Les élections ont renouvelé la présidence de la République et le gouvernement, en attendant l'Assemblée nationale en juin et le Sénat en septembre. Parmi les dossiers les plus chauds de l'environnement, on cite les cas médiatisés de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de centre d'enfouissement de déchets nucléaires de Bure ou de la centrale de Fessenheim. C'est oublier une bombe à retardement: la réforme catastrophiquement menée de continuité écologique, qui est l'une des plus contestées dans la politique française de l'eau, touche des centaines de milliers de riverains des ouvrages hydrauliques menacés et pourrait coûter plus de 2 milliards d'euros aux contribuables, outre la disparition du patrimoine paysager et du potentiel énergétique de nombreuses rivières. Cette réforme a déjà connu plusieurs audits parlementaires et administratifs, dont le récent rapport critique du CGEDD publié en mars 2017. Il est désormais temps de passer de l'évaluation aux actes, pour mettre fin au divorce entre l'écologie des rivières et les citoyens. Voici les 3 mesures d'urgence dont nous souhaitons la mise en oeuvre par le gouvernement pour la dimension réglementaire, et le futur parlement pour la dimension législative.
La France a un nouveau président et un nouveau gouvernement, notre pays renouvellera bientôt son parlement. Le dossier de la continuité écologique figure parmi les premiers à traiter dans le domaine de l'eau : de nombreux rapports ont constaté ses problèmes et retards depuis 5 ans, les récentes réformes législatives n'ont apporté que des corrections superficielles, toujours pas traduites en décrets ou circulaires d'application par l'administration. Le coût estimé de la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros) et la menace persistante de disparition d'un grand nombre d'ouvrages équipables en hydro-électricité en font une urgence au regard des autres ambitions environnementales du pays (priorité à la transition énergétique) et de la nécessité largement reconnue d'un meilleur usage de l'argent public.
Délai irréaliste à revoir : 20665 ouvrages à traiter, 85% des ouvrages non mis en conformité
Le rapport du CGEDD fait apparaître que 20.665 ouvrages ont classés en rivières de liste 2 avec obligation de mise en conformité (effacement ou aménagement). Ce programme n'est pas ambitieux, il est irréaliste : aucun pays au monde, y compris ceux qui se dotent d'orientations en ce domaine (Etats-Unis, Pays-Bas), n'a imposé des mesures sur un si grand nombre d'ouvrages en si peu de temps.
La résultat logique est un retard considérable : 85% des ouvrages ne sont pas mis en conformité alors que le premier délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être. Le nouveau délai de 5 ans, qui a été voté dans le cadre de la loi de biodiversité en 2016, ne disposait pas de ces informations et se révèle à son tour irréaliste. En effet, les Agences de l'eau ne parviennent à traiter qu'entre 300 et 400 chantiers par an, ce qui demanderait donc 50 ans pour les 20.000 ouvrages classés.
Notre première attente : l'article L 214-17 CE doit être modifié soit en supprimant la notion même de délai en liste 2 (en ce cas, les mises en conformité se feront au gré des opportunités de chaque gestionnaire et maître d'ouvrage sur chaque bassin) soit en élargissant considérablement le délai (20 ans paraît un minimum). Sans ce réalisme, on se condamne à entretenir une urgence artificielle et à reproduire les mêmes problèmes qu'aujourd'hui dans quelques années, au lieu de consolider et pacifier une fois pour toutes la réforme de continuité écologique en lui donnant un rythme raisonnable
Supprimer la prime à l'effacement des ouvrages : dérive par rapport aux lois, blocage des chantiers
Le rapport du CGEDD relève que les agences de l'eau accordent un surfinancement à la destruction des ouvrages, avec des subventions allant de 80 à 100 %. Pour les autres solutions (passes à poissons, rivière de contournement, changement et ouverture de vanne), le financement va de 0 à 60% selon les cas, en général 40% seulement. Le même rapport révèle que le coût moyen des chantiers (toutes solutions confondues) dépasse les 100 k€ par ouvrage, une somme évidemment inaccessible pour les particuliers, petites exploitants ou modestes collectivités rurales.
La préférence accordée à la destruction du patrimoine hydraulique a été à l'origine d'une bonne part des polémiques et conflits entourant la continuité écologique. Elle pose en effet trois problèmes graves:
- d'abord, aucune loi française (LEMA 2006 Grenelle 2009) ni aucun texte européen (DCE 2000, Blue print 2012) ne demande l'effacement des ouvrages, ces textes citant au contraire des solutions de gestion, entretien ou équipement. Le choix des Agences de l'eau est perçu comme un excès de pouvoir administratif, avec des velléités normatives contraires à l'esprit et au texte des lois;
- ensuite, la prime à l'effacement est accordée au prétexte qu'elle est la solution écologiquement la meilleure. Mais cet argument est contraire au principe de gestion équilibrée et durable de l'eau (défini en droit français dans l'article L 211-1 CE) qui demande de prendre en compte toutes les dimensions de l'eau : l'écologie bien sûr, qu'il s'agit d'améliorer, mais aussi l'énergie, le patrimoine, le stockage d'eau à l'étiage, la valorisation de la ressource, etc. Détruire un ouvrage est (parfois) l'optimum pour l'écologie, mais c'est aussi parfois la pire solution pour tous les autres aspects. Il n'y a donc aucune raison que les Agences de l'eau surexpriment un seul élément d'appréciation en négligeant le reste.
- enfin, tout le monde convient que la gestion des ouvrages relève du cas par cas car chaque rivière, chaque espèce, chaque ouvrage, chaque biotope local est différent. Parfois, des retenues ou des étangs abritent une biodiversité d'intérêt et les détruire pour faire revenir certaines espèces de poissons n'a pas un bon bilan écologique global. Poser une prime de principe pour une solution au niveau d'un bassin entier n'est donc pas avisé : la programmation publique doit laisser le gestionnaire local définir la meilleure solution à chaque fois, en concertation avec le maître d'ouvrage et les riverains.
Mieux prendre en compte les dimensions multiples des rivières, indexer la dépense publique aux services rendus par les écosystèmes
Le rapport du CGEDD comme les échanges parlementaires lors des lois récentes (biodiversité, patrimoine architecture et création, autoconsommation d'énergie) ont montré que la continuité écologique se situe à la rencontre de beaucoup d'enjeux différents : le franchissement piscicole et le transit sédimentaire bien sûr, mais aussi les cadres de vie, les paysages, les différents usages de l'eau autour des retenues, canaux ou biefs, notamment la transition énergétique et la stratégie bas-carbone.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique sur les quelques milliers d'ouvrages traités, ainsi que le rapport Dubois-Vigier de 2015, montrent que les enjeux écologiques sont d'importance variable : parfois ils concernent des grands migrateurs menacés et effectivement disparus des zones amont de la rivière, parfois ils visent des espèces plus communes, encore présentes sur le bassin, ayant des besoins moindres de migration à longue distance et subissant d'autres pressions plus impactantes que les petits ouvrages hydrauliques.
Il en résulte que pour pondérer le choix parmi diverses solutions, et pour prioriser les actions les plus bénéfiques à la nature, il faut impérativement mener une analyse coût-avantage et évaluer les services rendus par les écosystèmes avant / après le chantier. En posant ce principe dans la loi ou dans un nouveau décret d'application, on garantit les bonnes pratiques sur tout le territoire et on rappelle le nécessaire respect des dispositions de la gestion équilibrée et durable de l'eau.
Il est à noter que cette démarche doit être sincère et sérieuse : on ne peut comme aujourd'hui prétendre que l'on procède à des analyses coûts-avantages alors qu'il n'existe dans les rapports préparatoires aucune enquête de riveraineté, aucun engagement sur des résultats écologiques précis, aucune analyse des autres pressions environnementales susceptibles de limiter ou annuler l'effet attendu, aucune mobilisation d'expertise sur les dimensions historiques et paysagères, aucune estimation économique des services rendus par les écosystèmes aménagés ou désaménagés, etc.
Notre troisième attente : la mise en oeuvre de l'article L 214-17 CE doit être amendée d'une disposition posant que toute mise en conformité à la continuité écologique fait l'objet d'une analyse coût-avantage menée sous l'autorité administrative, analyse pluridisciplinaire incluant la biodiversité et la fonctionnalité des milieux, l'attente précise de résultat écologique et les modalités de son suivi, le patrimoine, l'énergie, les usages locaux et droits des riverains, les services rendus par les écosystèmes, en fonction de différentes hypothèses d'aménagement.
Ces propositions sont loin d'épuiser tous les problèmes rencontrés dans la politique de l'eau et des ouvrages hydrauliques (dialogue environnemental au point mort, manque de représentation des citoyens dans les instances de décision et concertation, faiblesse des bases scientifiques de la politique environnementale, excès de certaines représentations radicales et minoritaires de l'écologie, impréparation économique et sociologique de la programmation publique nourrissant l'espoir puis l'amertume) et nous y reviendrons dans un article plus programmatique. Mais les réformes que nous proposons ici forment une base minimale pour déminer les problèmes les plus urgents et prendre le temps de chercher des solutions durables.
En attendant l'évolution de ce dossier, notre association appelle ses consoeurs et partenaires ainsi que tous les propriétaires et riverains à maintenir la même position de principe : refus de tout chantier de destruction non consenti et non respectueux des droits des tiers ou des équilibres écologiques locaux, contentieux judiciaire si l'administration et le gestionnaire restent sourds aux souhaits de conserver les ouvrages.
Illustration : Emmanuel Macron (CC BY-SA 3.0, gouvernement français). Le nouveau président de la république a exprimé sa préférence pour une action publique fondée sur l'optimisme, la confiance et le dépassement des antagonismes au service d'une vision plus intégrative des enjeux. La continuité écologique sera un test intéressant pour mettre à l'épreuve ces convictions, en vérifiant que l'on peut faire avancer en même temps la protection des milieux naturels et le respect des patrimoines humains
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