30/01/2019

La place de l'hydro-électricité dans la nouvelle stratégie énergie-climat de la France (PPE 2019)

Le ministère de l'écologie vient de publier sur son site les textes définitifs de la programmation pluri-annuelle de l'énergie. Ce document pose les objectifs de l'Etat sur 5 et 10 ans (2023 et 2028), ainsi que la doctrine publique en matière de soutien à l'énergie. Nous publions et commentons ici les extraits relatifs à l'hydro-électricité. Plusieurs motifs de satisfaction : le développement hydro-électrique est reconnu comme d'intérêt pour la transition, l'équipement de sites déjà en place est considéré comme de moindre impact, la petite hydro-électricité sera intégrée dans les appels  d'offres. A noter un point important pour les associations de moulins : tous les documents de programmation publique devront intégrer ces orientations (notamment les schémas régionaux, dont certains ignorent aujourd'hui l'hydro-électricité, et les planifications relatives aux cours d'eau). Il faudra donc être vigilant lors des discussions et consultations publiques sur ces textes d'orientation dans chaque territoire. Une autre condition est requise pour que cette programmation réussisse : changer la culture administrative de la haute fonction publique qui, depuis 15 ans, n'a trop souvent soutenu que les grands projets industriels au détriment des centaines de petites initiatives favorables à la transition bas-carbone, mais assommées de complexités parfois inutiles et disproportionnées. 


La PPE rappelle le rôle essentiel de l'hydro-électricité :
La filière hydroélectrique est essentielle pour la transition du système électrique : 
- il s’ agit d’ une filière renouvelable prédictible et pilotable ; 
- sa flexibilité (installations de lacs et d’ éclusée) permet d’ assurer de manière réactive l’ équilibre offre-demande lors des périodes de tension sur le système électrique, à la place de moyens thermiques coûteux et fortement émetteurs de gaz à effet de serre ; 
- le stockage hydraulique permet en outre de placer la production pour suivre la consommation sur des périodes longues (hebdomadaires voire saisonnières) 
Il arrive régulièrement que l'hydroélectricité représente plus de 20% de la puissance électrique sur le réseau pendant les périodes de pointe. Par ailleurs, grâce à sa flexibilité, cette filière représente environ 50% du mécanisme d'ajustement, qui est un dispositif permettant à RTE d'assurer à tout moment l'égalité entre la production et la consommation d'électricité.

Objectifs
L’objectif est d’augmenter le parc de l’ordre de 200 MW d'ici 2023 et de 900 à 1200 MW d'ici 2028, qui devrait permettre une production supplémentaire de l’ordre de 3 à 4 TWh dont environ 60% par l'optimisation d'aménagements existants.
Commentaire : nous devons trouver en dix ans 300 à 600 MW d'équipements nouveaux non liés à l'optimisation de sites producteurs déjà existants. Si la moitié de cet objectif est lié à la petite hydroélectricité d'ouvrage anciens (de loin les sites les plus nombreux, cf Punys et al 2019), cela représente quelques milliers de sites entre 10 et 100 kW à équiper. Cet objectif (quelques dizaines de sites par département en 10 ans) est largement tenable (et même dépassable) à condition d'avoir un soutien clair des pouvoirs publics, et non comme aujourd'hui une tendance à ralentir le volet hydraulique de la transition énergétique.

Mesures complémentaires en hydro-électricité
• Optimiser la production et la flexibilité du parc hydroélectrique, notamment au-travers de suréquipements et de l’installation de centrales hydroélectriques sur des barrages existants non-équipés 
• Mettre en place un dispositif de soutien à la rénovation des centrales autorisées entre 1MW et 4-5MW ; 
• Lancer l'octroi de nouvelles concessions sur quelques sites dont le potentiel aura été identifié ; 
• Lancer des appels d’offres pour la petite hydroélectricité
Commentaire : nous observons avec satisfaction que l'équipement de barrages existants est désormais considéré comme une stratégie opportune et que la petite hydro-électricité fera partie des appels d'offres. Toutefois, concernant cette petite hydro-électricité, l'urgence est à la simplification des relances : interlocuteur unique, procédure plus rapide en gestion des dossiers par les DDT-M, priorisation claire et réaliste en continuité écologique, baisse des coûts d'équipements environnementaux, davantage de transparence sur les coûts d'équipement hydromécaniques et électrotechniques.

Coûts unitaires
L’hydroélectricité est une énergie renouvelable compétitive en raison d’une durée de vie des installations importante sous réserve d’investissements réguliers. Les coûts de construction sont élevés (génie civil, équipement, raccordement au réseau), pour des coûts d’exploitation et de maintenance relativement faibles. Les coûts liés aux aménagements à visée environnementale sont de plus en plus significatifs.(...) 
Les coûts unitaires moyens observés sont compris : 
- entre 30 et 50 €/MWh pour de grandes installations au fil de l'eau ; 
- entre 70 et 90 €/MWh pour les installations de forte puissance et exploitant des hautes chutes ; 
- entre 70 et 160 €/MWh pour les installations de plus faible puissance.
Commentaire : les coûts unitaires n'ont pas de raison d'être élevés dans les sites existants (moulins, forges, barrages à autres usages) si leur génie civil est correct. Une grande partie de ces coûts vient aujourd'hui de demandes réglementaires disproportionnées aux impacts (exemple récent, cas fréquent) ainsi que de dispositifs de continuité écologique parfois surdimensionnés.

Réglementation environnementale
Afin de préserver la qualité des milieux aquatiques et de garantir les autres usages de l’eau, la réglementation environnementale applicable aux ouvrages hydroélectriques a été sensiblement renforcée : maintien d’un débit minimum dans le cours d’eau, aménagements de rétablissement de la continuité écologique, dispositifs pour limiter la mortalité piscicole, etc.
A l’instar des ouvrages existants, les projets hydroélectriques soulèvent des problématiques environnementales très différentes suivant la taille du projet et selon le lieu d’implantation. Pour un projet de faible ampleur visant l’équipement d’un barrage existant, l’impact du projet pourra se limiter à la problématique de dévalaison des poissons en lien avec l’installation d’une turbine et à la modification du régime hydrologique en cas de tronçon court-circuité. Pour un projet hydroélectrique sur site vierge, des impacts supplémentaires sont à considérer comme ceux liés à l’ennoiement (hydromorphologie, qualité de l’eau), ou encore ceux touchant à la continuité écologique pour la montaison ou le transit des sédiments. Sur les projets d’envergure comportant des barrages réservoirs, la gestion, lors de la conception du projet, des impacts du fonctionnement par éclusée est déterminante. Enfin, quelle que soit la taille du projet, les effets cumulés sont à évaluer lorsque des ouvrages équipent déjà le cours d’eau concerné, notamment en termes de continuité écologique ou lorsqu’un ennoiement est envisagé.
Compte tenu de leur coût plus élevé et de leur bénéfice moins important pour le système électrique au regard de leur impact environnemental, le développement de nouveaux projets de faible puissance doit être évité sur les sites présentant une sensibilité environnementale particulière. En revanche, les suréquipements ou les nouveaux aménagements permettant d'améliorer la flexibilité du parc doivent être priorisés.
Commentaire : il est reconnu que des projets de faible ampleur sur un barrage existant représentent un impact modéré, et que la dévalaison en est l'enjeu premier. Concernant la "sensibilité environnementale particulière", celle-ci est tout à fait compréhensible pour des raisons de protection de la biodiversité endémique, mais elle doit être précisée. On a vu et vécu trop de dérives où la simple présence de truites communes dans une rivière est considérée comme un enjeu majeur, cela davantage sur pression d'une fédération de pêche que sur une base d'écologie scientifique... Les impacts négatifs de l'hydro-électricité peuvent être raisonnablement maitrisés aujourd'hui, en particulier la petite hydro-électricité à ouvrages modestes, et ils sont rarement le premier facteur de dégradation des bassins.

Opposabilité 
Les stratégies et les documents de planification qui comportent des orientations sur l’énergie doivent être compatibles avec les orientations formulées dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Commentaire : il conviendra de vérifier dans chaque région que les schémas régionaux traitant du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) et les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'équilibre des territoires (SRADDET) incluent correctement les disposition de la PPE, notamment l'hydro-électricité. De même, les agences de l'eau devront intégrer ce volet de la PPE dans leur choix de financement sur les ouvrages hydrauliques en place.

Source : MTES (2019), Stratégie française pour l'énergie et le climat. Programmation pluri-annuelle 2019-2023, 2024-2028, 368 p.

25/01/2019

Première évaluation européenne du potentiel énergétique des moulins à eau et autres ouvrages anciens (Punys et al 2019)

Le projet européen RESTOR Hydro (2012-2015) a effectué un premier recensement des sites anciens sur les rivières européennes, comme les moulins à eau, dans le but de relancer leur production énergétique. Des chercheurs publient les résultats. Environ 65000 sites de production potentielle sont déjà identifiés. Avec 24748 ouvrages soit près de 40% du total, la France est le pays le mieux doté en nombre total d'ouvrages anciens, quoique d'autres (Slovénie, Belgique, Luxembourg) ont une densité en rivière supérieure. Une fois retiré les sites difficiles à modifier en raison de protection environnementale ou patrimoniale, le potentiel de production pourrait être de 6,8 TWh. C'est une première base de réflexion que nos décideurs doivent saisir. En commençant par cesser la destruction de ce patrimoine exceptionnel au nom de la continuité écologique, alors que l'Europe doit atteindre le zéro émission carbone dès 2050, selon les accords de Paris et les préconisations du GIEC. Restaurons et équipons donc ces ouvrages encore en place, dont certains ont apporté de l'énergie à nos territoires pendant près d'un millénaire. 


L'Europe et d'autres parties du monde cherchent des moyens de développer davantage l'hydroélectricité, de la rendre plus durable. Le projet RESTOR Hydro, cofinancé par le programme Énergie intelligente pour l'Europe de l'Union européenne (2012-2015), est l'une des tentatives les plus récentes. Comme le rappellent Petras Punys et ses quatre collègues, RESTOR Hydro "visait à accroître la production d'énergie renouvelable à partir de mini- et micro-centrales hydroélectriques, en identifiant et en restaurant les sites historiques, les anciennes usines hydroélectriques, les sites de barrages et autres structures en rivière".

L'un des principaux résultats de ce projet a été une carte en ligne accessible au public, visant à cartographier les emplacements et les principales caractéristiques des mini- ou micro- sites hydroélectriques historiques, sans exclure les plus grands (1-10 MW). Quelque 65 000 points de données ou sites hydroélectriques potentiels sont présentés sur cette carte en ligne. Les sites individuels avec informations concises sur l'emplacement, le type de structure (moulin à eau, seuil, déversoir), la disponibilité de l'électricité, la sensibilité environnementale et la valeur historique sont affichés à l'échelle du pays. Cependant, aucune estimation de la production potentielle d’hydroélectricité n’est fournie.


Carte des sites recensés en Europe et de leur usage historique extrait de Punys et al 2019, art cit.


Les petites rivières ont joué un rôle essentiel dans l’économie européenne en fournissant ses besoins en énergie à partir du Moyen Âge, et il existe aujourd'hui encore de nombreux moulins à eau et seuils emblématiques, ou leurs vestiges.

Les chercheurs observent ainsi : "Dans l’UE, un potentiel de production hydroélectrique économiquement viable et écologiquement durable est présent dans des milliers de moulins à roues, moulins foulons, scieries, et autres sites historiques, principalement des systèmes à basse chute. Une estimation préliminaire suppose que plus de 350 000 micro ou mini-sites hydrauliques auraient pu exister en Europe à un moment ou à un autre. En raison des changements dans les modes d'utilisation, du réajustement des cours d'eau, de la préservation environnementale nécessaire, tous ces sites historiques ne devraient pas être récupérables aujourd'hui. De nombreux bâtiments et infrastructures historiques se situent dans des «zones de beauté naturelle exceptionnelle» ou autres zones sensibles du point de vue de l’environnement. Obtenir les autorisations nécessaires pour entreprendre des travaux de construction civile dans de tels endroits ne serait probablement pas permis par une législation restrictive."

Le rythme de développement des petites centrales hydroélectriques de l'UE a été relativement décourageant au cours de la dernière décennie, et même les plans nationaux sur les énergies renouvelables publiés ne prévoyaient pas d'objectif considérable pour le secteur. Selon les chercheurs, "cela est dû non seulement à des questions économiques et sociales, mais aussi à des exigences environnementales. Au cours des dix dernières années, le potentiel des nouvelles petites centrales hydro-électriques  a été considérablement affecté, la tendance à la baisse découlant de la législation environnementale qui protège des zones désignées, telles que Natura 2000, les zones affectées par la directive-cadre sur l'eau (DCE), etc."


Carte des sites recensés en Europe selon leur condition de restauration, extrait de Punys et al 2019, art cit.


Quelques résultats de ce travail :

  • La plus forte densité de sites hydroélectriques (nombre de sites par 1000 km2) a été identifiée en Slovénie (99,4), en Belgique (83,5), au Luxembourg (44,1) et en France (39,1).
  • La France, qui totalise 24 748 centrales hydroélectriques potentielles, est clairement en tête des pays de l'UE et représente 38,1% du total.
  • En Europe, le plus grand nombre de sites hydroélectriques dans les pays étudiés se situe en dessous de 40 kW ou groupe de capacité potentielle P1 (59 280 soit 91,33% du total des sites). Viennent ensuite le groupe de capacité P2 (entre 41 et 300 kW) avec 4951 sites soit 7,63% du total, et P3 (entre 301 kW et 1 MW) avec 549 sites soit 0,85% du total. Très peu de sites (seulement 124) ont été identifiés comme étant compris entre 1 et 10 MW, le groupe de capacité potentielle P4 (0,19% du total des sites).
  • Au total, 11 703 sites hydroélectriques sont situés en zones Natura 2000. Les plus grands nombres de moulins à eau Natura 2000 se trouvent en France (857), en Grèce (656), en Allemagne (612) et en Italie (515). Les plus grands nombres de seuils dans les zones Natura 2000 ont été trouvés en Pologne (1356), en France (732) et en Slovénie (380); et pour les sites de nature inconnue en France (3216), en Pologne (741) et en Slovénie (269).
  • Environ 6,8 TWh d’électricité (valeur estimée avec diverses incertitudes) pourraient être produits sur les sites historiques en situation la plus favorables. Cela représente en moyenne 16,5% du potentiel de petite hydroélectricité restant dans les pays de l’UE étudiés (part très variable, de 2 à 78% selon les pays).

Les chercheurs concluent : "Une façon d'améliorer cette évaluation consisterait à incorporer tous les attributs spatiaux des sites potentiels (hydrologie, topographie, etc.) à un algorithme mathématique permettant d'évaluer avec précision les caractéristiques de l'hydroélectricité des sites individuels. Une bonne expérience d’une telle méthodologie existe aux États-Unis."

Discussion
Restaurer et équiper les ouvrages en place pour éviter d'en construire de nouveaux en grand nombre et d'artificialiser des rivières intactes : voilà qui pourrait être une stratégie de bon sens en énergie et écologie.

Comme l'observent les chercheurs, "le potentiel hydroélectrique de l'UE économiquement réalisable et compatible avec l'environnement est presque épuisé (principalement dans les anciens pays de l’UE), et les nouvelles fragmentations des fleuves ne sont pas encouragées. Les documents de politique environnementale recommandent de commencer par moderniser les centrales hydroélectriques existantes avant de procéder à de nouveaux développements ou d'utiliser les structures existantes dans les cours d'eau – barrages, seuils, etc. Ainsi, on suppose que le développement de certains barrages non électriques à des fins énergétiques est réalisable avec un coût d'installation réduit, un coût unitaire moyen d'énergie moins élevé, moins d'obstacles au développement, moins de risques technologiques et commerciaux et dans un délai plus court que le développement induit par la construction de nouveaux barrages."

Et ils ajoutent : "Mais en réalité, ce patrimoine hydroélectrique industriel est souvent négligé dans les projets de restauration des rivières."

Nous ne pouvons hélas que confirmer leur constat pour le cas de la France : les diagnostics hydro-électriques de chaque bassin, qui devaient être obligatoires dans les SDAGE et les SAGE, ont été au mieux fait rapidement dans les années 2010, en excluant souvent les sites de moins de 100 kW (les plus nombreux) au niveau des SDAGE, et généralement sans aucun intérêt de suivi par les gestionnaires. Et pour cause : le ministère de l'écologie et les représentants de l'Etat dans la plupart des agences de l'eau ont décidé d'engager tout le soutien public à la destruction de ce patrimoine ancien au nom de la continuité écologique. Ce choix est vivement contesté, et les audits administratifs montrent que la réforme a été mal menée.

Le travail de Petras Punys et de ses collègues suggère que le choix de la destruction est une erreur du point de vue de la mobilisation des ressources bas carbone. A l'heure où la France a décidé de relancer l'hydro-électricité dans sa programmation pluri-annuelle de l'énergie, les arbitrages de l'Etat doivent changer. L'amélioration écologique de la gestion des ouvrages est compatible avec leur relance énergétique, cela sans ajouter de nouvelles pressions morphologiques aux rivières.

Référence : Punys P et al (2019), An assessment of micro-hydropower potential at historic watermill, weir, and non-powered dam sites in selected EU countries, Renewable Energy, 133, 1108-1123

21/01/2019

Plan saumon 2019-2014 : donnez votre avis

Pour répondre aux recommandations émises par l’organisation de conservation du saumon de l’Atlantique nord (OCSAN), la France a élaboré un plan de gestion du saumon atlantique, mis en œuvre pour les périodes 2008-2012 et 2013-2018. Lors de la session annuelle de l’OCSAN en juillet 2018, il a été demandé de renforcer les plans selon de nouvelles recommandations pour la période 2019-2024. Le nouveau plan français de gestion du saumon 2019-2024 est soumis à la consultation publique. Nous incitons nos lecteurs, et en particulier les associations en rivières salmonicoles, à y déposer leurs avis. Notre association observe pour sa part divers biais et carences dans l'action de l'Etat français. 




A la lecture des réponses françaises aux demandes de l'OCSAN, nous observons les points suivants.

- Les association de riverains, de moulins, de protection du patrimoine ne sont pas couramment invitées dans les instances de gestion du saumon en France (Cogepomi-Plagepomi) ni consultées dans la phase d'élaboration des plans par bassins versants.
Notre demande : une consultation en mode ouvert de tous les documents dans la phase d'élaboration des plans, une intégration des associations en lien à la rivière et aux ouvrages. 

- L'Etat ne produit pas de synthèse des résultats des précédents plans pour évaluer leur efficacité : sommes investies, évolutions démographiques des reproducteurs remontants, courbes de tendances par bassin, test de puissance sur la significativité des résultats par rapport à la variabilité internannuelle connue, etc.
Notre demande : un bilan complet de la politique saumon en France permettant aux citoyens de juger sur des faits et des chiffres précis.

- L'Etat ne produit aucune synthèse claire et chiffrée des objectifs du nouveau plan 2019-2024, notamment aucun objectif qui permettrait de faire le bilan de son efficacité à terme.
Notre demande : un engagement sur des résultats vérifiables dans le plan 2019-2024.

- Le contrôle de la pression de pêche manque de transparence et de cohérence, alors que le problème est connu depuis longtemps et que les structures de pêche bénéficient de soutiens publics. Ainsi, les totaux autorisés de capture (TAC) ne sont pas généralisés et/ou n’ont pas toujours les mêmes méthodologies, certains bassins sont en interdiction complète de pêche (axe Loire-Allier) d’autres non (malgré des fortes demandes du gestionnaire public aux autres usagers de l’eau pour une espèce menacée dont la pêche de loisir devient alors peu audible…), les non-déclarations de capture sont mal connues et les pressions de contrôle faibles, les effets génétiques des empoissonnements de soutien par pisciculture sont peu étudiés, les pressions en mers et estuaires sont difficilement évaluées, etc.  Il est souhaité que l’Etat français repense ces questions à nouveaux frais et que l’usage pêche fasse l’objet d’investigations scientifiques plus sérieuses, énormément ayant déjà été fait sur l’étude des autres usages. De nombreux travaux scientifiques justifient l'intérêt d'une telle enquête.
Notre demande : une analyse scientifique indépendante de la pression de pêche de loisir et de pêche commerciale en estuaire, ainsi que des empoissonnements par saumons d'élevage.

- La question de la protection et la restauration de l’habitat du saumon est entièrement centrée sur la continuité en long. C'est un biais actuel des politiques publiques de rivière en France, avec parfois une dépense indue sur des ouvrages anciens dont il a été montré qu'ils sont franchissables par des saumons. En se concentrant à l'excès sur la continuité - dont il ne fait aucun doute qu'elle est par ailleurs un point d'importance pour les migrateurs -, l'Etat ignore ou minimise les problèmes de pollution et de qualité physico-chimique de l’eau, l'évolution des apports sédimentaires (matières fines), les pathologies, le changement climatique, la prédation et les espèces invasives (silures par exemple). L'action engagée ne permet pas d'évaluer correctement le poids relatif des discontinuités par rapport à d'autres causes.
Notre demande : une analyse comparative France entière des populations de saumons entre rivière non restaurée, rivière partiellement restaurée et rivière totalement restaurée en continuité, avec descripteurs des autres impacts de bassin versant.

- La phase océanique du saumon est mal évaluée (taux de survie, évolution des ressources alimentaires en zones de grossissement, routes migratoires etc.), de même que l’évolution génétique et phénotypique des populations (tendance à la baisse de taille assez documentée, mais mal expliquée).
Notre demande : une synthèse sur les causes océaniques de variation des populations de saumon.

Conclusion
Il se pose in fine la question de «l’état de référence» pour la politique du saumon : que veut-on au juste? Les données d’histoire et archéologie environnementales montrent sans ambiguïté que le saumon était jadis répandu jusqu’en tête de nombreux bassins versants de la France métropolitaine. Il y a eu régression sur plusieurs siècles, pour de multiples causes (obstacles à la migration de plus en plus hauts, mais aussi pêches, pollutions, changements hydroclimatiques, évolutions sédimentaires liées aux usages des sols, espèces concurrentes introduites, prélèvements quantitatifs sur les débits, etc.). Certaines de ces causes correspondent aussi à l’évolution démographique, économique, technologique des sociétés modernes, et revenir au niveau de pression de la sortie du Moyen Âge (voire avant) n’est guère envisageable. Il serait donc utile d’avoir une stratégie permettant
  • d’évaluer le coût-bénéfice des mesures déjà prises ; 
  • de prioriser les choix plutôt que de disperser des financements sur un peu tous les bassins  ; 
  • d’observer, selon le niveau de pression actuel (descripteurs de qualité DCE + base usages des sols) le taux de migration-reproduction des saumons (analyse multivariée sur toutes les rivières salmonicoles),  de définir des baselines réalistes, d’estimer la robustesse de certains modèles déterministes habitat-démographie qui irriguent encore la décision, mais dont la puissance de prédictivité ne nous paraît pas assez contrôlée  ; 
  • d'évaluer l'effet des différentes stratégies de franchissement d'obstacles aux migrations (suppression, passes, rivières de contournement, ouvertures de vannes)
  • éventuellement de définir des rivières pilotes à fort investissement pour évaluer un potentiel de conquête, ses coûts et ses effets socio-économiques : 
  • de démocratiser la gouvernance de ces questions, car les choix publics en écologie sont aussi des choix sociaux excédant le cercle des experts (ou d’usagers ayant intérêt particulier à agir sur le saumon). 

Illustration : juvéniles de saumon, appelés tacons (Peter Steenstra, Green Lake National Fish Hatchery, United States Fish and Wildlife Service, domaine public). 

18/01/2019

Les ombres et les truites franchissent les ouvrages anciens des moulins à eau (Ovidio et al 2007)


Un suivi radiotélémétrique de 79 truites et ombres sur des affluents de la Meuse montre que les poissons parviennent à franchir ou à contourner les seuils de moulins anciens lors de leur période migratoire. Dans certains cas, les poissons ont franchi l'obstacle sans emprunter la passe à poissons. Ce résultat contredit l'idée que les salmonidés holobiotiques d'eau douce trouveraient toujours dans l'hydraulique ancienne des obstacles insurmontables à leur cycle de vie. Le travail de ces chercheurs français et belges doit être versé dans le débat actuel sur la priorisation des ouvrages hydrauliques au titre de la continuité écologique. Il devrait conduire à exempter tous les ouvrages présentant des chutes modestes, contournables voire noyées en hautes eaux. Arrêtons le maximalisme qui coûte cher, produit du conflit, ne répond à aucune urgence pour le vivant. L'avenir est dans une bonne gestion des ouvrages anciens selon les caractéristiques de biodiversité de leurs habitats et les besoins migratoires d'espèces piscicoles présentes, mais pas dans la casse indistincte de tout élément du patrimoine hydraulique ni dans l'obligation systématique de passes au rapport coût-bénéfice parfois douteux.



Photos extraites d'Ovidio et al 2007, art cit. Les ouvrages étudiés (seuils, chaussées) sont caractéristiques des moulins anciens. Les flèches rouges indiquent les voies de passage privilégiées.

L'étude de M. Ovidio et ses collègues (Université de Liège, Cemgraf devenu Irstea) avait été menée dans les rivières Aisne, Néblon et Lhomme, trois sous-affluents de salmonidés du bassin de la Meuse traversant le sud de la Belgique.

Entre 1996 et 2004, des truites fario adultes Salmo trutta (n=40) et des ombres communs Thymallus thymallus (n=39) ont été suivis par radio dans ces trois rivières afin d'évaluer leurs capacités pour contourner ou franchir divers seuils. Au cours de leurs migrations vers l'amont, les individus ont rencontré différents types d'obstacles physiques et en ont franchi avec succès, dans des conditions environnementales variables. Les ouvrages franchis par les poissons ont été caractérisés sur la base d'un protocole de description topographique et comparés aux données de suivi.



Trois types d'ouvrage : une chute verticale ou quasi verticale, une chute à parement inclinée avec radier plus ou moins long, un mixte des deux. Les données d'intérêt sont notamment la hauteur totale, l'existence d'une fosse d'appel plus ou moins profonde à l'aval de la chute, la hauteur de la ligne d'eau sur les parements inclinés.  Planche extraite d'Ovidio et al 2007, art cit. Cliquer pour agrandir.

Les obstacles identifiés comme des chutes avaient une élévation de la crête de 0,39 à 1,89 m et un bassin d'appel aval allant de 0,07 à 0,77 m. La longueur des obstacles variait de 0,54 à 8 m, avec des pentes comprises entre 4% et 74%.

La tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les caractéristiques physiques de ces ouvrages.



Dans l'Aisne, 100% des poissons (truites et ombres) ont pu contourner les obstacles lors de la migration en amont. Les poissons réussissaient généralement à franchir les obstacles entre deux sites à 24 heures d'intervalle, sauf à deux occasions où il a fallu 2 et 3 jours. Bien qu'un ouvrage soit équipé d'une passe à poissons haute performance, certains individus ont contourné l'obstacle sans utiliser la passe. Sur le Néblon, un obstacle a été franchi en 3 jours, deux individus ne l'ont pas passé. Un ombre a facilement franchi un obstacle à deux reprises. Un autre a été contourné par une truite, mais un ombre situé en aval pendant la migration n'a pas réussi à le négocier. Dans la Lhomme, une truite a négocié un obstacle en 2 jours. Les temps sont donc variables.

Les auteurs concluent notamment :
"La plupart des poissons ont pu franchir tous les obstacles le long de leur route de migration dans les conditions existantes de température et de débit de l'eau. En raison de ce taux de réussite élevé, il n'a pas été possible de discriminer entre les individus qui ont réussi à négocier ou non les obstacles." 

Ils ajoutent :
"Il faut également veiller à ne pas prendre en compte tous les poissons qui n'ont pas tenté de négocier les obstacles avec succès, car l'aval d'un barrage peut être propice à la truite fario qui, par exemple, peut élaborer une stratégie de résidence permettant des taux de croissance très élevés tout en évitant les risques inhérents aux migrations à longue distance. La truite fario et l'ombre commun ont également fréquemment frayé dans des environnements de lits de gravier en aval d'obstacles (Ovidio et al., 2004). L'observation visuelle des poissons qui tentent de franchir des obstacles est une meilleure méthodologie pour distinguer les tentatives réussies et les tentatives infructueuses (Lauritzen et al. 2005)."
Discussion
Notre expérience associative en têtes de bassin bourguignonnes nous a souvent amenés à rencontrer des ouvrages hydrauliques comparables à ceux décrits dans ce travail de recherche, aussi bien en région cristalline (Morvan) que sédimentaire (Auxois, Châtillonnais). Il n'est pas rare sur ces petits cours d'eau que plus des trois-quarts des ouvrages datent de l'Ancien Régime, nombre d'entre eux étant restés dans leur configuration d'origine. La capacité des poissons à franchir ou non de tels ouvrages est un motif régulier de désaccord entre les riverains et les gestionnaires (syndicats, services instructeurs de l'Etat, agences de bassin).

La réforme de continuité écologique en France a été initialement portée sous un angle maximaliste. Tout une partie de l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, certaines agences de l'eau, l'AFB-Onema) voulait aller bien au-delà des prescriptions de la directive européenne sur l'eau de 2000 comme des lois de 2006 (continuité) et de 2009 (trame bleue), en s'intéressant non pas à des franchissements pour des espèces cibles présentant des déficits dans les rivières, voire protégées car menacées d'extinction (saumon, anguille), mais à une "renaturation" complète avec destruction préférentielle de l'ouvrage et de ses habitats. Cette radicalisation a suscité de vives protestations quand elle se traduisait par une pression univoque à la casse du patrimoine sans réflexion sur la hiérarchie des impacts et par un refus de financement public de solutions plus douces (ouverture de vannes, rivières de contournement, passes à poissons). Le blocage a conduit à plusieurs corrections de la loi visant à protéger les ouvrages, à des audits administratifs et à des évolutions ministérielles.

Face au trop grand nombre d'ouvrages classés au titre de la continuité (plus de 20000) et face au coût public-privé trop lourd des chantiers, nous sommes aujourd'hui revenus à une logique de priorisation: redéfinir les axes fluviaux, les tronçons, les ouvrages et les espèces qui sont réellement d'intérêt prioritaire en restauration de continuité. Ce travail de M. Ovidio et de ses collègues, comme le précédent déjà recensé (Philippart et Ovidio 2007), sera à verser au dossier de cette priorisation quand les services de l'Etat proposeront de débattre de leur grille d'analyse et préconisation. Nous sommes toujours en attente aujourd'hui du lancement de ces discussions ouvertes, dont la transparence méthodologique devra être irréprochable.

Référence : Ovidio M etal (2007), Field protocol for assessing small obstacles to migration of brown trout Salmo trutta, and European grayling Thymallus thymallus: a contribution to the management of free movement in rivers, Fisheries Management and Ecology, 14, 41–50

15/01/2019

Le SDAGE Seine-Normandie est annulé par le juge, ses projets de destruction doivent être contestés

Le tribunal administratif de Paris vient d'annuler le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Seine-Normandie, car l'autorité environnementale l'ayant validé n'était pas indépendante de l'Etat. Le juge a posé que le préfet de bassin ne peut sursoir dans le temps à cette annulation, donc que son effet est immédiat. Tant que nous serons en situation de vide juridique, nous appelons les riverains à demander l'annulation de tout chantier contesté de destruction d'ouvrage hydraulique qui serait procéduralement financé en vertu de ce SDAGE, désormais non opposable. C'est par exemple le cas sur plusieurs chantiers scandaleux de casse d'ouvrages engagée par l'agence de l'eau Seine-Normandie : barrages et lacs de la Sélune, centrale hydro-électrique de Pont-Audemer, nombreux moulins, forges, étangs et autres éléments du patrimoine des rivières. L'agence de l'eau Seine-Normandie soutient la destruction d'ouvrages dans 75% de ses travaux, alors que ni la loi française ni les directives européennes ne prévoient cette issue dans le cadre de la continuité écologique.


Par jugement du 26 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands pour la période 2016-2021.

Ce SDAGE est le document de programmation publique qui fixe les orientations de gestion de l'eau dans les grands bassins hydrographiques. Il conditionne notamment les aides publiques qui seront versées par l'agence de l'eau, selon le principe "l'eau paie l'eau" (les taxes sur l'eau sont collectées par l'agence et reversées dans la gestion publique).

Le recours contre le SDAGE a été porté par des chambres d’agriculture et fédérations du syndicat FNSEA. Il contestait 44 des 191 dispositions arrêtées par ce document de programmation, se plaignant notamment d'un excès de contraintes sur l'agriculture et d'une surtransposition du droit européen.

Ce n'est cependant pas sur des moyens de fond, mais sur un vice de procédure que les juges ont annulé le SDAGE. Le préfet ne peut pas à la fois rendre un avis sur le document – en tant qu'autorité environnementale - et l'approuver en tant que préfet coordonnateur de bassin. Le tribunal s'appuie pour cela sur une Directive européenne de juin 2001 sur les plans et programmes, sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (20 octobre 2011, affaire C-474/10) et une décision (n° 360212) du Conseil d'Etat du 26 juin 2015.

"Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a rendu le 12 décembre 2014 un avis sur le projet de schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands, en qualité d’autorité environnementale. Par la suite, la même autorité, agissant en qualité de préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie, a, par l’arrêté attaqué du 1er décembre 2015, approuvé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands qui avait fait l’objet d’une telle évaluation environnementale, sur le fondement des dispositions du 4° du I de l’article R. 122-17 du code de l’environnement, issues de l’article 1er du décret du 2 mai 2012. Or, ces dispositions ont été annulées par le Conseil d’Etat au motif qu’elles confiaient au préfet de région à la fois la compétence pour élaborer et approuver le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et la compétence consultative en matière environnementale, en méconnaissance des exigences découlant du paragraphe 3 de l’article 6 de la directive du 27 juin 2001. En conséquence, l’arrêté attaqué, pris à l’issue d’une procédure entachée d’une irrégularité substantielle, est lui-même entaché d’illégalité."

Le jugement considère par ailleurs que l'Etat ne peut demander un report de l'effet de l'annulatin :

"le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, ne peut se prévaloir du vide juridique qui résulterait, selon lui, de l’annulation rétroactive du SDAGE 2016-2021 pour solliciter le report dans le temps des effets de son annulation"

Selon le journal Actu Environnement, deux pistes sont envisagées pour aboutir à un retour à une situation normale : "soit une accélération de l'élaboration du Sdage pour la période 2022-2027 ou une reprise de la procédure du Sdage incriminée avec un avis d'une autorité environnementale différentiée.L'issue devrait être connue le 7 février prochain. Les membres du comité de bassin ont prévu de débattre des modalités les plus appropriées."

Lutte contre la destruction d'ouvrages : demander l'annulation des projets financés en application du SDAGE annulé
Pour ce qui concerne la question des ouvrages hydrauliques, les associations, les propriétaires et les riverains peuvent faire jouer cette annulation du SDAGE Seine-Normandie  2016-2021 pour demander l'arrêt de tous les chantiers de destruction ayant reçu financement au titre de ce SDAGE et du programme d'intervention que ce SDAGE justifie.

Cela vaut pour les barrages de la Sélune, où l'AESN devait dépenser plus de 40 millions d'argent public pour détruire des ouvrages hydro-électriques en état de fonctionnement

Rappel : l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) se montre particulièrement sectaire sur la question des ouvrages hydrauliques, accordant des subventions préférentielles à la destructionLes trois-quarts des chantiers financés par l'AESN sont actuellement des projets de casse pure et simple comme l'a révélé le rapport CGEDD 2016, alors que les lois françaises e 2006 et 2009 de continuité écologique n'ont jamais enjoint à la destruction.

Ayant maintes fois demandé une politique plus équilibrée et moins dogmatique sans jamais obtenir d'écoute, notre association et plusieurs consoeurs sont actuellement engagées dans une procédure pour faire annuler le programme d'intervention 2019-2024. L'annulation du SDAGE 2016-2021 devrait ajouter un nouveau moyen à notre requête.

Nous appelons donc les défenseurs des ouvrages à faire jouer ce nouveau moyen juridique de l'annulation du SDAGE dès cette année 2019, en particulier pour les projets de casse d'ouvrages anciens (moulins, étangs) et de barrages en activité (SélunePont-Audemer) qui sont programmés. Nous formaliserons un recours-type en ce sens.

09/01/2019

Aux gorges du Pont d'Enfer du Bastan, les saumons franchissent des chutes naturelles de 5 m

Un riverain nous fait parvenir un document de l'AFB-Onema sur le Bastan, affluent de la Nive. Il en ressort que malgré des chutes naturelles de 5 m sur une assez courte distance, le classement de cette rivière à fin de continuité écologique est justifié selon les services de l'Etat, car le saumon peut franchir de tels obstacles. Dans le cadre de la définition des ouvrages prioritaires au titre de la continuité, nous appelons donc les propriétaires en rivières salmonicoles à conserver ce document et à proposer l'exemption de leur ouvrage s'il est dans des hauteurs et conditions similaires. Nous attendons par ailleurs toujours une gouvernance ouverte sur la définition des ouvrages et rivières prioritaires pour les poissons migrateurs, promise par le gouvernement mais non mise en place par son administration. 




Le Bastan est un affluent franco-espagnol de la Nive, avec 5 km de linéaire situés en France (13 km3 du bassin versant, pour un total de 60 km2).

La rivière présente des chutes naturelles au lieudit des gorges du Pont d'Enfer. Ces chutes sont composées de 3 obstacles : un premier rebond de 1,2 m, puis un massif granitique  à chenal étroit d'une hauteur de 5 m décomposable en série de chutes intermédiaires de 0,7 à 1,2 m

Un riverain a eu la surprise de voir le Bastan classé au titre de la continuité écologique, malgré ces chutes. Il a demandé à l'Onema (aujourd'hui AFB) de justifier le classement (télécharger ce document).

Voici la conclusion de l'AFB-Onema :
"Il est possible d'avancer , sur la base notamment du document ICE (Information sur la Continuité Ecologique - Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons) en cours de parution, que les chutes naturelles du Pont d'Enfer situées en aval de la pisciculture Cabillon sont franchissables par les grands salmonidés migrateurs comme le saumon. Les difficultés de franchissement sont toutefois variables selon les conditions hydrologiques."

Donc les saumons peuvent franchir des série d'obstacles cumulant 5 m sur courte distance (dont certaines chutes de plus de 1m en débit moyen) quand ils sont naturels. On suppose que des obstacles artificiels présentant des caractéristiques similaires sont dans le même cas.

Dans le cadre de la priorisation des ouvrages hydrauliques à aménager au titre de la continuité envisagée par le gouvernement, nous demanderons que les services de l'Etat harmonisent leurs évaluations sur les exemptions d'aménagements de seuils (ou les déclassements de rivières L2 à chutes naturelles). Et que le processus se passe de manière concertée et entièrement transparente, avec dépôts des documents et compte-rendus de débats dans des répertoires ouverts à tous.

Vu l'importance du sentiment d'arbitraire dans l'instruction publique des ouvrages, les cas avérés de classements n'ayant aucune cohérence de connectivité écologique et des retours scientifiques critiques sur l'intérêt de certains choix (lire quelques références récentes en bas de l'article), il est de première importance  pour la restauration de la confiance entre les riverains et l'Etat que la pleine transparence soit désormais garantie sur les motifs et les arguments visant à classer ou non certains cours d'eau et certains ouvrages. C'est de toute façon une nécessité au regard du coût économique considérable et de la faible acceptabilité sociale de ces mesures, exigeant qu'elles soient réservées à des situations d'intérêt peu contestable.

A lire sur le même thème
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)
Le silure, le saumon et la passe à poissons (Boulêtreau et al 2018) 
Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017) 

07/01/2019

Les préfets peuvent protéger des habitats aquatiques d'intérêt... y compris d'origine humaine

Le 9 mai 2018, le Conseil d'Etat avait mis en demeure le gouvernement de dresser une liste limitative des habitats naturels à protéger, selon une disposition jamais appliquée de la loi Grenelle 2. Le gouvernement a publié les textes réglementaires répondant à cette injonction. Le dispositif est composé d'un décret relatif à la protection des biotopes et des habitats naturels, complété par deux arrêtés du ministre de la Transition écologique. On observe que des eaux stagnantes d'origine artificielle font partie des habitats pouvant présenter un intérêt écologique. Ce qui ne surprendra pas les propriétaires et riverains de tels habitats, parfois victimes de destructions et assèchements pour cause d'application dogmatique de la "continuité écologique". 



Le décret publié donne la possibilité aux préfets de prendre des arrêtés de protection des habitats naturels (APHN) en tant que tels, sans que ces espaces abritent nécessairement des espèces protégées. Cela complémente les arrêtés de protection de biotopes (APB) et les arrêtés de protection des géotopes (ou sites d'intérêt géologique) (APG), outre les zones spéciale de conservation (parc national, réserve naturelle, Natura 2000, etc.).

La liste des habitats métropolitains pouvant faire l'objet d'un APHN est fixée par un arrêté du ministre de la Transition écologique paru simultanément (JORF n°0295 du 21 décembre 2018 texte n° 7).

L'examen de cet arrêté révèle que les "eaux stagnantes" par retenues artificielles peuvent être considérées comme des habitats d'intérêt.

Voilà en effet la description qu'en donne le Muséum national d'histoire naturelle

C1 Eaux dormantes de surface :
"Lacs, étangs et mares d’origine naturelle contenant de l’eau douce, saumâtre ou salée. Les plans d’eau douce artificiels, dont les lacs, réservoirs et canaux artificiels, sont compris, à condition qu’ils hébergent des communautés aquatiques semi-naturelles."
Conclusion : plutôt que de promouvoir un idéal de "renaturation" par disparition ou exclusion de l'homme, les politiques publiques doivent admettre le caractère anthropisé de la nature en France et proposer d'autres critères de choix publics. C'est particulièrement vrai dans la politique de "trame bleue" et de continuité écologique des rivières, qui conduit à des choix contestables de disparition de nombreux plans d'eau, canaux et zones humides annexes.

A lire en complément
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes 

03/01/2019

2019 : une année d'engagements pour les rivières et leurs patrimoines

L'année 2019 va être riche en engagements : plan gouvernemental pour une continuité écologique apaisée, contentieux contre la prime à la casse des agences de l'eau, participation au "grand débat" sur le déficit démocratique et l'abus de pouvoir de certaines administrations, oppositions locales aux chantiers contestés de destruction du patrimoine des rivières, étangs et plans d'eau, révision de la directive cadre européenne sur l'eau, nouveau format pour un séminaire d'été. Tour d'horizon de ces étapes qui concerneront toutes les associations et tous les collectifs riverains.



Le plan gouvernemental de "continuité apaisée- En août 2018, le ministère de l'écologie a publié un texte (provisoire) pour un plan de continuité écologique apaisé. Ce plan faisait suite au désastre de la mise en oeuvre agressive et dépensière de la continuité écologique, constaté dans un rapport du CGEDD publié en 2017, mais aussi par de nombreux contentieux judiciaires et des interpellations parlementaires du gouvernement. Nous n'avons aucune nouvelle de la mise en oeuvre de ce plan, qui est censé se traduire principalement par la distinction entre ouvrages "prioritaires" et "non prioritaires". Nous avons demandé la pleine transparence dans ce processus pour le moment opaque de définition d'une "priorité". Nous y veillerons en 2019, quitte à attaquer en justice toute texte ministériel ou préfectoral qui persisterait dans l'arbitraire.

Le recours contre les agences de l'eau - Une dizaine d'associations dont Hydrauxois ont déposé recours contre les programmes d'intervention des agences de l'eau Loire-Bretagne et Seine-Normandie, qui continuent de donner la prime à la casse sur argent public des ouvrages hydrauliques. Ce blocage financier empêche la construction des passes à poissons et rivières de contournement, inabordables pour les particuliers et petits exploitants. C'est une scandaleuse dérive idéologique de ces établissements publics, qui vont bien au-delà de ce que demandent les lois françaises et les directives européennes (tout en montrant de coupables retards dans le financement des luttes contre les pollutions chimiques de l'eau). Cette procédure globale contre le programme des agences sera doublée d'une interpellation des chargés de mission et directeurs territoriaux, en exigeant désormais des explications écrites sur leur choix de financement, ouvrant éventuellement la possibilité de contentieux en abus de pouvoir sur chaque site où le financement des passes à poissons est indûment refusé.

L'opposition aux effacements d'ouvrages - Certains ouvrages sans intérêt énergétique, hydrologique, patrimonial, paysager ou écologique sont effacés sans opposition particulière des riverains. Mais d'autres chantiers, ou des blocages administratifs dénués de sens, soulèvent une vive émotion et un refus des populations riveraines. Nous appelons les associations et les collectifs à organiser des contentieux judiciaires quand les cas s'y prêtent, mais aussi des manifestations devant les syndicats de rivières et les préfectures. Partout où les bureaucraties de l'eau ne comprennent pas la nécessité de stopper leur politique hors-sol et leurs gâchis aux antipodes des urgences écologiques en France, il conviendra de rendre visible le mécontentement et de faire monter la pression sur les décideurs.

Le "grand débat", le déficit démocratique et le défi climatique - Suite au mouvement des "gilets jaunes", témoignant à sa manière de la colère d'une France ignorée par ses technocraties et ne comprenant plus l'usage de l'argent public, il a été décidé l'organisation d'un grand débat en France. Parmi les thèmes avancés, certains concerneront la transition écologique, l'organisation de l'Etat et le comportement de l'administration. Nous préparons un argumentaire complet à ce sujet et un mode d'emploi pour la participation aux débats. Il est indispensable de montrer combien la destruction des ouvrages hydrauliques de France relève des dysfonctionnements profonds de notre démocratie, avec une administration centrale jacobine s'estimant au-dessus du contrôle parlementaire, mais aussi des dérives regrettables d'une certaine écologie punitive et intégriste, travaillant en vase clos, coupée des populations et de leurs attentes. Il importera également de relayer le rôle des ouvrages dans la transition bas carbone, qui est exigée par une pétition de 2 millions de citoyens.

Appels de la base à l'autonomie locale et à la défense des cadres communs de vie - Nous sommes en discussion sur certaines rivières avec des associations locales (pêcheurs, riverains) et des collectivités (communes) pour lancer des appels communs ou des votes municipaux tendant à la préservation des ouvrages hydrauliques dont l'existence est menacée, et à la généralisation d'une continuité respectueuse du patrimoine. Ces appels ou votes n'auront pas de portée opposable à la loi et à la réglementation, bien sûr, mais ils enverront un message clair à l'Etat, à ses représentants préfectoraux et aux EPCI (syndicats, parcs) : les politiques décidées à Paris et imposées de manière uniforme dans tout le pays ne sont plus acceptées, les territoires veulent retrouver une autonomie de décision et une véritable démocratie locale, où les choix sont faits en écoutant tout le monde et dans la transparence des arguments.

Révision de la DCE - La directive cadre européenne commence en 2019 son processus de révision. Elle en a bien besoin : la DCE est d'ores et déjà un échec avec moins de la moitié des masses d'eau en bon état écologique et chimique à moins de 10 ans de l'échéance où 100% des rivières, lacs, estuaires et nappes devaient être dépolluées. Et encore la France n'est-elle pas le pire élève de l'Europe. La DCE pose des problèmes structurels : construction hâtive sous l'influence d'idées écologiques datées du 20e siècle, mise en avant d'un "état de référence" ignorant la dynamique du vivant et des milieuxrapport cout-bénéfice très mauvais dans toutes les zones peu peuplées où se trouve la majorité du linéaire aquatique. Nous allons donc intervenir auprès des instances européennes et du gouvernement français afin de solliciter une redéfinition normative de cette directive. En particulièrement, la notion déjà existante en droit européen de "masse d'eau anthropisée" doit être repensée comme la nome (et non l'exception) à partir de laquelle on évalue l'état présent et les évolutions possibles du vivant.

Séminaire d'été 2019 - En 2019, les traditionnelles rencontres hydrauliques de notre association seront décalées dans l'été, organisées avec nos consoeurs de toute la Bourgogne et sous la forme d'un séminaire plus centré sur la formation des cadres associatifs. Cela tout en conservant un cadre convivial et familial. Il apparaît important de mieux structurer le mouvement des ouvrages et des riverains, de partager les expériences et de porter des actions plus efficaces pour faire entendre la voix aujourd'hui ignorée des citoyens dans les choix publics concernant les rivières.