26/10/2020

Comment nos arrière-grands-parents exploitaient les rivières de tête de bassin en Bourgogne (Jacob-Rousseau et al 2016)

 Quatre auteurs ont étudié l'exploitation agricole et industrielle des bassins de l'Arroux, de la Grosne et de la Petite Grosne à la fin du 19e siècle. Ils concluent que la pression sur la ressource en eau liée à l'hydraulique et les petites discontinuités écologiques étaient plus marquées voici 100 ans qu'elles ne le sont aujourd'hui. Leur travail permet aussi d'observer qu'une proportion importante des écoulements de tête de bassin relève de milieux artificiels et non naturels: cela forme une réalité hybride, co-construite à la rencontre de la nature, de l'économie et de la société, pendant plusieurs siècles d'occupation. On en trouve aujourd'hui la trace persistante dans un réseau de retenues, biefs et canaux dont beaucoup se sont peu à peu et spontanément renaturés après la fin de leur exploitation économique. Mieux comprendre l'histoire environnementale permet de relativiser certains discours hâtifs voire simplistes tenus aujourd'hui par une écologie administrative ou militante qui parle beaucoup des ouvrages hydrauliques, mais qui connaît finalement très peu leur réalité, faute d'analyse sérieuse. 


Nicolas Jacob-Rousseau, Fabien Météry, Charles Tscheiller et Oldrich Navratil ont étudié l'histoire environnementale de trois bassins versants de Bourgogne (Arroux, Grosne, Petite Grosne), en particulier l'expansion de l'hydraulique agricole et industrielle au 19e siècle, période de la présence démographique la plus importante et de l'exploitation économique la plus diffuse de l'eau dans ces campagnes.

L’Arroux, tributaire de la Loire, la Grosne et la Petite Grosne, tributaires de la Saône, ont des bassins de taille inégale : 1798 km2 pour l’Arroux à Étang-sur-Arroux, 465 km2 pour la Grosne à Massilly, 125 km2 pour la Petite Grosne à son confluent avec la Saône. Les régimes d’écoulement présentent une abondance de saison froide et des étiages estivaux assez marqués (ponction de l’évapotranspiration), avec des situations d’étiages prononcés en juillet, août et septembre.

Les auteurs font observer à propos de leur objet d'étude : "les cours d’eau des bassins de l’Arroux et des deux Grosnes appartiennent au domaine océanique dégradé et sont, à l’exception des quelques tributaires de l’Arroux qui drainent le Morvan, des organismes de faible énergie où, autre élément de distinction, les sites hydrauliques remontent très souvent à l’époque médiévale ou au début des temps modernes  (...) ces types de vallées concentrent aujourd’hui l’attention des projets de restauration et que les enjeux de conservation de l’héritage hydraulique y sont les plus discutés".

La base documentaire a été formée de L’Atlas des irrigations et des usines, constitué entre 1861 et 1901 dans chaque département (AN - série F10), qui recense toutes les prises d’eau existant alors et indique les débits moyens dérivés, la longueur des canaux collectifs, les forces motrices ainsi que les superficies arrosées. Les cartes (Cassini, État-Major, IGN) ou les cadastres ont été mobilisés pour confirmer les sites et des caractéristiques techniques (longueur des biefs et tronçons court-circuités) ont été vérifiées par des observations sur le terrain.

Cette carte montre le débit des eaux motrices dérivées pour usage industriel à la fin du 19e siècle (1879 Grosne, 1881 Arroux). On observe la très forte expansion des débits canalisés par rapport aux tronçons naturels.


Cette carte montre les surfaces des prairies irriguées en hectares par commune à la fin du 19e siècle (1879 Grosne, 1881 Arroux)


Les auteurs soulignent qu'à cette époque, le double usage agricole et industriel de l'eau soulevait des tensions récurrentes :

"Le seul fait que toute amélioration technique entreprise par un industriel ait immanquablement suscité l’inquiétude voire l’opposition des riverains du voisinage témoigne du degré de sensibilité de la société à la question de l’eau. La crainte que le remous d’un barrage rehaussé produisît une submersion de prairies riveraines était un motif récurrent de protestation. Mais les tensions les plus fortes furent relatives au partage des eaux car les dérivations industrielles ou les prélèvements agricoles entraînèrent à plusieurs reprises l’asséchement temporaire de certains tronçons de cours d’eau. Ainsi les archives signalent-elles le phénomène dans le Ternin en 1862, l’Arroux à Dracy-Saint-Loup en 1870, le ruisseau de Manlay en 1883, celui de Blanot en 1913 ou encore en 1858 et1859danslaGrosne(AD71,7S3et4).En août 1858, un arrêté préfectoral, invoquant une situation de sécheresse exceptionnelle depuis une année et le préjudice que les prélèvements agricoles faisaient subir aux industriels, exige la suppression de tous les barrages agricoles construits sans autorisation, sur toutes les rivières du département de Saône- et-Loire" 

Voici une des conclusions de leur travail :

"Les documents et informations utilisés montrent que l’exploitation agricole et industrielle des eaux au XIXe siècle engendrait une pression non négligeable sur les écoulements. Les éléments de plusieurs ordres (statistiques, textuels, hydrologiques) semblent assez concordants et permettent même d’envisager les aspects spatiaux. Comme l’ont montré les travaux qui ont déjà été menés sur cette question (Berger, 1998 ; Jacob, 2005), les pratiques agricoles sollicitaient fortement les écoulements et aggravaient les situations de faible débit. À bien des égards, l’équipement industriel comme l’extension des prés paraissent avoir été étroitement ajustés aux ressources, induisant une tension latente qui commence à se relâcher dans les premières décennies du XXe siècle, avec les recompositions démographiques et économiques de l’Entre-deux-guerres ; les conflits disparaissent alors des archives. L’impression qu’une situation de blocage avaient été atteinte avant 1914 concorde avec le diagnostic pessimiste que firent maints ingénieurs du Service hydraulique au XIXe siècle : les conflits, les droits d’eau préexistants, la densité des prises d’eau ne permettaient plus guère à de nouvelles initiatives ou à des projets d’irrigation collective de s’immiscer dans des espaces hydro-agricoles saturés (Jacob-Rousseau, 2015). Ceci invite à considérer aussi avec un autre regard le passé des hydrosystèmes, qui n’étaient pas exempts de fortes perturbations ou de discontinuités de l’écoulement. D’autre part, la déprise rurale et industrielle fait que les écoulements sont aujourd’hui bien moins sollicités dans ces bassins qu’ils l’étaient à la fin du XIXe siècle."

Discussion

Plus nous étudions l'histoire et l'archéologie environnementales, mieux nous mesurons que les modifications humaines des milieux ne sont pas propres à notre époque ni même forcément à l'accélération de la société industrielle de consommation dans les 30 glorieuses. En réalité, dans des zones anciennement et densément peuplées comme l'Europe occidentale, l'usage des ressources a été toujours été présent. Une part importante des écoulements en tête de bassin de Bourgogne est ainsi d'origine artificielle (retenues, biefs, canaux, fossés), avec un recul de l'activité industrielle / agricole ayant pu engager des renaturations partielles et spontanées de ces milieux. 

Contrairement à ce que dit une vulgate simpliste de certains experts administratifs de l'eau, les discontinuités écologiques d'origine humaine ne sont pas une pression qui augmente partout dans le temps et dans l'espace: elle était plus forte au 19e siècle qu'elle ne l'est aujourd'hui dans nombre de têtes de bassin ayant subi depuis l'exode rural et le développement de nouvelles industries ne dépendant pas de l'eau locale. Du même coup, faire reposer la causalité d'un déclin récent de biodiversité sur ces ouvrages est assez douteux : à tout prendre, si déclin il y a eu, il serait corrélé au recul et non à l'avancée de la petite hydraulique depuis 100 ans ; il faudrait déjà disposer d'estimation fiable de cette biodiversité sur des séries longues, ce qui est loin d'être le cas et ce qui autorise certains à parler dans le vide des données... 

Ce qui a changé entre la fin du 19e siècle et le début du 21e siècle n'est généralement pas la hausse des usages hydrauliques locaux de tête de bassin, mais plutôt d'autres phénomènes : changement climatique, apparition des polluants de synthèse bien plus nombreux et diffus, évolutions de certaines pratiques culturales et drainage de zones humides, artificialisation de lits majeurs dans les zones urbaines et péri-urbaines.

Référence :Jacob-Rousseau N et al (2016), La petite hydraulique agricole et industrielle, de l’histoire économique à l’évaluation quantitative des pressions sur les écoulements, XIXe – début XXe siècle. Bassins de l’Arroux, de la Grosne et de la Petite Grosne (Bourgogne, France), BSGLg, 67, 143-160

25/10/2020

4400 ouvrages en rivière classés prioritaires, 4400 sites à défendre pour les associations et les collectifs

 Le classement administratif des rivières et ouvrages prioritaires au titre de la continuité écologique aboutit à quelques milliers de moulins, forges, étangs, canaux et plans d'eau qui vont être l'objet de pression pour la mise en conformité dans les mois à venir. Les listes de ces ouvrages sont en train d'être publiées. Il est impératif que les associations de sauvegarde du patrimoine, des moulins, des rivières et des zones humides se mobilisent pour rendre visite à chacun de ces sites et pour informer leurs propriétaires du droit de préserver le patrimoine et le milieu local, donc de refuser l'arasement, dérasement et autres formes de destruction. Toute pression à détruire de la DDT-M, de l'agence de l'eau ou du syndicat doit désormais faire l'objet d'un signalement au préfet et aux parlementaires, le cas échéant de l'ouverture par les associations de contentieux pour excès de pouvoir. Cette pression inclut le refus d'indemniser les passes à poissons et rivières de contournement, alors que de nombreux sites ont déjà profité de ce financement public et que celui-ci est prévu expressément par la loi de 2006.

Selon les estimations données en mars dernier au comité national de l'eau, 4400 ouvrages ont été classés comme "prioritaires" au titre de la continuité écologique. La plupart de ces ouvrages sont des moulins à eau, d'autres sont des étangs, des plans d'eau, des forges, des ouvrages répartiteurs ou régulateurs à vocation diverse. 

Les associations peuvent requérir auprès du préfet de leur département — ou, mieux, du préfet de bassin — la liste de ces ouvrages. Sa transmission est obligatoire en vertu du droit d'accès aux documents administratifs. Dans certains cas, les documents sont disponibles en ligne. 

En bassin Seine-Normandie, la liste des 767 ouvrages est disponible à ce lien.

En bassin Rhône-Méditerranée, tous les ouvrages en liste 2 (moins nombreux qu'ailleurs) sont jugés prioritaires, donc la liste est celle de l'arrêté de classement liste 2 de 2013.

Sur les autres bassins (Artois-Picardie, Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Adour-Garonne), nous n'avons pas trouvé de liste complète en ligne. Nous demandons à nos associations partenaires de les requérir et les diffuser. L'information doit circuler rapidement.

La priorisation des rivières et des ouvrages signifie que l'action publique (DDT-M, agence de l'eau, OFB, syndicats) va concentrer ses moyens sur ces sites. Il est à noter que l'association Hydrauxois a requis au conseil d'Etat l'annulation de cette disposition prévue dans une circulaire de 2019, car elle crée in fine une inégalité des citoyens devant les charges publiques et, surtout, une dérogation arbitraire à la loi (qui ne prévoit nulle priorité, mais impose un délai de 5 ans prorogé une fois). Nous estimons que la priorisation doit se faire par le déclassement de certaines rivières de la liste 2, ce qui est prévu par la loi et tout à fait justifiable au vu de l'évolution des connaissances. Nous avons eu un classement irréaliste en 2012 et 2013, par la faute de l'administration qui en était responsable, c'est donc cette erreur qu'il faut corriger pour que la loi de 2006 soit applicable dans les délais prévus. 

En attendant l'avis des conseillers d'Etat, il faut néanmoins prendre la priorisation comme le cadre d'action des associations, puisque ce sera le cadre d'intervention des syndicats de rivière et des administrations. 

Quatre règles de base à connaître et rappeler

Il n'y a que quatre règles essentielles à connaître et à rappeler à chaque maître d'ouvrage:

  • la loi ne fait nulle obligation de détruire (effacer, araser, déraser) un ouvrage et elle ne prévoit même pas cette issue,
  • la loi demande à l'administration de préconiser (et donc de justifier) des règles de gestion, équipement ou entretien,
  • le loi oblige à indemniser toute préconisation de l'administration qui formerait une charge exorbitante pour le maître d'ouvrage (par exemple, une passe à poissons très coûteuse),
  • la loi exempte d'obligation de continuité au titre du L 214_17 CE les moulins équipés pour produire de l'hydro-électricité.

Tout interlocuteur qui prétend le contraire commet un abus de pouvoir, le cas échéant un dol qui forme un vice du consentement et rend caduc tout accord ou contrat signé par un propriétaire mal informé. 

Le plan de continuité apaisée dit clairement qu'aucun ouvrage ne peut être détruit sans l'accord du propriétaire. Il ne faut désormais montrer aucune tolérance quand un représentant de syndicat ou d'administration tente un chantage en prétendant que seule la casse est envisageable et/ou que le propriétaire devra assumer les coûts sauf s'il casse son ouvrage. 

Partout où des fonctionnaires centraux (administrations) et territoriaux (syndicats de rivière) essaient de pousser à l'effacement contre le désir du maître d'ouvrage, ils doivent être dénoncés par courrier au préfet et aux parlementaires, le cas échéant faire l'objet de plainte pour excès de pouvoir. Partout où la préfecture tente une mise en demeure de mise en conformité sans avoir respecté son obligation de préconiser une solution justifiée et indemnisée, elle doit faire l'objet d'un recours gracieux, puis contentieux. Seule la fermeté permettra de chasser définitivement les mauvaises pratiques qui ont fait dérailler la réforme et ont déjà obligé les parlementaires à l'amender à de nombreuses reprises pour corriger des excès et dérives. 

Si les administrations avaient respecté la lettre et l'esprit de la loi depuis 2006 — à savoir proposer des dispositifs de franchissement et les payer comme dépense écologique d'intérêt général —, la réforme de continuité écologique serait bien avancée et non problématique. Le problème vient de la dérive de fonctionnaires militants mal contrôlés par les parlementaires et par les juges, qui ont décidé d'aller au-delà de la loi, de prétendre que la loi exige la "renaturation" des sites, de harceler les propriétaires et de détruire leurs ouvrages au lieu de les aménager. Ce sont ces dérives qui doivent maintenant cesser sur les 4400 ouvrages prioritaires.

Que doivent faire les associations et collectifs de défense des ouvrages et des rivières?

Le premier enjeu, impératif, est d'aller visiter chaque ouvrage de son bassin versant inscrit sur la liste prioritaire. Depuis 10 ans, nous avons observé comment les choses se passent: l'administration et le syndicat visent un tête à tête avec chaque propriétaire isolé, mal informé du droit, sans soutien associatif, afin d'exercer la pression maximale en faveur du choix de la destruction. Inversement, sur les rivières où des associations actives possèdent de nombreux adhérents informés, cette stratégie échoue car la pression à la casse se voit opposer des arguments juridiques et, surtout, une position unitaire des ouvrages et riverains du bassin. Informer et rassembler les maîtres d'ouvrage doit donc être l'objectif n°1 sur les 4400 sites prioritaires. Ce chiffre peut paraître important, mais cela fait en général moins d'une centaine de sites par département, avec des sites qui sont cohérents par rivière, donc plus faciles à visiter lors de journées consacrées à cela : en formant des équipes de volontaires, il est tout à fait possible de les rencontrer un par an en quelques mois.

Vous pouvez vous inspirer du tract réalisé par les associations Hydrauxois et Arpohc (diffusé sur chaque site des bassins Yonne-Cure-Cousin, Seine-Ource, Armançon-Brenne), à reprendre et à diffuser aux maîtres d'ouvrage de chaque rivière prioritaire : télécharger le document en format docen format pdf.

Outre l'information site par site, nous vous conseillons d'organiser des réunions par rivière ou par groupe de rivières proches, afin de rassembler toutes les personnes ayant la même problématique, de leur garantir le même niveau d'information et de préparer les mêmes réponses au syndicat et à l'administration. 

Le deuxième enjeu est d'exiger des études des ouvrages et des rivières qui tiennent réellement compte de l'ensemble des paramètres pertinents. Là encore, nous parlons d'expérience. Les syndicats et les bureaux d'études font trop souvent des copier-coller de dossiers à charge où il manque des éléments essentiels : la biodiversité faune-flore du site, l'effet du site en crue et en étiage, la valeur du droit d'eau et la valeur foncière à diverses hypothèses, le potentiel énergétique, etc. Ces pratiques s'assimilent à de la désinformation et de la manipulation si elles persistent, car les gestionnaires publics de l'eau ignorent volontairement tous les services écosystémiques et tous les atouts des ouvrages, pour seulement retenir quelques métriques lacunaires qui poussent à valoriser la destruction. Ces pratiques doivent donc cesser. Pour y pallier, la CNERH a diffusé un guide qui permet de retrouver l'ensemble des critères à analyser (par ouvrage et par rivière) afin d'avoir une vraie évaluation des enjeux donc un vrai choix de dépense d'argent public conforme au meilleur intérêt de tous. Les associations doivent donner ce guide à chaque propriétaire d'ouvrage, l'envoyer au préfet en copie aux parlementaires en demandant que les politiques publiques aient un minimum de sérieux sur la question des ouvrages hydrauliques, au lieu du discours simpliste et dogmatique qui a été servi depuis 10 ans. En complément, vous pouvez envoyer le dossier CNERH de 100 références scientifiques montrant que la destruction des ouvrages peut nuire à l'intérêt général et écologique, mais aussi que l'objectif d'une rivière "renaturée" ou "sauvage" ne fait nullement l'objet d'un consensus chez les chercheurs . 

Guide d'analyse multi-critère des ouvrages à échelle site et rivière, pour une continuité apaisée et informée : télécharger le pdf

Le troisième enjeu est celui du financement. Partout où les agences de l'eau acceptent de financer au taux maximal les solutions non destructrices de franchissement (90%, voire 100% en cas dérogatoire), il n'y a pas de problème. Partout où les agences de l'eau bloquent ce financement, il y a blocage. La loi de 2006 prévoit expressément que les charges exorbitantes seront indemnisées. Il appartient donc à l'administration de flécher un financement public des solutions qu'elle préconise, ou alors de préconiser des solutions ne présentant pas de telles charges et respectant le droit d'eau (comme l'ouverture des vannes en crue ainsi que sur la période limitée des migrations de poissons réellement migrateurs, et non simplement mobiles). A partir du moment où certains moulins ou autres ouvrages ont obtenu  des financements intégraux de passes à poissons et rivières de contournement — ce que nous pouvons démontrer devant le juge —, tous les ouvrages doivent être dans ce cas dès lors qu'ils refusent la destruction. L'administration de l'eau ne peut pas décréter arbitrairement une inégalité des citoyens devant la loi et les charges publiques.

Le quatrième enjeu est celui-ci de la protection des sites d'intérêt en cas de tentative de destruction, notamment des patrimoines naturels en lien aux ouvrages. Le décret scélérat du 30 juin 2020 — attaqué au conseil d'Etat lui aussi par Hydrauxois et par tous les acteurs des ouvrages — a supprimé l'enquête publique et l'étude d'impact environnemental, conduisant à simplifier les destructions de canaux, de plans d'eau et d'étangs, alors même que la recherche scientifique a montré leur intérêt hydrologique et écologique. Si vous êtes mis au courant ou si vous constatez des travaux qui aboutissent à la destruction de milieux aquatiques et humides, vous pouvez néanmoins porter plainte (comme particulier témoin des faits ou comme association) puisque la loi les protège ces milieux, sans spécifier s'ils sont d'origine naturelle ou artificielle. Il est conseillé aux associations d'intégrer dans leur objet si ce n'est fait la protection explicite de l'environnement aquatique incluant l'ensemble des patrimoines historiques, culturels et naturels de l'eau

Ces enjeux demandent une mobilisation militante. En particulier du monde des moulins, premier concerné par les ouvrages classés prioritaires.

Nous l'avions indiqué dans un précédent article, le temps où certaines associations de moulins se percevaient seulement comme amicales de propriétaires partageant un même goût du patrimoine doit changer : il est nécessaire de devenir des acteurs de la rivière, donc de s'intéresser à tous les ouvrages, pas seulement à ceux des adhérents spontanés, et en particulier aux ouvrages risquant de disparaître irrémédiablement dans la liste des 4400 sites prioritaires. Nous avons eu face à nous dans les années 2010 une machine à désinformer et à détruire, ce qui a conduit à une controverse nationale avec un échec de la réforme en raison de pratiques brutales : pour que cela cesse réellement, et non verbalement, les citoyens doivent s'engager.

Lorsque la continuité écologique sera menée dans le respect de la loi, des ouvrages, des usages et des milieux, elle sera sans aucun doute apaisée. La vigilance des associations et des collectifs riverains en sera le garant. 

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20/10/2020

Participez à l'inventaire du patrimoine industriel de l'eau en Auxois-Morvan

 Le pays d'Auxois-Morvan mène une mission d'inventaire du patrimoine industriel de son territoire, ce qui inclut le patrimoine hydraulique (moulins, forges, usines à eau). Vous pouvez participer à ce travail qui permettra de connaître et valoriser la longue histoire de nos rivières.

Les limites géographiques de la mission sont celles du pays d'Auxois-Morvan, avec 6 communautés de communes (Montbardois, Saulieu Pays d’Alésia et de la Seine, Pays d’Arnay-Liernais, d’Ouche et Montagne, Terres d’Auxois). Cela concerne donc les rivières à l'Ouest de la Côte d'Or : bassins d'Armançon, Brenne, Oze, Ozerain, Serein, Tournesac, Argentelet, etc. 

Voici la carte du territoire concerné :


Notre association vous propose de participer à cet inventaire en envoyant au chargé de mission du Pays les informations dont vous disposez, soit sur votre ouvrage, soit sur d'autres si vous avez étudié certains sites.

Il vous suffit de remplir la fiche ci-après, même de manière incomplète (un ouvrage = une fiche). Tout document jugé utile peut aussi être joint. N'hésitez pas à diffuser à des voisins propriétaires d'ouvrage dans la zone.

Fiche patrimoine hydraulique Auxois-Morvan

Illustration en haut : le barrage de l'ancienne usine hydro-électrique de Semur-en-Auxois, sur l'Armançon. Ce site fut à l'origine un moulin foulon, créé au 15e siècle. Il a connu cinq siècle de production d'énergie sous différentes techniques et pour différents enjeux économiques locaux, avant de devenir un site de promenade et détente. La commune porte un projet de relance d'une production d'énergie bas-carbone. 

16/10/2020

Biefs et canaux historiques sont d'intérêt pour conserver la biodiversité (Lin et al 2020)

 

Une équipe de chercheurs a passé en revue 500 études internationales sur la biodiversité des canaux historiques créés par les humains. Ils concluent que si ces milieux ne peuvent généralement égaler les fonctions et services de cours d'eau naturels (sauf en zone très dégradée où les canaux ont parfois de meilleures conditions), ils représentent néanmoins des opportunités de conservation pour la faune et la flore. La gestion écologique de ces canaux — même ceux en activité — serait susceptible de renforcer leur intérêt et leur valeur. Cela confirme le point de vue de notre association : le patrimoine naturel, et pas seulement culturel ou historique, est en jeu dans tous les milieux en eau créés par les humains. Les chercheurs soulignent que les canaux les plus anciens et ayant perdu une gestion active sont souvent ceux qui ont le plus fort potentiel de richesse biologique — comme justement certains biefs et étangs d'ancien régime que l'administration détruit et assèche dans notre pays . Plus que jamais, il est manifeste que la politique française de continuité écologique a été bâclée sur son volet de gestion des ouvrages. Nous devons demander sa révision immédiate, ainsi que l'étude scientifique des nouveaux écosystèmes aquatiques créés par les humains dans l'histoire des derniers siècles. 

Confluence de deux sous-biefs de moulin (à droite) avec la rivière (Ource). Les canaux humains, en particulier anciens, créent de nouveaux milieux qui hébergent faune et flore.

Hsien-Yung Lin et quatre collègues ont passé en revue la littérature scientifique internationale consacrée aux canaux artificiels créés dans l'histoire, en lien à leur biodiversité. Ils ont trouvé 504 publications, 48% réalisées dans des pays européens, 31% dans les Amériques (la plupart aux États-Unis et au Canada, 26%), 17% en Asie (la plupart au Japon et en Chine, 10%), 3% en Afrique et l'Océanie, et 2% sont des évaluations à travers les continents. Presque toutes les études (503) recueillent des données sur les canaux et / ou les fossés (mais sans définition claire pour différencier ces structures) tandis qu'une seule étude analyse les espèces aquatiques dans les douves. 

Soixante-six pour cent des études se concentrent sur les espèces endémiques (43% endémiques et 23% endémiques avec des préoccupations de conservation), 19% sur les espèces exotiques et 14% incluent des espèces exotiques, endémiques et / ou endémiques avec des préoccupations de conservation. Cependant, notent les chercheurs, "la plupart des études se concentrent sur la composition, l'abondance, la distribution ou le comportement des espèces dans les cours d'eau anthropiques sans examiner ni quantifier clairement les effets sur la biodiversité".

Voici le résumé de leur article :

"Alors que la fragmentation et la perte d'habitat due aux infrastructures menacent la biodiversité d'eau douce dans le monde entier, les canaux historiques ont le potentiel de contribuer à la fois à la conservation du patrimoine culturel et de la biodiversité. Le déplacement des objectifs de gestion de ces canaux historiques du développement vers les loisirs et la conservation offre des opportunités pour atteindre des objectifs de conservation dans ces systèmes anthropiques. Cependant, la gestion des canaux historiques implique souvent de multiples objectifs (par exemple, conservation de la nature vs préservation historique). 

Nous avons passé en revue les études écologiques dans divers types de réseaux de canaux, examiné le potentiel des canaux historiques à contribuer à la conservation de la biodiversité et fourni des suggestions pour promouvoir la conservation de la biodiversité compte tenu des opportunités et des défis de la gestion des canaux. Les caractéristiques des canaux (par exemple, la taille, l'utilisation principale, l'environnement immédiat, les propriétés physiques et hydrologiques) peuvent être utilisées pour qualifier ou quantifier leur valeur et leurs risques potentiels pour la conservation. Changer les régimes de gestion pour imiter l'écoulement naturel, accroître la complexité de l'habitat et modifier la connectivité pourrait améliorer les fonctions et les services des écosystèmes dans les canaux. 

Pour réaliser le potentiel de conservation des canaux historiques, des études sont nécessaires pour combler les lacunes dans les connaissances et pour comprendre les compromis entre des objectifs souvent concurrents. L'utilisation de l'analyse décisionnelle permet aux gestionnaires d'incorporer plusieurs objectifs, d'évaluer les compromis et de résoudre les incertitudes dans la gestion des canaux historiques."

Ce schéma montre un exemple d'analyse décisionnelle.


Extraits de Lin et al 2020, art cit

Voici la conclusion de ce travail: 

"Malgré la contribution potentielle des cours d'eau anthropiques à la conservation de la biodiversité, ces habitats sont peu susceptibles de fournir les fonctions et services écologiques des masses d'eau naturelles (Carlson et al 2019; Chester et Robson 2013; Harvolk et al 2014). Par conséquent, les gestionnaires devraient envisager de conserver ou de restaurer les masses d'eau naturelles dans la mesure du possible. 

Néanmoins, dans les endroits où les masses d'eau naturelles sont fortement dégradés et où les mesures de restauration ne sont pas réalisables en raison de contraintes écologiques, socio-économiques, culturelles et politiques, la conservation ou la restauration de l'écosystème dans les cours d'eau anthropiques pourrait être une alternative intéressante. Des compromis devraient être examinés si le canal ou son fonctionnement peut être l'une des causes de la dégradation des masses d'eau naturelles (par exemple, modifier le régime d'écoulement naturel). Alors que la reconnaissance de la valeur patrimoniale de certains canaux anciens augmente avec le temps, ces chenaux anthropiques s'intègrent également davantage dans l'écosystème environnant. Par conséquent, l'amélioration et la protection de l'état écologique des canaux historiques pourraient renforcer les fonctions et les services des écosystèmes culturels et naturels qu'ils fournissent. Par exemple, les plans de gestion du canal Rideau (Walker et al 2010) et du Grand Canal (Guo et al 2016) comprennent des objectifs traitant des enjeux culturels et naturels. En Europe, l'obligation d'amélioration de l'environnement a été explicitement étendue par la directive-cadre sur l'eau (DCE, 2000/60 / CE) aux plans d'eau fortement modifiés et artificiels (Clifford et Heffernan 2018).

En conclusion, alors que de nombreuses masses d'eau naturelles sont fragmentés par des barrières artificielles dans les rivières et les ruisseaux, la transition des fonctions et des services fournis par les canaux historiques au fil du temps ouvre des fenêtres pour intégrer la conservation de la biodiversité dans la gestion des canaux. L'amélioration de la biodiversité pourrait également attirer des ressources supplémentaires, qui en même temps contribueraient à mettre un terme à l'abandon et à protéger le patrimoine culturel. L'intégration des canaux historiques dans les paysages naturels et culturels peut poser des problèmes de gestion en raison des lacunes dans les connaissances en matière de réponse écologique, et des conflits et contraintes potentiels dans les contextes socio-économiques et politiques. L'utilisation de processus de prise de décision structurés offre aux décideurs et aux parties prenantes l'occasion d'intégrer plusieurs objectifs et d'évaluer les compromis. Nous soutenons que même dans les canaux pour lesquels les objectifs de gestion excluent le patrimoine naturel, il existe des possibilités de gains de conservation."

Les auteurs soulignent en particulier à propos des canaux n'ayant plus leur usage d'origine : "pour les canaux abandonnés, le manque d'entretien au cours des siècles peut permettre le développement d'étapes de succession matures de haute valeur de conservation, en particulier pour la végétation riveraine et aquatique ainsi que pour les poissons limnophiles et les oiseaux semi-aquatiques, les mammifères et les invertébrés. Par exemple, en Slovaquie, la diversité des macrophytes aquatiques est comparable ou même plus élevée dans certains canaux que dans les eaux naturelles car une faible intensité de gestion permet une succession naturelle et une faible dynamique hydrologique (Dorotovičová, 2013). Néanmoins, des mesures de gestion telles que le maintien du niveau d'eau pendant la sécheresse ou l'élimination d'espèces non indigènes pourraient être nécessaires en fonction du besoin d'espèces d'intérêt pour la conservation (Chester et Robson 2013; Sousa et al 2019a)".

Discussion

Cette analyse confirme ce que de nombreux travaux ont trouvé depuis deux décennies, à mesure que les écologues commencent à s'intéresser aux "nouveaux écosystèmes", c'est-à-dire des milieux créés par des humains mais qui ont été progressivement colonisés par la faune et la flore. Il est remarquable (et nullement étonnant pour les observateurs de terrain) que les ouvrages les plus anciens soient aussi ceux qui hébergent la biodiversité la plus intéressante. C'est précisément ce que notre association explique aux gestionnaires quand des biefs et des étangs sont remis en question voire menacés de destruction, sans même faire une étude de leurs fonctions hydro-écologiques et de leurs peuplements biologiques. 

Nous considérons que les biefs de moulin sont les grands oubliés de la recherche, alors même que les rarissimes travaux les concernant ont pu trouver une haute valeur de conservation (par exemple Sousa et al 2019 sur la moule perlière). Il est indispensable d'élargir les connaissances à leur sujet, au lieu de la politique française aberrante et simpliste qui consiste à assécher ces milieux sans même s'interroger sur leur valeur. Nous avions publié un rapport complet ce sujet, et demandé à l'OFB comme aux conseils scientifiques des agences de l'eau d'intégrer ces points dans les analyses des milieux aquatiques. Jamais nous n'avons eu de réponse. Nous constatons que les chercheurs en écologie considèrent pourtant ces sujets comme d'intérêt. Faut-il penser que l'expertise au service de l'administration française manifeste des biais selon les choix politiques défendus par cette administration? 

Référence : Lin HY et al (2020), On the conservation value of historic canals for aquatic ecosystems, Biological Conservation, 251, 108764

13/10/2020

Les associations de moulins et autres ouvrages hydrauliques doivent évoluer dans leurs missions

 La réforme de continuité dite "écologique" a engagé le processus délirant et délétère de destruction massive du maximum d'ouvrages des rivières, au nom d'une vision de la nature sauvage adoptée par certaines administrations hors contrôle démocratique. Derrière la vitrine utile de la "renaturation", il y a aussi la volonté moins avouée de détruire des droits d'eau et usages sociaux pour faire place nette à des acteurs de gestion de l'environnement choisis par la technocratie. Mais si des ouvrages hydrauliques se sont laissés détruire, c'est aussi parce que leurs propriétaires et riverains n'étaient pas assez informés, organisés ni impliqués dans la vie de la rivière. L'administration est forte quand nous sommes faibles. Le moulin, la forge, l'étang, le plan d'eau et tous ces milieux créés dans l'histoire sur le bassin versant doivent répondre à l'évolution importante du droit de l'environnement depuis 30 ans, ainsi qu'aux enjeux et aux pouvoirs de leur temps. On ne peut pas vouloir et vanter la rivière aménagée par l'humain au fil des générations sans s'engager pour défendre et promouvoir cette rivière, ce qui va au delà désormais de la défense d'un patrimoine historique à titre individuel. Les maîtres d'ouvrages hydrauliques sont appelés à devenir des co-gérants de l'eau et de la rivière: c'est ainsi que leurs associations doivent peu à peu redéfinir leurs missions et interventions. 

Les ouvrages de rivières sont souvent des moulins à eau, parfois des forges, des étangs, des plans d'eau, des canaux, des barrages (eau potable, énergie, irrigation, régulation) et tout un petit patrimoine rural témoignant de la valorisation de l'eau par les générations précédentes. La réforme de continuité dite "écologique" a montré que ces ouvrages ne disposent pas, à échelle des bassins versants, d'associations capables de les représenter tous.

Le patrimoine historique défendu au titre de la propriété individuelle ne suffit plus à représenter tous les enjeux

Les associations les plus dynamiques, anciennes et nombreuses sont celles dédiées aux moulins. Beaucoup ont été conçues dans les années 1980-1990 autour du moulin comme patrimoine historique et propriété privée. 

Or, dans les cas où il est trop exclusif, ce centrage est devenu inadapté pour répondre aux enjeux émergents:

- d'une part, les conditions de l'action publique ont changé. Les lois sur l'eau de 1992 et de 2006 ont opéré de profondes réformes dans le droit de l'environnement, en particulier le droit de l'eau. Des dispositions législatives et surtout règlementaires ont renforcé le pouvoir du ministère de l'écologie, des agences de l'eau et des syndicats de rivière. La redéfinition de l'eau comme patrimoine commun a induit de nouvelles dynamiques publiques. Des réalités qui étaient tolérées ou négligées pendant la période de relâchement voire de laxisme des trente glorieuses sont l'objet d'une attention croissante, et cela ne cessera pas vu que l'eau (dans toutes ses dimensions) est considérée par tous comme un enjeu majeur de ce siècle;

- d'autre part, le moulin comme patrimoine historique et propriété privée ne suffit plus à cerner tous les enjeux. Le moulin lui-même définit aussi des milieux au sens écologique (retenue, bief, zones humides) et la gestion du moulin a des effets sur l'eau, ses espèces de lit ou de rive, son régime hydrologique. Au-delà, le moulin est devenu le symbole d'un clivage bien plus large qui est en train de se cristalliser dans la société, savoir si nous voulons le retour d'une rivière sauvage selon l'idéologie naturaliste ayant saisi les administrations de l'eau, ou si nous préférons une rivière aménagée faisant co-exister de manière plus complexe des enjeux écologiques, économiques et sociaux. Dans cet horizon du débat essentiel, le moulin est un ouvrage parmi d'autres aménagements qui, nombreux, témoignent du caractère hybride des milieux aquatiques et humides, formés à la rencontre de la nature, de l'histoire et la société. Il faut penser aussi cette réalité plus globale de la rivière aménagée, et agir en conséquence.

Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de nier la valeur éminente du patrimoine hydraulique et le droit (le devoir même) des propriétaires privés de le défendre. Mais ce patrimoine est vivant, il lui faut se projeter dans son siècle. Par ailleurs, la direction de l'eau et de la biodiversité pousse à définir les moulins, forges et autres comme un simple fait culturel et un vestige du passé, déconnectés de l'existence de l'ouvrage en rivière, afin de masquer la réalité : tout ce que ces sites apportent au-delà du patrimoine, et tout ce que l'on peut en faire pour l'avenir... à condition précisément de conserver les ouvrages!

La réforme de continuité dite "écologique", avec son projet inouï de détruire le maximum d'ouvrages devenus de simples "obstacles à l'écoulement" dans le jargon administratif des technocrates, a agi pour beaucoup comme un révélateur brutal de ces évolutions. Elle a aussi montré la grande faiblesse des propriétaires (particuliers, communes) qui ne s'inscrivent pas dans une logique collective, à échelle de chaque site comme de chaque bassin versant. 

Beaucoup d'ouvrages détruits l'ont été car ils étaient isolés, ignorant le droit, ne percevant pas la vision globale des évolutions en cours, alors que les casseurs d'ouvrages étaient évidemment organisés. Et pour cause, ces casseurs ne sont pas des lobbies intégristes de pêcheurs à la mouche ou d'écologistes radicaux, mais des services de l'Etat et de l'administration qui ont adopté dans le domaine des ouvrages les éléments de langage de ces lobbies (ainsi que des arrière-pensées de liquidation des droits d'eau privés et communaux pour faire place nette à des clientèles choisies par l'Etat): DDT-M répercutant les ordres de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, experts de l'office français de la biodiversité, fonctionnaires des agences de l'eau et syndicats.

Nous sommes le passé, le présent et le futur de la rivière vivante

Mais la résistance à la réforme ratée de la continuité dite "écologique" a été aussi un déclencheur. Des associations de moulins (pas toutes encore hélas) ont su se transformer pour aller au-delà du patrimoine historique et s'engager pleinement dans le débat démocratique. Des collectifs citoyens et riverains ont émergé spontanément un peu partout pour défendre des sites, voire se les ré-approprier. Des communes ont opposé une fin de non-recevoir à la liquidation de leur cadre de vie. Des associations nouvelles (comme Hydrauxois) sont nées pour adopter une démarche plus transversale de critique des politiques publiques et de redéfinition d'une vision à long terme de la rivière qui ne soit ni le laxisme anti-écologique des trente glorieuses, ni l'approche radicale et parfois sectaire d'un retour à la "nature sauvage". 

Nous ne savons pas comment se terminera la réforme ratée de continuité dite "écologique". Mais nous savons une chose: ce n'est pas uniquement un épiphénomène tenant à quelques hauts fonctionnaires faillis qui ont confondu leur conviction militante avec la conduite de l'Etat (même si cette dérive est une réalité que nous travaillons à mettre demain à l'ordre du jour du débat démocratique...). Il n'y aura pas de "retour en arrière" à la gestion des cours d'eau telle qu'elle se pratiquait voici une ou deux générations — et il faut bien dire que vu la dégradation accélérée de l'eau entre les années 1940 et les années 1980, un tel retour n'est pas souhaitable! 

Pour les associations existantes et celles à naître, cela a plusieurs conséquences. 

Les associations de moulins (quand elles existent) ont vocation à s'étendre à l'ensemble du patrimoine hydraulique (soit directement, soit par des coordinations avec d'autres acteurs), mais surtout à se penser comme des actrices de la rivière, de l'écologie et plus largement du débat démocratique. Cette évolution est indispensable. Tous les propriétaires ne la comprendront pas immédiatement, mais elle est pourtant nécessaire, y compris pour assurer une meilleure protection et une meilleure gestion de chaque site.

Parmi les obligations nouvelles des associations engagées pour co-gérer les rivières, assez différentes de la simple conservation patrimoniale à titre individuel, il y a notamment:

- s'organiser rivière par rivière (au moins les bassins majeurs avec leurs affluents) afin d'avoir le maximum d'adhérents dans les particuliers et communes qui possèdent des ouvrages; chaque rivière a sa cohérence et dans le cas des patrimoines anciens, il existe aussi une cohérence d'implantation qu'il faut redécouvrir;

- se tenir informé des enjeux locaux de l'eau, en particulier les actions du syndicat "GEMAPI" et de l'agence de l'eau, mais aussi de l'histoire locale de l'eau, qui a souvent les clés de son avenir;

- demander à être représenté dans les instances locales de discussion sur l'eau et dans les réunions préfectorales traitant directement ou indirectement de tous les sujets "ouvrages",

- mettre en avant ce que les ouvrages (moulins, forges, étangs, autres) peuvent apporter aux biens communs que sont l'atténuation du changement climatique, la gestion des crues et assecs, la protection de la biodiversité, le développement de l'énergie bas-carbone, l'économie locale et les circuits courts, la valorisation territoriale par le paysage, le patrimoine, la culture, les loisirs,

- informer les élus locaux et parlementaires de la réalité des rivières aménagées,

- travailler à ce que chaque territoire retrouve une autonomie de décision sur ses cadres de vie, à l'encontre de la confiscation par des bureaux lointains à Paris ou Bruxelles. 

Tout cela représente une certaine "révolution culturelle". Et beaucoup de travail. Mais il faut commencer modestement, déjà par la première étape consistant à réunir en association ou en coordination d'associations le plus grand nombre de sites par rivière, pour apprendre à se connaître, expliquer les nouveaux enjeux, échanger sur les besoins, partager les bonnes pratiques... et distribuer les tâches. 

Nous aimons des rivières avec des moulins, des forges, des étangs, des plans d'eau et tant d'autres singularités, nous aimons tous ces héritages mêlés de la nature et de la culture. Mais ce que nous aimons, il nous faut le protéger, le valoriser et le transmettre aux générations futures. Cela passe par un travail collectif ainsi que par une mise en cohérence de nos aspirations et de nos actions. 

11/10/2020

Echec de la réduction des pollutions diffuses en bassin de Seine depuis l'adoption de la DCE 2000 (Bouleau et al 2020)

 

Une équipe de chercheurs montre que si les nitrates et phosphates ont régressé dans les années 1980 et 1990, les progrès semblent avoir ralenti depuis les années 2000 dans le bassin de Seine. La cause est de moins en moins des pollutions ponctuelles ou l'élevage, mais des sources diffuses, notamment en lien à certaines pratiques de l'agriculture intensive. Par ailleurs, la meilleure prise en compte des pesticides montre qu'ils dégradent la qualité d'au moins 25% des eaux de surface et 61% des eaux souterraines en Seine-Normandie. Un sujet qui préoccupe de plus en plus les citoyens, et qui peut devenir plus problématique pour l'eau potable avec les vagues de sécheresse entraînant une moindre dilution des polluants.

Gabrielle Bouleau et cinq co-auteurs, membres passés ou présents du comité scientifique de l'agence de l'eau Seine-Normandie, analysent dans un numéro spécial de la revue Water Alternatives l'échec de la réduction des pollutions diffuses après l'adoption de la directive cadre sur l'eau (DCE 2000).

Voici le résumé de leur travail :

"Les parties prenantes européennes engagées dans la lutte contre l'eutrophisation de la mer du Nord ont salué trois innovations de la directive-cadre sur l'eau: une approche plus holistique de la qualité, le caractère contraignant des objectifs de la DCE et une plus grande participation du public. Vingt ans plus tard, cependant, il y a eu des progrès décevants dans la réduction de la pollution diffuse. Dans le bassin de la Seine, la présence de l'élevage est faible; pourtant le bassin est soumis à une pollution diffuse importante due à l'agriculture. Cet article rapporte notre étude de ce cas; nous examinons la littérature sur la politique de mise en œuvre de la DCE afin d'identifier les causes physiques et sociales de cette incapacité à réduire la pollution diffuse. Nous montrons que les nitrates, le phosphore et les pesticides qui affectent les eaux souterraines, de surface et marines sont attribuables à des changements structurels dans la production agricole plutôt qu'à des pratiques agricoles inefficaces. Nous décrivons comment une série d'instruments conçus pour lutter contre les origines agricoles diffuses des polluants ont eu peu d'effet. Nous identifions les principaux obstacles à l'amélioration comme étant la dispersion du public ciblé et la dispersion des bénéfices, compte tenu de la nature actuelle de la légitimité dans l'Union européenne. Ce cas illustre le fait que la production agricole intensive a un impact sur la qualité de l'eau bien au-delà du problème de l'excès de fumier provenant de l'élevage."

Le constat est d'abord fait qu'après la régression des nitrates et des phosphates dans les années 1980 et 1990, les progrès ont été ralentis et non accélérés après l'adoption de la directive cadre européenne sur l'eau en 2000. Concernant la charge en phosphates et nitrates, on l'estime à 1000-2000 tonnes par an pour les phosphates, 93 000 tonnes par an pour les nitrates. Dans 82% des cas, la source des nitrates est diffuse et non ponctuelle (dans 50% des cas pour les phosphates). 

Par ailleurs, les pollutions par pesticides sont davantage prises en compte.

Cette image montre par exemple la pollution des captages AEP par les pesticides. La dégradation des aquifères par les pesticides concernent 61% des sites du bassin Seine-Normandie (25% des eaux de surface).


A paramètres constants, l'état chimique des masses d'eau (toutes confondues) avait progressé de 38 à 41% entre 2004 et 2019, ce qui est modeste, mais en incluant la nouvelle obligation de prendre en considération 14 pesticides, le chiffre a chuté à 32%, donc une régression en réalité, quand on affine les mesures. Encore cette estimation est-elle conservatrice : la DCE obligeait à suivre 5 pesticides jusqu'en 2012, puis 14 pesticides, mais il y a plusieurs centaines de principes actifs à effets toxiques qui circulent dans les eaux. Pas uniquement issus de l'agriculture au demeurant (polluants médicamenteux, industriels, domestiques).

La conclusion des auteurs :

"Le bassin de la Seine a bénéficié d'objectifs ambitieux au niveau national, d'une réduction réussie de la pollution ponctuelle et d'une compréhension scientifique de la dynamique du bassin. Des mécanismes de contrôle plus stricts pour l'utilisation d'engrais sont mis en œuvre au niveau des exploitations en vertu de la directive sur les nitrates et de la politique agricole commune (Commission européenne, 2019d: 148). Les condamnations pendantes de la France pour non-respect de la directive sur les nitrates ont conduit les experts gouvernementaux à suggérer le transfert du système wallon Nitrawal, qui rend obligatoire la mesure des résidus d'azote dans le sol et prévoit des sanctions en cas d'excédents (Barthod et al. ., 2019); grâce à ce système, l'administration agricole deviendrait responsable des nitrates. Une telle mise en œuvre réussie de la directive sur les nitrates marquerait néanmoins un retour à une approche plus sectorielle et moins holistique; il est également trompeur de se concentrer uniquement sur les rejets existants de nitrates. L'abandon de l'élevage extensif dans les prairies ouvre une voie à l'urbanisation et à l'intensification agricole; cela entraînerait la régression des zones humides et des prairies, qui représentent une grande partie des nitrates évités du bassin. De plus, si seul le problème des nitrates était résolu, la pollution par les pesticides et les phosphates continuerait. Compte tenu du temps de séjour de ces substances toxiques dans les eaux souterraines, la tolérance politique actuelle de ces rejets est susceptible d'entraîner des coûts supplémentaires pour la production d'eau potable et la protection des écosystèmes à l'avenir. Cependant, la préoccupation du public pour la qualité des eaux souterraines est restée faible jusqu'à présent. Avec le changement climatique, de plus en plus de communes de France sont confrontées à des pénuries estivales d'eau potable. Si la concentration de pesticides ou de nitrates augmente alors que la dilution devient plus difficile, on peut s'attendre à une plus grande implication du public dans la question. Eau de Paris, le service public d'eau qui approvisionne la région parisienne en eau potable, a récemment commencé à tenter de répondre à ces problèmes en proposant des contrats préférentiels aux agriculteurs qui se convertissent à l'agriculture biologique".

Référence : Bouleau G et al (2020), Despite great expectations in the Seine River Basin, the WFD did not reduce diffuse pollution, Water Alternatives, 13, 3, 534-555

09/10/2020

Améliorer la performance des roues de dessus des moulins à eau (Quaranta et Revelli 2020)

 Deux ingénieurs italiens se penchent sur une manière d'optimiser le rendement des roues de dessus, en ajoutant une paroi sur la zone de descente des augets chargés en eau. Les tests sur modèle de laboratoire montrent un gain de rendement de 1,2 à 1,5 dans les plages de rotation plus rapide de la roue. Voilà de quoi donner des idées et tester des améliorations pour des milliers de sites équipables ou équipés en France. L'énergie hydraulique, par son bon rendement de conversion de l'énergie de l'eau, a un excellent bilan carbone, matière première et cycle de vie. En particulier quand on utilise le génie civil en place (moulins, étangs, canaux) sans créer de nouvelles infrastructures. En ces temps où l'on valorise le local et la sobriété, il conviendrait d'encourager ces équipements.

Exemple de roue de dessus, extrait de Quaranta et Revelli 2020, art cit

Les moulins, les étangs, les petits barrages, les canaux d'irrigation ou de régulation proposent un grand potentiel cumulé d'hydroélectricité, mais à faible puissance unitaire, avec des hauteurs maximales de quelques mètres et des débits de quelques mètres cubes par seconde (voir Punys et al 2019). Comme l'observent Emanuele Quaranta et Roberto Revelli, ingénieurs experts des dispositifs de petite hydro-électricité, "l'installation d'hydroturbines à faible chute pourrait être une option viable pour générer une énergie renouvelable propre en dessous de 100 kW (microhydroélectricité) sur ces sites, avec des effets bénéfiques sur l'économie locale et sur l'électrification des zones reculées. Dans les zones rurales et décentrées, l'installation de micro-centrales hydroélectriques est considérée comme l'une des options les plus économiques pour l'électrification rurale, en particulier lorsque les structures hydrauliques existantes sont utilisées pour réduire les coûts d'infrastructure".

Dans ce contexte, les roues hydrauliques sont considérées comme très respectueuses de l'environnement, en raison de leurs faibles vitesses de rotation et de leur travail en surface libre. Les roues de dessous, dites roues cinétiques, utilisent uniquement la vitesse de l'eau pour tourner par pression sur leurs pales ou aubes situées en bas de la roue. Les roues de poitrine et les roues de dessus, dites roues gravitaires, utilisent aussi la gravité par remplissage d'augets qui, une fois chargés, entraînent la roue. Les roues de dessus sont généralement utilisées pour une hauteur de 2,5 à 6 m et des débits inférieurs à 0,2 m3/s par mètre de largeur, avec des rendements maximaux observés en conditions de laboratoire à 85%. L'un des intérêts de l'énergie hydro-électrique est que, contrairement à la plupart des autres, elle peut atteindre ces très bons rendements de conversion de la source naturelle d'énergie, ce qui signifie qu'elle a une moindre empreinte matières premières par unité d'énergie produite et un meilleur taux de rendement énergétique en cycle de vie complet. 

Emanuele Quaranta et Roberto Revelli, dont la laboratoire dispose d'une roue expérimentale, ont voulu savoir s'il était possible d'améliorer le rendement des roues de dessus quand celles-ci ont une rotation plus rapide. Pour cela, ils ont créé une paroi sur le demi-cercle de roue qui correspond à la phase descendante de la roue, quand celle-ci vient de charger l'auget du sommet en eau (cf ci-dessous). Le but est d'éviter des pertes dans la rotation et de renforcer la puissance par gain de pression hydrostatique des augets.

La paroi semi-circulaire (à droite) évite notamment des pertes turbulentes, extrait de Quaranta et Revelli 2020, art cit

L'analyse des résultats confirme que la roue expérimentale avec paroi montre des gains de 1,1 à 1,5 de rendement, et que ce gain est plus marqué en vitesse rapide (entre 3 et 4 rad/s). Le rendement maximal des roues de dessus reste néanmoins meilleur dans les plages à vitesses plus lentes (entre 0,5 et 3 rad/s).

Les auteurs notent que l'ajout de cette paroi crée une contrainte en situation réelle : éviter que des flottants ne se coincent entre la roue et la paroi. Il faut donc prévoir une grille plus sélective à l'entrée de la goulotte d'amenée de l'eau entre le bief et la roue. 

Voilà une recherche qui donnera éventuellement des idées au nombreux propriétaires souhaitant relancer ou ayant relancé des roues afin de produire une énergie locale, propre et zéro-carbone.

Référence : Quaranta E,  R. Revelli (2020), Performance optimization of overshot water wheels at high rotational speeds for hydropower applications, J. Hydraul. Eng., 146, 9, 06020011

03/10/2020

"Nous ne serons jamais d'accord sur certains sujets, notamment les moulins" : l'aveu des bureaucrates de la casse du patrimoine

 Pour faire face au rapport très critique du CGEDD rendu public en 2017 et à la fronde des parlementaires excédés par la destruction des barrages, moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques, le comité national de l'eau avait réuni un "groupe de travail continuité écologique". Celui-ci s'est révélé un monologue de la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie, écartant toute objection à son programme raté de continuité écologique. Dernier coup de maître : il est proposé par la DEB de ne plus parler du tout des moulins! Les fédérations concernées apprécieront. Pour Hydrauxois et la coordination Eaux & rivières humaines, cette nouvelle provocation n'est qu'une confirmation supplémentaire du rôle réel de ce groupe de travail : étouffer les critiques de fond de la continuité, faire croire qu'il existe une concertation, endormir la vigilance des élus face aux dérives des hauts fonctionnaires. Arrêtons de perdre du temps dans cette diversion, travaillons à la défense juridique des sites menacés ainsi qu'à l'information des élus sur les manipulations de l'information par l'administration eau et biodiversité. 

Est-il encore besoin d'aller faire de la figuration au comité national de l'eau pour donner un semblant de légitimité aux casses "apaisées" de la continuité "apaisée"? Certains devraient se poser la question. (© Ouest-France). 

Le comité national de l'eau met en ligne les comptes-rendus synthétiques de ses travaux. Dans les discussions du dernier groupe de travail "continuité écologique" (réuni en mars 2020), voici ce que l'on peut lire de la part de la directrice adjointe de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie:

"Nous ne sommes pas d’accord sur tout certes, mais tel n’est pas l’objectif et il serait illusoire de prétendre parvenir à un consensus. En effet, nous ne serons jamais d’accord sur certains sujets, notamment sur les moulins. Par conséquent, il serait vain de continuer à aborder ces sujets dans le cadre de groupes de travail. Je tiens à saluer les efforts des associations de moulins et de riverains à parler d’une même voix, ce qui permet notamment d’éviter la dispersion des échanges."

Message stupéfiant : merci aux fédérations de moulins d'avoir participé, mais comme nous ne serons jamais d'accord avec vous, vous aurez la gentillesse de parler seulement des sujets que nous choisirons désormais. On sait que la technocratie française se caractérise par sa verticalité, son autoritarisme et son mépris de "ceux qui ne sont rien", mais on est toujours surpris d'en trouver de temps en temps l'expression la plus directe et la plus assumée.

Tout cela clôt ou devrait clore la farce de la "continuité écologique apaisée", gadget de communication mis au point par la haute administration pour neutraliser les critiques croissantes dont elle est l'objet.

Au cours du seul été 2020, fort loin de tout apaisement, une série de décisions venant du ministère de l'écologie et de ses représentants en agences de l'eau a organisé la facilitation réglementaire et financière de la destruction des ouvrages, l'exclusion de leur représentants des instances de délibération et décision  :

Un an plus tôt, le décret du 3 août 2019 (attaqué au conseil d'Etat par Hydrauxois et la FFAM) a donné une définition délirante d'un obstacle à la continuité écologique, définition au terme de laquelle un barrage d'embâcles ou de castor seraient des réalités non réglementaires et négatives pour l'écologie... quoique fort naturelles pourtant

A cela s'ajoute que le processus de priorisation des rivières au titre de la continuité, qui devait être co-construit et justifié techniquement par l'administration, a finalement été présenté comme un fait accompli sans aucune rigueur scientifique dans la justification.

Bilan: les casseurs ont gagné du temps et laissé croire que des fédérations de moulins ou de riverains les soutenaient désormais

Nous appelons à nouveau l'ensemble des acteurs à rompre avec ce jeu de dupes, afin de ne plus donner le moindre semblant de vernis démocratique à des processus administratifs qui en sont fondamentalement dépourvus. Partout en France, des associations, des collectifs et des élus se mobilisent contre la poursuite de la casse des ouvrages hydrauliques par des bureaucraties de l'eau à la solde des lobbies : c'est vers ces acteurs que doivent se diriger les énergies, ce sont ces acteurs qui ont besoin d'aides financières, de conseils juridiques, de soutiens médiatiques, de saisines des politiques nationaux, de mobilisation militante. 

La direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie a choisi un dogme de renaturation des rivières. Elle n'en changera pas de manière endogène, par le simple effet de la discussion. On ne résout pas un problème avec les croyances, les personnels et les mécanismes qui l'ont provoqué.

Dans les premiers temps de la continuité apaisée, nous avions écrit à Simone Saillant et Claude Miqueu (en charge de ce dossier au CNE) que le préalable à tout apaisement était simple: la reconnaissance de la valeur des ouvrages hydrauliques. Cette reconnaissance n'est jamais venue, donc nous avons compris le caractère biaisée de la démarche. 

La DEB peut utiliser tous les euphémismes et tous les sophismes pour le dissimuler, mais sa croyance profonde reste que le seul bon ouvrage en rivière est l'ouvrage qui n'existe pas ou qui n'existe plus. Elle peut tolérer avec répugnance quelques-uns de ces ouvrages, mais en y mettant tant de conditions règlementaires que la plupart seront en fait intolérables. Un autre combat est ici à mener : expliquer que cette vision radicale de l'écologie et de la conservation de la biodiversité est déjà dépassée, montrer que la renaturation des rivières prise comme un dogme à appliquer partout produira des effets négatifs (comme on le voit d'ores et déjà lors des sécheresses), exposer la réalité des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques qui a été défigurée par une propagande militante de certaines administrations et de certaines associations. 

Beaucoup de travail, donc. Mais pas au CNE pour s'entendre dire que le seul ordre du jour est celui fixé par les bureaucrates et les lobbies de la destruction des patrimoines des rivières. 

01/10/2020

Estimation des pollutions de l'Eure et de la Seine par les sédiments des barrages (Gardes et al 2020)

 

Les sédiments bloqués dans les barrages révèlent souvent le passé industriel des rivières. Et ils portent parfois encore leurs contaminants. Des chercheurs de l'université de Rouen ont ainsi pu reconstituer la manière dont l'estuaire de la Seine et la rivière Eure ont été pollués dans la seconde moitié du 20e siècle par des émissions de plomb, de zinc, de cuivre et de nickel venant d'industries installées non loin des cours d'eau. Certains parlent avec enthousiasme de la "libre circulation des sédiments", mais encore faut-il s'assurer au préalable que ceux-ci ne soient pas porteurs de contaminants. Ou de faible intérêt écologique, comme les excès de matières fines en suspension. 


Le bassin versant de la Seine a fait l'objet d'études de ses pollution dans les secteurs Oise, Marne et Eure. Extrait de Gardes et al 2020, art. cit.

Les sédiments produits par les actions humaines ont reçu une attention croissante ces dernières années. Ils ont été classés dans un type particulier, connu sous le nom de "sédiments hérités" (James 2013): des dépôts alluviaux issus de perturbations anthropiques dans un bassin versant. Ces sédiments hérités sont souvent stockés dans les retenues des barrages. Il est alors possible de retrouver les témoignages industriels et agricoles des activités passées. C'est particulièrement précieux dans l'étude des estuaires, milieux dynamiques où il est difficile de reconstituer les tendances temporelles de la contamination et les origines de ces dernières. Pour cela, il faut alors étudier ses affluents. En particulier si ceux-ci disposent de barrages formant les archives des activités humaines. C'est le travail entrepris par une équipe de chercheurs de l'université de Rouen.

Les scientifiques observent : "La révolution industrielle a considérablement augmenté la pression anthropique sur la Seine sur une période d'environ 150 ans, entraînant des changements spécifiques et drastiques dans la morphologie des cours d'eau. Ces modifications ont permis de réguler le débit de la Seine, principalement pour faciliter la navigation au XIXe siècle (Horowitz et al 1999; Lestel et al 2019). Les modifications morphologiques ont également impacté les affluents de la Seine. Ainsi, l'Eure, principal contributeur de l'estuaire de la Seine, a vu son exutoire détourné de 11 km en aval entre 1929 et 1939. Tous ces aménagements ont abouti à la mise en place d'environnements de dépôt favorisant le stockage des sédiments hérités, propices à la reconstitution des activités anthropiques dans le bassin versant. Cependant, si l'histoire de la Seine est bien connue, il y a moins d'informations historiques sur ses affluents; ce dernier pourrait potentiellement être la principale source de contamination dans le cours inférieur du bassin versant, c'est-à-dire l'estuaire"

C'est la raison pour laquelle les activités anthropiques dans le bassin versant de la rivière Eure ont été étudiées à travers des carottes sédimentaires dans deux retenues (Martot, Les Damps) afin d'analyser les signatures sédimentologiques et géochimiques.

L'analyse des carotte sédimentaires montre des contaminations au plomb : "Dans les grands bassins versants européens, les niveaux de Pb présentent généralement des tendances temporelles similaires avec des augmentations des années 1940 aux années 1970, puis diminuent jusqu'aux années 1990 (Danube et Rhin: Winkels et al 1998; Loire: Grosbois et al 2006; Seine: Le Cloarec et al 2011; Ayrault et al 2012; Rhône: Ferrand et al 2012). Inversement, dans l'Eure, les niveaux de plomb sont restés stables dans les années 60, ont augmenté à la fin des années 80 et ont atteint un maximum dans les années 90 et 2000 suivi d'une diminution après 2006." Cette pollution au plomb est attribuée à usine de tubes cathodiques puis de composants électroniques, implantée à Dreux.

Autre découverte : des contaminations de l'eau au zinc, au cuivre et au nickel: "la forte augmentation de Zn, Cu et Ni à la transition entre la Seine et les unités de l'Eure montre comment la modification du chenal de la Seine (pour la navigation) a immédiatement impacté la qualité des sédiments déposés dans la retenue Martot. Les tendances historiques de Zn, Cu et Ni, rapportées par plusieurs études dans de grands fleuves européens, tels que les bassins du Danube, du Rhin, de la Loire et de la Seine, montrent que les concentrations ont augmenté entre 1940 et les années 1970, puis ont diminué (Winkels et al 1998; Grosbois et al 2006; Le Cloarec et al 2011). Tout comme dans ces bassins versants, les teneurs en Zn, Cu et Ni dans le bassin versant de la rivière Eure étaient élevées jusqu'aux années 1980 et ont culminé au cours des années 1960 et 1970." Les fortes corrélations observés entre ces éléments suggèrent une source unique pour la rivière Eure: probablement l'usine de batteries Wonder. "En raison d'une évolution globale de l'industrie (délocalisation, changement de type de batteries), cette industrie a décliné à la fin des années 1960, ce qui se reflète dans la teneur en Zn, Cu et Ni dans les sédiments. Après la fin de l'activité industrielle (1994), la teneur en Zn, Cu et Ni reste stable. Ici, le bassin versant semble réagir instantanément avec le changement de l'activité anthropique."

Les chercheurs concluent : "Au cours de l'Anthropocène, les zones de sédimentation contenant des sédiments contaminés peuvent être impactées par des événements extrêmes (par exemple des inondations) ou modifiées par des activités humaines (par exemple la destruction de barrages, le dragage et la canalisation), ce qui peut provoquer une remise en suspension de ces sédiments dans les rivières. , constituant une nouvelle source de contamination. Ces processus complexes concernent la plupart des fleuves du monde."

Discussion

Cette recherche montre d'une part que l'on peut retracer l'histoire des pollutions, au moins celles qui ont des signatures persistantes comme les traces métalliques, d'autre part que les chantiers d'effacement de barrage exigent des précautions (voir aussi Howard et al 2017), ce qui est trop souvent négligé par un personnel mieux formé à prendre en compte la morphologie que la chimie. 

Une autre équipe française a récemment montré qu'au cours du 20e siècle, la Seine de l'aval de Paris à l'estuaire a été massivement polluée (Le Pichon et al 2020). Ces "bouchons chimiques" formaient une discontinuité susceptible de bloquer les poissons migrateurs, déjà entravés par des barrages de navigation qui n'avaient pas tous été mis aux normes. Si les pollutions aux nitrates et phosphates ont beaucoup attiré l'attention au 20e siècle, en raison du caractère visible et massif de l'eutrophisation, d'autres polluants sont finalement bien moins connus et étudiés

Référence : Gardes T et al (2020), Reconstruction of anthropogenic activities in legacy sediments from the T Eure River, a major tributary of the Seine Estuary (France), Catena, 190, 104513

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