12/04/2017

Veut-on signer un chèque de 2 milliards d'euros pour la continuité écologique?

Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique est avare de détails sur les coûts de cette réforme, alors que le caractère exorbitant des dépenses est, depuis le début, ce qui choque profondément les élus, les riverains et les propriétaires. L'argent public est déjà rare dans la ruralité, cela ne prédispose pas à accepter des chantiers altérant le cadre de vie sans bénéfice direct pour les citoyens ni même objectifs clairs de résultats écologiques. A partir des quelques données chiffrées du rapport CGEDD sur les coûts des chantiers 2007-2012, nous pouvons produire une première estimation du coût total du classement en liste 2: il s'élèverait à 2 milliards d'euros. Cette somme exorbitante ne concerne qu'une dimension de la morphologie (continuité longitudinale) et quelques espèce spécialisées de poissons, ne produira pas par elle-même le bon état écologique et chimique demandé par l'Union européenne, n'est pas assortie d'une estimation des gains écologiques réels. Cette dépense a aussi des externalités négatives indéniables : perte d'éléments appréciés du patrimoine et du paysage, du potentiel énergétique, de la capacité de stockage local d'eau à l'étiage, de la biodiversité propre aux chutes, retenues et biefs quand ils sont détruits, etc. Nous n'avons réalisé à date que 15% de ce programme ruineux, incertain et contesté: il faut le stopper de toute urgence afin de remettre à plat l'ensemble du dispositif. Au propre comme au figuré, arrêtons les frais! 



Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique reste malheureusement flou sur le coût observé des travaux de mise en conformité. C'est pourtant, comme le reconnaissent les enquêteurs, l'un des problèmes majeurs avancés par les personnes concernées. Mais l'administration ne semble pas considérer que le réalisme économique de ses réformes mérite un examen plus attentif que cela.

Une indication macro-économique est donnée : le poste de restauration et gestion des milieux aquatiques des 10es programmes des Agences de l'eau (2013-2018) prévoit un budget de 1,361 milliard d'euros. Mais ce poste recouvre plusieurs types de chantier : continuité, reméandrage, restauration de berge, animation, etc. Les agences de l'eau ont programmé une aide sur 4 620 ouvrages pour cette période 2013-2018. En supposant que la continuité absorbe la moitié du budget actuel de restauration physique (vu l'urgence liée au caractère obligatoire du délai de 5 ans), cela signifierait que chaque ouvrage pourrait coûter en moyenne environ 147 k€ pour les seules aides publiques à l'effacement ou à l'aménagement.

Sur la base chiffrée des chantiers 2007-2012, le coût total du classement liste 2 devrait atteindre 2 milliards €
Une indication plus précise nous est cependant donnée avec les chantiers effectivement réalisés entre 2007 et 2012. L'avantage est que ce sont des opérations passées, dont le bilan est donc réaliste par rapport aux estimations (traditionnellement trop optimistes) de la planification publique.

Le nombre d'ouvrages traités est de 1377 sur cette période. Les sommes dépensées sont de 138 millions d'euros. Le montant moyen de la dépense publique des agences sur chaque chantier est donc de 100 k€. Mais les agences ne couvrent 100% des dépenses que dans certains cas particuliers (effacement en rivière prioritaire), sinon c'est plutôt la moitié du coût qui est pris en charge. On peut prendre comme hypothèse de travail que l'aide des agences représente 80% du coût final moyen de chaque chantier, ce qui fait que la mise en conformité à la continuité coûterait environ 125 k€ en moyenne par ouvrage. Certains chantiers sont peu coûteux (effacement de petits seuils isolés ou remplacement de buses), mais d'autres ont des coûts considérables (grands obstacles, ouvrages en milieu urbain ou ayant des usages impossibles à supprimer, chantiers appelant des confortements, reprofilages ou déplacements de lits, etc.). On notera que les données économiquement chiffrées des retours d'expérience de l'Onema aboutissaient à un coût moyen de 256 k€ (mais un coût médian de 85 k€, montrant la variété des chantiers et la forte dispersion de leurs budgets).

Le nombre total d'ouvrages en liste 2 est de 20.665, donc le coût total de la continuité écologique à raison de 125 k€ par ouvrage en moyenne serait de 2,58 milliards d'euros.

Même en admettant que 20% de ces ouvrages seront finalement considérés comme franchissables en l'état ou pouvant avoir une simple ouverture de vannes (chiffre très au-dessus de nos observations pour le moment), cela signifie un coût global de 2 milliards d'euros pour la mise en conformité à la continuité écologique des rivières en liste 2.

Cette estimation ne prend pas en compte les équivalents temps plein (agences, DDT, AFB, syndicats, collectivités, fédérations de pêche) des personnels publics (ou associations à agrément public) qui sont dédiés à la préparation, accompagnement et réception de chantiers de continuité écologique. Elle n'inclut pas non plus le cout des éventuels ajustements et corrections après travaux (par exemple, 200 k€ à Saint-Céré pour réparer des erreurs de conception de la continuité et la mise à sec de canaux latéraux, cas qui ne restera sans doute pas isolé).

Une urgence : redimensionner la continuité écologique et le classement, évaluer les premiers résultats avant de poursuivre
Cette somme de 2 milliards € est censée être dépensée dans les 5 ans à venir au plus tard au regard des obligations légales et réglementaires prévues dans le code de l'environnement. Et une partie non négligeable de cette somme est censée être payée par un petit nombre de particuliers ou de collectivités propriétaires des ouvrages concernés. Nous sommes évidemment dans l'excès, pour ne pas dire plus :
  • la somme est exorbitante pour la dépense publique de l'eau, qui a d'autres priorités, en commençant par celles de la directive cadre européenne sur l'eau (les obligations DCE ne sont pas superposées à celles du classement de continuité, beaucoup de rivières côtières ou de tête de bassin en bon ou très bon état DCE sont classées au titre de la continuité, donc avec des dépenses non prioritaires vis-à-vis de nos obligations européennes, ce qui représente autant d'argent non investi dans les masses d'eau n'atteignant pas le bon état écologique ou chimique, plus de la moitié en France à 10 ans seulement de l'échéance 2027),
  • la somme restant due est plus exorbitante encore pour les particuliers et petits exploitants, aucune réforme n'a jamais condamné en France une classe de citoyens à subir des contraintes économiques aussi fortes, ce qui est à l'origine d'une bonne part de l'exaspération observée au bord des rivières,
  • le délai légal d'exécution est intenable dans les programmes financiers des Agences, donc on est dans une situation surréaliste d'une obligation que l'on sait impossible à tenir mais dont on continue à prétendre qu'elle sera tenue (comme tout le monde sait que c'est faux, ce déni ruine évidemment la qualité ou même le sens de la concertation),
  • aucune évaluation sérieuse (quantifiée sur la base de méthodes scientifiques) n'est donnée de ce programme, on continue de planifier des destructions ou des aménagements sans être capable de vérifier la nature exacte des gains sur la biodiversité ni, dans le cas des migrateurs, d'exposer la hausse observée des populations par rapport à l'état initial de la rivière et par rapport au coût engagé (cela sur un échantillon de tronçons restaurés représentant tous les types de rivières concernés, et non la mise en avant de tel ou tel exemple local dont la réussite est parfois surestimée, voir cet exemple, et dont le biais de sélection fausse l'évaluation objective de l'ensemble de la réforme),
  • la continuité longitudinale n'est qu'une petite part des problèmes morphologiques de la rivière, morphologie n'étant elle-même qu'un paramètre rarement décisif du bon état écologique et chimique (une rivière altérée par des pesticides, nutriments et micropolluants ou asphyxiée par des matières fines n'aura probablement pas de gains très significatifs, même sans barrage ; de même pour une rivière n'ayant pas les pools biologiques de recolonisation des espèces d'intérêt ou les habitats ad hoc sur les tronçons défragmentés). On ne comprend pas comment on pourrait dépenser 2 milliards € sur ce seul poste tout en maintenant et même accentuant l'effort nécessaire sur les autres impacts (pour rappel le plan Ecophyto 1 est par exemple un échec complet, donc la lutte contre les pesticides devrait elle aussi exiger des efforts publics conséquents).
Comme nous l'avons montré dans un précédent article, seuls 15% du programme de continuité en liste 2 ont été réalisés à date. Il faut arrêter les frais, au sens propre comme au sens figuré. Nous demanderons au gouvernement et au parlement de stopper de toute urgence la poursuite de cette planification défaillante, afin de procéder à une remise à plat complète de ses méthodes et de ses objectifs.

Faire des essais et erreurs n'a rien de choquant: la vie comme la société procèdent ainsi, la gestion adaptative des bassins versants est fondée sur l'aller-retour entre l'expérimentation et la programmation. Observer une erreur massive, en nier la réalité et persévérer dans l'indifférence est en revanche intenable. La continuité écologique doit se ré-inventer en corrigeant les travers observés depuis 2006 et en tirant les enseignements des bonnes pratiques. Mais ce n'est pas possible d'agir intelligemment, calmement et efficacement tant que l'on reste dans le cadre pharaonique, précipité et conflictuel des arrêtés de classement de 2012-2013 et d'une obligation d'action à 5 ans seulement sur plus de 17.000 ouvrages toujours orphelins de solution acceptée et solvabilisée. Nous attendons des pouvoirs publics un retour à la raison et une redéfinition en profondeur de la réforme.

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