La biodiversité aquatique se limite-t-elle aux poissons des rivières courantes? Le grand public le pense parfois et les agences de l'environnement (notamment Onema, aujourd'hui Agence française pour la biodiversité) ont fait en France de la petite rivière à écoulement rapide le paradigme du milieu naturel à protéger ou à restaurer. Mais il n'en est rien, car les prémisses de ce raisonnement sont fausses. Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. Ce travail, qui a eu le mérite d'être la première étude comparative systématique des masses d'eau sur ce type de paysage, est loin d'être isolé dans la littérature scientifique. Il doit conduire à repenser la manière dont la biodiversité aquatique est aujourd'hui analysée et gérée, avec notamment une prise en compte plus systématique des espèces autres que les poissons, et des milieux aquatiques autres que les rivières à écoulement lotique. On attend notamment de l'AFB qu'elle s'affranchisse définitivement du centrage halieutique sur quelques espèces d'intérêt, qui a biaisé trop longtemps en France l'exercice diagnostique et pronostique sur la biodiversité des masses d'eau.
B. R. Davies et ses quatre collègues ont étudié une zone de 13x11 km en Angleterre (limite de l'Oxfordshire, du Wiltshire, du Gloucestershire). L'usage dominant des sols est agricole avec 75% de terres arables, 9% de forêts, 7% de prairies, 2% de zones urbaines. Le but de leur recherche était notamment de comprendre comment, dans un usage des sols agricoles connu pour son impact négatif sur la biodiversité (pollution, érosion, eutrophisation, etc.), le vivant aquatique se maintient et se répartit dans les différentes catégories de milieux aquatiques.
Les auteurs ont étudié cinq types de masse d'eau :
- les lacs (naturels ou artificiels, plus de 2 ha de superficie),
- les mares et étangs (ponds, naturels ou artificiels, entre 25 m2 et 2 ha),
- les rivières (écoulement lotiques de plus de 8,25 m de large),
- les petites rivières et ruisseaux (streams, moins de 8,25 m de largeur),
- les fossés (à usage généralement agricole, ou routier).
Les données retenues sont la richesse totale (nombre d'espèces) et la rareté (Species Rarity Index SRI, indice évaluant si les espèces sont rares ou menacées dans l'écorégion).
Les graphiques ci-dessous donnent les résultats.
Richesse spécifique des 5 milieux analysés (macrophytes, macro-invertébrés). Les mares et étangs sont les milieux les plus riches. Les rivières et ruisseaux ont un profil équivalent aux lacs.
Indice de rareté spécifique dans les 5 milieux. On observer que les rivières petites ou grandes ne sont pas les mieux notées, en particulier pour les invertébrés.
A propos des fossés, mares et étangs et autres plans d'eau de petites dimensions, les auteurs soulignent : "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggère que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifiie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".
Discussion
Le travail de ces chercheurs anglais a eu le mérite de comparer de manière assez systématique la biodiversité de masses d'eau sur un même territoire. Mais les monographies plus ciblées montrant l'importance des petites zones lentiques pour la biodiversité ordinaire sont innombrables.
Cette approche est malheureusement mal représentée en France, où l'approche de la biodiversité aquatique est dominée par les rivières et leurs poissons, ainsi que par des zones humides souvent limitée à des vestiges d'habitats naturels ou à des plans d'eau de grandes dimensions, au lieu d'intégrer aussi les milieux ordinaires des paysages anthropisés.
Notre association l'a observé à diverses reprises dans son principal domaine d'intervention à ce jour, la mise en oeuvre de la continuité écologique. Non seulement les porteurs de projets, mais aussi les agents de l'environnement en charge des suivis, développent des grilles d'analyse où l'on compare seulement des peuplements attendus en zone lentique et lotique, le plus souvent sur des poissons (parfois aussi des insectes), cela en partant du principe que les espèces lotiques (rhéophiles, lithophiles) sont d'un intérêt majeur en biodiversité ou relèvent une "naturalité" qui serait désirable (un état antérieur figé dans l'histoire). Mais cela peut conduire à des choix aberrants, comme des propositions de mises à sec de milliers de mètres de milieux aquatiques (biefs canaux zones humides attendantes) et des disparitions de retenues sans même avoir pris la précaution de réaliser des inventaires de biodiversité.
Ces pratiques doivent changer, non seulement parce qu'elles sont insatisfaisantes au plan de la rigueur scientifique dans l'examen de la biodiversité réelle des milieux aquatiques et ripariens, mais aussi parce qu'elles sont en décalage croissant par rapport aux attentes du droit de l'environnement. Nous avons ainsi demandé à l'AFB les conditions d'analyse d'un étang avant son éventuelle disparition, et nous jugerons à la réponse la capacité de l'Agence à traiter pleinement les enjeux de biodiversité.
Référence : Davies BR et al (2008), A comparison of the catchment sizes of rivers, streams, ponds, ditches and lakes: implications for protecting aquatic biodiversity in an agricultural landscape, Hydrobiologia, 597, 1,7–17
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire