ne pas accabler, mais proposer. Ne pas dresser d’intolérables constats en blâmant des boucs émissaires tous trouvés, mais puiser dans la géographie des éléments de comparaison et d’analyse qui permettent de trouver les bonnes solutions.»

Les aires protégées ne sont pas la solution universelle
La gestion doit être tournée vers l’avenir et non pas vers le passé, avec la réelle difficulté de se donner des objectifs réalistes. Le futur est à construire, mais sur quelles bases ? La biodiversité est loin d’être un simple objet naturaliste. La gestion de la biodiversité doit alors prendre en compte de nombreux critères, notamment des critères culturels et émotionnels, voire passionnels ou mystiques.
Si l’on s’inscrit dans une perspective écocentrée de protection de la biodiversité, considérée essentiellement comme un objet naturaliste, alors il faudrait créer de plus en plus de zones protégées dans lesquelles l’homme serait exclu et laisser, selon l’expression consacrée, la nature «reprendre ses droits». C’est ce que certains suggèrent sous l’appellation de «naturalité» (wilderness), expression qui valorise la nature spontanée, indépendante des activités humaines. C’est une option clairement affichée par certaines ONG qui réclament de plus en plus de mesures protectionnistes. C’est aussi celle que reprend à son compte le One Planet Summit, qui affiche dans sa feuille de route vouloir transformer 30% des terres en espaces protégés.
Le principe des aires protégées peut faire partie d’une gestion d’ensemble de la biodiversité. Ainsi, les aires protégées marines ont fait preuve de leur efficacité dans la gestion de la biodiversité et des ressources marines et des aires protégées terrestres peuvent se justifier pour protéger des espèces endémiques. Mais il est difficile de penser qu’on puisse en faire une politique généralisée. L’une des raisons, notamment en milieu terrestre, tient aux changements susceptibles d’intervenir avec le réchauffement climatique. Ainsi, avec une remontée du niveau marin d’un mètre, la moitié de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine serait sous les eaux, et elle disparaîtrait totalement si le niveau marin remontait de deux mètres.
Quant aux zones humides, ce sont des milieux labiles sensibles aux modifications de la pluviométrie qui peuvent rapidement disparaître si la sécheresse devient chronique dans certaines régions. Sans compter que les changements de température entraînent des modifications dans l’aire de répartition des espèces.
L'extension des surfaces protégées ne va pas sans poser des problèmes sociaux, trop souvent passés sous silence. Car il faut alors résoudre l’équation suivante : comment augmenter la surface des aires protégées dans des pays où la croissance démographique est forte et où la demande en espaces agricoles s’accroît en proportion ? Que faire alors des populations humaines qui ne peuvent pas être considérées comme un simple facteur d’ajustement et qui vont se concentrer dans des zones de plus en plus restreintes ? Les politiques de mise en place des parcs nationaux africains donnent à réfléchir. On peut, de manière incantatoire, regretter la croissance démographique, mais elle existe et on ne sait pas la gérer. La Chine et l’Inde s’y sont essayées, avec un succès pour le moins mitigé.
En revanche, si l’on s’inscrit dans la perspective de développement durable, de bien-être humain ou, plus précisément, d’une coconstruction à avantages réciproques pour l’humanité et la biodiversité, alors il faut nécessairement rechercher des compromis. Dans ce cadre, différentes pistes sont possibles. Par exemple, le choix de privilégier l’échelle territoriale avec le souci d’adapter les actions à mener au contexte local semble préférable à des politiques centralisées et normatives qui gomment les spécificités. Il faut pour cela accepter que les objectifs et les priorités puissent différer selon les territoires, ce qui implique une décentralisation des politiques environnementales.

Pour un droit de l’environnement flexible et réactif
Dans ce contexte, la voie qui semble s’imposer est celle d’une gestion adaptative, c’est-à-dire apprendre en faisant, agir en utilisant les informations de nature scientifique mais aussi les connaissances empiriques et les expériences accumulées. C’est l’antithèse de la gestion jacobine et normative telle que nous la pratiquons le plus souvent.
Il n’en reste pas moins que si l’on se fixe des objectifs, il faut aussi accepter de modifier le cap selon les circonstances. Et il faudrait pour cela une législation flexible et réactive. Or le droit de l’environnement actuel s’applique difficilement à des situations évolutives par essence.
La nature se voit protégée mais contrainte à demeurer en l’état car on n’a pas imaginé qu’elle pouvait changer spontanément. En l’absence de réflexion sur les futurs possibles, cela conduit inéluctablement à bloquer de nombreux projets de développement sur la base de principes périmés. Or nombre de sites d’intérêt pour la conservation de la nature et labellisés en tant que tels sont des sites anthropisés, à l’exemple de ces «nouveaux écosystèmes» que sont la Camargue, la forêt des Landes ou le lac du Der- Chantecoq cités dans notre étude.
La protection de la biodiversité ne peut donc plus faire abstraction des dimensions économiques, sociales et culturelles, et de leur intégration dans les politiques d’aménagement du territoire, de développement économique et de cadre de vie des habitants. Autrement dit, la gestion de la biodiversité n’est pas seulement l’apanage de spécialistes des sciences de la nature ou de mouvements militants, elle concerne aussi l’ensemble des citoyens quant aux décisions à prendre à l’échelle territoriale, compte tenu des autres enjeux qui en découlent. Il faut gérer la nature ou la «piloter» en fonction d’objectifs que nous aurons définis, sur des bases concrètes et pragmatiques, et non pas sur des bases théoriques, voire idéologiques. Il faut ici prendre garde à ne pas tomber dans l’illusion du «se réconcilier» avec la nature : celle-ci ne cherche pas à négocier car elle fonctionne sans but préconçu. Laisser la nature reprendre ses droits, c’est en réalité se mettre à sa merci.
Pour sensibiliser les citoyens à la protection de la biodiversité, nous avons besoin d’objectifs réalistes et concrets, ainsi que d’une vision plus positive de nos rapports à la nature. Sans pour autant éluder le fait que nous exerçons des pressions jugées négatives sur la nature, il serait bon de mieux valoriser les situations qui nous paraissent exemplaires et qui pourraient servir de références dans nos projets de gestion et de restauration, en l’absence d’une hypothétique référence que l’on ne peut pas définir objectivement. Nous devrions aussi, pour définir des politiques, nous appuyer sur les faits, non pas sur des croyances. En d’autres termes, «il ne s’agit pas de privilégier la nature au détriment de l’homme, mais de travailler de façon à rendre compatibles usages et préservation des écosystèmes».

Source : Lévêque C (2021), Reconquérir la biodiversité, mais laquelle?, février 2021, Fondapol,  64 pages.

16/02/2021

Le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique, nouvelle déroute de l'administration

 L'association Hydrauxois et ses consoeurs - FFAM, FDMF, FHE, EAF, ARF, Union des étangs de France - viennent de remporter une victoire juridique décisive contre la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie: le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique imposée par le décret du 3 août 2019. Au terme de cette manoeuvre de la DEB, tout devenait un obstacle à la continuité écologique, il était impossible de construire un barrage ou de réparer une chaussée de moulin ou d'étang sur une rivière classée au titre de la continuité écologique. Mais ce décret des hauts fonctionnaires de l'écologie était entaché d'illégalité et se trouve annulé : le conseil d'Etat exige d'examiner les ouvrages au cas par cas et refuse de les interdire a priori (même en liste 1) s'ils sont conformes à la circulation des poissons et sédiments. Dans le même arrêt, le conseil d'Etat déboute la fédération de pêche FNPF et France Nature Environnement de leur requête contre la prise en compte des rivières à débits atypiques. Explications.

Par décret du 3 août 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire avait entrepris de redéfinir l'obstacle à la continuité écologique de manière très extensive. Nous avions souligné dès sa parution le caractère grotesque de cette nouvelle définition, faisant qu'un barrage naturel d'embâcles ou de castors deviendrait un problème selon cet excès manifeste de pouvoir venant de la haute administration. Plus concrètement, ce décret visait à empêcher la construction d'une centrale hydro-électrique, même si le barrage est conçu pour laisser circuler des poissons et des sédiments. Pareillement, il devenait impossible de restaurer une chaussée de moulin ou d'étang qui aurait été ébréchée jadis. Plusieurs propriétaires (dont un membre de l'association Hydrauxois) se sont déjà vus opposer le nouvel article R 214-109 code environnement issu de ce décret de 2019, cela afin d'interdire leurs projets de relance de sites.

Le conseil d'Etat vient d'annuler le décret du ministère de l'écologie, qui était bel et bien un excès de pouvoir. Un de plus.

La motivation avancée par le conseil d'Etat est simple :

"En interdisant, de manière générale, la réalisation, sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d’eau atteignant ou dépassant le seuil d’autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, alors que la loi prévoit que l’interdiction de nouveaux ouvrages s’applique uniquement si, au terme d’une appréciation au cas par cas, ces ouvrages constituent un obstacle à la continuité écologique, l’article 1er du décret attaqué méconnaît les dispositions législatives applicables."

Cela signifie donc que la continuité écologique telle que définie par la loi, en particulier par l'article L 214-17 CE, renvoie à des propriétés fonctionnelles précises (sur les poissons, les sédiments) qui s'apprécient au cas par cas, mais non à un interdit de principe.

C'est une défaite juridique notable pour les tenants de la "rivière sauvage" essayant depuis des années de surinterpréter la loi sur l'eau de 2006 et de diaboliser l'existence même de l'ouvrage hydraulique humain, vu comme un problème en soi.

Nous reviendrons dans un prochain message sur la signification politique de cette décision du conseil d'Etat, alors que les parlementaires examinent la loi Climat et résilience devant comporter des mesures sur les hydrosystèmes et sur les énergies renouvelables. 

D'ores et déjà : un grand merci aux adhérents et aux soutiens de notre association, qui nous aident par leurs cotisations à mener ce travail de protection des ouvrages hydrauliques et de promotion d'une écologie raisonnée des cours d'eau. Deux autres contentieux sont en cours d'examen au conseil d'Etat, contre le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la destruction d'ouvrages et de milieux sur simple déclaration, contre la circulaire du 30 avril 2019 de continuité dite "apaisée" créant un régime à nos yeux illégal de rivière prioritaire. 

Le combat continue !

Voici les premières explications de Me Jean-François Remy, avocat de l'association.

"Par décision rendue ce jour sur une requête introduite par mon Cabinet pour le compte notamment de France Hydro Electricité, de la Fédération Française des Associations de Sauvegarde des Moulins – FFAM, de la Fédération des Moulins des France – FDMF, de l’Association des Riverains de France – ARF et d’Hydrauxois, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’article 1er du décret ministériel du 3 août 2019, qui avait durci la définition de l’obstacle à la continuité écologique prévue à l’article R 214-109 du Code de l’environnement.

Pour mémoire, à compter de la date d’entrée en vigueur de ce décret porté par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, étaient notamment considérés comme un obstacle à la continuité écologique, dont la construction est interdite sur un cours d’eau classée en Liste 1 au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement :

- Tout ouvrage en lit mineur d’un cours d’eau d’une hauteur supérieure à 50 cm, qu’il barre ou non l’ensemble de la largeur du cours d’eau, à la seule exception des ouvrages à construire pour la sécurisation des terrains de montagne pour lesquels il n’existe pas d’alternative,

- Tout ouvrage de prise d’eau ne restituant à l’aval que le débit réservé ou débit minimum biologique une majeure partie de l’année,

- Toute remise en état d’un barrage de prise d’eau fondé en titre notamment, dont l’état actuel pouvait être considéré comme ne faisant plus obstacle à la continuité écologique.

Ce décret condamnait une part majeure du potentiel de développement de l’énergie hydraulique en sites nouveaux et en rénovation sur des sites existants, dont une grande part est située sur les cours d’eau classés en Liste 1, et par ailleurs condamnait un nombre conséquent de moulins anciens à une démolition « naturelle » et inéluctable de leurs ouvrages dont la remise en état était interdite.

Conformément à ce que nous avions soutenu en requête, le Conseil d’Etat a notamment retenu que le Gouvernement ne pouvait valablement considérer :

- Qu’un ouvrage en lit mineur présentant une hauteur de 50 cm au moins est nécessairement un obstacle à la continuité écologique au sens de l’article L 214-17 du Code de l’environnement.

Rappelant ses décisions adoptées au titre des deux précédentes tentatives de définition restrictive de la continuité écologique réalisées par circulaires ministérielles partiellement annulées de 2010 et 2013, le Conseil d’Etat confirme qu’un tel critère absolu ne peut légalement être retenu, la loi ainsi que les débats parlementaires prévoyant que le critère d’obstacle à la continuité écologique doit être apprécié au cas par cas.

A ce titre, la méconnaissance par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité de la loi, de la volonté du législateur et enfin de la jurisprudence du Conseil d’Etat est santionnée.

- Que la restitution à l’aval d’un ouvrage de prise d’eau du seul débit réservé ou débit minimum biologique serait nécessairement un obstacle à la continuité écologique, dans la mesure où – précisément – le débit minimum biologique prévu à l’article L 214-18 du Code de l’environnement a pour objet de permettre de garantir la vie, la circulation et la reproduction du poisson.

A ce titre, la méconnaissance de la loi par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité est également sanctionnée.

L’ensemble de ces dispositions étant liées, le Conseil d’Etat annule dans le même temps le II. de l’article R 214-109 du Code de l’environnement qui concernait la remise en état des barrage de prise d’eau fondés en titre.

Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.

Dans ces conditions :

- Les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement modifiées par le décret du 3 août 2019 cessent de produire effet à compter de ce jour.

- Toute décision administrative fondée sur les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement en vigueur depuis le 3 août 2019 et jusqu’à ce jour est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou encore si un recours a déjà été engagé.

Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions  au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

- Il est à nouveau possible de déposer une demande d’autorisation environnementale pour la création et/ou la modification d’un ouvrage hydraulique sur un cours d’eau classé en Liste 1, sous réserve que le projet ne soit pas de nature à constituer un obstacle à la continuité écologique, cette existence d’un obstacle à la continuité écologique devant à nouveau donner lieu à une appréciation au cas par cas.

Pour conclure, il est précisé que le recours formé par la Fédération Nationale de Pêche ainsi que France Nature Environnement, qui visait l’article 2 du décret (création d’un nouveau cas de cours d’eau atypique pour les cours d’eau de type méditerranéens) est quant à lui rejeté." 

Référence : Conseil d'Etat, arrêt nos 435026, 435036, 435060, 435182, 438369, décision du 15 février 2021

11/02/2021

Aux sources de la Seine, on tourne la page de la casse brutale et absurde des ouvrages en rivière

 Après dix ans de harcèlement des ouvrages hydrauliques en vue de les faire disparaître, la nouvelle équipe du syndicat Sequana, dirigée par Philippe Vincent, entend tourner la page de la continuité écologique destructrice pour ouvrir celle de la continuité "apaisée". Nombre de chantiers avaient fait disparaître des chutes, retenues, étangs et biefs de ce magnifique pays en tête du bassin de la Seine. Or, les ouvrages hydrauliques, remontant aux cisterciens du Moyen Âge pour les plus anciens, présentent de formidables atouts pour le développement durable du territoire, qui vient d'être en partie intégré au parc national des forêts de Champagne et Bourgogne. 



Photo extraite du journal Le Châtillonnais et l'Auxois, droits réservés. 

Dans son édition du 4 février 2021, le journal le Châtillonais et l'Auxois publie un entretien avec Philippe Vincent, le nouveau président du syndicat (Epage) Sequana. Cet établissement regroupe 126 communes de Côte d'Or, Yonne et Haute-Marne en charge de la gestion des cours d'eau et milieux aquatiques du bassin versant amont de la Seine, qui s'étend des sources de la Seine jusqu'à la limite avec le département de l'Aube.

Les associations Hydrauxois et Arpohc, suivies de consoeurs comme l'association des riverains de Chamesson, ont eu des rapports difficiles avec Sequana comme avec d'autres syndicats en tête de bassin bourguignonne de la Seine et de l'Yonne. 

L'agence de l'eau Seine-Normandie, la DDT et l'Office français de la biodiversité (ex Onema) ont mené dès le début des années 2010 une campagne agressive visant expressément à la destruction des ouvrages hydrauliques. Loin de s'y opposer, la précédente équipe du syndicat adoptait ce discours sans esprit critique, voire avec une volonté de renaturation et ré-ensauvagement des milieux allant très au-delà des termes de la loi. La même chose fut observée avec le syndicat SMBVA sur l'Armançon, plus au sud du département de la Côte d'Or. La dimension historique et énergétique des ouvrages était négligée, leurs milieux en eau n'ont fait l'objet d'aucune étude sérieuse de biodiversité hors le seul prisme des poissons migrateurs et rhéophiles. Les propriétaires se sont vus offrir des ponts d'or public pour détruire les ouvrages et assécher les biefs (jusqu'à 100% de prise en charge, avec divers travaux d'aménagement en sus) alors qu'ils étaient l'objet d'une instruction hostile et de subventions très faibles voire nulles s'ils désiraient conserver les ouvrages hydrauliques, les retenues et les biefs en eau. Sur les bassins de la Seine et de l'Ource, de nombreux ouvrages ont été détruits à contre-coeur, car c'était la seule solution financée. Mais c'est aussi sur ce bassin que Gilles Bouqueton et sa compagne, soutenus par nos associations et par une cagnotte de citoyens donateurs, ont obtenu après 7 ans de lutte obstinée une victoire décisive au conseil d'Etat en 2019 (arrêt moulin du Boeuf). Les conseillers ont condamné sur toute la ligne des pressions illégale menées par les représentants du ministère de l'écologie. 


Cela relève aujourd'hui du passé, en tout cas pour ce qui est de la politique syndicale. La nouvelle équipe de l'Epage Sequana entend désormais prendre au mot la "continuité apaisée" telle qu'elle est officiellement promue par le ministère de l'écologie. Et l'apaisement signifie que l'on ne regarde plus les moulins, forges et étangs comme des adversaires de l'écologie, mais comme des partenaires du territoire.

Le président de Sequana précise ainsi :"Les effacements d'ouvrages sont liés à une politique environnementale. La loi qui régit ces actions n'oblige pas l'effacement mais l'aménagement pour respecter la continuité écologique et les débits minimums biologiques. Un ouvrage n'ayant plus aucun usage pourrait effectivement être supprimé. Mais il faut être très prudent. Un ouvrage quel qu'il soit a eu une utilité et aujourd'hui avec les assecs de ces dernières années, toutes les retenues d'eau auront une action sur l'écoulement de nos cours d'eau et donc une préservation de la ressource. Autre point important souvent négligé, la prise en compte des aspects patrimoniaux et sociétaux, paysager et historiques concernant ces ouvrages, mais également tous les monuments, lavoirs... au fil de l'eau qui fait que notre territoire est aujourd'hui Parc National".

Il entend également rouvrir le dossier de certaines dépenses votées par la précédente équipe, mais ne correspondant pas à l'intérêt général du Châtillonnais et à la protection de la ressource en eau : "Aujourd'hui, nous avons une problématique importante liée à l'effacement de l'étang de Rochefort-sur-Brevon. Le propriétaire vient d'accepter l'effacement, la commune semble d'accord, mais nous pensons que cet argent public serait mieux investi dans l'alimentation du réseau d'eau potable que dans ce projet sur un bien privé aux bénéfices discutables en termes de continuité écologique. Nous allons revenir très rapidement sur ce sujet".

Rappelons qu'à Rochefort-sur-Brevon, véritable petit joyau du patrimoine sidérurgique du Châtillonnais, le syndicat Sequana proposait de dépenser 80 000 euros d'argent public pour détruire des radiers de vannages et réduire considérablement la superficie de l'étang, cela alors que l'aménageur reconnaissait que la rivière Brevon présente des éperons rocheux naturels qui la rendent de toute façon infranchissable aux poissons... Pourquoi cette gabegie? Pourquoi l'administration avait-elle classée la rivière en 2012 en "liste 2" au titre de la continuité écologique? Ce sont toutes ces incohérences qui excèdent les riverains, alors que l'argent public est si rare et que l'eau renvoie à de multiples enjeux d'intérêt général. 

Les associations félicitent la nouvelle équipe du syndicat Sequana, et entendent mobiliser les propriétaires d'ouvrages hydraulique au service des projets de territoire. Face à la sévérité croissante des assecs comme à la brutalité des crues, à la nécessité de développer l'énergie locale bas-carbone, au besoin de protéger les milieux aquatiques et les zones humides, beaucoup de travail nous attend. Les moulins, forges, étangs et plans d'eau du territoire sont des atouts à valoriser, en particulier avec le création du parc national des forêts des Champagne et Bourgogne, impliquant un tourisme de qualité et de proximité à inventer. 

03/02/2021

L'Etat français condamné pour préjudice du fait de son action climatique insuffisante

 

Des associations regroupées sous le label l'Affaire du siècle, soutenues par 2,3 millions de citoyens, ont engagé un contentieux contre l'Etat français pour son incapacité à tenir les objectifs climatiques des lois et traités signés par lui. Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Si le jugement de première instance doit encore être confirmé jusqu'au conseil d'Etat, c'est déjà une excellente nouvelle pour les associations de protection des ouvrages hydrauliques menacés de destruction et pour les syndicats d'hydro-électricité: les entraves à la relance énergétique voire les démantèlements de sites producteurs par des administrations sous la tutelle du ministère de l'écologie pourront être poursuivies en justice sur cette base nouvelle. La priorité donnée au climat signifie que la destruction du patrimoine hydraulique, de son potentiel énergétique et de ses milieux aquatiques français doit cesser.



En mars 2019, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France ont introduit des requêtes contentieuses afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations (voir notre précédent article).

Dans son jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal souligne d'abord que "le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes doit être regardé comme établi", en rappelant les conclusions du GIEC et de  l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Le retard pris dans la baisse des émissions carbone accentue des impacts attendus :  accélération de la perte de masse des glaciers, aggravation de l’érosion côtière, risques de submersion, augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans - "risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française".

Le tribunal note ensuite que par ses engagements internationaux (convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, accord de Paris), européens (Paquet énergie climat) et nationaux (Charte de l'environnement dans la Constitution, diverses lois de programmation énergétique), l'Etat s'est engagé lui-même à des objectifs contraignants:
"Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine." 
Le tribunal souligne que la France ne respecte pas les objectifs carbone qu'elle s'est fixée sur la période 2015-2018, le fait de fixer de nouveaux objectifs plus ambitieux à horizon 2030 n'étant pas de nature à justifier le non-respect des engagements déjà actés :
"la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué". 
Au final, les juges retiennent que :
  • l’Etat doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice dès lors qu’il n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre,
  • les demandes de réparation pécuniaire des associations sont rejetées,
  • la réparation en nature du préjudice écologique est retenue, un supplément d’instruction est cependant prononcé, assorti d’un délai de deux mois fin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation,
  • le préjudice moral est reconnu avec versement de la somme d’un euro demandée par chacune des requérantes.
Notre commentaire
L'Etat français souffre d'un problème manifeste : il passe son temps à s'engager avec une haute ambition sur tous les sujets à la fois, en supposant que "l'intendance suivra" et que des moyens permettront de poursuivre tous ses objectifs en même temps. Pas de réflexion à long terme, pas de priorité, une accumulation de traités, directives, lois et règlements en tous les sens. Au bout d'un moment, cette manière de gouverner ne tient plus et cogne dans le mur de la réalité : l'Etat est tenu par les actes où il appose sa signature, il est l'objet de contentieux venant tant de l'Union européenne que de ses propres citoyens s'il ne respecte pas ses engagements. 

Dans le cas du climat, notre association et toutes ses consoeurs soulignent depuis 10 ans l'erreur manifeste et l'aberration intellectuelle consistant à mener une politique de démantèlement des barrages et usines hydro-électriiques, de destruction et assèchement des retenues et des canaux, alors même que la prévention du réchauffement climatique et l'adaptation à ses effets exigent tout le contraire : préserver les ouvrages, équiper les ouvrages en production énergétique, améliorer les ouvrages en gestion de l'eau. 

Un Etat qui détruit le patrimoine hydraulique et le potentiel hydro-électrique de son pays en pleine phase de transition énergétique et adaptation climatique est devenu inaudible et illégitime. Nous appelons toutes nos consoeurs associatives et syndicales, tous les collectifs riverains, tous nos adhérents et sympathisants à s'engager pour la protection de sites hydrauliques menacés, à développer des projets de relances énergétiques et à promouvoir des rivières durables dans le cadre de la transition écologique. A la lueur de cette jurisprudence nouvelle, nous appelons également les fédérations nationales de moulins, les associations nationales de riverains et les syndicats de petite hydro-électricité à envisager avec nous l'ouverture d'un contentieux contre le ministère de la transition écologique et solidaire, dont les arbitrages sur les ouvrages en rivière aggravent la crise climatique et mènent à des résultat que le tribunal administratif de Paris vient de condamner. 

Source jugements n°1904967, 1904668, 1904972, 1904976/4-1 du tribunal administratif de Paris, 3 février 2021

02/02/2021

Les parlementaires s'inquiètent de la préservation du patrimoine hydraulique, le ministère de l'écologie les égare

 La destruction du patrimoine hydraulique des moulins, des étangs et des barrages continue de susciter l'indignation ou l'inquiétude des élus des citoyens, qui ne comprennent pas pourquoi l'argent public est dépensé à cette fin. Le sénateur Darnaud s'en alarmait l'été dernier après bien d'autres, face notamment à des rivières à sec qui n'ont plus aucune continuité. La réponse faite par le ministère de l'écologie est hélas à nouveau dilatoire. Nous appelons donc plus que jamais nos parlementaires à clarifier le statut de protection des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux à l'occasion de la prochaine loi Climat et résilience, mais surtout à mobiliser ces ouvrages au service de la transition écologique. 



Question écrite n° 17475 de Mathieu Darnaud (Ardèche - Les Républicains), publiée dans le JO Sénat du 30/07/2020 - page 3369 :

"M. Mathieu Darnaud attire l’attention de Mme la ministre de la transition écologique au sujet des inquiétudes exprimées sur la menace planant sur le patrimoine hydraulique de la France.

Il rappelle que l’article L. 214-17 du code de l’environnement dispose que l’entretien des ouvrages hydrauliques se fait en concertation avec les propriétaires ou exploitants.

Malgré cela on constate aujourd’hui de nombreuses destructions d’ouvrages tels moulins, barrages ou canaux. Ces dernières sont effectuées sans réelle réflexion sur l’importance patrimoniale de ces ouvrages, leur utilité économique et le rôle qu’ils jouent dans le maintien de la biodiversité, leur disparition provoquant dans certains territoires un assèchement des milieux aquatiques et humides.

Il demande donc si le Gouvernement entend prendre des mesures comme un moratoire sur la destruction de ces ouvrages, et s’il entend s’engager sur une politique générale de valorisation du patrimoine hydraulique de la France, aujourd’hui menacé."

Voici nos commentaires sur la réponse du ministère
"Face au double défi de l’effondrement de la biodiversité et d’un maintien de la qualité de l’eau, la restauration de la continuité écologique est une politique importante pour l’atteinte du bon état des cours d’eau et pour respecter nos engagements à préserver la biodiversité d’eau douce."
Il n'existe à ce jour aucune démonstration claire d'un lien entre d'une part la présence d'ouvrages sur une rivière, en particulier les ouvrages anciens majoritaires (moulins, forges, etc.), d'autre part le bon état écologique et chimique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau. De nombreuses rivières de têtes de bassin ont des moulins et des étangs, pourtant elles sont aussi classées en bon état ou très bon état au titre de la DCE. De nombreux poissons migrateurs étaient encore présents sur un large linéaire de cours d'eau en 1850, pourtant quasiment tous les ouvrages de moulins et beaucoup d'ouvrages d'étangs en lit mineur étaient déjà là (voir Merg et al 2020). Les causes du déclin du vivant ne sont donc pas là. D'autres rivières ont vu leurs ouvrages disparaître, pourtant elles sont toujours déclassées en état mauvais ou moyen au titre de la DCE, pour d'autres raisons (souvent les pollutions, parfois les altérations hydrologiques). Des travaux de recherche ont par ailleurs montré que des hydrosystèmes artificiels car nés d'ouvrages humains peuvent abriter des espèces menacées d'extinction : le vivant ne se demande pas si une retenue et un bras en eau sont d'origine humaine ou naturelle dès lors qu'il peut s'y installer. La notion de continuité écologique est donc ici avancée comme un principe général de bon état écologique alors que dans la réalité, il convient d'évaluer au cas par cas les fonctionnalités et les biodiversités des cours d'eau et des plans d'eau, mais aussi de se demander quel type de nature nous voulons comme cadre de vie (voir ce dossier complet sur le sujet).

Ce que ne dit pas non plus le ministère : la continuité écologique en long concerne avant tout, depuis 150 ans de législation, quelques espèces de poissons migrateurs. L'intérêt très soutenu pour ces poissons, loin d'être les seules espèces menacées ou les seules espèces d'intérêt pour la société et pour les milieux, s'explique davantage par l'existence d'un public de pêcheurs que par un raisonnement de priorisation écologique. Les demandes sociales sont toutes légitimes, mais le législateur doit comprendre pourquoi on fait beaucoup de choses sur certains sujets et s'interroger sur la proportionnalité de cet engagement. Les budgets de l'écologie ne sont pas extensibles à l'infini, des phénomènes comme la disparition de 80% des zones humides depuis un siècle sont eux aussi très alarmants pour la diversité des milieux et des espèces, ainsi que pour le cycle de l'eau et la recharge locale des nappes. De plus, au sein des poissons migrateurs, certains sont réellement menacés d'extinction et demandent des efforts conséquents de sauvegarde, d'autres sont plus communs et ne devraient pas faire l'objet de mesures disproportionnées (on pense à de nombreux chantiers se justifiant par la truite fario, souvent sans que ce soit autre chose qu'une volonté de maximiser son abondance locale de frayères, en vue de la pêcher in fine, et sans démonstration que la truite a localement reculé du fait des ouvrages que l'on détruit). 
"L’importance de cette politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau a été réaffirmée en France par les Assises de l’eau en juin 2019 et le plan biodiversité qui prévoit de restaurer la continuité sur 50 000 km de cours d’eau d’ici à 2030. La stratégie biodiversité 2020 de la Commission européenne en fait également un enjeu majeur, elle inclut un objectif de restauration de 25 000 km de cours d’eau d’ici 2030."
Nous avons ici un cas flagrant de surtransposition française des choix européens: l'Union s'engage à assurer la continuité de 25.000 km en 10 ans sur l'ensemble du territoire européen, la France seule entend le faire sur 50.000 km et sur son seul territoire, en 5 ans (le délai de la loi). C'est un manque de réalisme : l'action publique française est incapable d'avoir les ambitions de ses moyens. Il en résulte la confusion observée, de grandes promesses, de fortes contraintes, mais pas assez de moyens financiers et humains pour les réaliser et les accompagner.
"La mise en œuvre de cette politique sur le terrain est toutefois délicate car elle doit être conciliée avec le déploiement des énergies renouvelables dont fait partie l’hydroélectricité, la préservation du patrimoine culturel et historique, ou encore le maintien d’activités sportives en eaux vives participant au développement de nos territoires."
Le problème de la mise en oeuvre "délicate" de la continuité écologique est très simple : depuis dix ans, la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie a indiqué à son administration (agence de l'eau, DREAL de bassin, DDT-M, office de la biodiversité ex Onema) que la solution privilégiée devait être la destruction des ouvrages. Ce choix, allant très au-delà de ce que dit la loi, vise la "renaturation" (en fait l'idéal de retour de la rivière "sauvage") n'est pas compatible avec les autres enjeux : hydro-électricité, patrimoine bâti et paysager, maintien de la ressource en eau (effet de retenue et diffusion de l'eau en sol et nappe), maintien des habitats aquatiques et humides d'origine humaine (retenues, biefs) qui forment de nouveaux biotopes depuis longtemps. 

Il existe d'autres solutions que la destruction : gestion des vannes, passes à poisson rustiques ou techniques, rivières de contournement. Mais ces solutions, conformes à la loi et conformes aux autres enjeux de l'eau, n'ont pas fait l'objet d'un financement public préférentiel ni d'une instruction administrative favorable. Tant que ce blocage-là persistera, la continuité ne sera pas apaisée. Dès que ce blocage sera levé, dès que l'administration sera donc au service de la préservation des ouvrages dans une logique de modernisation écologique et énergétique, les blocages disparaîtront.
"Par ailleurs, des difficultés persistent, par exemple en terme de financement de certaines solutions techniques d’intervention sur les ouvrages, points sur lesquels le ministère continue de travailler."
Le ministère n'a pas besoin de "travailler" beaucoup : il suffit que ses représentants au sein des agences de bassin, qui sont les primo-rédacteurs des SDAGE, engagent  les financements publics à 80-100% dans les solutions douces et non destructrices de continuité. Ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui dans les plus grands bassins (voir cet article), les associations y sont en contentieux contre la "prime à la casse" mise en avant par des fonctionnaires (et quelques lobbies) poursuivant leur propre programme de renaturation non prévue dans la loi. 
"Répondant aux objectifs du Gouvernement de simplification administrative, et demandée par les collectivités gestionnaires des cours d’eau et milieux humides, la rubrique 3.3.5.0 relative aux travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques exclusivement soumise à déclaration au titre de la loi sur l’eau, créée par le décret n° 2020-828 du 30 juin 2020, vise principalement à faciliter la réalisation de travaux qui vont dans le sens d’un meilleur fonctionnement des écosystèmes naturels et de l’atteinte des objectifs de la directive cadre sur l’eau. Cette simplification ne met pas en péril le patrimoine et ne remet pas en cause le droit de propriété des riverains (droit à valeur constitutionnelle, qui n’est en rien modifié par les textes précités et demeure préservé par les mêmes dispositions qu’auparavant)."
Le ministère de l'écologie atteint ici un niveau orwellien de manipulation du langage. Le décret scélérat du 30 juin 2020 a pour but explicite de simplifier la destruction du patrimoine hydraulique en en faisant une simple déclaration sans enquête publique ni étude d'impact approfondie. Comment peut-on dire que cela ne "met pas en péril" un patrimoine quand le but affiché est d'accélérer sa disparition? 

Des associations dont Hydrauxois ont demandé l'annulation de ce décret au conseil d'Etat, mais aussi de plusieurs autres textes du ministère de l'écologie  depuis 2019 qui indiquent tout le contraire de la volonté d'apaisement affichée dans la novlangue ministérielle. Le gouvernement et son administration doivent arrêter de tordre les faits et de travestir les réalités : les citoyens sont désormais bien informés et pointent immédiatement ces manoeuvres.
"Dans la grande majorité des cas, la solution technique trouvée a consisté à aménager l’ouvrage (mise en place d’une passe à poisson, d’une rivière de contournement, abaissement du seuil…), sans qu’il n’y ait suppression du barrage ou du seuil."
En l'état de nos connaissances, cette assertion est mensongère. La seule source publique ayant essayé d'estimer la nature des chantiers de continuité écologique est le rapport d'audit du CGEDD 2016. Dans ce document, les rapporteurs indiquent que les bassins ayant le plus classé de cours d'eau sont aussi ceux où l'on observe le plus grand taux de destruction : 75% en Seine-Normandie, 74% en Artois-Picardie, 58% en Loire-Bretagne, 52% en Rhin-Meuse. Cela ne correspond nullement à la "grande majorité" des chantiers respectant les ouvrages, c'est exactement l'inverse.

Conclusion : les parlementaires sont de nouveaux égarés par la réponse de la ministre de l'écologie préparée par la direction eau et biodiversité. Une administration qui tient de tels discours est une administration dont l'action ne sera pas respectée, ce qui malheureusement n'est pas propre à l'eau en France. Nous appelons les parlementaires à restaurer la rigueur et la sincérité dans l'expression de l'Etat, à jouer pleinement leur rôle de contrôle de l'action publique et à supprimer dans la loi toute ambiguïté sur le désir de préserver le patrimoine hydraulique français. La continuité en long doit désormais être conforme à la diversité des attentes des citoyens et adaptée à tous les besoins de la transition écologique en cours.