29/06/2017

Comment la Fédération de pêche 21 pousse à la destruction des ouvrages de l'Ource: révélations

La Fédération de pêche 21 a réalisé un état initial des peuplements de poissons sur l’Ource à Prusly en 2015. La pièce n’est malheureusement pas versée au dossier en ligne de l’enquête publique. Sa lecture permet de constater que la Fédération de pêche a échantillonné un seul site (amont barrage) alors que ce type de diagnostic hydrobiologique sur les ouvrages hydrauliques doit couvrir plusieurs faciès (amont et aval, bief, zones adjacentes hors influence). Malgré cette limitation, et alors que l’analyse a été faite dans une année de forte sécheresse sur le bassin de l’Ource (2015), le résultat montre la présence de 10 espèces de poissons sur le site, dont des espèces d’eau fraîche comme la truite ou le vairon. L’indice poisson rivière, mesurant la qualité piscicole selon les critères de l’Union européenne, est en classe de qualité "bonne". Les populations de poissons du bief, menacé de disparition par le projet du SMS, n’ont pas été analysées alors qu’un travail précédent de la même Fédération de pêche avait montré que la classe de qualité piscicole d’un bief peut être en niveau "excellent" (cas de Maisey-le-Duc très proche de Prusly). Les autres espèces animales et végétales sont ignorées alors qu’elles représentent 98% de la biodiversité aquatique. Nous en concluons que la Fédération de pêche 21 est peu fondée à donner un avis favorable à la destruction des ouvrages et à la mise à sec du bief au regard de ses propres travaux. Les méthodes de communication employées sont clairement de nature à déformer la qualité de l’information aux élus et aux citoyens, et l'organisme manque à son devoir de protection des milieux aquatiques en ne signalant pas l'intérêt des biefs, observé dans ses études antérieures. Nous ferons donc réclamation au Préfet et à l'Agence pour la biodiversité compte-tenu de l’agrément public dont jouit cette Fédération.




Dans un courrier à M. le Commissaire enquêteur en date du 20 juin 2017, la Fédération de pêche 21 affirme par la voix de son président que :

 "le projet présenté par le pétitionnaire correspond à une action ambitieuse de restauration de la continuité écologique avec l’effacement total des ouvrages structurants sur l’Ource."

Elle ajoute :

"En 2015, la fédération a réalisé un état initial sur l’Ource au droit du projet sur la base de mesures thermiques en continu, d’un diagnostic physique et d’un inventaire piscicole complet. Ce rapport concluait de la façon suivante 'L’Ource à Prusly, affluent rive droite de la Seine, indique une perturbation de l’état piscicole qui se manifeste par un manque de diversité spécifique ainsi que par des effectifs inférieurs au potentiel de ce cours d’eau. La présence d’une succession de barrages le long du cours de l’Ource n’est pas sans conséquence sur l’habitabilité piscicole. En effet, les ouvrages engendrent une stagnation des eaux et donc un réchauffement important des eaux en été, pénalisant les espèces d’eau fraîche comme la truite ou le chabot. Le projet d’arasement permettra donc de rétablir la franchissabilité piscicole, de redynamiser les écoulements ainsi que de diversifier les habitats afin de favoriser les espèces repères du biocénotype comme la truite, l’ombre et leurs espèces d’accompagnement'."

Cette prise de position de la Fédération de pêche 21 appelle quelques commentaires.

Non mise à disposition des documents au public
Nous observons qu'au moment de l'enquête publique, le document cité n'était pas mis à disposition du public, ni sur le site de la préfecture, ni sur le site de la fédération de pêche, ni sur le site du syndicat SMS. Nous avons dû en faire la demande par courrier électronique du 28 juin 2017. Ce document nous a finalement été envoyé.

Choix limitatif de site d'analyse à Prusly-sur-Ource
Concernant le site étudié, le document précise : "Station Prusly-sur-Ource Projet : l’Ource, affluent rive droite de la Seine à l’amont d’un barrage. La méthodologie repose sur le même principe que celle des stations précédentes."

Le plan indique que l'étude a été réalisée sur un seul point de mesure dans la retenue amont d'un barrage. Or, la littérature scientifique en hydrobiologie montre que ce n'est pas ainsi que l'on procède pour faire un état des lieux biologique au droit d'un ouvrage ou d'un tronçon (voir par exemple Le Pichon et al 2016 en France, Tummers et al 2016 aux Etats-Unis sur un cas similaire d'état initial avant effacement).

En effet, on observe de fortes variations des populations (insectes, poissons, crustacés) selon que l'on prend des mesures à l'amont immédiat d'un ouvrage, à l'aval immédiat d'un ouvrage, dans une zone non directement impactée (quelques centaines de m à l'amont du remous / à l'aval de la chute), ou encore dans le bief de dérivation. Cette variation est très compréhensible : les stations autour d’un ouvrage ne présentent pas les mêmes habitats (vitesse, substrat, ripisylve, température), donc les populations vont se répartir différemment en fonction des besoins de leur cycle de vie et de leur optimum adaptatif.

A retenir : En faisant le choix d'un seul point de mesure à l'amont du barrage, la Fédération de pêche ne donne pas une image exacte de la diversité pisciaire au droit de l'Ource à Prusly. Ce travail ne permet donc pas d'estimer correctement l'enjeu local d'ichtyodiversité et, plus gravement, il donne une image tronquée des populations réellement présentes dans la rivière et dans le bief (non étudié). 

Ichtyodiversité réelle (10 espèces) à Prusly malgré le choix d'un seul site non représentatif de la diversité des faciès
Le rapport observe : "Sur l’ensemble de la station, 10 espèces ont été échantillonnées. Parmi celles‐ci, on retrouve la truite ainsi que ses espèces d’accompagnement (chabot, loche, lamproie de planer, vairon) mais également les espèces de la zone à ombre et à barbeau (blageon, chevaine, gardon, goujon)." Le schéma ci-dessous montre la réparation de abondances.

Le rapport signale : "Avec respectivement 514,8 ind/ha en densité numérique et 65,6 kg/ha en biomasse, l’échantillonnage de l’état initial de la station de Prusly-sur-Ource dénonce une faible productivité piscicole sur ce tronçon."

On doit faire observer à propos de la biomasse que :

  • il existe une forte variabilité interannuelle des démographies de poissons, donc le bilan d'une seule année ne permet pas de conclusion robuste,
  • le choix d'un seul site d'échantillonnage (au lieu de 4 à 6 normalement nécessaire dans le cas d’une analyse d’ouvrage hydraulique) ne permet pas de tirer des conclusions sur la biodiversité du tronçon,
  • l'année 2015 a été marquée par une canicule et une sécheresse soutenue sur les bassins Seine et Ource, cette situation étant connue comme défavorable aux poissons.

A retenir : Le travail de la Fédération de pêche sur une seule station d’échantillonnage, pas forcément la plus favorable et certainement pas représentative de la diversité des écoulements au droit de Prusly-sur-Ource, montre la présence de 10 espèces de poissons, dont certaines rhéophiles et migratrices. Cela permet de douter d’un problème de biodiversité pisciaire, d’autant que l’année de prélèvement (2015) a été marquée par une forte sécheresse pénalisante.

Usage peu légitime de la biotypologie théorique de Verneaux
La Fédération de pêche 21 continue de faire usage de la « biotypologie théorique » mise en oeuvre dans les années 1970 par l'hydrobiologiste français Jean Verneaux. Cette méthode consiste à comparer le peuplement actuel d'une station à son peuplement « théorique » tel qu'il a été estimé (par des données datant de 40 à 50 ans) sur une base statistique en fonction de la température, de la pente et de quelques autres propriétés physiques ou chimiques.



Cette méthode de biocénotypologie n'est plus considérée comme valide et est peu citée dans la littérature scientifique peer-reviewed en hydrobiologie. En effet, les calculs menés par Verneaux (1976, 1977) reposaient sur une base d’échantillonnage assez faible par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui et le modèle statistique qu'il a proposé, quoique novateur à l'époque, ne décrit qu'une faible part de la variance réelle de répartition des espèces pisciaires dans les rivières. Par ailleurs, l’idée qu’il existerait des successions assez rigides de biocénoses avec des abondances très déterminées a été plutôt remise en cause par l’évolution de la recherche en écologie : on trouve bien sûr des espèces dominantes selon la position des stations dans le linéaire et d’autres facteurs mésologiques, mais il existe une assez forte variabilité spatiale et temporelle, ainsi qu’une dimension stochastique tenant à l’histoire de vie propre à chaque bassin versant. Dès la construction de l’indice de Verneaux 1976, 1977, on pouvait d’ailleurs observer que son modèle ne décrivait qu’un tiers environ des variations réelles d’espèces présentes, soit une valeur prédictive assez faible. L’idée (comme dans le graphique ci-dessus) que des populations « théoriques » calculées par modèle dans les conditions des années 1960 et 1970 aurait une valeur d’information pour nos choix dans les années 2010 n’est pas correcte.

C'est la raison pour laquelle la communauté de recherche française a mis au point au cours des années 2000 et 2010 un indice de qualité piscicole plus robuste : l'indice poisson rivière (IPR, cf Oberdorff et al 2002) devenu indice poisson rivière révisé (IPR+ cf Pont et al 2007, Marzin et al 2014). Voir point suivant sur l’IPR de l’Ource.

Enfin, le premier prédicteur de variation du modèle théorique de Verneaux était (de loin) la température. Donc à supposer la Fédération de pêche prétende légitime l'usage de ce modèle ancien, elle ne remplit pas correctement son devoir d’information en omettant de préciser que les types théoriques de l’Ource dans les années 2010 ne seront probablement plus ceux des années 2050 et 2100, au regard des évolutions attendues du climat.

A retenir : la biotypologie théorique de Verneaux est un outil désormais daté dans l’histoire de l’hydrobiologie, car les hypothèses l’appuyant (schéma très précis à forte granularité d’abondances théoriques attendues en fonction de traits physiques de la rivière) n’ont pas été confirmées par la recherche. Les scientifiques français ont mis au point des nouveaux outils d’analyse de la qualité piscicole (IPR, IPR+) qui répondent aux pratiques actuelles de la recherche et aux normes de qualité écologique posées par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Nous déplorons qu’en 2017, des fédérations halieutiques à agrément public continuent de donner une image imprécise et peu pédagogique de ces évolutions des pratiques en ichtyologie. L’information qui en résulte est trompeuse car les rivières ne pourront pas revenir à ou tendre vers des "types théoriques" qui sont de simples modèles.

L'indice de qualité piscicole est de classe de qualité « bonne » à Prusly, même sur la zone d'influence du barrage
Quand la Fédération de pêche 21 utilise l'Indice poisson rivière (IPR) qui sert à définir la qualité piscicole des masses d'eau pour la directive cadre européenne, on constate que la classe de qualité est "bonne".

Or, ce résultat est obtenu dans la seule zone d'influence amont du barrage (sans analyse sur les stations adjacentes) et dans année défavorable (sécheresse 2015). Cela suggère que l'IPR de l'Ource à Prusly serait probablement dans la classe excellente avec un échantillonnage plus représentatif de la diversité des faciès réellement présents autour des barrages.

A retenir : la station de Prusly retenue par la Fédération de pêche 21, quoique la moins favorable en terme de diversité des faciès (amont barrage), est malgré tout en classe de qualité piscicole "bonne" au regard des normes européennes et de l’outil IPR. La diversité pisciaire des autres zones – aval barrage, bief, linéaire non impacté à proximité – n’est pas connue. Ce résultat montre qu’il existe un enjeu poisson assez faible au droit de l’ouvrage, et surtout un risque de perte de diversité car les espèces n’ont pas été étudiées sur l’ensemble des faciès qui vont disparaître à cause du chantier. 

Nécessité d’analyser la vie dans les biefs : exemple de la classe IPR « excellente » du bief de Maisey-le-Duc (2011)
La Fédération de pêche 21 a publié en 2011 un état des lieux du bassin de l’Ource. Dans ce précédent travail, il se trouve que la Fédération a analysé le peuplement d’un bief très comparable à celui de Prusly, en l’occurrence le bief de Maisey-sur-Ource (voir données et carte ci-dessous.)



Or, on observe que:
  • le bief héberge 10 espèces de poissons, notamment une forte population de vairons, mais aussi des truites, chabots, loches franches et blageons,
  • la classe de qualité piscicole (IPR) du bief est "excellente", soit la meilleure classe possible.

A retenir : les travaux de la Fédération de pêche montrent que les biefs, comme ceux menacés par le chantier de Prusly-sur-Ource, hébergent de nombreuses espèces de poissons et peuvent être dans la meilleure classe de qualité écologique de l’Indice poisson rivière. Il n’est donc pas acceptable de mettre hors d’eau le bief de Prusly sans un examen préalable de sa biodiversité pisciaire et sans garantir qu’il n’y aura pas perte d’habitats et d'espèces (déjà pour les poissons, mais aussi pour tous les autres assemblages aquatiques et riverains). Il est regrettable que la Fédération, parfaitement informée des résultats antérieurs sur le bief de Masey en IPR excellent, n'ait pas éprouvé la nécessité d'étudier le bief de Prusly et de mettre en garde le SMS contre un chantier précipité.

Au delà des poissons : urgente nécessité d'une refonte des approches par l'Agence française pour la biodiversité
La richesse biologique des rivières et de leurs annexes hydrauliques comme les biefs ou étangs ne se limite pas aux poissons, qui ne représentent que 2% de cette diversité spécifique (Balian et al 2008). En France, il existe néanmoins une forte dominante de l’approche halieutique et ichtyologique datant du Conseil supérieur de la pêche (devenu en 2006 Office national de l’eau et des milieux aquatiques, puis intégré en 2017 dans l’Agence française pour la biodiversité).

Certains chercheurs ont déjà pu faire observer que cette spécialisation halieutique ne donne pas une image complète des milieux aquatiques et de leur évolution. Par exemple Lespez et al 2015 à propos des restaurations de rivière : « l'expertise halieutique domine la restauration écologique sur les autres aspects de la biodiversité (macro-invertébrés, macrophytes etc.) et l'expertise géomorphologique est souvent une part intégrée au projet sur les poissons. La situation s'explique principalement pour des raisons institutionnelles. La dimension scientifique du management des rivières est sous la responsabilité de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), une organisation largement dérivée du Conseil supérieur de la pêche (CSP) où les experts des espèces rhéophiles et lithophiles d'eaux vives, parmi eux des migrateurs, sont principalement représentés ». (Même observations dans la thèse De Coninck 2015.)

Cette situation n’est pas durable et elle n’est pas saine pour nos choix publics sur la biodiversité : l'intervention sur les milieux aquatiques et riverains doit impérativement prendre en compte la végétation, le plancton, les invertébrés, les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, etc. Il appartient de notre point de vue au service instructeur de l'Etat (Agence française pour la biodiversité) de mener désormais ces campagnes d'évaluation de la biodiversité, mais aussi de publier des guides méthodologiques complets permettant de mener ce travail sur l'ensemble des espèces dont le cycle de vie dépend des hydrosystèmes.

La politique des rivières et des zones humides ne doit plus être optimisée pour certaines catégories de poissons seulement, dans l’ignorance quasi-complète des autres espèces et biocénoses, y compris la biodiversité acquise dans les hydrosystèmes anthropisés.

En conséquence, le projet de Prusly-sur-Ource devrait être suspendu tant qu’il n’existe pas une analyse complète (y compris ichtyologique) de l’ensemble de l’hydrosystème à l’amont et à l’aval des barrages, ainsi que dans les annexes hydrauliques. Les problèmes écologiques et ichtyologiques ici soulevés ne préjugent pas par ailleurs de l'intérêt de l'hydrosystème aménagé pour le patrimoine, le paysage, l'agrément, le stockage d'eau ou l'énergie.

27/06/2017

Non à la destruction des ouvrages et biefs de Prusly-sur-Ource et Villotte-sur-Ource

Le Syndicat mixte Sequana (SMS, ancien Sicec) s'apprête à détruire plusieurs ouvrages hydrauliques sur l'Ource à Prusly et Villotte. Ce projet n'est pas seulement une altération du patrimoine et du paysage des rivières aménagées, c'est aussi une absurdité écologique avec mise hors d'eau de 1700 m de bief, sans aucune analyse sérieuse de la biodiversité présente et du bilan pour les milieux.


Les documents de l'enquête sont disponibles à ce lien. Nous vous appelons à participer à l'enquête publique avant vendredi prochain (date de clôture) :

  • en exprimant votre refus par mail à l'adresse ddt-ser@cote-dor.gouv.fr et mairie.pruslysurource@wanadoo.fr (objet du courrier "avis enquête publique")
  • en vous rendant le vendredi 30 juin en mairie de Villotte (matin) ou de Prusly (après-midi).

Merci d'avance de votre mobilisation contre cette nouvelle gabegie d'argent public au détriment des riverains,  des rivières et de leurs annexes hydrauliques.



Avis négatif sur les effacements d’ouvrages hydrauliques sur l’Ource  à Prusly et Villotte
Demande de compléments 
sur les impacts sociaux, patrimoniaux et écologiques du projet



Rappel du contexte national : la politique de continuité écologique considérée comme très problématique par les audits parlementaires et administratifs

La politique dite de « continuité écologique » a été lancée par le plan national d’action pour la continuité écologique (PARCE 2009) et le classement des cours d’eau  de 2012-2013, suite à l’article L 214-17 CE (LEMA 2006).

Cette politique a fait l’objet de deux rapports d’audit du CGEDD (2012, 2016), commandités par le ministère de l’Ecologie, ainsi que de plusieurs rapports parlementaires (Dubois-Vigier 2016, Pointereau 2016).

Dans l’ensemble, ces rapports sont très critiques et pointent les éléments suivants :

  • Coût élevé des travaux en rivière
  • Définition incertaine des priorités écologiques en particulier piscicoles (espèces migratrices ou sédentaires ? espèces menacées ou communes ? espèces amphihalines ou holobiotiques ?)
  • Défaut de prise en compte des éléments d’intérêt général attachés aux ouvrages, comme le patrimoine historique, technique et culturel, la diversité des paysages, les réserves d’eau que forment les biefs et retenues, le potentiel énergétique, les aménités (comme les promenades au bord des hydrosystèmes aménagés)
  • Défaut de prise en compte des usages particuliers et locaux chez les riverains
  • Prime à la destruction des ouvrages alors que la loi n’y enjoint pas et que de nombreuses autres solutions restaurent les mêmes fonctionnalités écologiques de franchissement et transit (par exemple ouverture des vannes, rivière de contournement, passe à poissons, rampes enrochées)

Le projet de Prusly-sur-Ource illustre l’exemple de ces dérives où le gestionnaire propose comme unique solution la disparition définitive d’ouvrages, sans prendre le temps d’une véritable réflexion et concertation, mais surtout sans démontrer que le projet n’aura pas un bilan écologique négatif pour l’hydrosystème local.


Patrimoine et paysage

Les travaux prévus vont faire disparaître plusieurs ouvrages appartenant au patrimoine culturel et technique du Châtillonnais, pays de sidérurgie depuis le Moyen Âge.

Certains de ces ouvrages et le bief principal de dérivation sont par ailleurs situés dans un périmètre de 500 m d’un ouvrage inscrit à l’inventaire du patrimoine historique (portail de l’Eglise : inscription par arrêté du 21 juin 1927.)

En l’état, le dossier présenté ne fournit aucune indication sur la valeur patrimoniale ou paysagère des ouvrages. Nous jugeons nécessaire qu’un avis motivé de l’architecte des bâtiments de France soit donné (article L 211-1 code de l’environnement, article L 214-17 code de l’environnement)

La mise hors d’eau des biefs est susceptible d’occasionner des fragilisations de berges, de rétractions d’argiles, des pourrissements de certaines fondations en bois. Aucune analyse géotechnique, même sommaire, n’est donnée sur ces enjeux sur tout le linéaire du bief qui sera asséché la majeure partie de l’année. Nous jugeons nécessaire de préciser si ces enjeux existent, en particulier dans la traversée du village.


Santé, climat et cadre de vie

Le projet consiste à supprimer la mise en eau permanente du bief de Prusly, avec un débordement de la rivière dans le bief actuel limité aux seules périodes de gros débits (73 jours dans l’année). Cela a au moins deux effets dont l’importance n’est pas explicitée dans le projet :

  • Le bief perd sa fonction de rafraichissement du micro-climat local en été, alors que dans la stratégie d’adaptation au réchauffement climatique, on considère que les espaces urbanisés et de vie doivent au contraire préserver des zones en eau et des zones végétalisées.
  • Le fait que le bief passe d’un système d’eau courante (aujourd’hui) à un système d’eau stagnante et intermittente (demain) peut entraîner des effets négatifs qui ne sont pas aujourd’hui estimé (prolifération de moustiques, odeurs désagréables).

Nous jugeons nécessaire une estimation de l’effet sanitaire et qualitatif de l’apparition de zones d’eaux stagnantes / intermittentes dans le bief actuellement en eaux courantes et de la disparition de la fraîcheur apportée par l’eau du bief en été ainsi que par la végétation en profitant.


Ecologie

Enjeu limité pour la truite
La seule espèce mentionnée dans le projet et bénéficiant des travaux est la truite commune Salmo trutta fario. Or, on peut observer les éléments suivants :

  • La plupart des truites présentes dans les rivières sont issues de campagnes d’empoissonnements menées par les pêcheurs depuis plus d’un siècle, de sorte que la « naturalité » de ces populations est discutable et que des introgressions génétiques ont été nombreuses par rapport aux souches anciennes endémiques.
  • La truite commune a une aire de répartition très large en Europe et n’est pas considérée comme une espèce menacée.
  • Les relevés de la fédération de pêche du 21 montrent la présence de truites dans l’Ource, de sorte que le problème posé par les ouvrages visés n’est pas démontré à ce jour, ni le gain précisé pour cette population.
  • Aucun relevé piscicole n’a été fait à l’amont et à l’aval des ouvrages de Prusly, pas plus que dans les biefs (malgré la présence de poisons, voir photos ci-après), de sorte que le dossier ne caractérise pas l’enjeu.
  • Le dossier relève que les ouvrages sont partiellement franchissables, donc ils ne représentent pas un obstacle permanent à la circulation de la truite.
  • Le changement climatique s’apprête à modifier l’écotype des rivières françaises et européennes au cours de ce siècle (Laizé et al 2015), et les rivières de basse altitude comme l’Ource seront de moins en moins favorables aux espèces d’eaux froides comme l’ombre et la truite (température maximale d’été grimpant dans la zone létale ou la zone de stress). On doit donc s’interroger sur la pérennité des investissements publics environnementaux quand ils visent des conditions écologiques appelées à changer de toute façon. Les espèces de poissons évoluent localement en fonction des températures et précipitations et le niveau typologique théorique actuel du cours d’eau évoluera dans les prochaines décennies.
  • L’intérêt halieutique des sociétés de pêche correspond à un usage légitime de la rivière, mais il ne peut se confondre avec l’intérêt général des citoyens ni avec l’intérêt écologique des milieux (pour rappel, les poissons ne représentent que 2% de la biodiversité aquatique). Nous considérons à ce sujet qu’il serait nécessaire de préciser au public d’éventuels conflits d’intérêt quand des représentants syndicaux sont aussi représentants de sociétés locales de pêche, afin d’éviter toute ambiguïté sur la motivation réelle des travaux. Si les chantiers sont présentés comme une réponse au mauvais état des populations de poissons, il serait souhaitable que les pêcheurs prennent eux aussi et simultanément des mesures d’adaptation : mise en réserve le temps que les populations se reconstituent, parcours « sans tuer » afin de protéger les géniteurs, etc.

Disparition de milieux humides sur le bief de 1700 m
Le projet tel qu’il est présenté va mettre hors d’eau la majeure partie de l’année (près de 300 jours par an) le bief de 1700 m traversant la commune de Prusly-sur-Ource. Or, ce bief est un milieu aquatique à part entière, qui héberge de nombreuses espèces animales et profite à la végétation riveraine (voir reportage photo en exemple). De même, le projet va faire disparaître les zones de retenues larges et profondes à l’amont des seuils.
Nous constatons que

  • Le projet présenté n’a réalisé aucun inventaire de la faune et de la flore actuellement inféodée au bief et aux retenues de Prusly, en particulier des arbres, insectes, oiseaux et mammifères profitant du bief en eau et risquant d’être pénalisés par une mise à sec la majeure partie de l’année.
  • Le projet présenté ne garantit donc pas que la disparition de plusieurs centaines de mètres linéaires de milieu en eau en permanence représente un impact écologique inférieur au bénéfice retiré par les mieux aquatiques et riverains, essentiellement limités à la truite (sans quantification).



Rejet de la station d’épuration
Le projet propose de rejeter directement les effluents de la STEP dans le lit mineur de l’Ource au lieu de le faire dans le bief, comme c’est le cas aujourd’hui.
Il nous semble que ce changement de disposition fait disparaître « l’effet-tampon » que peut avoir le rejet actuel dans le bief (temps de résidence augmenté des effluents avant de rejoindre la rivière) et donc qu’un rejet direct dans la rivière au lieu d’un canal artificiel privé :

  • demande une nouvelle autorisation préfectorale,
  • demande une vérification de la qualité chimique et physico-chimique des effluents de la STEP au regard des critères imposés par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000).


Absence d’analyse des polluants et contaminants dans les sédiments remobilisés
Il est reconnu dans les guides de mise en œuvre de la continuité écologique (Salgues et Malavoi 2011,  Demain 2 berges et UFBAG 2017) que la suppression des ouvrages hydrauliques remobilise les sédiments accumulés au fil des siècles dans la zone de la retenue. Il  y a eu dans le passé une activité sidérurgique importante (nature exacte des rejets anciens inconnue) et il y a depuis plusieurs décennies des rejets agricoles et domestiques pouvant présenter un caractère de bio-accumulation ou de géo-accumulation.
Effacer les ouvrages demande une analyse des sédiments présents à leur amont afin de garantir qu’ils ne comportent pas de contaminants de nature à affecter les milieux aval et leurs zones d’intérêt écologique. Si tel est le cas, il faut prévoir un transports des sédiments contaminés au lieu de les laisser dans le lit de la rivière.

Absence d’analyse des risques invasifs à l’aval
Les espèces dites invasives ou indésirables sont considérées comme l'une des menaces majeures sur la préservation de la biodiversité native des assemblages d'espèces patrimoniales des cours d'eau. L'émergence de ces espèces invasives est directement associée aux activités humaines au bord des rivières, qui produisent des introductions volontaires ou accidentelles. Les menaces que font peser les espèces indésirables sont de trois ordres : compétition évolutive directe (prédation ou occupation de niche), hybridation génétique, transmission de pathogènes. On estime que 20% des 680 extinctions d'espèces répertoriées par l'IUCN l'ont été à cause d'espèces invasives (Clavero et García-Berthou 2005), une menace qui reste bien réelle pour les systèmes européens d'eaux douces  (Nunes et al 2015).
Or, le projet de libre circulation de toutes espèces (poissons, crustacés) et à toutes saisons de l’aval vers l’amont de l’Ource à Prusly ne fait état d’aucun inventaire garantissant que, dans le bilan écologique global de l’opération, on ne va pas augmenter la pression de certaines espèces invasives vers la tête du bassin versant.

Nous demandons en conséquence des cinq points précédents que l’impact écologique du dossier (analyse de ses gains et de ses bénéfices) soit entièrement révisé car en l’état le projet représente un risque d’impact majeur sur les milieux naturels. (A noter que les nouveaux articles 1246 et 1247 du code civil, créés en 2016 par la loi de biodiversité, obligent tout porteur d’un chantier affectant les milieux à réparer les préjudices écologiques occasionnés.)


Intérêt général

L’article L 211-1 du code de l’environnement précise la notion d’intérêt général en rappelant la définition du législateur de ce qu’est une gestion durable et équilibrée de l’eau.
I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
Nous observons que le projet du SMS restaure la continuité écologique par un choix assez radical de destruction des ouvrages (au lieu d’une simple ouverture des vannes en période de migration des truites), ce qui peut apporter des bénéfices ciblés à certaines populations et sur un court linéaire, mais que ce projet ignore d’autres éléments précisés par la loi, notamment
  • le patrimoine,
  • l’énergie,
  • le stockage de l’eau,
  • la protection de la ressource en eau,
  • la vie biologique du milieu récepteur.
En conséquence, nous considérons que les solutions choisies ne répondent pas à l’intérêt général et, par leur caractère irréversible, empêchent une gestion durable et adaptative de la ressource en eau.

Conclusion

Pour l’ensemble des raisons énumérées préalablement, les associations Hydrauxois et Arpohc
  • considèrent que le dossier présenté par le SMS se contente de propos très généraux (en dehors de la modélisation hydraulique), n’apportant ni démonstration claire des bénéfices, ni observations approfondies des milieux qui vont être modifiés de manière définitive,
  • considèrent que le projet du SMS ne correspond pas à un intérêt général en raison de sa non prise en compte des éléments d’appréciation de la gestion durable et équilibrée de l’eau ,
  • considèrent que ce projet représente un risque très élevé d’impact écologique n’ayant pas été sérieusement évalué, et si nécessaire compensé,
  • se réservent le droit de porter requête en annulation d’un arrêté préfectoral autorisant les travaux en l’état des informations lacunaires présentées au public,
  • souhaitent que des solutions plus favorables à la préservation des patrimoines naturels, culturels et paysagers soient proposées, comme la simple ouverture des vannes dans un premier temps,
  • demandent à M. le Commissaire enquêteur de constater l’absence d’intérêt général et l’absence d’intérêt écologique en l’état des informations disponibles.

15/06/2017

Franchissement piscicole des ouvrages hydrauliques: un cahier des charges trop complexe pour les petits sites

L'Agence française pour la biodiversité et les Agences de l'eau viennent de publier une trame de cahier des charges pour accompagner collectivités et hydroélectriciens dans leur projet de mise en conformité d’un site classé en liste 2 au titre de la continuité écologique. Quelques commentaires sur la complexité des demandes en rapport aux capacités et aux impacts des projets de relance des moulins et autres ouvrages très modestes.



Ce guide venant de paraître est consacré à la définition des équipements de franchissabilité en montaison et dévalaison (passes à poissons, rivières de contournement, grilles) pour les propriétaires ayant un projet hydro-électrique. Il rassemble les éléments que l'administration estime nécessaires: données administratives et réglementaires, connaissance des usages et caractéristiques techniques de l'ouvrage, données sur l'hydrologie et le fonctionnement hydraulique, évaluation des impacts de l'ouvrage sur la continuité écologique, diagnostic de la continuité biologique, diagnostic de la continuité sédimentaire, justifications techniques des choix de franchissabilité, etc.

Nous attirons l'attention sur le caractère trop complexe et donc décalé de ce guide par rapport aux réalités de la très petite hydro-électricité des moulins et anciennes usines à eau. Ce que des grands barragistes peuvent intégrer dans le cadre de projets industriels, ou ce que des constructions de nouveaux sites peuvent planifier dans le génie civil de l'ouvrage à bâtir, n'est pas à portée de projets de réhabilitation de sites anciens et modestes. La seule mobilisation d'un bureau d'études pour répondre à la totalité du cahier des charges proposé dans le guide représenterait pour ces petits sites l'équivalent d'une à cinq années de production – cela sans parler de la réalisation matérielle des passes, grilles, goulottes de dévalaison et autres besoins. Ce qui est manifestement disproportionné. Se pose donc la question du financement de ces demandes : la très haute exigence environnementale a du sens, mais elle ne peut se déployer sans un soutien public à hauteur du niveau d'ambition imposé.

Par ailleurs, la question de la mortalité des poissons sur les petites turbines n'a jamais été explorée de manière satisfaisante. L'administration se fonde sur des travaux anciens concernant  (là encore) les grosses unités de production. Nous souhaitons donc que l'Agence française pour la biodiversité mènent des travaux sur des sites de production de 5 à 250 kW, avec un spectre représentatif de hauteur et débit, afin de modéliser plus finement la question. Notre association et plusieurs de ses consoeurs sont disposées à aider l'administration à trouver des sites pilotes volontaires pour répondre à ce besoin, en particulier chez les très petits producteurs de 5 à 50 kW. Il n'est pas possible de faire des prescriptions sur la base de simples présomptions, sans disposer au préalable d'étude scientifique et technique sur l'objet de ces prescriptions. Or à notre connaissance, le CSP, l'Onema puis l'AFB n'ont jamais publié le moindre travail de recherche sur le comportement d'approche, d'évitement ou de piégeage des poissons dans les très petits sites de production (moulins).

Enfin, sur le plan du droit, le guide a été conçu avant les évolutions récentes de la loi. On rappellera que le nouvel article L 214-18-1 Code de l'environnement exonère les moulins producteurs des obligations du II de l'article L 214-17 du même code, c'est-à-dire concrètement des contraintes de franchissement piscicole et sédimentaire. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique n'ont toujours pas produit une circulaire d'application de cette disposition, comme de plusieurs autres votées depuis un an.

Référence : Eléments techniques pour la rédaction d’un cahier des charges (CCTP) pour les équipements et dispositifs dédiés au franchissement piscicole (montaison & dévalaison) et/ou au transit sédimentaire (janvier 2017).

Illustration : une rivière de contournement au droit d'une chaussée de moulin sur le Cousin (Méluzien). Sans le financement Life+, Agence de l'eau et Parc du Morvan, ce projet aurait été hors de portée du maître d'ouvrage.

11/06/2017

Evaluer le préjudice écologique lié à la destruction des retenues, biefs et étangs

La loi sur la biodiversité a introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions sur le préjudice écologique, concernant soit des composantes d'un écosystème soit les services collectifs qu'il procure. Le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de publier un guide pour évaluer ce préjudice dans le cas des petits chantiers à impact de moindre gravité. Nous exposons ici que les chantiers de continuité écologique, amenant parfois à perturber les équilibres en place, à supprimer des annexes hydrauliques et à diminuer globalement la surface offerte au vivant aquatique, doivent fournir dans leur justification réglementaire une évaluation sérieuse de la biodiversité locale (qui ne se limite pas aux poissons) et des impacts parfois négatifs du chantier sur cette biodiversité. Dans le cas contraire, tout riverain ou toute association est fondé à requérir auprès du juge administratif une annulation de l'arrêté autorisant le chantier.




La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en 2016, a modifié le livre III du Code civil. Deux nouvelle dispositions sont ainsi formulées:
Art. 1246 – Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer.
Art. 1247 – Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.
Le ministère de l'Environnement (aujourd'hui Transition écologique et solidaire) a publié un document sur la question, concernant le chantiers de faible impact et intitulé Comment réparer des dommages écologiques de moindre gravité ? (pdf, mai 2017).

Comme l'observent les auteurs de ce travail, "réparer au mieux un préjudice écologique nécessite tout d'abord d'évaluer correctement le dommage subi. C'est sur la base de cette évaluation que la réparation pourra ensuite être envisagée."

Malheureusement, dans le cas particulier des travaux concernant les milieux aquatiques et en particulier la continuité écologique, le document est insatisfaisant par la généralité de ses préceptes et par la mise en avant de présupposés discutables (confusion entre biodiversité, qui est une diversité mesurable de gènes, d'espèces, de fonctions ou d'habitats, et naturalité ou intégrité biotique, qui est un état de référence d'un milieu non modifié).

Rappelons que la continuité écologique longitudinale consiste à traiter les obstacles à l'écoulement en rivière (seuils, barrages) afin de limiter leur entrave à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Elle représente aujourd'hui plusieurs centaines de chantiers en rivière chaque année (objectif : plus de 20.000 ouvrages), avec une priorité accordée à la solution de destruction de l'ouvrage, soit l'un des enjeux de programmation publique les plus importants affectant l'équilibre en place des rivières françaises au plan de leur morphologie et de leur diversité biologique perdue ou acquise au fil des siècles.

Chaque hydrosystème doit être étudié, chaque chantier doit être évalué
Il serait erroné de penser a priori qu'un habitat anthropisé (modifié par l'homme) est forcément dégradé ou défavorable à la biodiversité : on rencontre au contraire des cas de sites classés pour leur intérêt faunistique ou floristique (voir cet exemple) ou encore des cas de canaux de dérivation qui alimentent de tels sites d'intérêt, comme des zones humides (voir cet exemple). Les chercheurs soulignent aussi la diversité des cas, comme des canaux pouvant servir de refuge à des espèces menacés (Aspe et al 2014), des étangs piscicoles hébergeant une faune d'intérêt autre que les poissons (Wezel et al 2014), une végétation riveraine qui peut répondre défavorablement à une modification de l'écoulement (Depoilly et Dufour 2015).

Un chantier se réclamant de l'écologie ne peut donc pas s'appuyer sur des idées trop générales ou abstraites, particulièrement s'il se veut exemplaire et bénéficie de fonds publics : il s'agit d'étudier la réalité et la diversité du vivant sur chaque site, afin de prendre les décisions les mieux informées.

Un porteur de projet de continuité écologique doit donc évaluer l'impact de ses travaux sur le vivant. Cet impact ne se limite pas à la variation attendue d'une population de poissons ou à la variation de micro-habitats sur le périmètre de la retenue du barrage ou du seuil. Il convient en effet d'évaluer :
  • l'ensemble de la biodiversité inféodée au système en place (typiquement, les oiseaux ou les amphibiens sont aussi des espèces d'intérêt, pouvant profiter des retenues, mais ne sont presque jamais prises en compte),
  • le risque d'espèces indésirables ou porteuses de pathogènes présentes à l'aval et pouvant se répandre plus facilement vers l'amont, en concurrence éventuelle avec des espèces patrimoniales (voir cet exemple récent de barrages limitant des proliférations et ce texte de synthèse),
  • la perte pour les espèces aquatiques que représente la disparition d'une certaine surface en eau hors du lit mineur de la rivière (le bief supérieur et inférieur, les rigoles de déversoir, les éventuelles zones humides alimentées par le détournement d'eau, les plans d'eau de type étangs, mares, lacs).
Les associations gagneront à effectuer ce rappel aux services administratifs, aux syndicats de rivière et aux bureaux d'études, afin que chaque projet liste les espèces susceptibles d'en bénéficier ou d'en souffrir, avec indication sur le degré de certitude de la connaissance du milieu, sur l'objectif de résultat du chantier et sur les éventuelles compensations à prévoir.

En cas de refus de procéder ainsi, les riverains peuvent documenter la diversité biologique des hydrosystèmes concernés (eux-mêmes ou en faisant appel à des naturalistes), et s'il apparaît qu'il existe des espèces d'intérêt pour la biodiversité locale, saisir le juge administratif pour faire stopper le chantier, en mettant en avant le défaut d'estimation du préjudice écologique.

Enfin, il convient de appeler que l'article 1247 Code civil mentionne aussi les "bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement". Cette expression renvoie à la notion de services rendus par les écosystèmes, qui est de plus en plus mise en avant en gestion de l'environnement depuis une quinzaine d'années. En ce domaine également, les bénéfices divers que les riverains retirent des hydrosystèmes aménagés doivent être intégrés dans le diagnostic préparatoire au chantier (par exemple rehausse de nappe à l'amont, agrément paysager, plus-value culturelle, réserve d'eau en été, loisirs, etc.).

Illustrations : quelques exemples d'invertébrés observés à proximité immédiate d'un hydrosystème artificiel (ruisseau créé par le déversoir d'un moulin dans le Morvan, prairie humide en partie alimentée par les fuites de son bief), parmi des dizaines d'autres espèces colonisant cet habitat. Une mise à sec de ce ruisseau et de ce bief par suppression du seuil amont qui les alimente représenterait un impact pour les espèces présentes. Ce genre d'enjeu demande une bonne évaluation des avantages-inconvénients de chaque chantier au plan de la biodiversité locale. Notre association appelle tous les propriétaires et riverains de moulins, d'étangs, de lacs à s'intéresser aux espèces qui peuplent ces biotopes, y compris en travaillant à améliorer la capacité d'accueil écologique des sites (exemple LPO), et à mener des campagnes d'observation.

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