Christian Lévêque est chercheur en hydrobiologie, auteur de nombreuses publications dans les revues les plus prestigieuses mais aussi de livres de vulgarisation. Il s'alarme de ce qu'il estime être une dérive en cours : l'écologie perd de la rigueur scientifique et devient chez certains une religion de la nature, appuyée sur une compréhension fausse de l'évolution et de la biodiversité, développant une vision excessivement négative de l'humanité vue comme perturbatrice d'un supposé ordre naturel. Dans un entretien exclusif avec notre association, il appelle à une pensée plus critique et réaliste de la notion de biodiversité – le thème de son tout dernier essai. Un débat démocratique est nécessaire. Car comme le montrent divers conflits liés à l'écologie pensée et pratiquée comme retour à la nature sauvage, l'exclusion des humains n'est ni une émancipation pour ceux-ci, ni un retour magique à un Eden perdu...
27/02/2023
Pour l'hydrobiologiste Christian Lévêque, l'écologie risque de devenir une religion de la nature
24/02/2023
Eau, biodiversité et adaptation climatique selon l'IGEDD
L'inspection générale de l'environnement et du développement durable a produit un rapport sur l'adaptation au changement climatique, qui vient d'être rendu public par le ministère de l'écologie. Nous publions son extrait sur le domaine de l'eau, précédé de quelques observations critiques.
- Tout enjeu et toute priorisation des enjeux doivent être démocratiquement validées. Ce n'est pas le chercheur ou l'expert qui définit l'importance relative des sujets (climat, biodiversité, usages etc.), mais le citoyen préalablement informé par des expertises collégiales incluant tous les angles pertinents et toutes les connaissances légitimes. L'eau est une question sociale et politique, pas simplement une question naturelle.
- Les assemblées élus (de la commune à l'Europe) sont les lieux de la discussion et de la décision démocratiques, ce qui suppose des élus motivés à examiner le fond des sujets et à refléter les attentes des citoyens les ayant élus. Ce rappel est nécessaire puisque nous voyons dans le fonctionnement de nos institutions un poids excessif d'administrations non élues et d'idéologies administratives non validées par les citoyens et leurs élus – en particulier dans le domaine de l'eau et de certains choix publics contestés.
- Tout programme public doit faire impérativement (et non facultativement) l'objet d'analyse coût-bénéfice sérieuse, ce qui est parfois difficile dans le domaine environnemental. C'est le seul moyen de conjurer le risque des effets de modes et de conformisme où l'on procède à des lourds investissements publics sans prendre soin au préalable de tester, observer et quantifier les résultats concrets. Par exemple ici, les solutions fondées sur la nature sont un sujet très en vogue mais où la recherche critique sur certains échecs de restauration de la nature doit inciter à être vigilant sur la réalité des résultats obtenus, particulièrement en stockage d'eau afin de prévenir tant les sécheresses que les inondations. Certaines solutions sont efficaces, d'autres non : la dépense d'argent public vise l'efficacité avant de viser la naturalité.
L’adaptation des politiques de l’eau et de la biodiversité : à partir d’un noyau commun, de nouveaux types d’action émergent
- Dans les pays européens, les feuilles de route par district hydrographique (bassin) respectent les temporalités de la directive cadre sur l’eau et de la directive inondations, soit des cycles de 6 ans. Les plans actuels visent l’horizon 2027, parfois (cas espagnol) se prolongent sur un ou deux cycles au-delà (2033 et 2039) pour la prise en compte des effets du réchauffement climatique,
- certains plans nationaux ont des horizons de moyen/long terme, comme le « 25 year environment plan » britannique adopté en 2019, ou le programme Delta aux Pays Bas qui fixe des objectifs à l’horizon 2050,
- enfin, certains plans ont des horizons encore plus lointains, notamment pour la prévention des inondations en lien avec l’élévation du niveau de la mer, par exemple le programme Estuaire de la Tamise 2100. Ces programmes s’inscrivent alors clairement dans une logique construite d’adaptation au changement climatique malgré les incertitudes, avec l’étude de plusieurs scénarios, et la notion de « chemins d’adaptation » conduisant à prendre progressivement des « décisions sans regret ». Ils prévoient des points de rendez-vous au vu de l’évolution des connaissances sur les impacts climatiques pour les décisions les plus structurelles.
- le maintien du niveau de protection actuel malgré le changement climatique, choix le plus courant, qui suppose un renforcement de la politique de prévention ;
- l’objectif d’une augmentation du niveau de protection, pour certains secteurs ou territoires ;
- une réduction du niveau de protection pour d’autres (voir en annexe la carte des enjeux du programme Tamise, publiée par l’agence anglaise de l’environnement).
16/02/2023
Le ministère de l’écologie prépare un nouveau décret sur les chantiers de renaturation des cours d’eau
Certains voudraient «renaturer» les cours d’eau à la pelleteuse et sur argent public sans être ennuyés par des détails comme l’étude d’impact réel du chantier, l’analyse de son coût-bénéfice ou l’avis des citoyens en enquête : le conseil d’Etat avait douché leurs espoirs en annulant un décret de 2020 permettant de faire n’importe quoi sur un cours d’eau sous ce prétexte de «renaturation». Le ministère vient d'annoncer qu'il remettrait en mars un projet de nouveau décret au comité national de l'eau. Mais les mêmes causes produiraient les mêmes effets : si les services eau & biodiversité du ministère de l’écologie préparent à nouveau un décret d’exception permettant de modifier de larges pans de l’environnement des riverains sans leur permettre une bonne information et une participation à la décision, nous irons en justice pour faire annuler le décret (et pour attaquer des chantiers problématiques). La gestion écologique doit être démocratique, et non pas un dogme d’expert imposé : c’est le fond du problème sur certains chantiers engagés contre l’avis des citoyens et contre la vision de la nature défendue par ces citoyens.
- l'écologie n'est pas un sujet mystique qui doit étouffer toute analyse critique, un chantier écologique est un chantier comme un autre, il peut très bien avoir des effets secondaires indésirables pour les populations, la vigilance est donc de mise ;
- certains risques sont oubliés par le sénateur, par exemple l'asséchement (et non l'inondation), la fragilisation du bâti riverain (rétraction argile, pourrissement fondation bois), la remontée d'espèces invasives, la perte de réserve incendie... c'est tout cela qu'une étude d'impact et une enquête publique visent justement à prévenir, à partir du moment où les effets du chantier sont conséquents (cela vise aussi à prévenir le risque de plaintes pénales si un chantier mal préparé nuit aux tiers ou aux milieux, donc à sécuriser le projet);
- la question n'est pas de faire telle ou telle exception pour tel ou tel ouvrage particulier comme le moulin, la question est de reconnaître que tout ouvrage hydraulique est susceptible de rendre des services écosystémiques, d'avoir des avantages environnementaux / sociaux, donc que le gestionnaire public doit désormais l'étudier avant de prendre la moindre décision, cesser de suivre un dogme naturaliste idiot ("c'est artificiel donc c'est mal, même pas la peine d'analyser la réalité") ;
- Il y a en outre un problème d’égalité devant la loi, puisque modifier des centaines de mètres voire des kilomètres de linéaire de rivière serait simplement déclaratif pour certains chantiers (par exemple restaurer un habitat, ce qui est dans le code de l’environnement) mais pas pour d’autres (par exemple produire de l’énergie bas-carbone, ce qui est aussi une injonction du code de l’environnement) ; or si la puissance publique simplifie, elle doit le faire pour tous et de manière cohérente au droit, non pas créer des exceptions parce que c'est l'idéologie d'une sous-direction ministérielle.
11/02/2023
Le ministère de l’écologie continue de tromper les parlementaires sur les ouvrages hydrauliques
Aucun changement en vue dans l’idéologie des hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie qui rédigent les réponses des ministres et secrétaires d’état lorsqu’ils sont interrogés, comme cela fut le cas par le député Christophe Bentz. Propos faux, imprécis, incomplets, arguments toujours à charge contre les ouvrages en rivière, aucun signe de reconnaissance de l’échec de la continuité écologique. Notre conclusion est simple : tant que ces hauts fonctionnaires ne sont pas remerciés et remplacés, tant que l’idéologie naturaliste du retour à la rivière sauvage sera la pensée des dirigeants de l’administration eau & biodiversité, la politique des rivières ne sera pas apaisée, les décisions absurdes de détruire ou d’interdire des ouvrages continueront, la France prendra du retard sur les dossiers critiques de la maîtrise de l'eau, de l'énergie et du climat.
« M. Christophe Bentz interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite « loi Climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. Dans sa rédaction antérieure, l'article L. 214-17 du code de l'environnement prévoyait déjà que tout ouvrage de ce type devait être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire - ou à défaut l'exploitant -, afin de permettre la circulation des poissons migrateurs. Or cette politique publique s'est traduite par une destruction desdits ouvrages et ce alors que cela n'était ni la lettre, ni l'esprit de la loi. Durant une quinzaine d'années, les services de l'État ont ainsi encouragé la destruction des retenues d'eau de rivière. Ces retenues - constituées pour l'essentiel de milliers de chaussées de moulins à eau qui retenaient depuis des siècles des centaines de millions de mètres cubes d'eau douce dans les rivières - ralentissaient pourtant les écoulements et jouaient un rôle majeur dans le cycle de l'eau des vallées. Les associations de défense des moulins à eau estiment que 3 000 à 5 000 chaussées de moulins ou digues d'étang auraient été détruites en France. Cela représente une perte de plusieurs dizaines de millions de mètres cubes d'eau douce qui ont été soustraits aux rivières et ne participent plus à l'alimentation des nappes. Des centaines de kilomètres de rivières et de vallées ont ainsi été asséchés partiellement ou totalement. La disparition de ces eaux a aussi entraîné celle des milieux aquatiques et rivulaires antérieurs. Par ailleurs, ce patrimoine pluriséculaire faisait non seulement des rivières un atout écologique, mais il ouvre aujourd'hui la possibilité de production d'une énergie verte. Dans ce contexte, le législateur est intervenu dans le cadre de l'article 49 de la loi Climat et résilience afin d'expliciter davantage l'article L. 214-17 du code de l'environnement qui permet la gestion, l'entretien et l'équipement des moulins à eau et interdit désormais leur destruction. C'est pourquoi M. le député souhaite connaître les modalités réglementaires et administratives de mise en œuvre de cette nouvelle disposition - notamment les actions et les indicateurs destinés à empêcher toute nouvelle destruction de moulin à eau. Il souhaite également savoir s'il est prévu une reconstruction des ouvrages détruits. »
« La politique de restauration de la continuité écologique n'encourage pas l'effacement systématique des moulins à eau et autres ouvrages en cours d'eau.
« Sous la responsabilité des préfets, c'est la loi sur l'eau qui permet aujourd'hui une gestion équilibrée des projets de petites hydroélectricité au plus près des territoires. Il s'agit d'une politique ciblée et mesurée, qui cherche à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d'eau avec le déploiement de la petite hydroélectricité. Dans certains cas, l'effacement d'un ouvrage peut être nécessaire pour restaurer le bon état écologique d'un cours d'eau, comme indiqué dans la directive-cadre sur l'eau et rappelé par la Commission européenne lors de la table ronde du 6 juillet 2022 organisée par la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
« Entre 2012 et 2021, environ 1 400 ouvrages ont été effacés sur les cours d'eau où une obligation de restauration de la continuité écologique existe au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement : cela représente environ 1 % de l'ensemble des ouvrages présent sur les cours d'eau français et constituant un obstacle à l'écoulement naturel du cours d'eau.
« Par ailleurs, ces effacements n'ont pas induit de perte d'eau douce ou d'assèchement de cours d'eau. Le libre écoulement de l'eau au sein d'un bassin versant, notamment à travers son réseau de cours d'eau, est un processus structurant du grand cycle de l'eau : cette eau qui s'écoule contribue au bon fonctionnement de l'écosystème et du cycle. De plus, la quantité d'eau dans une rivière se mesure par le débit, et les petites retenues en cours d'eau ne renforce pas ce dernier. En outre, la recharge des nappes phréatiques n'est pas systématiquement favorisée par les retenues en lit mineur, car cette recharge dépend essentiellement de la connexion nappe-rivière, qui se fait aussi bien par des eaux courantes que stagnantes. Il est même fréquent que certaines retenues en lit mineur dégradent la recharge des nappes, dès lors que leur fond est colmaté par les sédiments fins issus de l'érosion des sols qui s'y stockent.
« Enfin, le potentiel de production hydroélectrique par des petits ouvrages en cours d'eau est intrinsèquement limité : selon les projets identifiés auprès de la filière, ce sont 250 MW qui pourraient être installés d'ici 2028 (en sites vierges comme sur ouvrages existants), toutes tailles d'installations confondues. Cela représente environ 1% des objectifs nationaux d'installation d'énergies renouvelables sur la même période (programmation pluriannuelle de l'énergie 2023-2028). Le potentiel de développement peut donc objectivement être qualifié d'intrinsèquement limité.
« L'article 49 de la loi dite « Climat et résilience » d'août 2021 précise effectivement que, s'agissant des moulins à eau, l'effacement des seuils ne peut désormais plus constituer une solution dans le cadre de l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. En conséquence, depuis la publication de la loi, les services préfectoraux ne sont plus en mesure de prescrire l'effacement d'un ouvrage comme solution de rétablissement de la continuité écologique.
« Cette évolution législative tend à contraindre les propriétaires d'ouvrages, avec obligation de restaurer la continuité à assumer les dépenses d'entretien liées à leurs seuils, même lorsqu'ils souhaiteraient les effacer. Or, cet entretien est jugé par certains propriétaires comme chronophage, coûteux et techniquement compliqué. Les effacements réalisés avant la loi « Climat et résilience » ayant toujours été réalisés avec l'accord du propriétaire de l'ouvrage, le ministère ne projette pas de reconstruire les ouvrages effacés.
05/02/2023
La mobilité des pêcheurs de loisir, des autoroutes à espèces invasives ? (Weir et al 2022)
En utilisant les millions de données issues d’une application sur téléphone mobile pour pêcheur, des chercheurs montrent aux Etats-Unis la forte mobilité des pratiquants de la pêche récréative. Cette pratique qui relie des bassins et des lacs séparés tend à créer des conditions propices à l’expansion d’espèces invasives dans les cours d’eau.
« Les activités humaines sont la principale cause des invasions biologiques qui causent des dommages écologiques et économiques dans le monde. Les espèces aquatiques envahissantes (EAE) sont souvent propagées par les pêcheurs récréatifs qui visitent deux plans d'eau ou plus dans un court laps de temps. Les données de mouvement des pêcheurs à la ligne sont donc essentielles pour prévoir, prévenir et surveiller la propagation des AIS. Cependant, le manque de données sur les déplacements à grande échelle a limité les efforts aux grands lacs populaires ou à de petites étendues géographiques.Ici, nous montrons que les applications de pêche récréative sont une source abondante, pratique et relativement complète de « grandes » données sur les mouvements à travers les États-Unis contigus. Nos analyses ont révélé un réseau dense de mouvements de pêcheurs qui était considérablement plus interconnecté et étendu que le réseau formé naturellement par les rivières et les ruisseaux. Les mouvements à courte distance des pêcheurs se sont combinés pour former des autoroutes d'invasion qui ont traversé les États-Unis contigus. Nous avons également identifié des fronts d'invasion possibles et des lacs centraux envahis qui pourraient être des super-épandeurs pour deux envahisseurs aquatiques relativement communs.Nos résultats fournissent un aperçu unique du réseau national par lequel les AIS peuvent se propager, augmentent les possibilités de coordination intergouvernementale qui sont essentielles pour résoudre le problème des AIS et soulignent le rôle important que les pêcheurs peuvent jouer pour fournir des données précises et prévenir les invasions. Les avantages des appareils mobiles à la fois comme sources de données et comme moyen d'engager le public dans sa responsabilité partagée de prévenir les invasions sont probablement généraux pour toutes les formes de tourisme et de loisirs qui contribuent à la propagation des espèces envahissantes. »
01/02/2023
La loi d'accélération de l'énergie renouvelable n'accélère pas grand chose
C'est un sentiment de déception et d'échec qui prédomine aujourd'hui chez les acteurs des énergies renouvelables, notamment hydraulique. La France devait se doter dune loi pour accélérer la production d'énergie bas-carbone, mais le gouvernement et le parlement n'ont pas été capables de simplifier le droit. Dans le domaine hydraulique, on note la suppression de l'exemption de continuité écologique pour les moulins producteurs et la généralisation du médiateur de l'hydro-électricité en cas de conflit avec l'administration.