30/05/2022

Une des plus grosses unités de méthanisation dans le Châtillonnais : quels impacts sur notre ressource en eau


 Le projet Sécalia à Cérilly ( 21):

 C'est un projet porté par des agriculteurs  et Dijon Céréales, l'usine sera construite par une entreprise Danoise "Nature Energy". 

Le projet en chiffre :

-155 exploitations agricoles

-180 000  tonnes d’intrants végétaux par campagne

-5400 hectares de terres agricoles destinées aux CIVEs

-19 440 t/an  déchets et co-produits issus de l’industrie de transformation de matières végétales (résidus fabrication bioéthanol)

5 stockages décentralisés : Louesme, Savoisy ,Touillon, Lucenay le duc, Poiseul la ville- la perrière.

 

Ressortira de l’usine : 

-4 950 t/an Sulfate d’Ammonium avec entre 7,5 et 10% d’azote

-46 162 t/an Digestat Solide à éprendre dans les prairies et cultures sur une zone de 43 000 hectares sur le Montbardois et le Chatillonnais

-120 000 m3/an  d’eau chargée principalement en azote (19% sera recyclé pour les besoins de l’usine, le reste sera infiltré ou épandu).

Du Biométhane correspondant à l’alimentation de 15 000 habitants 

- Du BioCO2 mis sous forme liquide destiné à l’industrie.

 

 Pour faire fonctionner l’usine il faudra entre autre :

- 1 chaudière gaz de 4000 kw

- 2286 tonnes /an d’acide Sulfurique à 96 %

- De 25 à 140 rotations par  jour de camions seront nécessaire en fonction de la période pour les besoins de l’entreprise. Le maximum  sera de140 camions en mai lors de la coupe des Cultures Intermédiaires à Valorisation Energétique CIVEs

 

 Pour l'emplois

10 emplois directs, 50 indirects 

Exemple d'usine sans sa zone de stockage des CIVEs (doc Sécalia)

Préconisations pour eaux claires issues du site (évaporation-stripping et eaux pluviales de ruissellement sur la zone de stockage d’ensilage)

En premier lieu, Il semble bon de rappeler que le chatillonnais est une zone karstique.  Ce qui veut dire que l’eau s’infiltre rapidement à travers le sol par des fissures ou fentes dans la roche. Des dolines, des avens « sorte de gouffre » se sont formés dans cette zone par un principe d’érosion issu  des eaux de pluie. Les vitesses d’infiltration sont donc très importantes ce qui augmente le risque de pollution de nos nappes phréatiques et cours d’eau.

 L’objectif du projet Sécalia est de produire à partir de produits végétaux ou de déchets issus du monde végétal, du gaz à injecter sur le réseau, du CO2 conditionné pour l’industrie, de l’engrais et des digestats pour l’agriculture.  Sécalia a fait le choix d’une technologie qui va produire des digestats sous forme solide qui serviront d’amendements pour l’agriculture.

Si cette technologie comporte de nombreux avantages comme la diminution du nombre de camions pour  transporter le digestat sec vers les unités annexes du site , elle semble par contre comporter un risque majeur dans notre région pour sa partie « eau claire » .L’infiltration des eaux d’évaporation-stripping de ce process encore chargé de nombreuses substances dans une zone dédiée  de 1615 m2  pourrait alors gravement polluer notre réseau d’eau souterraine .Ce risque peut être alors  lourd de conséquence  sur la qualité des eaux souterraines ,des captages destinés à l’alimentation humaine et nuire à la qualité de nos cours d’eau  en aval  du projet . Ce site a été identifié comme zone karstique dans les différentes études, la présence identifiée de doline sur le site a même été identifiée par la DREAL, un sondage sur cette seule zone signalée n’a pas permis de la trouver.

Le problème lié à l’infiltration de ce rejet industriel a été clairement identifié dans cette enquête publique, les volumes ne sont pas négligeables et sont de l’ordre de  120 000m3 par an. Le comportement de ce monde souterrain est mal connu, les différentes études soulignent un vrai risque pour nos captages et nos rivières, cela principalement en période d’étiage des cours d’eau.

Des incertitudes, souvent contradictoires, apparaissent régulièrement dans ce dossier  de plusieurs milliers de pages .Il y apparait  un  « plan B »  pour l’épandage de cette eau claire chargée en azote, comme de gros canons à eau afin  de disperser ce résidu industriel  autour du site  ou bien un plan d’épandage de ce liquide qui va alors rajouter plusieurs centaines de camions sur la route avec un réel cout économique.

Il semble indispensable d’orienter ce projet dès maintenant vers un « plan B » et abandonner   ce procédé d’infiltration qui même complété  d’une solution d’absorption des résidus tel que l’azote par des plantes ne semble selon certains documents de l’étude pas convenir à notre territoire.

 Voici ce qui serait  à notre avis intéressant d’étudier.

Stocker l’eau claire à proximité dans une « Bassine » sorte de réservoir étanche afin de valoriser l’eau sur place pour la destiner à l’agriculture. Cette eau, néfaste pour l’environnement dans son état initial,  peut par contre avoir un intérêt  pour une utilisation agricole.

La solution pourrait être par exemple l’alimentation en eau fertilisée de serres tunnels utilisant  un mode de culture hors sol . Si un montage est trouvé afin de rendre économiquement viable  cette solution, elle pourrait  alors  apparaitre comme du « gagnant gagnant ».

La consommation d’énergie et d’acide sulfurique nécessaire dans le process serait alors réduite  car il n’y aurait plus besoin de chercher une épuration compatible avec un rejet dans le milieu naturel.

De plus le procédé rejette de l’eau  à 30°, il serait alors intéressant de valoriser cette dernière pour le chauffage des serres. Le rejet pourrait être même supérieur  car il ne serait plus nécessaire de limiter sa température afin de la rendre compatible pour un rejet dans le milieu. 

L’usine doit aussi infiltrer ses eaux pluviales, une partie des eaux proviennent de l’eau des écoulements sur les bâches de la zone de stockage d’une surface de 37000 m2 .Les eaux peuvent se trouver chargées en cas de fuites sur les bâches par exemple, elles pourraient alors rejoindre aussi cette « bassine » afin d’être valorisées sur le même principe. 

  Mise en garde concernant les CIVEs  

Nous entendons de plus en plus parler de CIVEs d’été comme le sorgho dans le Chatillonnais. Cette plante africaine résiste très bien au stress hydrique, mais il ne faut pas oublier le pourquoi..ses racines sont capables d’aller chercher l’eau à 1,6 m de profondeur. Ne risque t’on pas alors de faire baisser encore plus le niveau de nos nappes et cours d’eau si planté à proximité ? Il semble bien nécessaire d’étudier cette hypothèse avant de couvrir par milliers d’hectares notre territoire de plantes résistantes au stress hydrique.

Il semble aussi nécessaire de préserver nos prairies de fond de vallée et ne pas les dédier à l’alimentation de cette usine de méthanisation. Seul la PAC au titre du paiement vert les  protège actuellement, nos régions n’étant pas protégé par un arrêté «  retournement prairies permanentes »

Préconisations concernant le plan d’épandage

La proximité des cours d’eau est bien prise en compte avec des règles différentes en fonction de la pente du sol, il semblerait nécessaire d’harmoniser cette distance en gardant uniquement celle proposée de 200 M en terrain plat par principe de précaution, cela pour l’ensemble de nos cours d’eau et zones humides . Il semble aussi nécessaire d’exclure de ce plan,  les zones d’expansions de crues qui seront bientôt définies dans une étude en cours. C’est aussi une préconisation du MRAe.

Mise en garde concernant la pollution routière

Avec plus  de 700 rotations de camions par mois  nous devrons faire face à des transports d’ensilage, de digestat , de produits chimiques, comme par exemple   plusieurs camion-citernes d’acide sulfurique chaque semaine. Notre réseau routier du Châtillonnais est-il prévu pour cela ?  Il faudra peut être y rajouter des centaines de camions afin d’éprendre les résidus en eau chargée s’il s’avère que l’infiltration a des impacts sur les captages, la nappe ou les rivières.

Nous n’avons pratiquement aucun traitement des eaux pluviales issues du réseau routier dans le Châtillonnais. Comment allons-nous gérer un risque de fuite et la pollution d’un cours d’eau qui en sera alors la conséquence directe ?

Et le Parc National dans tout cela ?

Le plan d’épandage a bien été soumis au parc qui a fourni des préconisations,  par contre il est fort dommage qu’il  n’ait pas souhaité que le CESC puisse donner un avis comme il était  prévu à un ordre du jour d’octobre 2021 .

 La positon de la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe ) BFC est très claire : il n’y a pas d’impact sur le Parc National de Forêts  car celui ci n’est même pas mentionné dans l’étude de 2022…seuls les parcs régionaux du Morvan et de la Forêt d’orient y apparaissent ….Et pourtant la problématique impact sur la ressource en eau y est clairement identifié dans son rapport. 

La MRAe recommande  « de recenser la présence de flore et d’habitats susceptibles d’être impactés par l’épandage, et l’existence ou non d’une fertilisation sur les prairies, antérieure à ce plan, et de prévoir les mesures ERC en conséquence ». Dijon céréales n’envisage pas de le faire, il semble dommage de ne pas en avoir étudié la possibilité  sur l’aire d’adhésion.


Nous espérons que l'impact de ce projet sur la qualité de la ressource en eau de notre territoire sera bien pris en compte dans cette enquête publique.
Pour cela nous avons besoin de votre aide avant le 10 juin date de cloture de l'enquête. 


Une enquête publique ? Tout le monde peut donner un avis ?

OUI vous pouvez pour cela soit rencontrer un commissaire enquêteur  aux dates suivantes :
 Soit laisser un avis sur le registre dématérialisé  à cette adresse

https://www.registre-dematerialise.fr/2903/deroulement

https://www.registre-dematerialise.fr/2903/observation

Est-il possible d’accéder à l’ensemble du dossier d’enquête publique du projet Sécalia ?

Oui dans les mairies concernées par l'enquête ou via ce lien
Le nombre de pièce du dossier peut faire peur nous vous conseillons de lire principalement les dossiers suivants

https://www.registre-dematerialise.fr/2903/documents

3. DOSSIER DE DEMANDE D'AUTORISATION D'EXPLOITER

 PLAN D'ÉPANDAGE - ÉTUDE DU PARCELLAIRE







25/05/2022

Les représentants officiels de la pêche à la ligne perpétuent la fiction de la continuité écologique

 L'hydrobiologiste Christian Lévêque dénonce les simplifications, omissions et contresens de la dernière campagne de presse du lobby de la pêche en France. L'obsession de la continuité écologique et la réduction de la biodiversité aux poissons migrateurs nourrissent des choix mal informés sur les rivières. Outre que beaucoup de pêcheurs de terrain n'ont aucun problème avec les ouvrages hydrauliques, loin s'en faut, de sorte que la communication de la Fédération nationale de la pêche semble surtout s'adresser à des relais d'instances publiques qui la subventionnent à travers son agrément. Pendant que certains s'acharnent ainsi à vouloir effacer des petits ouvrages hydrauliques souvent présents depuis des siècles et ayant créé leurs propres habitats, les facteurs connus de dégradation de qualité et quantité des eaux de surface ne changent guère. Les politiques du gouvernement, des agences de l'eau et des syndicats de bassin vont-elles continuer longtemps ces diversions qui ressemblent de plus en plus à de l'entretien de clientèles sur argent public? 



Les pêcheurs à la ligne et la fiction de la continuité écologique
Christian Lévêque

Dans une dépêche de l’AFP, les pêcheurs à la ligne relancent un débat que l’on espérait en voie d’apaisement sur la continuité écologique « dont le non-respect est l’une des causes de décès des poissons migrateurs » disent-ils, en ajoutant : « De nombreux ouvrages, type barrages, écluses, moulins ou relatifs à la microhydroélectricité ne sont pas aux normes et empêchent le franchissement par les poissons ». Sans surprise, cette prise de position intervient après la décision récente du conseil constitutionnel rappelant que le patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique relèvent de l’intérêt général et sont conformes à la charte de l’environnement. La production d’énergie verte par l’hydroélectricité est une priorité politique. La microhydroélectricité a son rôle à jouer dans le respect, bien entendu, de l’environnement. L’argument selon lequel ces équipements empêchent le franchissement par les poissons est souvent anecdotique, d’autant que dans de nombreuses situations, les migrateurs ne sont pas présents, empêchés de remonter les cours d’eau par des grands barrages.

Il est difficile de croire que tous les pêcheurs partagent le point de vue de la FNPF. Beaucoup d’entre eux apprécient de pêcher la carpe dans les biefs aménagés, les retenues, les lacs de barrage…  Mais une minorité de pêcheurs s’entête à défendre le dogme de la continuité écologique des cours d’eau, sans tenir compte du fait que la réflexion a évolué sur ce sujet et que la continuité est souvent une aberration sur le plan écologique et un désastre pour le patrimoine fluvial (Bravard & Lévêque, 2020). 

Les discontinuités n'ont rien d'anormal dans une rivière
Il en va de l’avenir de notre biodiversité dit le président de la fédération nationale de la pêche qui ne peut ignorer que la biodiversité, par définition, ne se résume pas aux quelques poissons migrateurs mais concerne l’ensemble de la flore et de la faune et des habitats aquatiques. 

Le concept de continuité écologique a été proposée par des technocrates qui constataient que les systèmes aquatiques n’évoluaient pas aussi vite que prévu vers le bon état écologique pour répondre aux exigences de la Directive européenne sur l’eau. Nous risquions des sanctions… et il fallait trouver une parade. La tradition culturelle des ingénieurs a longtemps été d’évacuer l’eau au plus vite. Ainsi, on limite les risques d’inondations, et on évacue rapidement les pollutions. Pour cela on a recalibré les cours d’eau pour en faire des tuyaux d’écoulement, on les a endigués pour accélérer les flux, et on a inventé le « nettoyage » des cours d’eau qui consiste à supprimer les obstacles, et notamment les embâcles. Cette dernière mesure est totalement anti-écologique, car, faut-il le rappeler à ceux qui se targuent d’écologie, une rivière dite naturelle est encombrée d’embâcles qui créent des mini-retenues dans lesquelles se développent une flore et une faune aquatique différentes de celles des eaux courantes, et comparables à celles des petites retenues créées par les seuils. 

Comme nous l’apprennent les manuels d’écologie, un système fluvial est un ensemble hétérogène de milieux courants et stagnants qui sont indispensables à l’accomplissement des cycles biologiques de nombreuses espèces. Une rivière « naturelle » fonctionne aussi avec son lit majeur. En Europe, une grande partie des plaines inondables et des annexes fluviales ont été urbanisées, drainées ou protégées par des digues pour pratiquer des activités agricoles. Or, les alevins de plusieurs espèces de poissons ont besoin de milieux d’eau calme pour leur développement, qu’ils ne trouvent plus dans les annexes fluviales du lit majeur.

Donc en supprimant les seuils et les petites retenues, en nettoyant les rivières dont certaines ont été bien rectifiées, on détruit des habitats spécifiques, ainsi que la faune et la flore de ces milieux d’eau calme. Ainsi, nous aurons de beaux tuyaux bien propres pour évacuer l’eau au plus vite. Un vrai paradis pour la faune aquatique… ! Lors de l’arasement du barrage de Maison Rouge, on a ainsi détruit une importante colonie de Grande Mulette, une espèce de bivalve protégée devenue rare en métropole, qui fait l’objet d’un plan d’action. C’est une infraction dont a peu parlé et qui, a ma connaissance, n’a pas été sanctionnée. 

Quand on détruit des espèces protégées en même temps que les barrages...
Posons maintenant la question qui fâche : les préconisations en matière d’arasement des barrages et des seuils ont-elles démontrés des effets positifs sur le terrain ? Un collectif de chercheurs (Legrand et al., 2020) a réalisé une analyse de 30 ans de données de comptage dans les stations de surveillance en France. Ils ont trouvé des tendances contrastées en ce qui concerne cinq espèces de migrateurs en fonction des bassins versants, certains taxons étant en augmentation (anguille et truite de mer), certains ne montrant qu’une légère augmentation (saumon) et d’autres étant en déclin (aloses et lamproie marine). Plus précisément, ils n’ont pas détecté dans leurs analyses d’effet significatif des améliorations apportées à la continuité écologique, ni d’ailleurs par les programmes d'empoissonnement du saumon. En d’autres termes l’évolution des populations est contingente et dépend de plusieurs facteurs dont le rôle respectif est difficile à identifier précisément, de telle sorte qu’il est impossible d’en tirer des conclusions générales. Il faut, comme l’ont recommandé divers auteurs, considérer les situations au cas par cas.

On peut prendre l’exemple médiatisé en son temps de la destruction du barrage de Maison Rouge à la confluence de la Vienne et de la Creuse en 1999. Depuis l’arasement, les effectifs de migrateurs n’ont pas progressé dans la Creuse, comme l’indiquent les comptages réalisés à la station de Descartes par la Logrami… A la station de Chatellerault sur la Vienne, les effectifs de saumon sont restés stables (rôle de l’alevinage ?) alors que ceux des aloses et de la lamproie marine se sont effondrés. Quant aux efforts considérables réalisés pendant 30 ans par Epidor pour restaurer les populations de saumon sauvages de la Dordogne, ils n’ont pas permis la réinstallation significative de populations sauvages. Ceux que l’on retrouve sont issus du repeuplement. 

Evidemment, on communique peu sur ces résultats qui ne valident pas les politiques engagées précipitamment sans réflexion préalable sur leur pertinence, et en sans avoir validé sur le terrain l’hypothèse du rôle des seuils dans la chute des effectifs de migrateurs. Autrement dit des budgets importants ont été mobilisés inconsidérément pour des opérations inutiles. Pire, on a détruit un patrimoine écologique et fluvial…. Qui va rendre des comptes ?

Ces résultats décevants laissent penser que bien d’autre facteurs que les seuils des moulins ou les écluses, sont en jeu dans la réduction des populations de poissons migrateurs…

L'histoire des moulins et des pratiques de pêche ne s'écrit pas en noir et blanc
On peut d’abord convoquer l’histoire. Alors que plus de 100 000 seuils de moulins et étangs piscicoles existaient autrefois, les migrateurs étaient néanmoins abondants dans les cours d’eau. Leurs effectifs ont commencé à décroitre significativement après la construction de barrages de navigation et régulation à l’aval des fleuves, à l’exemple du barrage de Poses à l’amont de Rouen. Ensuite sont venus des grands barrages pour l’électricité, l’eau potable, les loisirs (dont la pêche). Evidemment, à l’époque, ces grands barrages n’étaient pas équipés de passes à poisson… On peut penser par exemple que les nombreux grands barrages construits en aval de Lyon sont des obstacles majeurs à la remontée. Il y a peu de chances que des migrateurs les franchissent de telle sorte que la probabilité de leur présence dans ls cours d’eau du haut cours du Rhône et de la Saône est bien faible. En d’autres termes les questions se posent différemment selon les cours d’eau et il n’y a pas lieu de généraliser.

Je tiens à rappeler également aux pêcheurs qui utilisent l’alibi de protection de la biodiversité qu’ils sont à l’origine de l’introduction dans nos cours d’eau de plusieurs espèces de poissons prédateurs d’origine allochtone dont on s’est bien gardé d’évaluer les conséquences sur la biodiversité aquatique. Le dernier en date est le silure… qui est probablement arrivé par hasard dans tous les cours d’eau français ? Quelques travaux montrent que ce prédateur ne fait pas de détail et ne dédaigne pas les juvéniles des poissons migrateurs ! Sans compter bien évidemment ces centaines de tonnes de poissons d’élevage déversés dans les cours d’eau chaque année avant l’ouverture de la pêche, pour soi-disant repeupler mais en réalité pour les pêcheurs qui trouveront pendant quelques jours de quoi satisfaire leur passion. La truite fario de souche atlantique a ainsi été déversée dans des eaux où vivait la truite de souche méditerranéenne. Quand ce n’était pas des truites arc-en-ciel venues des Etats-Unis. Ou des ombres qui n’existaient à l’origine que dans les bassins de l’Est du pays, mais que les pêcheurs de salmonidés ont diffusé partout car ils l’apprécient en complément de la truite. On ne peut manquer de faire la parallèle avec le lâcher des faisans d’élevage quelques jours avant l’ouverture de la chasse…. A cette occasion, on s’est peu soucié également de « polluer » la diversité génétique des populations locales en introduisant des poissons d’élevage au patrimoine génétique incertain. Pareillement, les pêcheurs ont longtemps détruit l’anguille comme « nuisible » en rivière de première catégorie, avant de s’apercevoir que l’espèce déclinait fortement après les années 1980… Difficile dans ce contexte d’incriminer les aménagements et les moulins ! 

On peut aussi évoquer la qualité des eaux. Un premier obstacle majeur à la remontée des migrateurs, c’est le bouchon vaseux au niveau des estuaires, une zone où se concentrent beaucoup de pollutions provenant de l’amont. La qualité de l’eau est probablement l’un des principaux paramètres qui intervient sur la dynamique des populations de poissons, soit par les pollutions chroniques ou « accidentelles », soit par la turbidité résultant de l’érosion des terres sur le bassin versant qui dégrade les zones de reproduction. La plupart des mortalités massives de poissons résultent de déversements accidentels de produits toxiques ou d’incivilités, mais aussi par les rejets d’eau pluviale issus du ruissellement des milieux urbains. Quant aux rejets des stations d’épuration, ils ne sont pas exempts de produits chimiques. Et il est difficile de faire abstraction d’un phénomène assez général d’eutrophisation des eaux continentales et côtières.

Face à autant de facteurs susceptibles d’avoir un impact sur la démographie des poissons migrateurs, sans compter bien entendu leur séjour en mer où ils sont également pêchés, on est en droit de s’interroger sur cet acharnement affiché par quelques pêcheurs au sujet des petits ouvrages hydrauliques…

Les ouvrages ne sont pas aux normes dit la FNPF… Ils renvoient ainsi à l’argent public et à celui des propriétaires privés le soin de réaliser des aménagements destinés à satisfaire leur passion… ? On pourrait s’attendre à ce qu’ils mettent aussi la main à la poche, mais ce n’est généralement pas le cas : la rivière est souvent optimisée pour un usage pêche au détriment d’autres usages, aux frais du contribuable. Le discours de la FNPF est donc discours de lobby qui cherche à tirer égoïstement des avantages pour ses adhérents en tentant de s’approprier un bien collectif, sans remettre en cause la pertinence ni les conséquences de ses revendications sur les intérêts d’autres groupes sociaux.

Références citées

21/05/2022

Attention, 10 000 moulins et étangs sont menacés d’illégalité dans quelques mois !

S'il est heureux que les hautes cours de justice rappellent et protègent l'intérêt général des moulins et autres ouvrages hydrauliques, ne perdons pas de vue le droit : la continuité écologique est toujours une obligation légale exigible pour les ouvrages non producteurs en rivières classées liste 2 au titre de l'article L 214-17 du code de l'environnement. Or, la loi a prévu un délai de 5 ans prorogé de 5 ans, mais ce délai prorogé arrive à échéance cette année ou en 2023 selon les bassins. Il est impératif que les propriétaires n'étant ni producteurs ni aux normes de continuité écologique écrivent au préfet pour faire constater la carence de l'Etat à proposer la seule solution légale, à savoir un dispositif de franchissement indemnisé sur fonds publics. Si vous ne faites pas les démarches, un tiers pourra vous attaquer en justice pour non-conformité, l'administration pourra vous infliger des mises en demeure et sanctions pénales. Or, c'est cette administration qui est le plus souvent en tort, car elle a refusé d'appliquer la loi en essayant uniquement de détruire depuis 10 ans et en refusant de dédier ses solutions 100% financées à l'équipement des sites. Nous publions ici des modèles de lettres au préfet (pour association et pour maître d'ouvrage), à envoyer avant l'échéance légale.




Rappel du droit
La loi sur l’eau de 2006 a créé des rivières classées au titre de la continuité écologique, dites "en liste 2", dans lesquelles tout ouvrage doit être en conformité pour assurer un transit suffisant des sédiments et une circulation de poissons migrateurs. 

En 2012 et 2013, les préfets de bassin ont classé une liste de rivières et tronçons de rivière dans cette  liste 2. 

Le délai de mise en conformité prévu par la loi est de 5 ans à compter de la publication des arrêtés de préfet de bassin, soit 2017 ou 2018. Face à l’impossibilité de traiter les chantiers bien trop nombreux en raison de classements bien trop étendus, la loi a accordé un délai de 5 ans supplémentaires. Désormais, la date légale de mise en conformité est fin 2022 ou fin 2023 selon le bassin.

Date des arrêtés de classement liste 2 en métropole
Ces arrêtés font courir le délai initial de 5 ans prorogé de 5 ans. 
Bassin Loire Bretagne : 10 juillet 2012 (2022)
Bassin Seine Normandie : 18 décembre 2012 (2022)
Bassin Artois Picardie : 20 décembre 2012 (2022)
Bassin Rhin Meuse : 28 décembre 2012 (2022)
Bassin Rhône Méditerranée Corse : 19 juillet 2013 (2023)
Bassin Adour Garonne : 7 octobre 2013 (2023)

Confusion non légale créée par la continuité "apaisée" et les sites "prioritaires"
Pour essayer d’étouffer la contestation vigoureuse de sa politique, l’administration eau & biodiversité a produit un « plan de continuité apaisée » et demandé au comité national de l’eau de travailler dessus. Comme nous l’avions dénoncé rapidement, c’est une diversion, sinon un enfumage. Le ministère de l’écologie a créé un statut sans aucune base légale de «rivière prioritaire» et «site prioritaire». Les fonctionnaires laissent entendre qu’ils seront « coulants » si l’on n’est pas en site / rivière prioritaire. Mais ces mesures de bricolage administratif sont contraires à la loi, qui donne un délai de mise en conformité et rien d’autre. Les promesses de mansuétude administrative n'engagent que ceux qui y croient et sont de toute façon du pur arbitraire. Elles n'empêcheront pas un site d'être hors de la légalité. La vérité est que l'administration a classé bien trop de rivières en liste 2, qu'elle a développé une idéologie aberrante et sans base juridique de casse des ouvrages, qu'elle n'a pas provisionné assez d'argent public des agences de l'eau pour mettre en oeuvre la loi dans des conditions correctes et respectueuses des droits établis. Mais c'est le problème de l'administration, pas celui du propriétaire! 

Que risque le propriétaire ?
Si vous ne faites rien et que votre site n’est pas mis en conformité en rivière liste 2, vous êtes dans l’illégalité. Un tiers (par exemple une fédération de pêche ou une association intégriste de nature sauvage) peut porter plainte. L’administration peut de son côté produire un rapport de manquement administratif et un constat de non-conformité avec sanctions pénales à la clé. Elle considérera que l’ouvrage n’est pas «régulièrement installé», ce qui est de nature à nuire au droit d’eau.

Nota : si votre moulin est déjà producteur d'électricité, s'il a été équipé d'un dispositif de franchissement piscicole ou d'un protocole d'ouverture des vannages aux dates de migrations piscicoles, vous n'êtes pas concerné car soit exempté, soit en conformité. Inutile alors d'écrire au préfet.

Que faire ?
Le retard pris dans la continuité écologique est entièrement imputable à la responsabilité de l’Etat, dont l'administration a refusé pendant des années d’appliquer la loi. Cette loi prévoit en effet :
  • un ouvrage géré, équipé, entretenu et non détruit (la destruction est explicitement interdite désormais, elle n’a de toute façon jamais été prévue dans le texte de 2006)
  • un chantier indemnisé par fonds publics s’il représente une charge spéciale et exorbitante pour un particulier ou un petit exploitant (cas de quasiment tous les chantiers, sauf les industriels dont le revenu net permet de payer une partie des frais sans mettre en danger la survie de l'entreprise).
Depuis 2012, les fonctionnaires militants ont refusé d'appliquer la loi en proposant de détruire les sites (ce qui n'était pas légal) et en ne promettant de payer intégralement la note de chantier qu'en cas de destruction (ce qui n'est pas légal non plus). Ces attitudes ont désormais été condamnées par la loi et la jurisprudence. 

Les associations départementales de moulin et les propriétaires à titre individuel doivent dresser dès à présent un constat de carence de l’Etat à proposer des solutions légales dans les délais prévus par la loi. Et exiger soit que l’ouvrage soit expressément reconnu par l'administration comme conforme à la loi, soit que le chantier de mise en conformité soit planifié par l’administration dans les conditions prévues par la loi.

Option alternative : relancer la production énergétique
Les propriétaires de moulins à eau peuvent aussi engager  un projet de production énergétique. Ce projet vaut exemption de continuité écologique en liste 2. En ce cas, une lettre de porté à connaissance du projet hydro-électrique doit être adressée au préfet.

Modèles de lettres au préfet

Les courriers ci-dessous doivent être adressés en recommandé avec accusé de réception au préfet de département. Au besoin, la copie sera présentée au juge comme preuve de la bonne foi des propriétaires, démontrant la nature administrative des erreurs et carences ayant mené à la non-application de la loi.

Modèle de lettre Association

Objets
Constat de carence
Demande de reconnaissance de conformité au L 214-17 CE

Monsieur le Préfet, Madame la Préfète,

La loi sur l’eau de 2006 a créé des rivières classées au titre de la continuité écologique, dite «en liste2», dans lesquelles tout ouvrage doit être en conformité pour assurer un transit suffisant des sédiments et une circulation de poissons migrateurs. 

Le délai de mise en conformité échoit dans quelques mois.

Sur ces rivières, l’administration (vos services DDT-M, l’agence de l’eau, l’office français de la biodiversité, le gestionnaire GEMAPI) doit proposer des solutions de continuité écologique conforme à la loi, à savoir :
  • un ouvrage géré, équipé, entretenu et non détruit (la destruction est explicitement interdite désormais, elle l'était implicitement auparavant)
  • un chantier indemnisé par fonds publics s’il représente une charge spéciale et exorbitante pour un particulier ou un petit exploitant.
Nous sommes au regret de porter par la présente un constat de carence de l’action de l’Etat dans la mise en œuvre de cette loi au droit des ouvrages de nos adhérents.

En effet :
  • vos services et les prestataires travaillant sous la coordination de vos services ont proposé à nos adhérents moulins, forges, étangs  ou autres ouvrages des solutions illégales de destruction des ouvrages hydrauliques en lit mineur,
  • le financeur public (agence de l’eau, gestionnaire GEMAPI) a proposé un financement d’indemnisation complète pour les seules solutions illégales de destruction, au lieu de dédier ces mêmes fonds à l’indemnisation totale des travaux d’équipement, de gestion et d’entretien de continuité écologique.
La situation est donc bloquée alors que l’échéance du délai prévu par la loi approche.

Nous ne pouvons accepter que nos adhérents en rivière classée liste 2 au titre du L 214-17 CE se trouvent dans cette insécurité juridique du fait d'une carence administrative à proposer des solutions conformes à la loi.

Nous vous prions en conséquence d’envisager une des trois mesures alternatives qui seraient conformes à l’article L 214-17 CE:
  • Soit vos services adressent au propriétaire un certificat de conformité du site à la continuité écologique, ce qui évitera tout contentieux avec des tiers ou un autre service administratif,
  • Soit vos services s’assurent qu’une solution conforme à la loi est proposée au propriétaire et exécutée (donc une solution de gestion, équipement, entretien indemnisée au plein taux de subvention agence de l’eau / GEMAPI)
  • Soit encore, en coordination avec le préfet de bassin, les rivières ne pouvant manifestement pas être traitées dans le délai légal sont retirées par arrêté du classement en liste 2 au titre du L 214-17 CE, comme le législateur en a prévu la possibilité. 
Nous vous remercions par avance de votre action. 

Le conseil constitutionnel, dans sa décision QPC 2022-991 du 13 mi 2022, vient de rappeler que le patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique sont d’intérêt général et conformes à un environnement équilibré tel que protégé par notre constitution. Il nous paraît absolument nécessaire d’en finir avec les incompréhensions et confusions autour de la continuité écologique et des ouvrages hydrauliques, afin de retrouver une situation claire et apaisée pour toutes les parties prenantes. Et une situation conforme à l’Etat de droit. 

[Politesse]

Copie envoyée à chacun de nos adhérents et à notre conseil juridique
Copie envoyée aux parlementaires du département

Modèle de lettre propriétaire 1
Option : vous ne relancez pas l’énergie

Monsieur le Préfet, Madame la Préfète,

Je suis propriétaire de l’ouvrage [compléter] situé sur la rivière [compléter] qui a été classée en liste 2 de continuité écologique au titre de l’article L 214-17 du code de l’environnement. 

A ce jour, d’après le conseil juridique de mon association, je n’ai reçu aucune proposition légale d’aménagement de mon site. En effet, la loi pose deux conditions :
  • Une solution de gestion, équipement, entretien excluant toute mesure de destruction (arasement, dérasement) du site et de son droit d’eau
  • Une solution indemnisée quand elle représente une charge exorbitante pour le propriétaire.
Or, rien de ce qui m’a été proposé par vos services, l’agence de l’eau, le gestionnaire de bassin ne répond à ces deux exigences cumulatives de la loi.

Je suis donc en attente soit d’une proposition intégralement financée d’équipement de continuité écologique, soit d’une reconnaissance explicite de conformité de mon site en l'état à la loi. Je vous en remercie par avance.

[Politesse.]

Modèle de lettre propriétaire 2
Option : vous relancez l’énergie (moulin)

Monsieur le Préfet, Madame la Préfète,

Je suis propriétaire de l’ouvrage [compléter] situé sur la rivière [compléter] qui a été classée en liste 2 de continuité écologique au titre de l’article L 214-17 du code de l’environnement. 

A ce jour, d’après le conseil juridique de mon association, je n’ai reçu aucune proposition légale d’aménagement de mon site. En effet, la loi pose deux conditions :
  • Une solution de gestion, équipement, entretien excluant toute mesure de destruction (arasement, dérasement) du site et de son droit d’eau
  • Une solution indemnisée quand elle représente une charge exorbitante pour le propriétaire.
Or, rien de ce qui m’a été proposé par vos services, l’agence de l’eau, le gestionnaire administratif de bassin ne répond à ces deux exigences de la loi.

En tout état de cause, j’ai décidé de relancer l’énergie au droit du moulin en conformité à son droit d’eau, ce que je porte à votre connaissance.

La loi, confirmée par le conseil d’Etat en 2021 et le conseil constitutionnel en 2022, a posé que ce choix d'équipement hydro-électrique est exonératoire des mesures de continuité écologique. Je vous prie de me le confirmer en retour de courrier. Je vous ferai parvenir la preuve de mon droit d’eau, la mesure de la hauteur et débit (consistance légale) du site ainsi que l’information sur le dispositif de production énergétique qui sera installé. 

[Politesse.]

19/05/2022

Les réservoirs atténuent les effets des crues et sécheresses (Brunner 2021)

 


Une chercheuse a comparé plusieurs milliers de jauges dans des bassins versants avec ou sans barrages réservoirs aux Etats-Unis. Son travail montre que les rivières régulées ont des crues et des sécheresses moins intenses au niveau local que les rivières non régulées. Au niveau régional, l'effet protecteur se vérifie pour les crues, pas pour les sécheresses. L'usage premier des réservoirs (eau potable, énergie, irrigation, loisir...) n'influence pas le résultat. Ce travail contredit la petite musique militante de certains experts selon laquelle les retenues et réservoirs ne serviraient à rien. Au contraire, la politique publique de l'eau doit développer une vision ambitieuse de stockage, régulation et distribution de l'eau, cela par moyens naturels aussi bien qu'artificiels, les deux stratégies s'additionnant. C'est l'ensemble du bassin de la source à la mer qui doit coordonner cette ambition, afin d'obtenir les effets locaux et régionaux désirés. Face aux risques hydroclimatiques accrus, l'heure n'est pas à l'idéologie, mais à la protection des citoyens, des usages et des milieux. 


Comme l'actualité le rappelle, les sécheresses et les inondations peuvent avoir des impacts prononcés sur les sociétés et les milieux, formant une préoccupation humaine depuis toujours. Les retenues et réservoirs, souvent exploités à des fins différentes (production hydroélectrique, loisirs, irrigation, eau potable), sont une stratégie parmi d'autres pour réduire le risque lié aux crues et sécheresses. 

Manuela I Brunner (Université de Fribourg, NCAR de Boulder, Colorado) a analysé l'effet à grande échelle de réservoirs aux Etats-Unis. Voici le résumé de son travail :

"Les extrêmes hydrologiques peuvent particulièrement impacter les bassins versants à forte présence humaine, où ils sont modulés par l'intervention humaine telle que la régulation par réservoirs. Pourtant, nous savons peu de choses sur la façon dont l'exploitation des réservoirs affecte les sécheresses et les inondations, en particulier à l'échelle régionale. Ici, je présente un vaste ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés aux États-Unis et j'évalue comment la régulation par des réservoirs affecte les caractéristiques locales et régionales de sécheresse et d'inondation. 

Mes résultats montrent que (1) la régulation des réservoirs affecte les risques de sécheresse et d'inondation à l'échelle locale en réduisant la gravité (c'est-à-dire l'intensité/l'ampleur et le déficit/le volume) mais en augmentant la durée ; (2) la réglementation affecte les aléas régionaux en réduisant la connectivité spatiale des inondations (c'est-à-dire le nombre de bassins versants avec lesquels un bassin co-subit des inondations) en hiver et en augmentant la connectivité spatiale de la sécheresse en été ; (3) l'effet d'atténuation locale n'est que faiblement affecté par la fonction du réservoir, pour les sécheresses comme les inondations. 

Je conclus que les caractéristiques locales et régionales des inondations et des sécheresses sont considérablement modulées par la régulation des réservoirs, un aspect qui ne doit pas être négligé dans les évaluations des aléas ou des impacts climatiques."

La chercheuse observe que les études par modèle ou par observation confirment que les réservoirs jouent des rôles efficaces de régulation de sécheresses ou de crues :

"Il a été démontré que les réservoirs atténuent principalement les sécheresses et les inondations dans différentes parties du monde dans des études basées sur des modèles et des observations (Verbunt et al 2005, He et al 2017, Wang et al 2017, Tijdeman et al 2018). Les études basées sur des modèles simulent le débit naturel avec un modèle hydrologique et comparent ce débit naturel simulé au débit régulé observé. En revanche, les études basées sur l'observation comparent soit les conditions régulées en aval d'un réservoir aux conditions naturelles en amont, soit les conditions avant la construction du barrage aux conditions après la construction du barrage (Rangecroft et al 2019, Van Loon et al 2019). Les études basées sur l'observation sont souvent limitées à quelques bassins versants, tandis que les évaluations à grande échelle sont principalement basées sur des modèles et reposent sur des hypothèses spécifiques concernant la demande en eau et la régulation du débit (Yassin et al 2019). L'effet d'atténuation de la sécheresse des réservoirs a par ex. été démontré dans des études basées sur l'observation pour le Royaume-Uni (Tijdeman et al 2018) et dans des études basées sur des modèles pour la Californie (He et al 2017), en Chine (Tu et al 2018, Chai et al 2019), aux États-Unis (Wan et al 2017) et à l'échelle mondiale (Wanders et Wada 2015) tandis que d'autres études ont signalé une augmentation de la sévérité et de la durée de la sécheresse pour certains réservoirs en Chine (Zhang et al 2015). De même, des études basées sur des modèles et des observations ont montré des réductions des pics d'inondation, par ex. pour le bassin du Rhin, en Italie et aux États-Unis (Verbunt et al 2005, Wang et al 2017, Volpi et al 2018), et dans les volumes d'inondation, par ex. en Thaïlande (Mateo et al 2014)."

Mais Manuela I Brunner fait observer que l'on manque d'analyse à échelle de bassins versants et sur de nombreux ouvrages. La chercheuse a compilé un ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés en amont et en aval des réservoirs aux États-Unis. Le travail est mené sur la base de 2683 jauges exploitées par l'US Geological Survey (USGS) en distinguant les catégories "presque naturelles" (bassins avec une altération humaine minimale) et "régulés" (avec retenues de stockage).

Ce schéma montre en particulier les effets des réservoirs : à gauche, on voit que les pics et volumes de crues sont réduits (mais la durée allongée car lissée), à droite on voit l'intensité de la sécheresse et le déficit d'eau sont réduits, sans effet clair sur la durée.


A propos de la connexion régionale des sécheresses, la chercheuse précise : "Alors que l'effet réservoir-régulation est principalement positif à l'échelle locale, les dépendances spatiales à la sécheresse peuvent être légèrement renforcées en été, c'est-à-dire que la synchronisation de la sécheresse entre les bassins versants s'intensifie en présence de réservoirs. Cette synchronisation augmente la probabilité de sécheresses généralisées et introduit de nouveaux défis de gestion car les transferts d'eau vers des bassins versants secs à partir d'eau abondante en amont ou de bassins versants voisins peuvent ne plus être réalisables. Cette constatation contraste avec les conclusions de Wan et al (2017) qui ont montré que la gestion de l'eau réduit l'étendue spatiale de la sécheresse, en particulier pendant la saison d'irrigation. Mes résultats suggèrent également de telles diminutions, mais pas pour la saison estivale. L'effet potentiel d'atténuation de la sécheresse peut aussi concerner la pénurie d'eau, comme le montrent des études antérieures qui ont mis en évidence le potentiel des réservoirs pour atténuer cette pénurie (Liu et al 2018, Brunner et al 2019, Kellner et Brunner 2020)."

Il convient donc d'insérer la gestion des retenues et réservoirs dans une stratégie régionale qui, outre les effets locaux bénéfiques, s'assure que l'ensemble du bassin pourra bénéficier d'apport d'eau utile.

Discussion
En ce printemps 2022, la France est à nouveau menacée par la sécheresse, avec un hiver et un printemps peu pluvieux, et des vagues de chaleur précoces. Certains "sachants" et "experts" font entendre dans les médias une petite musique : les retenues ne servent à rien, voire aggravent la situation. Ces propos sont inexacts et dangereux, comme nous l'avions déjà rappelé. Nous demandons au gouvernement, au parlement et aux établissements en charge des bassins versants de développer une politique ambitieuse de retenue et stockage d'eau partout, et par tous les moyens, à fin de régulation des crues et sécheresses risquant de devenir plus graves en période de changement climatique. 

Il n'y a aucun sens à opposer les solutions fondées sur la nature (restauration de zones humides, préservation de forêts et bois, etc.) avec les solutions fondées sur la technique (retenues, canaux, injection en nappe, etc.). Les deux stratégies sont complémentaires. Et la destruction des retenues existantes sur les bassins versants est bien sûr une aberration coûteuse et dangereuse, n'ayant aucune place dans une politique publique. 

Référence : Manuela I Brunner MI (2021), Reservoir regulation affects droughts and floods at local and regional scales, Environ. Res. Lett. 16 124016

13/05/2022

L'exemption de continuité écologique est conforme à la constitution française!

 Des associations de naturalistes et pêcheurs avaient saisi le Conseil constitutionnel en vue de lui faire déclarer comme contraire à la Charte de l'environnement et à la Constitution l'exemption de continuité écologique de moulins producteurs d'électricité. Notre association et ses consoeurs avaient mandaté leur conseil juridique pour défendre la conformité de la loi à la Constitution. Nous remportons ce jour une victoire juridique importante, car le Conseil constitutionnel reconnaît que la protection du patrimoine hydraulique et la production d'hydro-électivité sont d'"intérêt général" et inscrites dans la recherche d'un "environnement équilibré" tel que stipulé dans l'article 1 de la Charte de l'environnement. Après leur série de défaites au Conseil d'Etat entre 2019 et 2021, les ennemis des moulins et autres patrimoines des rivières n'ont plus de base juridique à leurs dérives. Le mouvement des ouvrages hydrauliques doit poursuivre sa mobilisation au service des intérêts du pays et de l'environnement. 



Les associations France Nature Environnement et Anper-Tos, rejointes par la Fédération nationale de la pêche, avaient demandé au Conseil constitutionnel de statuer sur le caractère constitutionnel de l'article L 214-18-1 du code de l'environnement.

Cet article permet d'exempter de continuité écologique des moulins à eau quand ceux-ci sont équipés pour produire de l'électricité. Le Conseil d'Etat avait confirmé le caractère opposable de cet article en 2021, alors que l'administration de l'eau refusait de le mettre en oeuvre pour des motifs dilatoires. C'est cette décision du Conseil d'Etat qui a poussé les associations de défenseurs de la nature sauvage et le lobby des pêcheurs à saisir le Conseil constitutionnel. Leur but était d'obtenir l'annulation de l'exemption de continuité écologique en ce qu'elle serait contraire à la constitution française.

L'association Hydrauxois et ses consoeurs avaient demandé à Me Remy et Goudemez de défendre la validité de l'article incriminé au regard du droit. Le Conseil constitutionnel a validé notre interprétation du droit. Nous nous en félicitons.

Intérêt général des moulins et de l'énergie hydraulique
La décision du Conseil constitutionnel est importante au plan de la doctrine. Le point le plus décisif est la reconnaissance du caractère d'intérêt général du patrimoine hydraulique et de la production hydro-électrique :
"il ressort des travaux parlementaires que le législateur a entendu non seulement préserver le patrimoine hydraulique mais également favoriser la production d'énergie hydroélectrique qui contribue au développement des énergies renouvelables. Il a, ce faisant, poursuivi des motifs d'intérêt général." 

Posant cela, le Conseil constitutionnel considère que les moulins produisant de l'électricité sont conformes à la lettre et à l'esprit de l'article premier de la Charte de l'environnement (rattachée à la Constitution), disposant que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé".

Cette interprétation entraîne l'abandon des griefs secondaires :
"Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 1er de la Charte de l'environnement doit être écarté. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les articles 2, 3 et 4 de la Charte de l'environnement, ni le principe d'égalité, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution."
Nous commenterons dans de prochains articles les conséquences politiques et administratives de cette décision. 

Référence : Conseil constitutionnel, décision n° 2022-991, QPC du 13 mai 2022