05/05/2017

"Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (Ségolène Royal)

Au cours des trois années passées à la tête du ministère de l'Ecologie, Ségolène Royal a clairement ré-orienté la politique gouvernementale en faveur du développement de la petite hydro-électricité, avec une condamnation de la destruction du patrimoine hydraulique au nom de la continuité écologique. Sa position vient encore d'être rappelée sans ambiguïté. Bilan de cette évolution, qui reste inachevée. 



La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a dévoilé la semaine dernière la liste des dix-neuf projets lauréats du premier appel d'offres "petite hydro-électricité" lancé en 2016 parmi lesquels des moulins anciens. S'emportant quelque peu dans le lyrisme, la ministre a déclaré: "pour la première fois dans l'Histoire de France, quatre moulins vont être identifiés et reconnus producteurs d'énergie"(source). En réalité, nombre de moulins étaient devenus des petites centrales hydro-électriques dès la fin du XIXe siècle, la houille blanche (en montagne) et la houille verte (en plaine) ayant accompagné l'électrification d'une France plus pauvre en charbon que ses voisins anglais et allemands.

Ségolène Royal a également déclaré : "Les 19 projets lauréats que je désigne aujourd'hui illustrent, malgré les résistances rencontrées, que l'on peut tout à fait concilier développement de l'hydroélectricité, défense du patrimoine que représentent nos anciens moulins, et préservation des continuités écologiques" (source). Et elle a ajouté: "Il était temps d'arrêter la destruction de ce patrimoine" (source)

Les barrages de la Sélune ont nourri le scepticisme de Ségolène Royal
Depuis sa nomination à la tête du ministère de l'Ecologie le 2 avril 2014, Ségolène Royal a porté la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la loi sur la biodiversité et les négociations de la COP 21. Sensible aux questions climatiques et énergétiques, elle s'est montré nettement plus dubitative sur d'autres aspects de l'écologie valorisés par ses prédécesseurs. C'est le cas en particulier de la continuité écologique.

Ségolène Royal a découvert l'enjeu de la continuité écologique avec le dossier des barrages de la Sélune (voir nos articles). Elle a refroidi certaines ardeurs en déclarant d'entrée de jeu à propos du projet de destruction des ouvrages: "Il faut que le rapport qualité-prix soit raisonnable. On ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons" (source). Rapidement détestée par certains milieux pêcheurs et environnementalistes qui jouissaient jusqu'alors d'un soutien politique et financier de l'Etat sans aucun esprit critique sur ce dossier, Ségolène Royal n'a fait que constater la réalité :
  • la continuité écologique coûte cher au sein du budget dédié à l'eau (sans doute plus de 2 milliards d'euros sur 5 ans si le programme était appliqué),
  • elle est souvent impopulaire chez les riverains, qui y voient des chantiers publics inutiles, imposés, détruisant un cadre de vie apprécié,
  • elle a des bénéfices écologiques parfois limités, et parfois confondus avec le seul bénéfice halieutique du loisir pêche (ce qui pose problème quand on prétend à un intérêt général limité en fait à des intérêts particuliers, et à des services rendus par les écosystèmes à peu près inexistants pour les citoyens non pêcheurs).
Ainsi, l'effacement des barrages de la Sélune pour environ 50 M€ permettrait la restauration d'une population locale de saumons atlantiques estimée entre 2000 et 3000 individus (à condition que les frayères amont soient aussi fonctionnelles et propres, ce qui ajoute des coûts non négligeables). En comparaison, les deux barrages de l'Elwha récemment effacés aux Etats-Unis pour 40 et 60 M$ bloquaient 8 espèces de salmonidés du Pacifique avec un potentiel de retours annuels d'anadromes estimé entre 380.000 et 500.000 individus (Pess et al 2008). Le constat de base de Ségolène Royal était donc assez fondé: sur un domaine qui reste relativement marginal au sein de la politique de l'eau, mais un domaine à fort enjeu symbolique et social par ailleurs, il est nécessaire de réfléchir à l'analyse coût-bénéfice des mesures et vérifier si elles répondent à de réelles priorités écologiques.

Des prises de position répétées contre la destruction des ouvrages, ayant entraîné un flottement dans l'administration de l'eau
Par la suite, et au-delà de la question particulière des grands chantiers sur les barrages normands, Ségolène Royal a exprimé à de nombreuses reprises son scepticisme sur la politique de destruction des ouvrages hydrauliques, en particulier des moulins (voir ses prises de positions en 2015-2016). A la fin de l'année 2015, la ministre a écrit une lettre d'instruction aux préfets leur demandant de cesser ces effacements lorsqu'ils rencontrent de l'incompréhension. Elle a dans le même temps demandé un audit de la politique de continuité écologique par le CGEDD, qui vient de rendre public son rapport (très critique) sur le sujet. Au cours des années 2016 et 2017, quatre réformes législatives ont modifié directement ou indirectement le régime de la continuité écologique, avec principalement un délai de 5 ans supplémentaires pour la mise en conformité des seuils et barrages en rivière classée, ainsi qu'une exemption pure et simple de continuité pour les moulins producteurs d'électricité. Ces réformes – quoique peu compréhensibles pour l'exemption – ont eu l'aval du gouvernement.

Alors que Ségolène Royal s'apprête à quitter ses fonctions ministérielles, où en sommes-nous? La situation est loin d'être clarifiée:

  • la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère, dont les dérives dans l'interprétation radicale des lois de 2006 et 2009 sont à l'origine des problèmes, a été clairement désavouée mais elle reste silencieuse;
  • les DDT-M connaissent un certain flottement, faute d'avoir reçu des circulaires d'application claires sur les nouvelles orientations du ministère de tutelle et les nouvelles dispositions de la loi; 
  • les agences de l'eau persistent dans leurs arbitrages actuels qui donnent la priorité financière au seul effacement des ouvrages hydrauliques, rendant de ce fait insolvables les autres solutions dans la plupart des cas;
  • l'Onema a été intégré dans l'Agence française pour la biodiversité au 1er janvier 2017 et ne modifie pas substantiellement les éléments de connaissance publiés depuis 2006 sur le thème de la continuité écologique;
  • les associations de riverains, moulins, étangs, protection de patrimoine et les syndicats de petite hydro-électricité ont salué les avancées réalisées depuis 3 ans, mais soulignent que rien n'a concrètement changé sur les problèmes de fond (coût trop élevé des aménagements, nombre trop important d'ouvrages classés) et que la continuité doit être encore réformée si l'on veut sortir des blocages sur les 17.000 ouvrages toujours orphelins de solution. 

Le futur gouvernement et le futur parlement héritent donc d'un dossier où des arbitrages et des évolutions sont encore nécessaires. Ce n'est évidemment pas l'abandon de la continuité écologique qui est en jeu, mais une manière plus réaliste, plus concertée et plus efficace de la mettre en oeuvre.

Illustration : Ségolène Royal en visite dans le bassin de la Sélune avec les élus normands, DR. 

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