30/03/2018

Les poissons se plaisent dans les rivières de contournement (Tamario et al 2018)

Une équipe de chercheurs suédois vient d'étudier 23 paires de passes à poissons de type naturel (rivières de contournement) et de cours d'eau lotiques adjacents. Résultat: il n'y a quasiment aucune différence significative dans les peuplements de poissons. Des poissons mobiles comme la truite ou le brochet les adoptent, de même que des migrateurs comme l'anguille. Ces dispositifs de franchissement devraient être davantage implémentés et testés en France, où le gestionnaire perd du temps depuis 10 ans à essayer d'imposer partout des effacements contestés de seuils et barrages.  



Les chercheurs présentent ainsi leur étude : "La construction de barrages sur les cours d'eau perturbe la migration des poissons et fait que les habitats lotiques sont plus rares et plus espacés, ce qui finit par affecter les communautés de poissons de la rivière. Les passes à poissons naturelles sont souvent conçues comme des canaux de dérivation, construits avec des matériaux naturels qui redirigent une partie de l'eau autour des seuils et des barrages, rétablissant la connectivité longitudinale et formant des habitats mimétiques de la nature. Nous avons évalué le potentiel de ces dérivations à fonctionner comme des habitats lotiques de compensation, en comparant la faune piscicole de 23 paires de passes et d'habitats de cours d'eau lotiques adjacents."

La recherche a consisté à comptabiliser les poissons par pêche électrique, tout en intégrant 10 descripteurs de morphologie et d'environnement immédiat (dont végétation des berges).

Au total, 17 espèces ont été inventoriées dont 14 communes aux rivières et aux passes de type naturel. Les 3 espèces divergentes n'ont été observé qu'1 à 3 fois, ce qui est attribué à une variation aléatoire sans signification.

Les espèces les plus fréquemment trouvées ont été par ordre décroissant les truites (S trutta), les lottes (L lota), les perches (P fluviatilis), les brochets (E lucius)  et les gardons (R rutilus).


Extrait de Tamario et al 2018, art cit, droit de courte citation.

La tableau ci-dessus synthétise les différences observées sur tous les paramètres (cliquer pour agrandir). On voit que la seule différence significative (en gras) pour les espèces de poissons est l'abondance plus marquée de perches fluviatiles dans les rivières de contournement. Des truites juvéniles (YOY) sont signalées dans les passes de type naturel comme dans les rivières.

Au final, notent les chercheurs, "les contournements étaient plus étroits, moins profonds et moins ombragés que les habitats riverains adjacents, mais très peu de différences significatives ont pu être détectées dans les communautés de poissons, indiquant le potentiel de telles passes migratoires naturelles à constituer des habitats lotiques de compensation pour les poissons. Les analyses ont également indiqué comment la conception peut être modifiée pour favoriser ou défavoriser certaines espèces cibles. Généralement, les rives plus étroites et moins profondes avec une forte pente favorisaient la truite (Salmo trutta), alors que l'anguille européenne (Anguilla anguilla) était plus abondante dans les sites à plus faible gradient."

Discussion
Contrairement aux destructions de seuils et barrages, qui soulèvent des controverses aux Etats-Unis comme en Europe et font désormais l'objet de nombreux retours critiques après une phase initiale de popularité, les dispositifs de franchissement sont mieux acceptés socialement : ils préservent les fonctions d'intérêt des ouvrages hydrauliques tout en améliorant le cycle biologique local de certains poissons. Le travail de C. Tamario et de ses collègues suggère que la rivière de contournement ne diffère guère d'un habitat naturel pour ses peuplements pisciaires. Ce qui demande à être vérifié dans d'autres travaux, bien sûr, car sur les questions écologiques une seule étude ne permet jamais de dériver des principes généraux.

Les rivières de contournement ne sont pas très complexes à concevoir, d'autant que l'existence d'un courant soutenu donne rapidement un profil naturel à l'écoulement et au substrat. C'est le contrôle du débit d'entrée (à l'amont) et de l'exutoire d'appel (à l'aval) qui demande le plus de précision. Le facteur limitant de la rivière de contournement est la maîtrise du foncier et la hauteur du barrage à contourner (plus le barrage est haut plus la rivière sera longue car sa pente et donc sa vitesse de courant doivent rester compatibles avec les capacités des espèces cibles).

La France a de grandes ambitions dans le domaine de la restauration de connectivité: il est dommage que l'effort ne soit pas consacré à optimiser des solutions de franchissement (passes naturelles comme passes techniques), en raison du dogme actuel de l'effacement prioritaire posé par certaines administrations. Comme ce dogme se heurte aujourd'hui à ses limites, gageons que l'on va évoluer vers des solutions mieux acceptées, et à effet généralement suffisant par rapport à la modestie des enjeux piscicoles sur de nombreuses rivières.

Référence : Tamario C et al (2018), Nature‐like fishways as compensatory lotic habitats, River Research and Applications, 34, 3, 253-261

Illustration : rivière de contournement, par Benoit Caby (travail personnel) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons.

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