La pêche en rivière est un loisir populaire. Avec 1,5 millions de pratiquants réguliers ou occasionnels, elle est aussi un facteur de mortalité et morbidité pour les poissons d'eaux douces, ainsi qu'une activité de gestion halieutique modifiant les assemblages piscicoles des rivières, hier comme aujourd'hui. Les représentants départementaux et nationaux de la pêche développent souvent des discours négatifs sur la question des ouvrages hydrauliques. Dans les concertations ministérielles comme dans les commissions des Agences de l'eau, ils défendent plus qu'à leur tour des positions maximalistes, qui sont rarement les plus réalistes et qui ont contribué à détériorer les rapports avec d'autres riverains ou usagers depuis 10 ans. La question se pose aujourd'hui de la représentativité de certains parti-pris plus idéologiques que scientifiques de ces instances, alors que nombre d'AAPPMA vivent très bien avec les seuils et barrages, voire les défendent pour certaines. Par ailleurs, la pêche ne peut pas donner des leçons d'exemplarité à tout le monde et prétendre arbitrer dans les usages légitimes de l'eau tout en continuant de fuir l'examen scientifique de son propre impact historique et actuel sur les milieux.
C'est l'ouverture de la pêche, et l'occasion de (se) poser certaines questions. Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques entretiennent souvent des bons rapports avec les associations locales de pêche (AAPPMA), généralement animées par des gens de terrain et de bon sens, qui n'ont pas le désir de donner suite à des mots d'ordre un peu trop idéologiques et systématiques de destructions d'ouvrages. Essayer d'améliorer la gestion des ouvrages hydrauliques, parfois défaillante, en même temps que le comportement de certains pêcheurs sur le domaine privé, parfois désagréable, tels sont des terrains simples de progrès sur lesquels on peut s'entendre entre riverains et usagers des mêmes eaux. Plusieurs AAPPMA ont déjà signé le moratoire sur les effacements d'ouvrages, montrant un consensus possible. La situation est cependant variable, et dans les zones où prospèrent certains mordus de la pêche à la truite ou au saumon, les rapports locaux peuvent être plus tendus. Rappelons que selon les données disponibles (Changeux in Keith et al 2011), l'attrait pour la pêche aux cyprinidés et aux carnassiers reste majoritaire (environ deux tiers des amateurs), les espèces concernées évoluant sans problème dans des hydrosystèmes aménagés (rivières, fleuves, canaux, étangs ou lacs).
Quand on progresse du terrain vers des représentations plus "officielles" de la pêche, les choses tendent cependant à se dégrader, d'abord avec les fédérations départementales (qui sont parfois maîtres d'ouvrage par délégation des campagnes d'aménagement très orientées sur les effacements), et plus encore avec la Fédération nationale pour la pêche en France (FNPF). Ce lobby est connu pour ses positions assez sectaires à l'encontre du patrimoine hydraulique comme de l'énergie hydro-électrique. Il est aussi connu pour ses contradictions, faisant de la surenchère écologique quand il s'agit de discuter avec les officiels des Agences de l'eau et du Ministère de l'Ecologie, mais défendant l'intérêt économique du loisir pêche qui, faut-il le rappeler, blesse ou tue tout de même quelques dizaines de millions de poissons chaque année dans nos rivières et nos lacs. Et le fait d'autant plus qu'il y a davantage de pratiquants.
On peut en voir l'exemple dans le numéro de Pêche Mag (bulletin de la FNPF) dédié à la loi sur la biodiversité (cliquer l'image ci-dessus pour agrandir). Dans les pages de ce magazine, un article expose la nécessité de protéger le brochet, espèce vulnérable inscrite sur la liste rouge de l'IUCN, notamment de ne pas détruire les prises en dessous de la taille réglementaire quand elles se font en première catégorie. (Car pendant que certains syndicats demandent aux maîtres d'ouvrage de casser leur seuil pour aider les brochets, on ordonne ainsi d'en tuer les juvéniles sur nos rives). La FNPF se flatte donc d'avoir déposé un amendement à la loi Biodiversité pour ne plus sacrifier le brochet, ce qui paraît de bon sens vu que les pêches électriques montrent sa présence fréquente en rivières dites de première catégorie (salmonicoles). Dans le même numéro cependant, la FNPF vante la pêche comme un atout du "tourisme vert" (France Nature Environnement appréciera) et Pêche Mag nous montre les inévitables photos du brochet fièrement sorti des eaux, la gueule encore harponnée du leurre synthétique. Pas franchement une image convaincante de la "protection des milieux aquatiques" ni une incitation à protéger l'espèce vulnérable qu'est devenu le brochet.
Au-delà de l'anecdote, la FNPF ne peut tenir plus longtemps des postures maximalistes sur certains aspects de l'écologie des milieux aquatiques tout en espérant s'absoudre des mêmes exigences envers le loisir qu'elle représente et le lobby qu'elle incarne. Le double discours consistant notamment à prendre un ton horrifié face à l'impact supposé des ouvrages hydrauliques tout en parsemant ses magazines, ses dépliants et ses forums de photos de poissons morts fièrement brandis pour vendre des cartes de pêche n'est pas tenable indéfiniment. Pas plus au demeurant que les stratégies trop visibles d'euphémisation vantant la pêche comme l'occasion de retrouver la nature, la famille et les copains, en omettant de signaler que ces retrouvailles se font quand même sur la base d'un goût partagé pour la prédation envers les espèces naturelles.
A notre connaissance, la pêche est le seul usage de la rivière qui, à ce jour, n'a fait l'objet d'aucune analyse d'impact de la part de l'Onema, de l'Irstea, de l'Inra, du MNHN ou autres instances censées assurer la synthèse des connaissances scientifiques et techniques pour procéder à des recommandations. Dans les discours administratifs (Agences), elle est surtout vantée comme un usage économique et social légitime, sans distance critique. Un tel aveuglement volontaire n'est évidemment pas crédible de la part de ces institutions, car la littérature scientifique internationale montre bel et bien des impacts : la prédation elle-même, moins marquée aujourd'hui qu'hier mais toujours existante ; les empoissonnements et alevinages, qui changent la structure des assemblages piscicoles tout en augmentant le risque invasif et pathogène, ou la concurrence territoriale avec des espèces patrimoniales ; le devenir des leurres plastiques ou métalliques perdus dans les cours d'eau ; la difficulté pour les chercheurs à disposer de statistiques fiables de capture, etc. Les pêcheurs sont souvent des acteurs impliqués dans la protection de la rivière, il ne s'agit pas de contester cette réalité ; mais les déclarations et les bonnes intentions ne suffisent pas, seul l'examen critique par la recherche scientifique permet d'évaluer l'impact des pratiques.
En terme de gouvernance, on peut avoir une co-existence pacifique au bord de nos rivières, en acceptant ses différents usages et en essayant d'améliorer notre rapport à l'environnement. On peut aussi avoir une posture agressive et intransigeante, militer pour nuire à des usages que l'on n'aime pas, répandre pour cela diverses idées reçues. Les représentants officiels de la pêche française se sont trop souvent engagés et égarés dans la seconde attitude depuis 2006 (en même temps que l'ancien Conseil supérieur de la pêche renommé Onema était propulsé conseiller scientifique du gouvernement sur les milieux aquatiques, ce qui n'est pas sans susciter des doutes sur l'objectivité de cette mission). Ces représentants ne contribuent pas à la réputation de la pêche en agissant ainsi, car la casse du patrimoine hydraulique n'est pas vraiment l'action la plus populaire dans la ruralité. S'ils sont cohérents avec eux-mêmes et s'ils persistent à vanter une "renaturation" supposant que l'on ne touche plus aux évolutions spontanées de la faune halieutique ni des écoulements de la rivière, ils exposent finalement leur propre loisir à des évolutions réglementaires de plus en plus draconiennes, qui ne manqueront pas d'en limiter l'attrait et d'en précipiter le déclin. Il va de soi que l'on ne tolérera pas de détruire le patrimoine hydraulique ou de consentir à des dépenses exorbitantes d'aménagement des rivières pour soi-disant sauver les truites, anguilles, brochets ou saumons tout en acceptant que ces espèces fassent ensuite l'objet de prédations ou de compétitions d'espèces introduites au nom d'un loisir (ou d'une activité professionnelle dans le cas des anguilles).
Nous invitons en conséquence les pêcheurs à une réflexion sur leurs pratiques, sur leurs rapports avec les autres usages de l'eau et sur la manière dont ils sont aujourd'hui représentés dans le débat public sur certains sujets polémiques, comme la destruction du patrimoine hydraulique des rivières.
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