28/09/2017

Les pollutions chimiques doivent devenir un enjeu prioritaire des rivières françaises

Des centaines de molécules chimiques (pesticides, médicaments, retardateurs de flamme, etc.) ayant des effets sur le vivant circulent dans les rivières françaises. Les travaux de recherche menés ces dernières années montrent que leur impact est mal évalué et probablement sous-estimé. Une modélisation de l'Inserm venant de paraître a démontré pour la première fois que l'effet cocktail est une réalité sur la perturbation endocrinienne, avec certains effets à faible dose potentialisés 10.000 fois par la présence de plusieurs substances. La France est par ailleurs en retard sur le contrôle chimique de ses eaux comme sur la mise en œuvre de ses plans de prévention, dont Ecophyto. Alors que le budget contraint des Agences de l'eau ne permet pas d'engager toutes les actions, l'insistance sur la morphologie et la continuité écologique n'apparaît pas comme une priorité – et pire, elle représente dans certains cas une augmentation du risque chimique, comme l'ont montré plusieurs travaux de recherche.




Dans une recherche menée sur des cellules humaines, des équipes de l'Inserm viennent de démontrer pour la première fois que l'effet cocktail est une réalité (Gaudriault et al 2017, Environ Health Perspect, DOI:10.1289/EHP1014). Plusieurs molécules perturbatrices endocriniennes ne se contentent pas d'additionner leurs effets sur les cellules, mais peuvent les exacerber d’un facteur 10 à 10000 en fonction de la molécule considérée. Les molécules étudiées par les chercheurs comportent notamment des médicaments et des pesticides dont on trouve la présence dans les rivières, les lacs, les estuaires et les nappes. De très nombreux travaux ont déjà montré depuis 20 ans des phénomènes de féminisation de plusieurs espèces de poissons à l’exutoire de zones polluées.

Les micropolluants et notamment les pesticides font l'objet d'une surveillance dans les eaux françaises. Selon la dernière évaluation du CGDD (commissariat général au développement durable), en 2014, près de 700 pesticides sont surveillés dans les eaux françaises, 389 pesticides sont quantifiées dans les cours d’eau et 265 dans les eaux souterraines. Des pesticides sont quantifiés au moins une fois pour 87 % des 3052 points de mesure des cours d’eau, et pour 73 % des 2121 points de mesure des  eaux souterraines. Dans plus de la moitié des points de mesure sur les cours d'eau, on trouve de 10 à 89 substances présentes simultanément (CGDD 2014, site). L'effet cocktail joue donc à plein. Une recherche récente de l'Inra a rappelé l'échec du plan Ecophyto I dans la réduction des pesticides (Hossard et al 2017, Science Total Envi, DOI:10.1016/j.scitotenv.2016.10.008).

En 2015, Sebastian Stehle et Ralf Schulz ont montré à travers l'analyse de 28 substances et 833 travaux publiés sur les cours d'eau européens que sur les sites contaminés (11300 mesures), 52,4% des mesures montrent des quantités au-delà du seuil de tolérance environnementale, 82,5% quand on examine les seules contaminations des sédiments. Les auteurs rappellent que la charge en pesticides peut réduire de plus de 40% la biodiversité de certaines classes (comme les invertébrés d'eaux courantes). En moyenne, quand on atteint le seuil réglementaire toléré, la perte est de 30%. Elle est encore de 12% quand on est à 10% du seuil de tolérance (Stehle et Schulz 2015, PNAS, DOI: 10.1073/pnas.1500232112).

La révision de la directive cadre européenne, qui commence en 2019, doit intégrer ces connaissances. En 2017, Werner Brack et 24 collègues européens en écotoxicologie ont tiré les enseignements du projet  SOLUTIONS et du réseau NORMAN dédiés à l'analyse de la surveillance chimique dans le cadre de la directive cadre européenne. Ces chercheurs publient 10 recommandations pour un changement de cap dans cette prise en compte des polluants chimiques par la DCE 2000. Ils soulignent notamment l'importance de la prise en compte des effets additifs et synergistiques, la vigilance sur les sédiments contaminés et leur remobilisation (Brack et al 2017, Science Total Envi, DOI:10.1016/j.scitotenv.2016.10.104).

L’ensemble de ces travaux convergent vers une même conclusion : si les rivières et les milieux aquatiques sont l’objet de multiples pressions, les impacts résultant de la pollution chimique doivent faire l’objet d’un traitement renforcé et prioritaire dans les prochaines années.

La réforme française de continuité écologique : 
un effet négatif sur le risque chimique ?
Dans le cadre de l'interprétation de la directive cadre européenne, la France a choisi de donner une importance forte à la morphologie des cours d'eau, en particulier à la continuité écologique et à la destruction des obstacles à l'écoulement (moulins, étangs, lacs, etc.). Ce choix paraît périlleux au regard de la question chimique.

D'abord, il est impossible de dire si la morphologie est un facteur prioritaire de dégradation de qualité des milieux tant que l'on ne dispose pas d'une estimation correcte de l'ensemble des impacts, et notamment des pollutions chimiques. On risque de divertir l'argent public sur des questions de second ordre, alors même que nous sommes déjà en retard sur nos objectifs de qualité à l'échéance 2027 fixée par la DCE pour le bon état.

Ensuite, la destruction des ouvrages remobilise des sédiments de leur retenue comme l’érosion des sols de berges, et ceux-ci font rarement l'objet d'analyse toxicologique. Or, il a été montré par des travaux anglais sur des ouvrages en rivières que le risque de pollution vers l'aval est réel, et non limité à la proximité immédiate des sites détruits (Howard al 2017, Geomorphology, DOI:10.1016/j.geomorph.2017.05.009). Il faut ajouter que la transparence hydrologique et sédimentaire souhaitée par la réforme de continuité écologique conduit à amener plus rapidement des eaux et sédiments plus pollués dans les plaines alluviales et les estuaires.

Enfin, une équipe française a analysé la capacité d'un petit étang à épurer les pesticides d'un bassin versant et a conclu à un rôle positif. "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire", écrivent les scientifiques (Gaillard et al 2016, Environ Sci and Pollution Res, DOI:10.1007/s11356-015-5378-6). La vocation des retenues n'est pas d'épurer les eaux, et les pollutions doivent être traitées à la source. Mais tant que les pressions subsistent sur les bassins versants, ce rôle d'auto-épuration doit être évalué et modélisé plus finement qu'il ne l'est aujourd'hui.

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