Après de nombreuses critiques parlementaires, des audits administratifs défavorables, des contentieux judiciaires multiples, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie a été contrainte de réviser la mise en oeuvre de la continuité écologique des rivières. Rappelons que l'Etat et les agences de l'eau ont engagé depuis 2010 une politique non concertée et aberrante de destruction préférentielle des barrages, moulins, étangs, lacs, plans d'eau, entraînant de vives protestations dans tous les territoires. Notre association a reçu information des dernières évolutions du plan de continuité "apaisée" qui a été adopté par le gouvernement en 2018. Sa circulaire d'application est inacceptable en l'état. Nous appelons donc les fédérations de moulins et riverains, qui participent à la concertation au comité national de l'eau, à faire évoluer drastiquement ce texte, ou à quitter les négociations s'il s'agit seulement de donner une caution à une politique décriée. Dans tous les cas, la base n'acceptera pas la poursuite des pratiques de l'administration ni un pseudo-apaisement qui n'apporterait aucune solution durable aux problèmes de fond.
Sur le terrain, malgré l'adoption du Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique par le ministère de l'écologie en 2018, rien ne change dans nos bassins versants. Les destructions et les pressions administratives continuent. Les agences de l'eau persistent à adopter dans leurs programmes d'interventionet dans leurs projets de SDAGE 2022 des financements de destruction préférentielle d'ouvrages. L'agence française pour la biodiversité (AFB ex Onema) et ses antennes régionales persistent à ignorer la biodiversité des milieux anthropisés et à concentrer leur attention sur quelques espèces de poissons au détriment du reste de la faune et de la flore aquatiques. Les porteurs de projets hydro-électriques de relance des moulins sont découragés par des demandes disproportionnées des services instructeurs de l'Etat et des coûts économiques inabordables, qui ralentissent ou stoppent la progression de la transition énergétique sur son volet hydraulique.
Nous avons eu accès à un document de projet du ministère, débattu au comité national de l'eau, relatif à la mise en oeuvre de ce plan de continuité "apaisée" par la direction de l'eau et de la biodiversité. Nous ne le publions pas car c'est un document interne de travail. Mais nous tirons publiquement la sonnette d'alarme : ce projet est inacceptable pour notre association, comme il se sera pour de nombreuses autres et pour les collectifs riverains en lutte pour préserver des sites d'intérêt.
Dans les points à réviser impérativement :
- le ministère de l'écologie refuse de reconnaître explicitement le caractère exceptionnel de la destruction et le caractère normal de la gestion ou de l'équipement des sites, comme le prévoit la loi;
- le ministère de l'écologie refuse de reconnaître que les rivières françaises et européennes sont dans l'immense majorité des cas des milieux déjà anthropisés, de longue date, où l'on doit mesurer la biodiversité in situ et non pas viser un "état de référence" qui n'existe déjà plus et qui changera au cours de siècle avec le climat;
- le ministère de l'écologie refuse en particulier de reconnaître que les retenues, réservoirs, lacs, étangs, canaux, biefs et zones humides annexes sont des milieux à part entière que l'on doit étudier avant d'engager leur perturbation, et dont on doit projeter le rôle en situation de changement climatique, alors qu'il existe une littérature scientifique à ce sujet;
- l'urgence de la réponse aux risques de changement climatique, pourtant actée au plus haut sommet de l'Etat, n'est pas mise en avant alors que sans mobilisation de tous les potentiels énergétiques, la France ne pourra pas tenir ses engagements internationaux (accords de Paris) et européens (Horizon 2030), risquant des procédures contentieuses multiples, y compris des contentieux venant désormais des citoyens eux-mêmes;
- la priorisation (des sites pour la continuité) est présentée comme une simple mesure administrative qui va d'abord permettre à l'Etat de limiter le personnel et la dépense sur certains projets, laissant les autres sites orphelins de toute solution;
- la non priorité n'est assortie d'aucune exemption formelle de travaux par la préfecture, ce qui laisse le propriétaire dans l'insécurité juridique la plus complète (son site n'est pas prioritaire... mais il est censé assurer la continuité quand même!);
- la direction de l'eau et de la biodiversité veut interdire ou rendre très complexe la relance hydro-électrique des moulins dans les rivières en liste 1 (malgré la jurisprudence du conseil d'Etat), alors que ces listes 1 interdisent la construction de nouveaux obstacles, mais pas la relance de ceux qui existent déjà et n'ajoutent pas d'impacts morphologiques;
- la grille de priorisation n'est pas spécifiée (malgré une littérature scientifique à ce sujet, y compris française) et le risque de confier son organisation aux gestionnaires publics locaux déjà défaillants à créer un consensus sur une base objective est évident. Chaque cas est particulier, mais la méthode d'évaluation des cas doit être générale. Sans une hausse de qualité et de rigueur sur la caractérisation écologique des rivières et en particulier des poissons, on reproduira exactement les mêmes désaccords (l'AFB, les DREAL de bassins, les agences de l'eau, les fédérations de pêche sont à l'origine du problème avec un classement irréaliste des rivières en 2011-2012, pourquoi les choses changeraient-elles si les mêmes peuvent subjectivement décider ce qui serait ou non prioritaire, voire développer une idéologie de la rivière sauvage "renaturée" n'ayant rien à voir avec les textes de loi ni même avec leurs circulaires d'application?)
De notre point de vue, les fédérations de moulins (FFAM, FDMF) et de riverains (ARF) participant au comité national de l'eau ne peuvent accepter les solutions proposées en l'état. Dans l'hypothèse où elles le feraient, les associations de terrain et les nombreux collectifs riverains continueraient de toute façon de plus belle leurs luttes contre les arbitraires administratifs.
Depuis 10 ans, nous avons perdu confiance dans l'objectivité et la sincérité de l'Etat et de nombreux gestionnaires publics sur la question des rivières en lien à leurs ouvrages hydrauliques. Pour rétablir cette confiance, il ne nous faut pas des textes complexes, sans hiérarchie des enjeux, des textes remplis de flous qui seront sources de nouveaux contentieux, mais une évolution claire et transparente des choix publics sur les rivières.
Le paradigme de la généralisation de rivières renaturées selon un état de référence pré-anthropique, qui s'était imposé au tournant des années 2000, est d'ores et déjà un échec. Cela pas seulement à cause de son indifférence aux usages sociaux, économiques et patrimoniaux des rivières et plans d'eau, mais aussi en raison d'une mauvaise construction intellectuelle, issue d'une écologie déjà datée des années 1950-70, ignorante de nombreuses publications depuis les années 2000 sur les limites de restauration de rivière et sur le caractère hybride des bassins versants comme des milieux aquatiques. Cela ne signifie pas qu'il faut abandonner toute ambition écologique, bien au contraire, mais les termes de cette écologie doivent être reprécisés à la lumière des connaissances et des expériences.
A cela s'ajoute qu'à budget très contraint, l'Etat français ne peut pas poursuivre des objectifs contradictoires, la lutte accélérée contre le changement climatique (demandant d'équiper les ouvrages hydrauliques) et la recréation partout de rivières "sauvages" (demandant de supprimer les ouvrages ou d'empêcher leur équipement).
Nous appelons donc les riverains et propriétaires à une vigilance active, en amplifiant la lutte contre les nombreux projets absurdes de destruction qui perdurent hélas dans le pays. Et nous appelons les fédérations de moulins et riverains à porter la voix de ces luttes locales au comité national de l'eau, afin que chacun prenne ses responsabilités pour l'avenir.
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