Deux chercheurs anglais montrent qu'une restauration morphologique de rivière, incluant des arasements de déversoirs, des changements de substrats et des créations de microhabitats, n'a pas produit les résultats attendus sur la diversité structurelle et fonctionnelle des invertébrés. Le cas n'est pas isolé car la communauté scientifique débat depuis deux décennies déjà des réussites et échecs de la restauration des milieux aquatiques. Dommage que les pouvoirs publics français en aient fait une politique massive, précipitée et parfois arrogante, au lieu de travailler à des expérimentations locales pour distinguer les bonnes des mauvaises pratiques. Et préciser leur coût pour les citoyens en proportion de l'évolution des services rendus par les écosystèmes.
Comment se comportent les rivières après restauration morphologique, sur le compartiment des macro-invertébrés (insectes, nématodes, crustacés…)? La question se pose à la communauté scientifique, à mesure qu'ont été développées des expérimentations visant à modifier les propriétés physiques (écoulements, sédiments, habitats) et non seulement chimiques (pollutions) des rivières.
Judy England et Martin Anthony Wilkes ont répondu à cette question par l'analyse de deux petits cours d'eau du bassin de la Lee, au nord de Londres. "Les chantiers sélectionnés pour l’étude sont situés sur des rivières de basse altitude et de basse énergie (altitude 75 m; pente 0,003), en substrat calcaire. Ces projets de restauration des cours d’eau ont été choisis parce qu’ils incorporaient des mesures de restauration morphologique couramment appliquées dans les systèmes fluviaux tempérés, l’élimination des retenues, le rétrécissement des chenaux trop élargis et l’introduction de gravier." Il est intéressant de noter que sur les deux rivières (Rib et Mimram), les opérations comprenaient des arasements de déversoirs et réduction de retenues (mesure très répandue en France pour ses vertus attendues sur les milieux).
Les chercheurs ont comparé sur une rivière un site de contrôle (naturel), un site de retenue abaissée et un site de morphologie sédimentaire optimisée ; sur l'autre un site de contrôle avec deux voies différentes pour modifier le substrat de fond. Dans chaque tronçon analysé, 10 échantillonnages de macro-invertébrés ont été réalisés sur la Rib, avant la restauration, puis 2 et 3 ans après ; 5 sur la Mimram, avant restauration, puis 1 et 2 ans après.
Ont été étudiés : la diversité spécifique (indice de Simpson D), la densité (individus par m2), la richesse taxonomique, et 5 indices de fonctionnalités fondés sur des traits (FRic, FDiv, FDis, FEve, FEnt).
Bien que le habitats se soient améliorés dans le sens prévu par les porteurs de projet, la réponse du vivant à ce changement est moins claire : les résultats ne sont pas à hauteur des hypothèses faites d'une pleine restauration de la diversité fonctionnelle et structurelle.
Le schéma ci-dessous montre les évolutions de la complexité structurelle (diversité de Simpson, abscisses) et de l'intégrité fonctionnelle (ordonnées), avant la restauration (à gauche, a et c) et après la restauration (à droite, b et d), rivière Rib en haut et Mimram en bas. Les cercles indiquent le contrôle, les carrés et triangles les différentes restaurations.
England et Wilkes 2018, art cit, droit de courte citation
"Cette étude a démontré que, après les mesures de restauration morphologique, le «rétablissement», tel que défini par les indices d'assemblage, était largement incomplet et incohérent en terme taxonomique / fonctionnel. Ainsi, notre hypothèse n'est pas étayée par le fait que FDiv, FDis, FEve et FEnt [traits de fonctionnalité] augmenteraient, reflétant l'établissement d'une plus grande qualité et complexité de l'habitat. Ces résultats sont cohérents avec d'autres études qui indiquent une réponse variable des invertébrés benthiques aux mesures de restauration morphologique (par exemple, Friberg et al 2014; Jähnig et Lorenz 2008; Leps et al 2016; Palmer et al 2010). et que les indices de diversité traditionnels peuvent ne pas constituer une mesure appropriée de la qualité hydromorphologique (Feld et al 2014). Verdonschot et al (2016) ont constaté que le manque général d'effet de la restauration sur la composition et la diversité des microhabitats pourrait être un facteur clé expliquant le manque de réponse dans les comparaisons globales des paramètres sélectionnés de macro-vertébrés examinés. Ils ont également conclu que plusieurs des relations de traits fonctionnels qu’ils ont trouvées n’ont pas été détectées à l’aide des paramètres taxonomiques. Cela souligne l'importance de considérer les indices fonctionnels en plus des indices structurels, et est soutenu par nos résultats.
Cette étude a révélé une tendance générale à la ressemblance au fil du temps entre les occurrences de taxas entre zones traitées et contrôles, mais à la fin de la période d'étude, les communautés des premières traitement n'étaient qu'à 60% similaires aux groupes témoins. Cela indique également que le «rétablissement», défini en termes d’identité de structure d’espèce et d'assemblage, était en grande partie incomplet, ce qui pourrait refléter le délai relativement court de la surveillance et le retard dans le rétablissement écologique (Jones and Schmitz 2009; Winking et al 2014). Bien que l'âge de la restauration soit un facteur crucial à prendre en compte lors du suivi des résultats de la restauration des communautés riveraines (Bash et Ryan 2002), ce n'est peut-être pas la raison ultime du manque de succès (Leps et al 2016) et les effets de la restauration peuvent disparaître (Kail et al 2015). La perte d'effets de la restauration est souvent associée à une restauration non durable qui ne fonctionne pas selon des processus naturels (Beechie et al 2010); à l'influence combinée de la qualité hydromorphologique locale et régionale (Leps et al 2016) ou à la non prise en compte des processus de bassin versant (Gurnell et al 2016b)."
Discussion
Le travail d'England et Wilkes vient après de nombreux autres qui soulignent les résultats ambivalents et difficiles à prédire des restaurations écologiques de rivière (cf références ci-dessous en exemple). Il avait été montré en France que plus le suivi scientifique des opérations est rigoureux, moins les gains écologiques sont évidents (Morandi et al 2014). Manière de dire que l'autosatisfaction souvent affichée par le gestionnaire public est un trompe-l'oeil pour le citoyen, qui est fondé à demander des analyses plus complètes. La plupart des travaux d'hydro-écologie quantitative menés en France et en Europe montrent que les premiers prédicteurs de la dégradation biologique (invertébrés ou autres) sont les usages des sols du bassin versant (au premier chef l'agriculture), et qu'une action locale aura de bonnes chances de rester sans effet majeur faute d'une prise en compte des autres échelles (tronçons, bassins). L'apport quantitatif en eau, l'état des berges et les flux entrants (polluants, sédiments fins) vont contraindre l'effet éventuellement bénéfique de diversifications locales d'habitats. Il ne faut donc pas attendre de miracles de la seule restauration physique locale et, surtout, il faut réfléchir à la priorisation des investissements écologiques.
La difficulté à garantir l'efficacité des chantiers de restauration hydromorphologique n'est pas en soi un scandale : il est normal d'expérimenter dans un domaine où l'on a quelques hypothèses théoriques mais encore peu de retours empiriques, surtout face à la diversité des hydrosystèmes et à la complexité des impacts pesant sur eux, à diverses échelles spatiales et temporelles. Le but est de comprendre ce qui donne ou non des résultats, ainsi que de mesurer l'évolution des services rendus par les écosystèmes. Le problème vient quand, ignorant ce caractère expérimental et la prudence qu'il impose, une politique publique entend systématiser des travaux financés par l'impôt et imposés aux riverains. C'est hélas le cas en France de certains compartiments de l'ingénierie hydromorphologique, comme la destruction contestée des petits ouvrages de rivière au nom de la connectivité en long.
Référence : England J., MA Wilkes (2018), Does river restoration work? Taxonomic and functional trajectories at two restoration schemes, Science of The Total Environment,
618, 961-970.
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