30/06/2016

Zéro perte nette de biodiversité? Cela doit s'appliquer aux effacements d'ouvrages

La loi prévoit déjà de limiter les atteintes à l'environnement lors des chantiers ayant des impacts sur les habitats et espèces en place, et les députés viennent de renforcer ce dispositif dans le cadre des discussions sur la loi Biodiversité. Nous demandons (et appelons nos consoeurs associatives à demander) que ces dispositions s'appliquent en toute rigueur aux chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, dont la plupart sont hélas totalement dépourvus d'analyse de la biodiversité locale. Un modèle de courrier en ce sens est ici proposé. Il sera utilement adressé pour chaque effacement aux publics suivants : services administratifs (Dreal, DDT, Onema, Agence de l'eau, au premier chef DDT en charge du contrôle réglementaire des chantiers en rivière) ; syndicats de rivière et de bassin versant ; fédérations départementales de pêche ou bureaux d'études mandatés pour des diagnostics de sites et de tronçons.




Depuis la loi du 10 juillet 1976, le principe "éviter, réduire, compenser" régit les chantiers ayant un impact sur l'environnement : il s'agit d'abord d'éviter ou de réduire un impact, ensuite de le compenser s'il est inévitable. Dans le cadre de l'examen de la loi de Biodiversité, les députés ont choisi de renforcer ce principe en posant l'objectif de "zéro perte nette de biodiversité".

Notre association appelle ses consoeurs à exiger dès que la loi sera votée (au cours de l'été) la mise en oeuvre de ces mesures de précaution sur tous les chantiers d'effacement d'ouvrages hydraulique en rivière (dont certains sont programmés pour l'étiage de septembre). Nous proposons ci-dessous une formulation "standard" à adresser au service instructeur de la Préfecture, formulation que chacun aura soin d'adapter à la rivière et au site concernés par des arguments ad hoc.

Demande au Préfet de mise en oeuvre des procédures d'évaluation et sauvegarde de la biodiversité sur un programme d'effacement d'ouvrage hydraulique en rivière

Attendu que 
  • le vivant tend à coloniser tous les espaces disponibles, par adaptation aux propriétés physiques et chimiques qu'il rencontre;
  • par leur existence, les ouvrages hydrauliques de type seuil ou barrage augmentent le volume instantané d'eau disponible pour le vivant dans le bassin versant et créent de nouveaux habitats par rapport à ceux que la rivière produit spontanément;
  • les habitats lentiques des retenues et plans d'eau, ainsi que les habitats annexes des canaux et biefs, produisent une diversité locale des écoulements qui est bénéfique à certaines espèces adaptées à ces nouvelles propriétés thermiques, rhéologiques, morphologiques et trophiques;
  • ces habitats présentent des fonctionnalités protectrices intéressantes de refuge à certaines conditions (crues violentes, étiages sévères);
  • l'intérêt du gain d'habitats lié à un effacement pour certaines espèces spécialisées (rhéophiles, sténothermes, migratrices, etc.) ne suffit pas à garantir un gain net de biodiversité, cet intérêt doit être évalué en fonction des habitats déjà disponibles pour ces espèces sur l'ensemble du tronçon d'une part, en fonction de la perte occasionnée pour d'autres espèces adaptées au site en l'état d'autre part;
  • la densité de barrages et seuils d'un tronçon tend à avoir une corrélation positive à la richesse spécifique piscicole totale du tronçon (Van Looy et al 2014);
  • la biodiversité des milieux aquatiques ne se résume pas aux poissons (2% environ des espèces) mais concerne l'ensemble de la faune et de la flore vivant directement dans l'eau (insectes crustacés, arachnides, mollusques, amphibiens, etc. Balian et al 2008) ou dans sa proximité (oiseaux, mammifères, reptiles, etc.);
  • les populations et assemblages biologiques à l'amont et à l'aval d'un obstacle à l'écoulement diffèrent, ce qui produit un accroissement de bêta-diversité (Mueller et al 2011, nombreux autres travaux);
  • des habitats entièrement artificiels comme des canaux peuvent servir de zone de reproduction à des espèces piscicoles menacées en France (Aspe et al 2014);
  • d'innombrables retenues et plans d'eau artificiels sont aujourd'hui inscrits dans les périmètre des ZNIEFF et des zones Natura 2000, ce qui indique la nécessité de ne jamais présumer un état "dégradé" pour une masse d'eau artificielle, mais au contraire de toujours contrôler la diversité réelle présente dans chaque site que l'on s'apprête à modifier ou faire disparaître.
Nous demandons que :
  • le projet d'effacement soit assorti d'un inventaire de biodiversité sur au moins quatre points de contrôle (station amont non impactée, retenue, bief, station aval non impactée);
  • la biodiversité totale de l'hydrosystème formé par le tronçon aménagé soit évaluée et quantifiée à partir du recueil de données;
  • l'évolution de cette biodiversité totale après l'effacement de l'ouvrage soit modélisée;
  • toute perte nette de biodiversité totale conduise au rejet du projet d'effacement et à la préservation du site en l'état.
Le refus par le responsable du chantier d'effacement de procéder à ces mesures diagnostiques et prudentielles l'expose à des poursuites au motif de non-respect des art. L 110-1 CE et L 163-1 CE. 

Nota : les liens ci-dessus renvoient aux articles Hydrauxois de commentaires des travaux, où vous trouverez des analyses et des graphiques complémentaires libres d'emploi pour appuyer votre demande. Le lien vers la source primaire de chaque publication scientifique est disponible en bas de ces articles. Ces précisions ne sont pas indispensables au service instructeur, puisque la demande consiste basiquement à procéder à un inventaire de biodiversité et un diagnostic d'évolution locale avant de détruire des habitats existants hébergeant certaines espèces.

Conclusion : arrêtons de bâcler les diagnostics de site et les chantiers d'effacement
Un certain nombre de gestionnaires de rivière entendent donner des leçons d'écologie aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques et aux riverains. Nous verrons si ces  gestionnaires ont l'honnêteté et la rigueur intellectuelles d'appliquer à leurs propres projets les préceptes exigeants dont ils se réclament et qu'ils imposent aux autres. Aucun effacement ne devrait désormais être accepté sans les contrôles élémentaires des propriétés, fonctionnalités et diversités de l'hydrosystème en place, avec la garantie vérifiable d'un gain écologique par rapport à l'existant si l'ouvrage est effacé.

Illustrations
La diversité des écoulements à Belan-sur-Ource, hydrosystème actuel avant effacement d'un ouvrage programmé par le syndicat SICEC. Les peuplements biologiques de ces zones et leur évolution en cas d'effacement ont-ils été contrôlés en phase de programmation du chantier? Pas à notre connaissance.

A lire et utiliser en complément
Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

1 commentaire:

  1. Si sur un cours d'eau apical, dans le remous de la retenue , un inventaire piscicole détermine la présence de brochets, de carpes, de perches, en plus des espèces type truites, chabots, goujons...
    Un projet d'aménagement prévoit l'abaissement du niveau de la retenue et le suivi piscicole met en évidence la disparition des espèces comme le brochet ou la carpe. Il y a une perte"nette"de biodiversité et selon vos éléments le projet devrait être rejeté?

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