06/12/2021

Une avancée pour protéger le citoyen des abus de pouvoir de l'administration

 Bonne nouvelle pour le mouvement des moulins et étangs en lutte contre la destruction imposée des ouvrages : lorsque le juge administratif est saisi pour faire constater un excès de pouvoir de l'administration, il peut désormais à titre subsidiaire abroger l'ensemble de la règlementation concernée si celle-ci est devenue illégale. C'est le cas de nombreux SDAGE, SAGE, SRADDET et autres règlements qui prévoient la promotion de l'effacement d'ouvrages hydrauliques, une disposition devenue illégale depuis l'été 2021. Si l'administration eau et biodiversité ne comprend pas encore qu'elle doit appliquer la loi, la suppression pure et simple  par la justice des dispositions antérieures dont elle se réclame l'aidera éventuellement à le comprendre...



Un changement de loi est un changement de circonstances de droit : il rend caducs certains textes dont la légalité émanait de formes anciennes de la loi. Les règlementations, qui sont inférieures à la loi dans l'ordre juridique et qui visent généralement à l'appliquer, doivent donc se mettre à jour quand les lois évoluent. Mais c'est loin d'être toujours le cas.

La théorie juridique du changement de circonstances affectant la légalité des actes réglementaires a déjà presqu'un siècle (Conseil d'Etat, section du contentieux, Sieur Despujol, 10 janvier 1930). Elle entraîne l’obligation pour l’administration d’abroger un règlement devenu illégal, tout intéressé étant recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation du refus d’y déférer ou du règlement lui-même. Mais cela dans le délai de recours contentieux de deux mois à partir de leur publication, délai rouvert par la publication de la loi venue ultérieurement créer une situation juridique nouvelle.

Le 19 novembre 2021, dans son arrêt Association ELENA et autres, la section du contentieux du Conseil d’État a fait évoluer l’office du juge de l’excès de pouvoir, consacrant la possibilité pour ce dernier d’être saisi à n'importe quel moment de conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation pure et simple d’un acte réglementaire devenu illégal: 

"ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, (...) le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction (...) jusqu’à la date de clôture de l’instruction et pour la première fois en appel".

Désormais, "dès lors que l’acte continue de produire des effets", il appartient au juge de se prononcer sur les conclusions subsidiaires "dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête".

Ces points assez techniques mais important doivent être portés à la connaissance des associations de protection des ouvrages hydrauliques et de leurs conseils juridiques. En effet, la loi sur la continuité écologique a changé en 2021, elle proscrit désormais de détruire l'usage actuel ou potentiel d'un ouvrage hydraulique, en particulier de détruire les seuils et chaussées de moulins. Or, dans les cas où l'administration refuse d'appliquer cette loi, ce changement circonstanciel de droit permet de saisir le juge du recours en excès de pouvoir pour lui demander d'abroger les textes règlementaires anciens dont se réclame l'administration. Ces textes sont très nombreux, ce sont notamment les SADGE et les SAGE qui organisent la gestion des bassins versants et le financement des opérations, mais aussi divers règlements édictés par les préfets et inspirés de la gestion des poissons migrateurs. 

Les particuliers et les associations engageant un recours contentieux face à des casseurs d'ouvrage hydraulique doivent donc en profiter pour faire abroger ces règlements devenus illégaux. 

Source : Conseil d'Etat, arrêt n°437141, 19 novembre 2021


Post scriptum : le changement de la loi Climat et résilience survenu en 2021 ne concerne que les rivières classées au titre de la continuité écologique (rivières sujettes à classement au terme de l'article L214-17 Code environnement). Il ne concerne pas des droits d'eau abandonnés, ce qui est la plus grosse erreur que puisse faire un propriétaire abusé par des pressions administratives ou politiques locales, ou d'autres rivières non classées. Il revient au mouvement des ouvrages hydrauliques d'aller au terme de l'évolution de la doctrine publique de l'eau pour demander lors de la prochaine législature, et à l'occasion d'une loi sur l'environnement, que la gestion équilibrée et durable de l'eau (article L 211-1 Code environnement) intègre à son tour ces dispositions générales de protection des ouvrages. En effet, tant les pratiques des rivières que l'esprit des lois votées depuis 20 ans et la jurisprudence récente du conseil d'Etat indiquent que les objectifs de continuité biologique ou sédimentaire doivent être recherchés par des moyens qui se concilient avec les autres usages de l'eau. Faire consigner cela de manière explicite dans la loi permettra de couper court à toute vision extrémiste de la destruction d'ouvrage au nom du retour à une nature sauvage, vision ayant hélas contaminé certains esprits alors qu'elle n'a jamais été la finalité des lois françaises, ni l'intérêt général du pays.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire