La continuité écologique des rivières n'est décidément pas apaisée en France.
Rappelons le contexte à ceux qui découvriraient le problème. La loi sur l'eau de 2006 a proposé d'améliorer la circulation des poissons et des sédiments sur des rivières classées à cette fin, ce que l'on nomme la continuité écologique. Une telle amélioration peut s'obtenir par des gestions de vannes des ouvrages ou par des dispositifs de franchissement. Mais une faction militante au sein de l'administration de l'eau et de la biodiversité (ministère de l'écologie, agences de l'eau, office de la biodiversité), couplée à des lobbies intégristes du retour à la nature sauvage, a décidé que la solution à financer sur argent public et à prioriser en choix réglementaire des préfectures devait être la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, de leurs milieux, de leurs usages. Ce n'est pourtant pas
l'esprit des lois françaises ni de
leur interprétation par le conseil d'Etat.
Nous parlons ici de
moulins, de forges, d'étangs, de petits lacs et plans d'eau, de barrages associés à diverses activités et aménités. Ce sont des milieux nés de l'usage humain de l'eau, ayant leur propre fonctionnement écologique mais aussi de nombreuses dimensions d'intérêt pour les riverains (paysage, rétention d'eau, agrément, énergie, irrigation, pêche, aquaculture, tourisme, etc.).
Des milliers de ces ouvrages ont déjà été détruits, y compris dans barrages à production hydro-électrique
que la loi demande pourtant de promouvoir et d'équiper face à l'urgence climatique. Ce scandale a bien évidemment occasionné de nombreuses plaintes en justice, avec forte mobilisation des associations de protection des patrimoines et des collectifs riverains. Les parlementaires, indignés de cette dérive dont ils ont été informés, ont déjà fait évoluer la loi à plusieurs reprises, et sous plusieurs législatures, indiquant clairement que la continuité écologique devait cesser de mener à ces destructions et ces conflits.
Mais voilà, la France est un pays très particulier où l'administration choisit à sa guise la manière dont elle va interpréter ces lois. Alors que la dernière réforme de continuité écologique a mené les parlementaires à
prohiber expressément les mesures de destruction d'ouvrage, les agences de l'eau tentent à nouveau de contourner la volonté des représentants des citoyens.
Ainsi, un recours gracieux a été déposé à l'encontre de la délibération du conseil d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie en date du 16 novembre 2021 en tant qu'elle porte révision des modalités d'attribution des aides du 11ème programme d'intervention couvrant la période 2019-2024.
Il apparaît en effet que les modifications apportées au Code de l'environnement et plus particulièrement à son article L.214-17-1, par
la loi dite « Climat et Résilience » du 22 août 2021 n'ont pas été prises en compte par cette délibération qui reproduit les mêmes illégalités que lors de l'adoption du 11ème programme en 2018.
La loi précitée n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est venue modifier l'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement.
L'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement est aujourd'hui ainsi rédigé :
« 1.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :
2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »
Ainsi, en premier lieu, les interventions sur les ouvrages hydrauliques quels qu'ils soient ne doivent pas remettre en cause leur usage, actuel ou potentiel.
En second lieu et s'agissant plus particulièrement des moulins à eau, le législateur va encore plus loin en rappelant expressément que la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments et en ajoutant qu'aucune autre modalité d'intervention n'est autorisée, notamment celles portant sur la destruction de ces ouvrages.
C'est donc en respectant cette nouvelle rédaction de l'article L.214-17-1 du Code de l'environnement que les interventions sur les ouvrages situés sur les cours d'eau classés en Liste 2 en vue de la prise en compte de l'objectif de restauration de la continuité écologique doivent désormais être prévues.
Or, le programme d'intervention révisé n'est pas à jour de ces nouvelles dispositions législatives.
Au titre des travaux de rétablissement de la continuité écologique longitudinale et latérale (Action El), il est notamment mentionné l'éligibilité de travaux de «suppression des ouvrages».
Cette suppression de ces ouvrages remet bien sûr en cause leur « usage actuel ou potentiel ». Et lorsque ces ouvrages sont des moulins à eau, leur suppression (ce qui est synonyme de leur destruction) est clairement prohibée par la loi.
La «suppression» de ces ouvrages, retenue par le 11ème programme révisé comme pouvant être éligible à des financements de l'agence, contrevient donc directement à l'article L.214-17-1 précité du Code de l'environnement.
Le 11 ème programme d'intervention est un dispositif de financement sur fonds publics et il ne peut à ce titre contrevenir à l'objectif voulu par le législateur de préservation du patrimoine hydraulique que constituent les ouvrages hydrauliques en général et les moulins à eau en particulier.
Il est en effet formellement proscrit de mobiliser des fonds publics pour des actions prohibées par la loi ou qui ne répondent pas à un objectif d'intérêt général. Le juge administratif exerce à cet égard son contrôle sur la licéité des décisions d'octroi des subventions.
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