08/08/2020

La propagande simpliste des agences de l'eau

L'activité humaine modifie la nature, c'est mal. Supprimer les activités humaines respecte la nature, c'est bien. Effaçons le passé pour construire un avenir radieux. Ce discours simpliste et binaire est le fait non de quelques militants égarés mais des très officielles agences de l'eau sur leur nouveau site de propagande, En immersion. Il est consternent de diffuser au public un récit si pauvre de la rivière et une approche si caricaturale de l'écologie. Les agences étant le bras financier des politiques de l'eau, il sera difficile de faire croire à la possibilité d'une politique "apaisée" des rivières aménagées avec cette persistance de bureaucraties exprimant une idéologie de destruction des ouvrages hydrauliques et des apports de ces ouvrages à la société. Mais les riverains qui voient un peu partout les cours d'eau à sec sous les canicules commencent peut-être à comprendre où mènent ces divagations... 



Voici ce que dit le site des agences de l'eau (italiques) dans sa page sur la restauration  et nos commentaires.

« C’était mieux avant »… Une citation loin d’être applicable aux cours d’eau qui ne cessent d’être chamboulés depuis plusieurs siècles. Mais pourquoi vouloir changer l’ordre établi ? Pour le bien de tous !

La faute aux activités humaines !
Les cours d’eau sont aménagés par l’Homme depuis le Moyen-Âge et même avant. Mais c’est à partir du milieu du XIXe siècle, et surtout au XXe siècle, qu’ont été réalisés les aménagements les plus lourds et les plus étendus. C’était la solution pour satisfaire les besoins humains, avec les techniques et les connaissances de l’époque.
  • navigation
  • régulation des crues
  • production d’énergie
  • adduction d’eau
  • aménagement agricole et urbain du territoire

Cette description correspond toujours à des réalités: la plupart des rivières sont aménagées en Europe comme dans le monde, afin de répondre à divers besoins ou choix des sociétés humaines. L'aménagement des rivières a commencé dès le néolithique puisque l'humain sédentaire a dû maîtriser le cycle de l'eau pour son alimentation, son hygiène, son agriculture et son artisanat. Puis sont venus d'autres enjeux au fil de l'évolution de ces sociétés. Aujourd'hui, les enjeux majeurs sont la production d'énergie bas carbone, la gestion des aléas hydro-climatiques (crues, sécheresses), l'appropriation de l'eau par les territoires dans une logique de développement durable équilibrant environnement, économie et société. L'idée qu'il existerait une communauté humaine sans aucune interaction avec les milieux en eau est évidement insoutenable : si l'agence de l'eau veut expliquer l'écologie au public, elle doit commencer par exposer les conclusions actuelles de l'écologie scientifique, à savoir que les milieux aquatiques et rivulaires sont modifiés depuis plusieurs millénaires par les activités humaines, qu'ils sont modifiés (en premier ordre) en proportion de la démographie et de le prospérité des sociétés. Enfin, les agences de l'eau désignent les aménagements du 20e siècle comme les plus lourds mais financent partout la destruction ou l'assèchement des aménagements d'ancien régime intégrés de longue date dans le milieu local (retenues et biefs de moulin, étang, canaux d'irrigation gravitaire, etc.). Ces milieux possèdent aussi des biodiversités et fonctionnalités, dont la négation conduit à des mauvaises politiques.



L'apparition de nouveaux problèmes
Rapidement, les pêcheurs se sont inquiétés des conséquences des barrages et des pollutions sur les poissons. Les progrès de la connaissance et l’évolution des sociétés ont ensuite montré que les rivières aménagées ne satisfaisaient pas durablement l’ensemble des besoins économiques et sociaux.
Les aménagements ont aussi pu créer de nouveaux problèmes : baisse de la capacité auto-épuratoire des rivières, dégâts plus importants lors des crues du fait des ruptures de digues, obstacles à la circulation des poissons (et notamment des poissons migrateurs), etc.

Le seul public cité comme exprimant un problème avec la rivière aménagée est celui des pêcheurs. Ce qui n'est que partiellement exact puisque les milieux aquatiques artificiels comme les étangs et les lacs sont co-gérés par des sociétés de pêche. Ce sont les lobbies de pêcheurs de salmonidés (migrateurs) qui ont surtout des problèmes avec les aménagements, en lien aux ruptures de continuité (barrage), mais ce sujet reste assez périphérique au plan de la représentativité sociale du public concerné. La baisse de la capacité épuratoire des rivières est une légende ou une "fake news" comme on dit aujourd'hui (ce qu'une agence de l'eau a fini par admettre après nos protestations à ce sujet) : la rivière n'a jamais été une station d'épuration où nous pourrions mettre sans dommage des toxiques, les ouvrages tendent en général à favoriser l'élimination de certains intrants, le fait de disperser plus vite des pollutions vers l'aval ou l'estuaire n'a guère d'intérêt. Quant à citer la rupture de digues comme "preuve" qu'elles ne remplissent pas leur rôle anti-crue, c'est une mauvaise foi évidente: autant dire que le vélo, la voiture, le train ou l'avion n'apportent aucun bénéfice de transport car de temps en temps ils provoquent des accidents! En réalité, la gestion des crues et sécheresses a toujours fait appel à des aménagements, c'est une des raisons pour lesquelles les profils actuels de nos bassins versants n'ont plus rien de "naturels" au sens de non modifiés par les humains dans l'histoire. Et l'actualité nous rappelle tristement ce que signifie l'absence de maîtrise de l'eau en situation d'aggravation des sécheresses et des vagues de chaleur.



Une réhabilitation nécessaire
L’artificialisation des rivières nous oblige aujourd’hui à intervenir pour restituer tout ou partie les services dégradés par les aménagements, parfois au prix d’impacts financiers, économiques et sociaux très élevés. En outre, face au dérèglement climatique, redonner un fonctionnement naturel aux rivières apparaît comme une mesure tout à fait pragmatique. C’est la garantie de bénéficier le plus possible des services gratuits rendus par la nature et rendre ainsi nos territoires plus résilients.

Là encore, ces assertions sont des arguments d'autorité sans logique. Le fait d'avoir une rivière dite "naturelle" dont on a supprimé les ouvrages fait disparaître les avantages économiques, sociaux et écologiques issus de ces ouvrages, comme l'irrigation, la navigation, l'énergie, le soutien d'étiage, l'agrément paysager, les loisirs, le rafraîchissement local de l'air ambiant, la biodiversité propre aux milieux anthropisés. De nombreux travaux de recherche montrent ces réalités, un passage en revue récent de la littérature scientifique a énuméré ces services rendus (Clifford et Hefferman 2018).  L'analyse des services rendus par les écosystèmes montre aussi que l'aménagement raisonné de ces écosystèmes fait partie des services valorisés par les humains. Affirmer sans preuve que la société tire des bénéfices de la destruction des aménagements qu'elle a créés ne peut constituer un discours public, à moins que ce discours devienne un charabia militant.

Conclusion : les agences de l'eau s'enferment dans une propagande qui vise à diffuser une idéologie administrative, celle de la "renaturation" des milieux aquatiques. Cette idéologie est sans rapport aucun avec la manière dont la loi définit la gestion équilibrée et durable de l'eau, donc l'intérêt général des citoyens. Elle est sans rapport non plus avec l'évolution de la connaissance scientifique, qui ne valide plus des oppositions stériles entre rivières naturelles et rivières aménagées, solutions fondées sur la nature et solutions fondées sur la technique. Elle est enfin issue des choix de fonctionnaires non élus, dont on se demande pourquoi ils se permettent ainsi de réécrire les normes et d'imposer leur vision des cadres de vie. La démocratie de l'eau doit être restaurée autant que la qualité de l'eau, ce qui passe par un contrôle réel des élus sur les administrations et par une représentation correcte de la société dans les comités de bassin des agences de l'eau.

A lire en complément
Un dossier de 100 références scientifiques pour faire connaître et protéger les ouvrages hydrauliques et leurs milieux
"Les experts sont formels"... mais quels experts? Au service de quels pouvoirs, quelles idéologies, quels intérêts?
Des scientifiques rédigent un livre pour alerter sur certaines dérives de l'écologie des rivières en France
L'idéologie du retour à la nature est simpliste et vit dans le déni des milieux humains
Défragmenter les rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment
"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Faiblesse scientifique, dimension subjective et résultats incertains des chantiers de restauration de rivière en France (Morandi et al 2014)

Lire notre rubrique "agence de l'eau" pour la chronique des résultats médiocres et dérives nombreuses de ces établissements administratifs.

Lire notre rubrique "idées reçues" pour des réponses détaillées et référencées aux assertions fausses ou incomplètes du discours public sur les ouvrages en rivière.

05/08/2020

Le juge donne tort à l'administration sur la détermination de la consistance légale d'un moulin fondé en titre

 

Les parlementaires ont demandé à l'administration d'encourager la petite hydro-électricité, mais celle-ci fait tout le contraire. Dans une affaire de détermination de la consistance légale fondée en titre d'un moulin, le ministère de l'écologie s'est acharné à contester les demandes du propriétaire et les conclusions de l'expert judiciaire mandaté par le tribunal en première instance. L'administration a essayé de faire valoir une contre-expertise sur les bases de la méthode proposée par INRAE-OFB, mais elle n'a pas été retenue comme crédible par le juge administratif. Ce que nous avions déjà souligné quand cette méthode (à charge) était parue en 2018. Voilà donc à quoi ressemble la continuité "apaisée" : essayer par tous moyens de détruire des ouvrages, quand on n'y parvient pas essayer par tous moyens de contester leurs droits. Pour les propriétaires et associations de moulins et étangs, le recours en justice contre l'administration de l'eau et de la biodiversité doit devenir la norme en cas de désaccord avec les services du préfet. Mais il faut aussi informer les médias et élus de ces dérives où l'argent public est dilapidé à des pinaillages bureaucratiques contraires à l'intérêt général. Car on parle en ce cas de la capacité d'un site à produire de l'électricité bas-carbone au service de la transition énergétique



Le propriétaire d'un moulin à eau sur la rivière la Baïse, équipé d’une micro-centrale de production hydro-électrique et d’un barrage en pierre, a déposé une demande auprès de la DDT de Lot-et-Garonne en vue de la reconnaissance d’une consistance fondée en titre de 409 kW. Le préfet a refusé de reconnaître une telle consistance, en estimant que la consistance légale devait être de 107 kW. Puis le préfet a proposé de reconnaître comme droit fondé en titre, la puissance électrique actuellement vendue à EDF, soit 220 kW. Le propriétaire a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l’annulation des décisions du préfet et la reconnaissance d’une consistance légale de 409 kW du droit fondé en titre attaché au moulin.

Par un jugement avant dire droit du 9 février 2017, le tribunal administratif a ordonné une expertise en vue d’apprécier la consistance légale. Après dépôt du rapport de l’expert, concluant à une puissance fondée en titre de 628 kW, le propriétaire a demandé que soit reconnu un droit fondé en titre à ce niveau de puissance, ce qui fut posé par un jugement du 1er février 2018. Le ministre a fait appel de ce jugement.

La cour d'appel rappelle d'abord que la consistance légale est la puissance maximale que l'on peut tirer d'un site autorisé :
"Le droit fondé en titre conserve en principe la consistance qui était la sienne à l’origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l’exploitant retire de son installation, compte tenu de l’efficacité plus ou moins grande de l’usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer. Cette puissance maximale est calculée en faisant le produit de la hauteur de la chute par le débit maximum de la dérivation par l’intensité de la pesanteur. Le débit maximum à prendre en compte correspond à celui du canal d’amenée, apprécié au niveau du vannage d’entrée dans l’usine, en aval de ce canal. La hauteur de chute à retenir est celle de la hauteur constatée de l’ouvrage, y compris les rehausses mobiles, sans tenir compte des variations de débit pouvant affecter le niveau d’eau au point de restitution."
L'expert a donc évalué le site en conformité à cette recherche :
"l’expert judiciaire désigné par le tribunal a estimé dans son rapport du 22 juin 2017 que l’état initial du moulin (...) avant 1789, correspondait à une installation comprenant quatre meules entrainées chacune par une roue hydraulique pour la production de farine, un foulon pour préparer les fils de tissage et un atelier de filature, couplés à l’énergie produite par une roue à aubes. Selon lui, la chute d’eau présentait à l’origine une hauteur de 4 mètres, mais a subi ultérieurement des variations à la baisse, en sorte qu’elle s’élève actuellement à 3 mètres. Après prise de mesure de la fente d’alimentation du puits de l’ancienne roue de la seule meule qui subsistait sur les quatre meules installées à l’origine, il a estimé que les orifices disposaient alors d’une capacité d’écoulement de 1,5 m3 par seconde chacun et en a déduit que le débit total correspondant aux quatre meules était de 6 m3 par seconde. Enfin, il a évalué la capacité d’écoulement du canal d’alimentation de la roue à aubes à 10 m3 par seconde et, par conséquent, le débit total du moulin à 16 m3 par seconde et la puissance fondée en titre du moulin à l’origine à 628 kW." 
Pour contester ces conclusions, l’administration a chargé l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) de réaliser une contre-expertise dont le rapport ("établi unilatéralement" précise la cour) a été remis le 4 septembre 2017 sur la base des mesures relevées par l’expert judiciaire lors de sa visite sur place et des schémas contenus dans l’expertise.

Mais la cour d'appel écarte cette contre-expertise administrative. En particulier, ne sont pas opposables :
  • le fait de se prévaloir d’états statistiques sur les irrigations et les usines établis en 1899,
  • le comblement d'une partie de l’ouvrage, le canal du foulon,
  • l'influence de la disposition des meules anciennes sur le débit maximum.
Au final, le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal, retenant les conclusions de l'expertise qu'il a ordonnée, a fixé la consistance du droit fondé en titre du moulin à 628 kW.

Quatre leçons et réflexions depuis cette affaire :
  • en cas de désaccord avec un préfet, et après conseil juridique, le propriétaire doit avoir recours à la justice pour trancher (cette culture du droit est devenue indispensable pour les affaires d'environnement et énergie, les associations comme les collectivités doivent toutes travailler cela en priorité),
  • les propos des "sachants" et "experts" de l'administration sont à prendre avec des pincettes, car ils sont biaisés par une idéologie anti-ouvrage en France, donc ce qui paraît "objectif" est souvent orienté par certains préjugés à l'oeuvre dans la détermination des calculs et mesures,
  • les services de l'Etat mobilisent du personnel et dilapident de l'argent public dans une croisade insensée contre les ouvrages hydrauliques, y compris leur capacité à produire de l'énergie locale bas-carbone, alors même que les parlementaires ont demandé par la loi que la petite hydro-électricité soit encouragée,
  • la question des moulins et ouvrages producteurs devrait logiquement être retirée à la tutelle de la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère, pour être confiée à celle de l'énergie et du climat (DGEC). Car la DEB est devenue une haute administration au service de la destruction des moulins et barrages, ses instructeurs ayant perdu leur crédibilité sur le terrain après 15 ans de dérives en faveur d'une continuité écologique destructrice. Aucun service public ne fonctionne correctement sans la confiance du public.

Référence : CAA de Bordeaux, arrêt n°18BX01403, 16 juin 2020

A lire en complément
Un guide AFB-Irstea irrecevable pour le calcul de la consistance légale d'un moulin 

31/07/2020

La chute des poissons migrateurs depuis 1970 est difficilement attribuable à l'hydraulique ancienne!

 

Selon un rapport venant de paraître, les populations de poissons migrateurs en Europe auraient chuté de 93% entre 1970 et 2016. Cette baisse spectaculaire étant difficilement attribuable aux moulins et aux étangs présents depuis des siècles (mais en régression depuis 100 ans dans le cas des moulins), d'où vient-elle au juste? Que signifie-t-elle? Pourquoi les auteurs des rapports entretiennent-ils un flou artistique sur les dégradations de l'eau, notamment les pollutions chimiques?  



Cette courbe représente le déclin des populations de poissons migrateurs en Europe entre 1970 et 2016, selon le rapport Living Planet Index venant de paraître. Une baisse des effectifs de 93% est observée, en agrégat de 408 populations et 49 espèces.

En tenant compte d'un effet retard (dette écologique) de 5 à 10 ans (temps maximal de reproduction et retour des poissons), on peut se demander ce qui s'est passé à compter des années 1960 et qui aurait pu entraîner ce déclin observé à compter de l'année 1970.

Entre 1960 et 2016, il ne s'est pas construit à notre connaissance une grande quantité de moulins ou d'étangs sur les lits mineurs des rivières françaises ou européennes. Au contraire, cette hydraulique ancienne a eu tendance à régresser (ennoiement dans des grandes retenues, délitement des chaussées par usure, effacement au nom de la continuité écologique). Le maximum des moulins et petites usines à eau se situe vers 1850, soit plus d'un siècle avant la chute observée.

En revanche, on a vu émerger au cours de cette période de 60 ans :
- des grands barrages non franchissables (coupant le lit majeur)
- des seuils bétons de protection berge ou génie civil (pont, accotement)
- une hausse majeure des pollutions (engrais, pesticides, plastiques, produits de synthèse à effet géno-, neuro- ou reprotoxiques)
- une augmentation des prélèvements d'eau à fin domestique, agricole, industrielle
- une dégradation des sols et donc des lits (colmatage par sédiments fins)
- une bétonisation des bassins versants (routes, zones urbaines)
- une intensification de la pêche en mer et estuaire
- un réchauffement climatique modifiant les régimes fleuves et océans
- une expansion des espèces exotiques

Une étude récente a ainsi montré que la Seine était tellement polluée lors des 30 glorieuses que la migration des poissons y était de toute façon compromise, la discontinuité chimique s'ajoutant à une discontinuité physique (voir Le Pichon et al 2020). Ce que certains ont appelé dans un contexte plus large la "grande accélération" de l'Anthropocène (Steffen et al 2015), marquée par une hausse de toutes les empreintes écologiques des sociétés industrielles.

Ces points ne sont malheureusement pas mis en perspective dans le rapport dont le commanditaire privé, la World Fish Migration Foundation, est surtout engagé dans la promotion de la politique-spectacle de destruction des ouvrages hydrauliques.

Pourquoi les tenants de la "libre-circulation" des rivières sont-ils à ce point silencieux sur des causes manifestes de dégradation de l'eau, qui ne concernent pas que les migrateurs, mais toutes les espèces aquatiques? A quels intérêts obéissent les acteurs qui concentrent l'attention sur les ouvrages? En quoi la destruction d'une hydraulique ancienne ayant co-existé longtemps avec des poissons migrateurs représente-t-elle la moindre rationalité et priorité dans les politiques européennes de l'eau? Nous n'aurons pas les réponses dans ce rapport. Mais nous continuerons à poser les questions tant que les acteurs seront aussi flous dans l'analyse des causalités des phénomènes qu'ils décrivent.

Enfin, il est une autre question, plus fondamentale. Les poissons migrateurs sont des espèces dont la stratégie de vie demande des parcours à longue distance. Ce trait comportemental entre en contradiction avec les usages humains de l'eau tels qu'ils se sont développés au cours de l'histoire (alimentation, navigation, énergie, irrigation, loisirs) et avec des évolutions en cours des paramètres biophysiques (intensification du changement climatique, croissance des espèces exotiques). Vouloir éviter l'extinction des poissons migrateurs est évidemment une cause de la conservation écologique. Mais éviter l'extinction d'une espèce peut difficilement signifier revenir au périmètre historique d'expansion maximale des migrateurs, au début du Holocène, à l'époque où les conditions étaient totalement différentes (voir Kareiva et Carraza 2017).

Si les poissons migrateurs soulèvent plus que d'autres de l'intérêt en raison de certains usages (pêche de loisir notamment), ils ne sont pas l'alpha et l'omega de la biodiversité aquatique. Et le fait de poser des ambitions très au-delà des moyens tend à décourager les efforts qui ne seront pas suivis des effets promis. Il a été aussi montré que la dépense pour les espèces rares se fait au détriment des autres, ce qui pose question à l'heure où l'écologie est une politique publique devant répondre de choix et de résultats (Neeson et al 2018).

Il faut donc essayer de préserver les poissons migrateurs de l'extinction, mais cela ne peut plus être au prix d'une action indistincte "quoiqu'il en coûte", d'une absence de stratégie claire et d'un oubli des autres enjeux de l'eau, dont le rôle majeur des pollutions. 

Source : Deinet S. et al (2020) The Living Planet Index (LPI) for migratory freshwater fish - Technical Report. World Fish Migration Foundation, Pays-Bas.

29/07/2020

L'Etat veut détruire la réserve naturelle du Loch au nom du dogme de la continuité écologique

 

En Bretagne, une réserve naturelle de 118 ha issue d'anciens polders doit être perturbée et en large partie détruite car l'administration et l'Office français de la biodiversité (sic) exigent le démantèlement d'une vanne à clapet empêchant certains poissons de passer. Avec à la clé l'expulsion des fermiers qui s'occupent des terres depuis 70 ans. On atteint des sommets de bêtise et de nuisance au nom du dogme de la continuité soi-disant "écologique". Si les élus ne reprennent pas fermement la main sur ce dossier qui pourrit la vie de tous les bassins versants depuis 2009, ce sont les citoyens qui devront protéger les sites des administrations en pleine dérive sectaire. 



La politique de continuité écologique en France est menée depuis 10 ans dans une ambiance de dogmatisme et de mépris des citoyens ayant conduit à l'émergence de conflits et de contentieux partout sur le territoire. Les services de l'Etat et leurs administrations - Office français de la biodiversité (ex Onema), agences de l'eau, direction de l'eau au ministère - ont en effet engagé une programmation publique marquée par de nombreux biais :
La continuité écologique est devenue une caricature de politique jacobine, bureaucratique et autoritaire. Des scientifiques, des universitaires, de nombreuses associations lancent déjà l'alerte contre cette dérive qui donne une image déplorable de l'écologie et qui correspond à un dévoiement grave de l'expertise d'Etat, menant à une parole publique discréditée car loin d'entendre l'ensemble des disciplines de recherche pour étudier les enjeux multiples de l'eau et des milieux aquatiques.

Le journal Ouest-France expose aujourd'hui les malheurs des étangs du petit et du grand Loch à Guidel (Morbihan).

"Située sur la commune de Guidel, cette réserve de 118 hectares, classée espace naturel sensibles (ENS) par le département et partie du périmètre Natura 2000, a développé un écosystème remarquable grâce aux eaux saumâtres du petit Loch et aux eaux douces du grand Loch. 400 espèces de végétaux, 147 espèces d’oiseaux, de nombreux mammifères et insectes y sont recensés. Le paysage et certaines de ces espèces, rares et protégées, se retrouvent menacées par la destruction de la réserve sous sa forme actuelle.

(...)la Saudraye, une rivière traversant la réserve, ne se jette pas en continu dans la mer. Façonné par l’homme, le cours d’eau est obstrué, depuis la fin du 19è siècle, par un ouvrage à clapets. La continuité écologique n’est donc pas respectée. L’ouvrage empêche la mer de remonter dans la réserve à marée haute et limite la migration des poissons. Le bureau d’études Hydroconcept note en 2013 : «Une densité de truite faible, avec 5,5 individus pour 100 m2 alors que celle de l’anguille est bonne avec 47,7 individus aux 100 m²».

Cet ouvrage, limitant la présence d’eau salée – l’altitude moyenne du petit Loc’h se situe sous le niveau moyen de la mer – a cependant permis le développement de cet écosystème. Selon le cabinet X.Hardy, missionné pour un plan de gestion en 2009 : «La richesse écologique du site est en grande partie liée à la présence du clapet à marée.» Une seconde étude pointe l’importance de l’ouvrage : «toute action sur l’ouvrage de sortie de mer peut potentiellement perturber l’équilibre de la zone en amont et être en contradiction avec le document d’objectifs Natura 2 000.»

L'office français de la biodiversité, qui a refusé de répondre aux journalistes de Ouest-France, n'a pas accepté les solutions incluant le maintien de l'ouvrage.

"Pour respecter la loi, «l’Office Français de la biodiversité (OFB) a sommé la réserve d’étudier la continuité», explique Stéphane Basck, responsable du service technique à la fédération des chasseurs du Morbihan, gestionnaire de la réserve. La fédération a donc mandaté, en 2013, le bureau d’études DCI environnement situé à Quimper, pour étudier l’ouverture. Il s’est penché sur 3 scénarii. Le premier rend le Loc’h à son état d’origine en détruisant l’ouvrage pour un ré-esturarisation. Le Loc’h redeviendrait une Ria, comme au 19è siècle. Le deuxième scénario maintient l’ouvrage, en supprimant les clapets. Le dernier, qui obtient la meilleure note de l’étude, prévoit l’aménagement des clapets par des vérins. Ce système permettrait ainsi de laisser rentrer l’eau de mer tout en limitant le passage. Selon DCI environnement, cette solution permettrait : « Une restauration de la libre circulation des espèces cibles et des sédiments tout en maintenant la richesse écologique du Loc’h » «Une solution acceptée par la fédération des chasseurs du Morbihan mais refusée par l’OFB qui veut une continuité dans le temps et l’espace», affirme Stéphane Basck."

Enfin, un fermier et sa famille sont menacés d'expulsion :

"L’étude de DCI pointe aussi un risque d’inondation de la ferme des Besnard, située à l’entrée du Grand Loc’h. Cette famille, installée dans les années 50, a longtemps cultivé les terres du Loc’h et contribué à son état actuel en consolidant l’ouvrage. Après une première expropriation en 1972 pour permettre l’installation d’une station d’épuration, depuis détruite, la famille Besnard a reçu la visite de France Domaine en février 2020 pour estimer la propriété, préalable à une éventuelle expropriation. « Mon père a dépassé le stade d’en avoir marre, mes parents ont juste envie de terminer leurs jours ici », clame le fils, Christophe Besnard."



Les élus et riverains exposent ainsi la problématique (source) :

"Petit et Grand Loch constituent un espace naturel remarquable de Bretagne, connu sous le nom de « Réserve naturelle des étangs du Petit et du Grand Loch ». Cet espace naturel, reconnu pour son environnement, sa faune et sa flore, est aujourd’hui menacé de disparition.

Poldérisée depuis 1884, la zone est reliée à la mer au moyen d’une canalisation passant sous la route côtière. A marée montante, un clapet empêche l’eau de mer de rentrer dans les terres. A marée descendante, poussé par la pression de l’eau douce, le clapet s’ouvre permettant ainsi à la Saudraye de rejoindre la mer. Cet espace humide représente en outre un filtre naturel et de dénitrification des eaux de ruissellement.

Cette zone d’une centaine d’hectares est constituée d’étangs, de marécages, de terres agricoles et de pâturages. Peuplée de nombreuses espèces végétales et animales adaptées aux milieux d’eau douce, elle est un lieu apprécié des promeneurs et un lieu d’observation privilégié des nombreuses espèces d’oiseaux qui la fréquentent.

Ce bel ordonnancement est aujourd’hui menacé de disparition, par une application trop restrictive d’une directive européenne visant à assurer la continuité écologique des cours d’eau « de la source à la mer ».

Dans un article OF du 19 juillet 2019, le maire, Jo Daniel, signale qu’il est prévu de « réouvrir l’étang du Loch à la mer ».

Le 31 décembre 2019, il annonce aux propriétaires de la ferme du Loch que des démarches sont engagées en vue d’une expulsion.

En effet, la principale conséquence de l’ouverture du clapet sera l’envahissement de la zone par l’eau de mer à chaque marée, entraînant la disparition de la ferme du Loch. France Domaine a procédé à l’expertise de la ferme le 28 février 2020.

Ces actions ont été réalisées sans que les élus en soient préalablement informés. Il est à noter qu’une proposition alternative consistant à ne noyer que le Petit Loch en installant un clapet entre les deux étangs a été refusée.

D’autres solutions évitant de noyer la zone, comme l’installation d’une passe à poissons, peuvent être envisagées.

Globalement, la réserve naturelle a une altitude inférieure ou égale à 6 mètres.

Au vu des hauteurs de marée, on peut donc raisonnablement penser que toutes les terres situées au-dessous de 6 mètres sont potentiellement inondables.

La mer ne se contentera pas d’envahir les zones actuellement en eau, elle recouvrira l’ensemble des surfaces dont le niveau est inférieur à celui de la marée.

La végétation et une grande partie de la faune actuelle disparaîtront sous l’effet du sel.

Un nouvel écosystème, compatible avec l’eau salée, s’installera mais personne n’est capable de dire lequelcar les experts ne se prononcent pas. Il s’agit de réaliser un test pour voir ce que cela donne, de servir de cobaye pour d’autres réalisations de ce genre. Les guidélois ne sont pas des cobayes et n’ont pas vocation à jouer aux apprentis sorciers, ils méritent mieux.

Pourquoi sacrifier cette zone humide alors que partout ailleurs ont s’acharne à les préserver ? Pourquoi laisser pénétrer l’eau salée aussi loin à l’intérieur des terres ? Pour créer une mini rivière d’Etel? Dans ce cas, on sait ce que cela va donner, inutile de faire un test.

De plus, il est à craindre que cela n’entraîne un lessivage de l’ancienne décharge sauvage jouxtant le Petit loch et ne fasse remonter des dépôts de l’ancienne zone de lagunage de Guidel Plages.

Enfin, l’action récurrente de la marée pourrait éroder les parties sableuses ainsi que les soubassements de la route proche de la ferme du Loch et de la route côtière qui pourraient être coupées à cet endroit.

Le profil de la plage du Loch pourrait être modifié.

Soutenir la mise en œuvre du plan de gestion de la Réserve Naturelle Régionale du Loch  était un des objectifs de l’Agenda 21 de la commune, établi en 2010. Pourquoi remettre cela en question alors que la directive européenne n’a pas de caractère obligatoire en France ? En revanche, elle impose une concertation avec les habitants avant de modifier l’existant, ce qui n’a pas été fait. Pourquoi tant de précipitation ?

Il est de notre devoir de protéger cet espace naturel remarquable et il est possible de garantir la continuité écologique sans procéder à la réouverture du Loch à la mer à laquelle nous sommes opposés."


Nous appelons les riverains, les usagers et les élus à résister à cette oppression administrative qui les frappe comme elle frappe tout le pays. Il s'agit notamment pour eux de :
  • saisir M. Castex et Mme Pompili, puisque le gouvernement se prétend au service des territoires et non des lubies de ses administrations centrales, le premier ministre ayant signifié qu'il voulait mettre fin à l'écologie "punitive" et "sectaire",
  • préparer un contentieux administratif (et pénal) contre toute solution entraînant une perte nette de biodiversité, une destruction de milieux, une atteinte à la gestion équilibrée et durable de l'eau,
  • saisir les parlementaires pour exiger un audit de ces soi-disant expertises qui ont déjà coûté des centaines de millions € au pays, et la destruction de nombreux patrimoines, pour des gains dont nul n'a démontré la réalité et la durabilité,
  • informer et organiser les citoyens pour assurer si besoin la garde du site menacé, l'Etat ayant déjà démontré sa politique du fait accompli.
L'association Hydrauxois se met à disposition des riverains qui le souhaitent pour participer au contentieux si l'administration ne cesse pas sa politique de destruction.

La continuité écologique sera "apaisée" le jour où la ministre de l'écologie ordonnera à son administration, de manière explicite et opposable , de respecter les ouvrages hydrauliques autorisés, les milieux anthropiques et les usages riverains. D'ici là, nous continuerons dans le spectacle navrant de dérives locales des fonctionnaires, de contentieux avec les citoyens et de gabegies d'argent public.  

Illustrations : extrait du site de Guidel, tous droits réservés.

Engagement local : le groupe de l'association les faits mer

27/07/2020

Le moulin est devenu un patrimoine naturel autant que culturel

 Les moulins appartiennent-ils seulement au monde de la culture, de le technique, de l'histoire, qui s'opposerait à celui de la nature? Non. Cette manière binaire de voir la réalité n'est plus d'actualité: les moulins forment des socio-écosystèmes. Ils relèvent à la fois du patrimoine culturel et naturel, ils hébergent du vivant autant qu'ils permettent des usages, ils sont un environnement modifié par l'humain comme tous les environnements l'ont été au fil des générations. Les moulins figurent ainsi parmi les premiers témoignages de l'Anthropocène, cette période qui a fusionné des écosystèmes biophysiques et des sociosystèmes humains. Aussi est-il important de renforcer dans toutes les associations de propriétaires une conscience et une connaissance écologiques, afin d'enrichir et améliorer la gestion de ces biens hydrauliques "hybrides". Mais il est urgent aussi, dans les politiques publiques, de ne plus imaginer un jeu à somme à somme nulle où ce qui est concédé à la culture serait perdu pour la nature: le moulin est une réalité locale où nature et culture se sont métissées. C'est ainsi que la recherche scientifique décrit ces espaces hybrides, et c'est ainsi qu'il faut désormais envisager le moulin, comme tous les autres milieux créés par des ouvrages hydrauliques. 



Les moulins ont été souvent valorisés par leurs acheteurs et par leurs associations comme un patrimoine historique, technique et culturel. Et pour cause, ils sont un témoignage exceptionnel du passé, des générations qui ont nourri la France et construit par leur travail l'économie du pays. Les moulins furent depuis deux millénaires les usines à tout faire des communautés humaines de chaque bassin versant : farines, huiles, tissus, métaux, bois, papiers, électricité... tout pouvait être transformé avec un moteur hydraulique à roue, puis à turbine. Et cela reste vrai aujourd'hui pour tous les moulins encore producteurs, ou le redevenant.

Un autre attrait des moulins à eau est évidemment paysager, l'agrément du bord de rivière. Certes, les crues sont difficiles à vivre, même si les anciens avaient l'habileté de surélever leurs biefs un peu à l'écart de la rivière, et de conserver un rez-de-chaussée inondable en connaissance des caprices de l'eau. Hors ces risques propres à toute propriété riveraine, la présence de l'eau est une joie de tous les jours pour ceux qui en ont la sensibilité.

Mais le moulin ne peut être seulement habité et vécu comme témoignage historique et agrément paysager. Aujourd'hui, les propriétaires de moulin doivent ajouter une nouvelle dimension : l'écologie du site.

Ce point n'est pas toujours familier à tous. Le plaisir de l'eau comme paysage n'est pas la connaissance de l'eau comme milieu. Or, le moulin a des effets sur l'eau-milieu. Ici il va accumuler des sédiments, là ralentir des écoulements, la gestion des vannes modifiant ces paramètres. Les premiers bâtisseurs en étaient parfois conscients, au moins partiellement, par empirisme. On voit par exemple de-ci de-là des chaussées empierrées fort anciennes dont la crête du côté de l'ancrage en rive opposée au moulin est abaissée : c'était la "passe à poissons" intuitive des bâtisseurs de l'époque, l'endroit où l'eau verse préférentiellement et où la chute s'annule vite quand la rivière gonfle. Ayant parfois oublié cela, le propriétaire en lien avec l'administration a pu remettre au 20e siècle la crête de son ouvrage "au cordeau" uniforme du niveau légal... mais cet oubli d'une culture de la nature au profit d'une rectitude réglementaire ne fut pas forcément un gain environnemental. 

Penser et gérer le moulin comme milieu à part entière
Plus encore, le moulin est un milieu écologique à part entière. Il doit aujourd'hui être envisagé, mais aussi revendiqué et géré, comme un patrimoine naturel autant que technique.

Cette conclusion provient d'une évolution majeure de la connaissance en écologie des 30 dernières années: peu importe qu'un habitat soit d'origine artificielle ou naturelle, humaine ou non-humaine, l'important est d'examiner les fonctionnalités et les biodiversités de cet habitat. Exemples de fonctionnalités : le moulin va collecter une partie des eaux de crue ou rehausser la hauteur de nappe. Exemples de biodiversités : le moulin va héberger des poissons, oiseaux, mammifères, invertébrés, végétaux dans ses parties aquatiques et rivulaires. Le moulin crée bien sûr un milieu modifié, comme l'étang ou le plan d'eau, mais cela reste un milieu biophysique ayant certaines propriétés adaptés à certains vivants.

La "nature" entendue comme ce qui serait totalement indemne d'une influence humaine n'existe plus, sinon comme construction intellectuelle fausse. Il n'y a que des milieux présentant des gradients de modification. Même les tronçons de rivière qui coulent en amont et en aval de l'emprise directe du moulin sont des milieux eux aussi modifiés, comme leurs berges.

Les scientifiques discutent aujourd'hui pour savoir si notre époque géologique se nomme Anthropocène, c'est-à-dire l'époque où l'être humain a modifié par son action de grands cycles biogéochimiques (carbone, azote, phosphore, uranium, eau, répartition des espèces...).  Or si cette période est reconnue, le moulin pourrait sûrement figurer comme son ancêtre : en s'installant avec l'étang et la forge au fil de l'eau dès l'Antiquité, il témoigne de la lente fusion de l'humain et du non-humain sur les rives. C'était à la période "calme" de l'Anthropocène, la période des changements modestes et ajustements délicats, c'était avant la "grande accélération" d'après 1945 qui a dégradé les milieux. Des chercheurs l'ont montré en France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne, aux Etats-Unis : les petits ouvrages ayant émergé au long des siècles sont partie intégrante de la dynamique morphologique et biologique de leurs bassins. Les effets sur l'énergie de l'eau, le transport des sédiments, l'apparition d'habitats ont créé des nouveaux écosystèmes, parfois appelés écosystèmes culturels. Des espèces ont pu refluer, d'autres se sont installées.



Ce lien entre nature et culture est parfois oublié ou ignoré: il faut le réveiller. Le percevoir, le comprendre, l'entretenir. C'est vrai chez certains propriétaires, plus portés à la dimension historique ou technique, mais c'est vrai aussi chez les gestionnaires publics des rivières. Aujourd'hui, le ministère de l'écologie et le ministère de la culture travaillent en parallèle sur la question des moulins. Les uns ne voient que la nature, les autres que la culture, alors que la réalité est hybride. Les uns ou les autres raisonnent en terme de "concession" (un peu pour la nature ou un peu pour la culture?), alors que le moulin doit être vu comme un socio-écosystème intégré. Il s'agit de savoir comment, au droit du moulin, le complexe nature-culture uni en une seule réalité peut évoluer. Et non pas de dire que l'on accorde la primauté à ceci ou cela.

Toutes les associations de moulins doivent aujourd'hui diffuser chez leurs adhérents cette nouvelle culture écologique, qui ne manquera pas de prendre de l'importance dans les politiques publiques et dans les choix privés. Car la ressource en eau, le maintien de la biodiversité, la lutte contre les pollutions, l'atténuation du changement climatique, ce sont les enjeux de notre siècle. L'attention portée à la nature et l'attention portée à la culture se nourrissent aux mêmes désirs : veiller, protéger, valoriser, transmettre. Les propriétaires de moulins, en raison du patrimoine dont ils ont la charge, ont vocation à devenir exemplaires.

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24/07/2020

Les agences de l'eau planifient en coulisses la destruction "apaisée" des moulins, canaux, étangs et plans d'eau jusqu'en 2027 !

 Après le décret scélérat du ministre de l'écologie faisant de la destruction des ouvrages et de leurs milieux une simple formalité de déclaration, les projets de SDAGE 2022-2027 en cours d'élaboration montrent que l'administration de l'eau et de la biodiversité entend donner la prime financière et règlementaire à l'effacement jusqu'en 2027. En inscrivant ainsi la préférence à la destruction des ouvrages dans les SDAGE s'imposant à échelle de tout le bassin, les syndicats de rivière et les collectivités GEMAPI auront ensuite un ordre clair : vous recevrez de l'argent si vous cassez tout, sinon il faudra chercher des moyens... qui n'existent généralement pas, puisque les agences de l'eau sont premiers payeurs des chantiers sur l'eau par les taxes des citoyens. Nous appelons à nouveau les représentants nationaux des moulins et riverains participant à la comédie de la continuité écologique "apaisée" à en tirer les conclusions : l'administration n'a rien changé de ses doubles discours et de ses manipulations, elle entend exercer sa pression maximale pour casser les ouvrages, faire disparaître leurs milieux, marginaliser leurs usages. C'est une aberration à l'aune des enjeux des transitions écologique, climatique et énergétique en cours. Les fédérations de moulins et de riverains veulent-elles être complices de ce scandale quand les pelleteuses viendront tout détruire? Il est temps de changer de ton et de méthode, car les associations et collectifs de terrain ne peuvent se retrouver seuls face au rouleau compresseur. 




L'argent des citoyens servira-t-il encore demain à détruire des moulins, étangs, canaux, barrages et plans d'eau? On s'y dirige pour les plus grands bassins hydrographiques du pays, à travers les choix de coulisses s'opérant en ce moment même dans les agences de l'eau.

Ces agences de l'eau sont en effet en train de discuter les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE) sur la période 2022-2027. Les SDAGE sont des programmes quinquennaux essentiels dans la gestion de l'eau puisque :

  • ils prennent la forme d'un arrêté préfectoral de bassin opposable, faisant la pluie et le beau temps sur les projets recevables ou non (dimension normative des SDAGE),
  • ils distribuent la manne des taxes de l'eau (2 milliards € par an) en choisissant ce qu'ils financent ou non au nom de l'intérêt général (dimension économique des SDAGE).

En clair, si un SDAGE appelle à l'effacement prioritaire des ouvrages, il sera très difficile pour les acteurs d'avoir d'autres options à portée de financement pendant 5 ans.

Aujourd'hui, les moulins, les étangs, les protecteurs du patrimoine historique et paysager, les riverains sont exclus des comités de bassin des agences de l'eau, comme de leurs commissions techniques. Notre association a demandé à participer à la préparation des textes du SDAGE Seine-Normandie relatifs aux ouvrages : on nous a opposé une fin de non-recevoir. Le comité de bassin, nommé par le préfet et non élu, agit actuellement comme une chambre d'enregistrement de lobbies puissants et d'élus dociles, non représentative de la société et des acteurs de chaque rivière. C'est un déni massif de démocratie. On adopte des normes et on distribue l'argent public sans discuter avec ceux qui en subissent les conséquences, sans contrôler les choix par l'élection de ceux qui choisissent.

Nous avons réussi à obtenir des versions en cours de discussions des projets de SDAGE sur 3 bassins. Ces projets sont rédigés par les représentants de l'Etat et de l'administration au sein des agences de l'eau, donc placés sous tutelle du ministère de l'écologie ayant promis une "politique apaisée de continuité écologique".

Or, il n'en est rien, les textes analysés sur les bassins Seine-Normandie, Loire-Bretagne et Rhin-Meuse sont toujours médiocres au plan de l'intégration des conclusions de la recherche, et surtout orientés résolument vers la destruction des ouvrages :

  • aucun de ces SDAGE n'intègre des connaissances scientifiques récentes ayant montré la valeur des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux, ainsi que l'urgence à entendre les avis de la société sur la rivière de demain,
  • aucun de ces SDAGE ne développe de modèle d'hydro-écologie quantitative permettant de mesurer le poids réel de chacun des facteurs faisant varier l'état des eaux (pollution, morphologie etc.),
  • aucun de ces SDAGE n'exige de véritables grilles multi-critères permettant d'intégrer toutes les dimensions de l'eau et des ouvrages, en conformité au droit et à la connaissance scientifique actualisée,
  • trois SDAGE au moins, sur les plus grands linéaires hydrographiques du pays, appellent à l'effacement prioritaire des ouvrages, seule option qui reçoit le financement maximal de 80-90%.

Le scandale continue donc à l'identique : le "cas par cas" mis en avant par le plan de continuité apaisée n'est pas respecté, le choix a priori est d'effacer, cela vu d'un bureau et sans rien savoir de chaque ouvrage concerné par cette priorité. Les fonctionnaires doctrinaires de ces agences de l'eau persistent dans un programme de destruction massive et de chantage financier en faveur de cette seule solution solvabilisée par une subvention maximale.

Projet de SDAGE Seine-Normandie
Les maîtres d’ouvrage d’opération de restauration de la continuité écologique, de manière à atteindre les objectifs de réduction du taux d’étagement et de gain de linéaire accessible, s’attachent à privilégier les solutions, dans l’ordre de priorité suivant : - l’effacement, notamment pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés ; - l’arasement partiel d’ouvrage et l’aménagement d’ouvertures, de petits seuils de substitution franchissables par conception
Projet de SDAGE Loire-Bretagne
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable, car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée. 
Projet de SDAGE Rhin-Meuse
Préconiser, lorsque cela est possible, un abaissement, voire un effacement complet des ouvrages (barrages, seuils, digues, protections de berges, etc.) existants en zone de mobilité, assorti d’une étude des effets directs et indirects des actions envisagées sur le cours d’eau et sur son bassin versant.
Par ailleurs, plusieurs agences de l'eau prévoient d'adopter des indicateurs dénués de bases scientifiques sérieuses, comme le taux d'étagement ou le taux de fractionnement.




Nous en tirons deux conclusions.

- Les experts administratifs des agences de bassin agissent désormais explicitement comme des fonctionnaires militants n'en faisant qu'à leur tête et manipulant les normes en absence de toute légitimité démocratique à le faire, cela alors que la loi française n'a jamais envisagé l'effacement des ouvrages, mais leur gestion, entretien et équipement. On pouvait encore dans les années 2000 plaider l'ignorance et la bonne foi. Mais en 2020, après une décennie de contestations, d'échanges, d'envois d'argumentaires, d'intervention de scientifiques, de protestations des parlementaires, de réformes de la loi indiquant que les ouvrages ont de la valeur, de contentieux devant les tribunaux, il faut en tirer la conclusion qui s'impose : une fraction de l'appareil administratif poursuit un agenda purement idéologique sur cette question des ouvrages en rivière, en parfait mépris des citoyens concernés par le sujet et des lanceurs d'alerte. Nous en tirerons pour notre part les conséquences sur la manière dont il faudra demain désigner et traiter cette fraction militante des agences de l'eau si les arbitrages ne changent pas.

- Les acteurs nationaux des moulins et riverains ayant participé au processus de continuité dite "apaisée" (FFAM, FMDF, ARF) sont eux aussi appelés à tirer les conséquences des manipulations et doubles discours de l'Etat (car ce sont bien les représentants de l'Etat au sein des agences qui préparent les textes). La direction de l'eau et de la biodiversité fait toujours la même chose depuis 10 ans : considérer les représentants des ouvrages comme négligeables par rapport aux lobbies formant la clientèle de la direction centrale du ministère (DEB), enterrer les rapports d'audit qui la gênent (CGEDD 2012CGEDD 2016), ignorer les interpellations innombrables des parlementaires, contourner les évolutions de la loi, ne pas un changer un iota du dogme central, à savoir que le bon ouvrage est l'ouvrage qui n'existe plus. Les acteurs nationaux des moulins et riverains doivent choisir : soit on défend les ouvrages, ce qui demande une dénonciation de l'abus de pouvoir permanent de l'administration de l'eau sur ce thème, soit on négocie leur destruction avec l'Etat, ce qui poserait évidemment question sur la raison d'être et la représentativité de ces acteurs.

La coordination nationale Eaux & rivières humaines engage pour sa part une saisine des préfets de bassin et des directions d'agences pour demander le retrait de ces mesures scandaleuses de prime à la destruction, en attendant la saisine du juge si cette demande n'est pas suivie d'effets. Et elle prépare chacune de ses associations à l'engagement de futurs contentieux de terrain contre les représentants de ces agences — qui ne seront évidemment pas les bienvenus au bord des biefs, retenues et plans d'eau s'ils y apportent encore un message de prime à la destruction.

L'association Hydrauxois a toujours respecté les autres acteurs des rivières aménagées, toujours souhaité (et participé à) des démarches unitaires et transversales comme celle de l'appel au moratoire sur les destructions d'ouvrages, entre 2015 et 2017. Nous arrivons à un tournant : si le décret scélérat du 30 juin 2020 n'est pas annulé (et ne fait pas l'objet d'une stratégie de réponse judiciaire sur le terrain en cas d'échec de l'annulation au conseil d'Etat), si ces projets de SDAGE passent dans leur état actuel, alors le rouleau compresseur de l'Etat effacera ouvrage par ouvrage le patrimoine hydraulique français, avec leurs services sociaux et écosystémiques associés. Nous ne serons jamais les complices de cette infamie, nous y résisterons aussi longtemps que nous en aurons l'énergie et les moyens, nous défendrons les cadres de vie menacés aux cotés de leurs riverains. Nous appelons chaque acteur à prendre la mesure de ses responsabilités, en particulier ceux qui prétendent à une représentation nationale de ces ouvrages menacés partout, et hélas déjà détruits sur de nombreuses rivières martyres qui ont été livrées aux casseurs.

Nous avons déjà exposé les besoins, auxquels nous essayons de répondre dans la limite de notre bénévolat et des dons de nos adhérents : informer en permanence les parlementaires des enjeux et des dérives en cours, exprimer une tolérance zéro au plan juridique et organiser des contentieux sur les textes ou chantiers ne respectant pas la loi, offrir des aides juridiques standardisées à chaque ouvrage objet de chantage et d'abus de pouvoir, interpeller régulièrement des préfets de département et de bassin, exiger de participer aux choix techniques des agences sur les ouvrages... ce travail est-il fait par les acteurs nationaux, oui ou non?

22/07/2020

Un dossier de 100 références scientifiques pour faire connaître et protéger les ouvrages hydrauliques et leurs milieux

Un dossier complet de 8 chapitres thématiques et 100 références scientifiques avec citation des chercheurs vient d'être publié par la coordination nationale Eaux & rivières humaines. Ce travail démontre que la politique de destruction des ouvrages hydrauliques en France - plus largement la restauration écologique - a été légitimée par une expertise ayant écarté et ignoré un grand nombre de travaux de recherche. La technocratie de l'eau, de la pêche et de la biodiversité ne repose pas sur "le savoir", comme elle le prétend, mais sur une sélection de certains savoirs visant à conforter l'idéologie publique du moment, et abonder quelques-unes de ses clientèles. Ce document d'information libre d'usage doit être téléchargé par les propriétaires, les riverains et les associations, pour être diffusé massivement aux élus locaux ou nationaux, aux techniciens de bureaux d'études et de syndicats de rivières, aux agents OFB et fédérations de pêche, aux autorités administratives. Nous devons exiger désormais des expertises des ouvrages et des rivières menées selon les angles de toutes les disciplines de la recherche, sur tous les paramètres pertinents.



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Extrait de l'introduction.

100 travaux récents de la recherche française et européenne sur les ouvrages hydrauliques, en particulier les petits ouvrages, sur la restauration écologique des rivières et sur les nouveaux écosystèmes de nos bassins versants.

On entend ici par ouvrage hydraulique les seuils, déversoirs, vannages, barrages, digues qui modifient l’écoulement et la rétention de l’eau. Ces ouvrages définissent des milieux en eau : mares, étangs, petits plans d’eau, retenues, lacs, rigoles, biefs, canaux. Ils peuvent être associés à des zones humides annexes, notamment en raison des remontées locales de nappes ou des débordements intermittents.

La recherche scientifique française et européenne est active sur ces ouvrages, même si les petits ouvrages (privilégiés dans cette revue) sont encore peu analysés par rapport aux grands barrages. Cette recherche concerne l’hydrologie, l’écologie, la limnologie, la biologie. Mais aussi les sciences sociales et humaines de l’eau et de la restauration écologique. Les chercheurs comme les experts ne se fondent pas forcément sur les mêmes paradigmes pour juger des rivières et de leurs aménagements: l’enjeu est multidisciplinaire.

Les conclusions de cette recherche montrent la diversité et la complexité des analyses de la rivière aménagée. Nous l’exposons par une sélection d’une centaine de publications scientifiques parues dans la décennie écoulée.

Les travaux de recherche recensés dans ce dossier démontrent les points suivants :

  • Les milieux créés par les ouvrages hébergent de la biodiversité.
  • La biodiversité des bassins versants évolue depuis des millénaires sous influence humaine, dans le cadre d’une « socio-nature », rendant illusoire la définition administrative d’un « état de référence ».
  • Les ouvrages anciens et de petites dimensions ont souvent des impacts faibles à nuls sur le transit des sédiments ou la circulation des poissons grands migrateurs.
  • Les ouvrages, en particulier les chaines d’ouvrages de type moulins et étangs, assurent une retenue d’eau sur les bassins (surface, nappe), leur disparition altérant ce service environnemental.
  • Les pollutions et les usages des sols du bassin versant ont des effets beaucoup plus marqués sur la dégradation de l’eau que la morphologie du lit.
  • Au sein de la morphologie, les densités de barrages ont des effets faibles à nuls sur la qualité de l’eau et des milieux, voire un certain nombre d’effets positifs mesurés dans divers travaux (dépollution et hausse de biodiversité bêta du bassin en particulier).
  • La restauration écologique, et en particulier morphologique, des rivières est confrontée à des résultats incertains, parfois des échecs.
  • Les effacements d’ouvrages hydrauliques ont parfois des effets négatifs avérés : incision des lits, pertes de milieux (zones humides, ripisylves), pollutions, disparition d’aménités culturelles.
  • Les politiques de rivières sont en déficit de reconnaissance des aspirations des citoyens et des dimensions multiples de l’eau, avec certaines expertises qui ont des biais manifestes mais sont mises en avant sans débat par les gestionnaires.
  • Les résultats en écologie aquatique sont contextes-dépendants (contingents) et cela interdit de faire des prescriptions généralistes sur les ouvrages et leurs milieux, le cas par cas (vue intégrée par site, par rivière, par bassin) étant une absolue nécessité pour ne pas engager des résultats négatifs.

Ces conclusions exigent donc une redéfinition de certains choix publics sur l’eau en France, en particulier ceux de la continuité écologique en long et de la politique préférentielle de destruction des ouvrages hydrauliques.

Certaines prescriptions de cette politique sur de grands bassins hydrographiques vont avoir des effets négatifs sur la biodiversité, sur la ressource en eau, sur l’adaptation au changement climatique. En outre, elles ignorent la dimension sociale et démocratique des choix sur les rivières aménagées, comme la nécessaire confrontation des expertises et des disciplines de recherche.

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A utiliser en complément
Voici quelques semaines, la CNERH a également édité un guide multi-critères d'instruction pour les opérations en rivière modifiant les ouvrages hydrauliques et leurs milieux. Ce guide, opposable aux préfectures, syndicats, fédérations de pêcheurs, bureaux d'études et autres acteurs, est complémentaire du dossier scientifique. La science a démontré divers intérêts écologiques, hydrologiques, culturels et sociétaux associés aux ouvrages hydrauliques, ainsi que divers problèmes pouvant faire suite à leur destruction: toute intervention sur ces ouvrages doit donc être étudiée sérieusement et complètement, non bâclée en copier-coller au profit d'une approche limitée à quelques enjeux. Outre les impératifs de connaissance non biaisée des milieux sur lesquels on intervient, il y a des enjeux de droit: les destructions de milieux, les dols par informations incomplètes ou les remises en cause des droits des tiers peuvent faire l'objet de plaintes. Allez à ce lien pour télécharger ce guide.

La Loue victime au premier chef des pollutions, et non des changements morphologiques

 

Des chercheurs du laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC (Franche-Comté) viennent de publier la synthèse de 8 ans d'études sur la Loue et ses affluents. Nous reproduisons et commentons leurs conclusions, qui imputent les dysfonctionnements écologiques des rivières comtoises en zone karstique aux excès de diverses pollutions, entraînant des proliférations précoces de végétation et des baisses de qualité d'eau. Les ouvrages en travers ne sont pas mentionnés comme cause majeure d'altération des bassins, la morphologie ayant été davantage impactée par les incisions et chenalisations (extraction de matériaux, évacuation de crue). Cela rejoint les conclusions des études de Jean Verneaux réalisées il y a déjà 40 ans, au début du phénomène. Le milieu des pêcheurs se trompe de cible sur la question de la continuité en long: les moulins étaient déjà là de longue date quand la Loue était un spot international réputé pour ses abondances de truites. 





Résumé présenté par les chercheurs 

L’étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants a été réalisée par le laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC, co-financée par la région Bourgogne-Franche-Comté, le département du Doubs et l’agence de l’eau.

Les objectifs de ce travail, mené sur la Loue en tant que cours d’eau caractéristique et représentatif des rivières karstiques, étaient de définir l’état de la rivière, d’identifier les contaminants présents et de hiérarchiser leurs impacts.

Les dysfonctionnements écologiques mis en évidence dans la Loue sont induits principalement par les causes suivantes.

1. Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles

2. Les contaminations multiples par des produits phytosanitaires, des biocides et les substances actives issues des médicaments vétérinaires

3. Une part sans doute non négligeable de ces contaminations trouve aussi son origine au sein de la filière bois par le biais des traitements des grumes en forêt et en scierie, mais aussi dans les utilisations domestiques (insecticides en poudre, en aérosol, biocides en tout genre, produits de traitement des bois d’oeuvre...).

4. La collecte et le traitement des eaux usées ne sont pas impliqués au premier chef dans les contaminations azotées mais présentent des marges de progression pour réduire leurs contributions aux apports de substances toxiques et de bouffées de phosphore dans les cours d’eau

5. Une contamination par des concentrations parfois très élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) lourds non solubles existe à l’échelle du bassin versant dans les différents types de prélèvements analysés et notamment dans les particules fines (sédiments et matières en suspension).

6. La nature karstique du substratum et le positionnement en tête de bassin accroît la vulnérabilité des cours d’eau, vis à vis des contaminants chimiques qui peuvent être transférés des sols vers les eaux et transportés très rapidement au sein des masses d’eau.

7. Les modifications physiques des cours d’eau et les altérations de la végétation de bordure – réduite et artificialisée – dégradent les habitats des poissons et des communautés vivant au fond et constituent des facteurs aggravants.

Source

Commentaires
On notera que le bassin de la Haute Loue (jusqu'à la confluence avec la Furieuse) compte 50 ouvrages transversaux, cf bilan du SAGE 2013. Ceux-ci ne sont pas signalés dans l'étude des chercheurs francs-comtois comme faisant obstacle à la présence de salmonidés ou réchauffant les eaux au-delà de la limite de tolérance de ces espèces.

Déjà dans sa thèse célèbre soutenue en 1973 et faisant suite à 10 ans d'observations et mesures sur ces cours d'eau au moment des Trente Glorieuses, l'hydrobiologiste Jean Verneaux ne mentionnait nullement des ruptures de pentes, habitats ou températures comme un facteur de disparition des salmonidés. En revanche, il pontait déjà la disparition des taxons polluo-sensibles. Les travaux conduits sous la direction François Degiorgi et  Pierre-Marie Badot n'isolent pas non plus l'ouvrage transversal comme problème, en tout cas majeur. Les altérations morphologiques notables sont des incisions de lit par extraction de matériaux et chenalisation d'évacuation rapide de crue, des pertes de ripisylves et des bienfaits associés (zones tampon, déchets de bois en lit).

Les rivières comtoises ont été jusque dans les années 1950 des spots très réputés en France et en Europe de pêche à la mouche. Des ouvrages présents depuis un à six siècles n'avaient en rien empêché cette richesse faunistique. On se trompe de combat, on divise les riverains, on dilapide l'argent rare de l'écologie  et on détourne l'attention publique à harceler et démanteler les ouvrages hydrauliques anciens au lieu de traiter les pollutions. Il est bien dommage qu'une partie du lobby pêche agisse en complice de cette impasse, alors que des ouvrages bien gérés sont des facteurs utiles pour la gestion des eaux, surtout en période de changement hydroclimatique et de multiplication des assecs meurtriers pour toute la faune.

Référence disponible : François Degiorgi, Pierre-Marie Badot (2020), Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants. Bilan synthétique des opérations réalisées et des recherches et analyses effectuées et disponibles.