31/03/2018

Les milieux humides et aquatiques sont fragiles… alors cessons de les détruire et de les assécher!

Dans le cadre de l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE), le commissariat général du développement durable vient de publier un rapport sur les milieux humides et aquatiques continentaux en France. Il vise à documenter les évolutions récentes de ces milieux menacés et les implications en termes de durabilité. Malheureusement, issu d'une rédaction collective où chaque contributeur semble avoir ajouté sa marotte sans cohérence d'ensemble, le rapport se montre totalement contradictoire dans le domaine de la continuité en long : cette politique publique aujourd'hui centrée sur l'effacement des ouvrages et la disparition de leurs annexes est à l'origine de la disparition de nombreux milieux aquatiques et humides depuis une dizaine d'années, sans estimation de la biodiversité locale impactée et sans examen des services écosystémiques détruits. Cette soi-disant "écologie" parcellaire et lacunaire, centrée dès le départ sur quelques enjeux halieutiques de poissons spécialisés, sera nuisible aux milieux aquatiques et humides si elle ne fait pas l'objet de révisions substantielles dans sa mise en oeuvre. Comme on a détruit des haies et leurs écocomplexes voici 50 ans, on détruit aujourd'hui chaque année en France des retenues, des lacs, des étangs, des canaux, des biefs et tous les milieux attenants à ces hydrosystèmes: cela doit cesser. Et chacun doit s'engager pour cela cesse au plus vite!




La rapport du CGDD pose ainsi sont objet : "Définis comme les portions du territoire, naturelles ou artificielles, caractérisées par la présence d’eau, les milieux humides et aquatiques continentaux présentent une grande diversité biologique. Ils fournissent notamment de l’eau, de la nourriture et un abri à un grand nombre d’espèces telles que les amphibiens et les poissons mais également à de nombreux oiseaux, mammifères et insectes. Ces écosystèmes fournissent également des services aux sociétés humaines, que ce soit pour l’alimentation, les possibilités de loisirs et de tourisme ou la maîtrise des crues, etc."

Voici un extrait de la synthèse, présentant l'état de ces milieux.

"Situation en France
1. À l’heure actuelle, aucun inventaire national ne permet d’évaluer de manière précise et parfaitement exhaustive la surface des milieux humides et aquatiques continentaux sur l’ensemble du territoire français métropolitain et ultramarin. Les travaux cartographiques les plus récents estiment que les milieux potentiellement humides couvrent environ 23 % du territoire métropolitain, soit près de 13 millions d’hectares.

2. On estime qu’environ la moitié des zones humides françaises a disparu entre 1960 et 1990. Cette disparition est en partie due à l’urbanisation et aux nombreux drainages de terres, dans le but d’améliorer la régularité des productions céréalières, ou encore pour transformer des prairies en grandes cultures. La reconnaissance des différents intérêts que peuvent revêtir ces milieux a permis un ralentissement de cette régression depuis 1990.

Etat écologique des milieux humides et aquatiques continentaux
3. Les milieux humides et aquatiques continentaux présentent une biodiversité d’une grande richesse grâce à leurs habitats essentiels pour un grand nombre d’espèces. En métropole, ceux-ci abritent plus du tiers des espèces recensées sur le territoire. Au sein des départements ultramarins, ils abritent une biodiversité parfois endémique.

4. Les milieux humides et aquatiques continentaux font partie des écosystèmes les moins bien conservés à l’échelle nationale, ce qui les place au cœur des enjeux de conservation. Ces milieux abritent en effet près de 45 % des espèces menacées en France métropolitaine. Cette situation peut être nuancée par le fait que les populations d’oiseaux d’eau, en France métropolitaine, sont, de manière générale, dans un bon état de conservation.

5. Dans l’ensemble, moins de la moitié des masses d’eau françaises étaient jugées en bon, ou très bon, état écologique en 2013 au sens de la Directive cadre sur l’eau. Ce bilan recouvre des réalités contrastées selon les paramètres considérés. Alors que les teneurs en nitrates dans ces milieux sont restées stables et demeurent à des niveaux susceptibles de perturber le fonctionnement de ces milieux depuis le milieu des années 2000, la pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées, source de perturbations de l’équilibre biologique, a nettement diminué sur la même période."

Malgré cette situation appelant à préserver les milieux aquatiques et humides, le rapport du CGDD persiste néanmoins dans la répétition paresseuse du dogme de la continuité écologique:

"Outre la pollution des eaux, la fragmentation et la destruction des habitats apparaissent comme les facteurs de changement ayant le plus fort impact sur les milieux humides et aquatiques continentaux. Ainsi, à l’échelle du territoire, les 80 000 obstacles recensés sur les cours d’eau ont un impact significatif sur la continuité écologique"

L'argument est repris en page 65-67 du rapport, avec un centrage de la rédaction sur les migrateurs amphihalins — au lieu de parler du rôle majeur des continuités latérales, une assez scandaleuse dissimulation de ce qui devrait être un enjeu prioritaire de connectivité vu la forte biodiversité des plaines d'inondation.

Ce point est donc critiquable à plusieurs titres :
  • la discontinuité longitudinale (principalement recensée à fin halieutique par l'Onema-AFB) a moins d'effets négatifs pour les milieux humides que la discontinuité latérale (bloquant le lit majeur), et les hydrosystèmes artificiels nés des ouvrages sont eux aussi des milieux aquatiques,
  • les instructions de l'EFESE intègrent au demeurant des milieux aquatiques ou humides créés par des obstacles à l'écoulement (étangs, lacs) tout comme la plupart des approches internationales en conservation de ces milieux (Ramsar 1971, UICN 1973, etc.), ce qui rend incompréhensible leur dévalorisation ou leur ignorance,
  • la recherche scientifique montre depuis les années 2000 l'intérêt des milieux lentiques et des masses d'eau anthropiques pour la préservation de la biodiversité régionale, en particulier là où elle est menacée par les usages agricoles et urbains (ce qui est le cas en France), cf référence ci-dessous,
  • les chantiers de destructions d'ouvrages — aujourd'hui ouvertement favorisés par plusieurs agences de l'eau, par l'AFB et par la direction de l'eau du ministère de l'écologie — se traduisent par des pertes de surface et hauteur des retenues, par des assèchements de biefs, canaux et milieux humides annexes, par des baisses de nappe et par une hausse du risque d'assec complet sur certaines rivières,
  • aucun inventaire de biodiversité des milieux humides et aquatiques d'origine artificielle n'est aujourd'hui réalisé en routine, la diagnostic des ouvrages étant centré sur le seul intérêt piscicole et halieutique en raison de l'origine historique de la réforme de continuité (attente du lobby pêche, cf loi de 1984),
  • le rapport observe lui-même que "certains milieux humides et aquatiques continentaux permettent un stockage de l’eau et un ralentissement des écoulements, jouant ainsi un rôle d’atténuation des phénomènes de crues", sans assumer la contradiction consistant à faire disparaître ces zones de diversion et stockage.
Le choix français de détruire préférentiellement les ouvrages hydrauliques pour rétablir la continuité en long et de dénigrer la valeur de biodiversité d'un hydrosystème sous prétexte qu'il est d'origine artificielle est un dogme, et une erreur de même nature que la destruction des haies dans les années 1960-1970.

Cette politique de destruction a déjà abouti à la disparition de milliers de kilomètres carrés de milieux humides et aquatiques : elle doit cesser, et elle cessera d'autant plus vite que les citoyens s'engageront pour la combattre. Pas seulement au nom du patrimoine et du paysage, dont la protection est légitime, mais aussi au nom de l'environnement. Tout projet induisant une perte de milieux en eau sans diagnostic et sans compensation doit désormais être combattu devant la justice par les riverains et les associations, aussi longtemps que le gouvernement et sa haute administration ne retrouveront pas la raison sur ce dossier.

Référence : CGDD (2018), Efese. Les milieux humides et aquatiques continentaux, collection Thema, 248 p.

A lire sur ce thème
Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018) 
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018) 
Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008) 

A diffuser aux élus, gestionnaires et administrations
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes (2018)
Etude de biodiversité des chaussées de la Sarthe: "Toute destruction sans connaissance préalable de la faune présente est un non sens!"

Illustration : la Beaume à sec après une ouverture forcée de vannes à Rosières. La continuité écologique est menée de manière dogmatique, sans prise en compte des effets systémiques et des milieux en place hors cible piscicole spécialisée. Ce n'est pas de la gestion écologique, mais de la routine bureaucratique pour déployer aveuglément des règlements décidés dans les cénacles de la haute administration.

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