29/11/2023

Évaluation du risque érosion et coulée de boue sur le territoire de l’EPAGE Sequana en Côte-d’Or

 L’érosion hydrique des sols, qui favorise le transfert de terre arable des parcelles agricoles vers les masses d’eau réceptrices à l’aval, intervient généralement suite à des décennies de modifications des paysages ruraux. Les effets en sont multiples : diminution de la fertilité des sols, dégradation de l’environnement (biodiversité, qualité des eaux…) et mise en péril des personnes et des biens lorsque des coulées de boues surviennent. Ce phénomène, désormais récurrent sur le territoire de l’EPAGE SEQUANA l’a conduit à solliciter le BRGM pour cartographier l’aléa érosion et coulée de boue sur son territoire.

(Source BRGM)


Coulée de boue et dégradation du réseau routier (Quemigny-sur-Seine, 2020).

 © EPAGE SEQUANA


 Les résultats de cette modélisation ont montré que :

  • L’érosion des sols survient principalement à l’automne et au printemps, lorsque le sol est faiblement couvert et l’érosivité des pluies importante ; 
  • La Seine amont est le cours d’eau le plus vulnérable à l’aléa érosion et coulée de boue, plusieurs de ses sous-bassins présentant ainsi un aléa moyen à fort ;
  • Certaines communes et certains cours d’eau seraient plus particulièrement exposés à l’érosion et aux coulées de boues en cas de changement d’occupation des sols (retournement de prairies notamment).

Lien pour l'évaluation du risque

Lien pour le rapport final

10/11/2023

Cinq scientifiques défendent le rôle bénéfique des petites retenues d'eau et appellent à le reconnaître

 En France, et en Europe, une politique publique a valorisé l'assèchement des petites retenues d'eau au nom de la continuité en long: des milliers de réservoirs et biefs associés à des moulins et étangs anciens ont déjà été détruits. Une collectif pluridisciplinaire de scientifiques souligne les limites et carences de ce choix à l'heure où la gestion et régulation de l'eau comme la préservation de milieux pour la biodiversité aquatique sont un enjeu critique.





Préservation de la ressource en eau, protection des zones humides et de la biodiversité :  le rôle des petites retenues d’eau en France 
 
Avis de scientifiques français - octobre 2023 
 
Introduction

Ces 10 à 15 dernières années plusieurs milliers de retenues d’eau ont été détruites en France dans le cadre de la politique de « restauration de la continuité écologique ». Ces retenues sont des petits seuils de moulins et certaines digues d’étangs, installés en grand nombre et de longue date sur notre territoire. 
 
Cette politique a fait l’objet du vote d’un article 49 dans le cadre de la loi « climat résilience face aux effets du dérèglement climatique » visant à proscrire cette pratique en raison de ces conséquences préjudiciables à nos ressources en eaux et aux milieux naturels. 
 
Si l’édification d’importants barrages dès le XIXème siècle en France a provoqué la disparition documentée du saumon, tel n’est pas le cas de ces petits barrages traditionnels qui apparaissent aujourd’hui indispensables à la préservation des eaux et au maintien d’habitats aquatiques propres à la vie en particulier lors des périodes subissant des sécheresses, lesquelles ont tendance à s’accentuer depuis quelques années. 
 
Les éléments décrits ci-après que nous avons voulu le plus synthétique possible reposent sur nos propres travaux, direction de thèses, rédaction d’ouvrages incluant la relecture de plusieurs centaines d’études scientifiques françaises et internationales consacrées aux eaux, aux rivières et à leur aménagement. 
 
1- Un climat à la saisonnalité accrue : crues hivernales, assecs estivaux 

La pluviométrie sur le territoire français est globalement stable mais irrégulière à l’échelle interannuelle et en fonction des régions. Les précipitations hivernales sont étalées sur une saison « froide » plus courte alors qu’augmente la durée de la sécheresse de saison chaude.  
 
La sécheresse caractérise les sols, les nappes souterraines et les écoulements de surface ; l’été 2023 a montré que, dans le Sud-Est de la France, des précipitations orageuses localement supérieures à 50 et même à 100 mm sont incapables de recharger les nappes en raison de la sècheresse des sols et de de la consommation des eaux par le couvert de la végétation et son système racinaire.  
 
Il s’ensuit que le débit des sources n’augmente pas, même après de fortes pluies et que le débit des rivières demeure pendant de longs mois celui de l’étiage.  

En d’autres termes, la recharge des nappes et l’augmentation des débits fluviaux sont limités dans l’espace et éphémères. La traditionnelle saison de recharge de saison froide reste efficace mais sa durée se réduit. Sur les cours d’eau, en particulier en tête de bassin, l’écart entre le débit journalier le plus faible (fin août) et le plus important (mi-janvier) est fréquemment de 1 à 20 voire de 1 à 100. Aux forts débits hivernaux succèdent parfois des assecs estivaux quand le niveau de l’eau a été abaissé par des travaux d’arasement de seuils.  
 
Dans cette perspective, la présence de milliers de petites retenues qui ont la fonction de stocker d’importants volumes d’eau dans les rivières mais plus encore dans la nappe alluviale vont nous faire gravement défaut en période de réchauffement climatique. Ces petits ouvrages, en ralentissant la vitesse des eaux et en favorisant les débordements réguliers dans le lit majeur, jouent le rôle d’atténuateur de crues et favorisent la recharge hivernale des nappes alluviales connues pour restituer une partie de leurs eaux fraîches en période estivale. Notons que dans les régions de basse altitude au substrat imperméable, la seule possibilité de conserver l’eau durant la période déficitaire a toujours été la création de petites retenues, ceci étant attesté depuis plus de 10 siècles, quel que soit le lieu en Europe. 
 
Ce constat a de longue date été pris en compte sur la façade méditerranéenne de la France. Les retenues sont officiellement préservées sur un fleuve côtier, le Vidourle. Une étude recommandant la protection des retenues (Bernot et al., 1996) est toujours d’actualité car ces retenues tiennent la nappe, sont des refuges pour la faune et préservent la ripisylve. Au printemps 2023, un autre fleuve côtier, l’Hérault n’avait pas eu de crue d’hiver et la faune résistait grâce aux seules retenues. Dans la péninsule ibérique, l’assèchement des cours d’eau est si grave que des modèles prédisent la contraction de l’aire couverte par diverses espèces de moule d’eau douce. Des études scientifiques menées à l’échelle de l’Europe ont montré la gravité de la sécheresse chronique qui rend des cours d’eau éphémères ou intermittents alors qu’ils avaient de l’eau en permanence ; une partie de la faune souffre, s’appauvrit et est menacée d’extinction par l’effet du manque d’eau. Le problème est une préoccupation européenne. 
 
Dans ce contexte, stocker les eaux par l’intermédiaire de petites retenues artificielles devrait être une priorité des gestionnaires. Les scientifiques devraient être sollicités pour améliorer la connaissance actuelle portant sur le rôle positif des petites retenues fluviales et notamment la protection contre l’intermittence des eaux lors des sècheresses. La science évolue, s’adapte à de nouvelles réalités et la gestion doit faire de même. 
 
 
2- Des cours d’eau européens fragmentés pendant des millions d’années par des embâcles et des barrages de castors  

Le cours des rivières naturelles ou « sauvages », était autrefois fait de chenaux plus ou moins anastomosés délimitant entre eux de nombreux îlots. Dans les rivières de plaines la cote du fil de l’eau était proche de la surface de la plaine inondable. Le lit était encombré d’obstacles constitués d’embâcles causés par des chutes d’arbres mais également, fait notable, d’innombrables barrages de castors en particulier sur les têtes de bassin. 
 
Ces derniers ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques outre-Atlantique mais également en Europe à la suite de sa réintroduction (notamment de l’Université d’Exeter en Angleterre). Ils ont des effets positifs à très positifs à la fois sur la recharge des nappes, sur l’atténuation des crues « éclairs », sur la qualité de l’eau mais également sur la biodiversité aquatique ainsi que sur les écosystèmes associés (insectes, batraciens, mammifères, oiseaux). Ils permettent en particulier lors des saisons sèches, de conserver des volumes d’eau importants dans les rivières et dans les nappes superficielles (nappes alluviales).  
 
La fragmentation par de petits barrages (nous insistons sur la taille de ces obstacles) anciennement de castors, puis de moulins ou d’étangs est donc une constante de l’histoire des rivières de l’hémisphère nord, largement profitable aux milieux aquatiques, qui répondent à la saisonnalité marquée des pluies et des débits.  
 
3- Le cas français 

La politique de continuité écologique des cours d’eau en France, qui s’est manifestée par des campagnes d’arasement de ces petits barrages anciens s’est traduite par une baisse sensible du niveau d’eau à l’amont des ouvrages concernés. Les effets de ces travaux, combinés à ceux des surcreusements opérés en période de crue en raison de l’accroissement de la force érosive ont conduit à sensiblement abaisser le fil de l’eau et consécutivement le niveau de la nappe alluviale (de 1 à 2 m).  
 
A l’occasion de la nouvelle sècheresse qu’a connue la France en 2022, de nombreux articles de presse ont relaté que des rivières sur lesquelles ont été détruites ces retenues anciennes, ont connu des situations d’assec partiel, voire complet, entrainant avec elles la disparition des milieux aquatiques. Là où elles ont été conservées, la biodiversité aquatique a pu trouver refuge sur les linéaires d’eau préservés par ces retenues. 
 
4-  La continuité hydraulique au service des continuités longitudinales et latérales : le rôle clé de la cote du fil de l’eau  

Le rôle des nappes alluviales, ou nappes d’accompagnement, a de tout temps été primordial dans le maintien du débit des rivières de plaines. Ainsi que l’a modélisé Henry Darcy en 1850, la recherche permanente d’un équilibre piézométrique, calé sur la cote du fil de l’eau, est une caractéristique dominante des relations entre nappes et rivières. En raison de la faible vitesse de circulation de l’eau dans les sédiments cet équilibre ne peut s’opérer que si la nappe alluviale est correctement rechargée chaque hiver par débordement des eaux de la rivière.  
 
En période d’étiage, les eaux de la nappe alluviale s’écoulent vers la rivière et viennent en complément des apports de la nappe de versant. La nappe d’accompagnement, en restituant à la rivière et à la nappe sous-jacente une partie de l’eau emmagasinée lors des pluies d’automne et d’hiver, joue donc un rôle majeur dans le soutien du débit de la rivière même en l’absence de pluie pendant plusieurs semaines et favorise ainsi la continuité hydraulique.  
 
Une baisse du niveau d’eau dans la rivière de 1 mètre, à raison d’une porosité des sédiments de 25%, provoquera au bout de quelques années une perte de l’ordre de 250 000 m3 d’eau par km2 de plaine alluviale.  
 
Rétablir la continuité longitudinale en détruisant un seuil a pour effet immédiat d’abaisser le niveau d’eau du cours principal et de vidanger progressivement la nappe alluviale. Cette baisse du niveau de l’eau et de la nappe met ainsi en péril la continuité latérale par assèchement progressif des annexes hydrauliques (fossés, biefs) ainsi que des zones humides connexes. 
 
En outre, ces destructions aggravent, voire provoquent, des situations d’assecs lors des épisodes à forts déficits pluviométriques et mettent bien souvent en cause la continuité longitudinale sur des tronçons de rivières qui n’avaient jusqu’alors jamais connu de telles situations. 
 
Ainsi la présence de petites retenues le long des cours d’eau de l’hémisphère nord favorise la continuité hydraulique (permanence des eaux dans la rivière), la continuité latérale et la continuité longitudinale. 
 
Chaque année, en février, sont célébrées les zones humides partout en Europe. A cette occasion, il est important de pointer du doigt toutes les actions concourant à la baisse du niveau de la nappe alluviale dont les conséquences seront néfastes pour les zones humides de bordure, la biodiversité et la ressource en eau. 
 
5- Qualité de l’eau et retenues d’eau 

L’unanimité des études scientifiques françaises et internationales mettent en exergue le processus de dénitrification qui se produit dans les eaux fluviales ralenties et d’autre part dans la nappe alluviale grâce à la végétation riveraine. Dans ce dernier cas tout abaissement de la nappe a des répercussions négatives sur les prélèvements de nitrates assurés par cette végétation. 
 
Le ralentissement de l’écoulement des eaux dans les rivières en raison de la présence de petits seuils, joue à cet égard un rôle de dépollution, processus que ne permettent pas les eaux «vives».  

Dès lors, la destruction des petites retenues traditionnelles apparaît comme un facteur dégradant de la qualité des eaux. 

 Cette évolution est sensible aujourd’hui du fait du réchauffement climatique et des modifications du cycle de l’eau au détriment de l’écoulement de surface. La modélisation du changement climatique à terme renforce l’inquiétude des scientifiques à ce sujet. 
 
Conclusion 
 
La préservation des petites retenues d’eau aménagées de longue date sur nos bassins apparait primordiale et leur destruction nous privera des effets positifs escomptés, comme nous le constatons en France. 
 
Les petits barrages d’autrefois, grâce au maintien d’une cote élevée de l’eau, ont permis à la nappe alluviale d’assurer en saison sèche des débits minimums nécessaires à la vie aquatique tout en préservant des zones humides. 
 
S’agissant des poissons migrateurs, faute de pouvoir détruire les barrages plus récents et plus importants qui coupent l’accès à leurs frayères traditionnelles, il convient de faire en sorte que toutes les retenues dépassant les capacités de nage et de saut de ces espèces soient équipées de dispositifs de franchissement adéquats et avant cela que les zones de frayères potentielles soient suffisamment bien identifiées. 
 
Par ailleurs, lors des périodes de sècheresse prolongée, telles que celles que nous connaissons chaque été depuis 5 à 6 ans, les retenues d’eau sont souvent les seuls points d'eau accessibles à de nombreuses espèces terrestres. Elles jouent donc également un rôle important pour la préservation de la faune terrestre et pas seulement aquatique. 
 
Est-il préférable pour la biodiversité d’avoir des rivières à sec plutôt que des rivières permettant à la flore et à la faune d’y trouver temporairement refuge dans des secteurs plus profonds ? Pour une gestion optimale de l’eau ne faut-il pas tout faire pour maintenir l’eau dans les rivières et les nappes superficielles plutôt que de l’évacuer rapidement vers la mer ? 
 
Nous, hydrobiologistes, limnologues, géologues, géographes devons informer les différents acteurs agissant dans le domaine de l’eau que la politique d’effacement des petits ouvrages hydrauliques met immanquablement en péril la préservation de nos réserves d’eau douce, la sauvegarde des milieux humides ainsi que la biodiversité associée. 
 
Pascal Bartout géographe (limnologue), Jean-Paul Bravard (géographe), Christian Lévêque (hydrobiologiste), Pierre Potherat (géologue), Laurent Touchart (géographe, limnologue)

Texte diffusé par la FFAM

01/11/2023

Les territoires et patrimoines de l'eau, entre nature et société (Serna et Larguier 2023)

 La revue Patrimoines du Sud propose une magnifique exploration de l'eau en Occitanie à travers ses héritages patrimoniaux et usages productifs. Le regard des géographes et historiens montre le caractère intrinsèquement hybride de l'eau, à la fois puissance naturelle et construction sociale. 




Murviel-lès-Béziers (Hérault), chaussée du moulin de Réals, 2022.
K. Orengo © Pays Haut Languedoc et Vignobles

Extrait de l'introduction à ce dossier par Virginie Serna et Gilbert Larguier :

"Longtemps axées sur le concept de continuum fluvial, les approches des cours d’eau, tant écologiques que géomorphologiques, archéologiques ou historiques, eurent longtemps un ton classique. Les débits, les profondeurs, les largeurs du cours d’eau ainsi que l’économie des échanges, la batellerie et son équipement associé furent abordés sous l’angle de sa fonction marchande tant en géographie qu’en histoire, la rivière étant perçue comme « un ruban d’eau », un « chemin qui marche1 ». L’ouverture conceptuelle proposée dès 1987 par J.-P. Bravard2 a ouvert le champ de la recherche et la parution de l’ouvrage d’Amoros et Petts3 en 1993 sur les hydrosystèmes fluviaux confirma les axes de la réflexion engagée. La rivière fut alors appréhendée sous une forme nouvelle. Sa liquidité, ses eaux, ses remous, courants et contre-courants, ses mouilles et ses seuils, ses berges, constituèrent autant d’entités à comprendre, à observer dans une lecture patrimoniale du paysage des cours d’eau, chaque structure d’exploitation, chaque équipement venant se poser dans cet espace liquide, produisant lui-même un nouveau paysage culturel.

Dans ce numéro, nous voyons encore autre chose. Nous entrons dans un autre territoire de l’eau, où la masse liquide est conduite, puisée, canalisée, dispersée, épanchée, gardée, distribuée, travaillée. Cette eau travaillée fait paysage en Occitanie et fait de l’Occitanie un grand Territoire de l’eau.

Les territoires de l’eau 
Les territoires de l’Eau sont aujourd’hui, on le sait, des paysages fortement mobilisateurs. L’actualité du changement climatique, la force de l’aménagement du territoire pour un tourisme vert ou bleu, l’engagement des collectivités vers un développement durable témoignent de la qualité patrimoniale de ces espaces historiques. L’expression « Territoires de l’Eau » a été créée en mars 2004, à l’occasion d’une journée d’études à l’Université d’Artois, Arras, par deux géographes4. Leur définition renvoyait à deux dimensions complémentaires. La première s’attachait à la question de l’emprise territoriale de la gestion et des politiques de l’eau. La seconde étudiait l’espace d’influence du secteur de l’eau dans les politiques territoriales. C’est donc par la géographie de la gestion et des politiques publiques de l’eau que le terme est entré. Et la nature de ces enjeux a conduit les auteurs à s’interroger sur l’existence de « territoire(s) pertinent(s) pour cette ressource ».

La définition que nous proposons aujourd’hui des Territoires de l’eau diffère. L’appellation regroupe des espaces où l’eau – stagnante, courante, haute, basse, douce ou saumâtre – apparaît comme l’élément structurant du paysage. On y regroupe les zones humides, les lacs, les rivières (à toutes leurs échelles), les fleuves dans toutes leurs composantes (urbaines ou rurales, bras morts, chenaux secondaires, chemin de halage…), les espaces drainés, irrigués, inondés, inondables, mouillés – au sens commun du mot – humides, comme le fait le terme de wetlands de la Convention de Ramsar6. Les territoires de l’eau rassemblent donc des espaces fortement anthropisés, urbains (les ports, les fronts fluviaux...), ruraux (irrigation et drainage, ...) ou en réseau (les canaux), porteurs d’un patrimoine bâti construit en fonction de la présence (naturelle ou artificielle, permanente ou temporaire) d’une eau maitrisée, nourricière, énergétique ou menaçante. Les constructions de l’eau attachées à ces territoires sont nombreuses, modestes ou d’envergure et marquent par leur diversité, leur rythme et leur pérennité l’ensemble du territoire national.

Les auteurs de ce numéro nous proposent justement de découvrir ces formes des constructions de l’eau en Occitanie. En premier lieu, le patrimoine bâti sous de multiples formes. Autour du « grand » canal, par exemple : le canal d’irrigation, de navigation, les ouvrages de rejet, les épanchoirs, les déversoirs de surface, de fond, rigole de fuite, le tuyau, les écluses et les maisons éclusières, bollards, bajoyers, portes busquées à vantelles, les ouvrages d’évitement, aqueducs et ponts, les limnimètres, bornes de distances, repères de nivellement et les chemins de halage. En second lieu, des paysages agricoles décrits par les termes catalans de regadiu et de seca7, les canaux d’irrigation ; « véritables monument d’irrigation gravitaire » dans le Haut Adour, les canaux d’arrosage avec leur mur de soutènement, les agau. Mais aussi les réservoirs, citernes, fontaines, lavoirs, collecteurs et résurgences ; le moulin et ses infrastructures associées, le béal et la paissière, les gourges, les petits barrages, les clavades…

(...)

On perçoit l’étendue spatiale et thématique des exemples traités – il faudrait encore ajouter l’irrigation de la plaine proche de Montpellier à l’aide de puits à roue et de norias construits à partir du XVIe siècle et menacés aujourd’hui par l’urbanisation galopante, l’eau employée pour inonder les vignes en plaine afin de prévenir les attaques du phylloxera, etc. Ils forment un dossier particulièrement consistant assorti de bibliographies substantielles ainsi que de riches annexes cartographiques et photographiques. Une attention particulière est accordée aux techniques ainsi qu’au vocabulaire, moins connu et souvent difficile à maîtriser car il concerne aussi bien les lieux, les ouvrages, que les matériaux employés, la manière de les disposer et de les utiliser. Une géographie linguistique fine s’esquisse, dont la pérennité est peut-être aussi fragile que celle du patrimoine monumental.

Au-delà de la substance de chaque contribution, leur mérite est de mettre en relief, s’il était besoin encore, la contribution déterminante des installations hydrauliques à la structuration des territoires, depuis les XIIe et XIIIe siècles jusqu’au début du siècle dernier notamment. Il était bienvenu de procéder à des inventaires sur des espaces précisément circonscrits afin de révéler la cohérente densité des équipements, malaisée à déceler de prime abord, même en parcourant les lieux. On voit là combien la mise en exergue d’ouvrages emblématiques tend parfois à occulter la diversité et la richesse du patrimoine hydraulique. Celle-ci ne « coule pas forcément de source »…

Référence : Serna V , Larguier G (2023), Avant-propos. Occitanie, la part de l’eau, Patrimoines du Sud [En ligne], 17 ; DOI : doi.org/10.4000/pds.12050


Neffiès (Hérault), moulin de Julien, le moulin et son réservoir, 2018.
V. Lauras © Les Arts Vailhan

10/10/2023

Détruire les moulins, étangs, biefs, canaux et plans d'eau sans enquête publique ni étude d’impact, le retour du décret scélérat

 Après avoir subi une annulation en conseil d’Etat à la demande de notre association et de ses consoeurs, le décret du gouvernement visant à empêcher les enquêtes publiques et les études d’impact des destructions d’ouvrages hydrauliques vient d’être reformulé de manière cosmétique et republié au journal officiel. Le ministère de la transition écologique veut donc s’acharner à imposer une politique décriée de destruction et assèchement des retenues, réservoirs, lacs, étangs, canaux et biefs, à contre-courant des impératifs de stockage de l’eau et de production d’énergie hydraulique. Nous appelons nos consoeurs à nous rejoindre demander une nouvelle annulation de ce décret tout aussi scélérat que le précédent. 




Rappel des faits : sous la pression de lobbies très minoritaires, la France s’est engagée depuis 20 ans dans une politique décriée et déplorable de destruction systématique du patrimoine hydraulique des rivières, sur argent public. Cette politique est parmi les plus contestées du ministère de l’écologie, comme l'a reconnu très officiellement un audit du CGEDD en 2016. D’une part, les riverains ont un attachement réel au patrimoine hydraulique, au paysage qu’il dessine et aux usages qu’il permet. D’autre part, en situation de changement climatique, les urgences du pays sont de produire de l’énergie bas carbone locale et de retenir l’eau, pas de détruire le maximum d’ouvrages pour que cette eau file plus rapidement à la mer. Cette politique dite de "continuité écologique" par destruction d'ouvrage, qui avait été théorisée au 20e siècle, est devenue contre-productive et déconnectée des besoins réels du pays. Une gabegie d'argent public doublée d'un motif de conflits sociaux évitables.

La préservation, restauration et utilisation des ouvrages hydrauliques est donc une cause d’intérêt général pour notre pays. Leur destruction, une erreur funeste, au nom d’une utopie du retour à la «nature sauvage».

Le ministère de l’écologie et ses administrations n’ont jamais voulu entendre les protestations que suscite leur politique. Au contraire, ils ont tenté de les faire taire par un premier décret de l’été 2019  qui créait un régime administratif spécial pour les destructions d’ouvrages. Sous ce régime spécial, un ouvrage peut être détruit sur simple déclaration (formalité minimale), loin des débats citoyens, sans enquête publique permettant aux citoyens de d’exprimer et aux associations de s’organiser, sans étude d’impact approfondi de la destruction.

Or, contrairement à ce que dit la doxa du ministère de l’écologie, tant les travaux scientifiques que les guides d’ingénierie écologique reconnaissent l’existence de nombreux impacts possibles lors de la destruction d’ouvrage hydraulique. Par exemple, sont documentés comme issues :
  • Baisse du niveau de la rivière et de la nappe
  • Erosion régressive
  • Remobilisation de sédiments pollués
  • Déstabilisation ou destruction des espèces (biocénoses) ayant colonisé l’écosystème artificiel d’eau douce
  • Diffusion plus aisée d’espèces invasives venant de l’aval
  • Disparition de biotopes aquatiques et humides autour des retenues et canaux
  • Fragilisation du bâti riverain, pourrissement des fondations bois, rétraction argile
  • Fragilisation des berges, érosion des propriétés riveraines
  • Accélération des ondes de crue, augmentation du risque aval
  • Aggravation des assecs, perte de zones refuges pour le vivant
  • Perte de patrimoine culturel et d’aménité paysagère
  • Perte d’usage actuel ou potentiel (énergie, pisciculture, loisir)
Imposer ces désagréments, dégradations et risques sans les étudier sérieusement et sans consulter les riverains concernés est inacceptable, totalement contraire aux principes mêmes de la démocratie environnementale posés par l'Europe et la France. 




Face à ces réalités, le gouvernement et ses administrations de l’écologie opposent le déni idéologique. Le retour à un profil de rivière sauvage est forcément meilleur (dogme), les écosystèmes aménagés par l’histoire humaine sont forcément dégradés (dogme), la priorité publique en réglementation et en subvention doit être détruire le maximum d’ouvrages et d’assécher les milieux attenants.

Le conseil d’Etat a choisi en 2022 d’annuler le décret de 2019, considérant qu’il créait un régime d’exception pour la destruction des ouvrages hydrauliques sans prendre en compte les risques afférents. Ce fut une victoire pour notre association et ses consoeurs.  Mais le gouvernement revient à la charge en se contentant de reprendre la même formulation que le décret de 2019, sauf une précision sur la nature des barrages concernés en cas de destruction. En substance, on peut tout casser sur simple déclaration, mais pour les grands barrages on va tout de même faire l'effort d'une procédure complète d'autorisation...

Le tableau annexé à l'article R. 214-1 du code de l'environnement est ainsi modifié :
Après la rubrique 3.3.4.0. est insérée une rubrique 3.3.5.0. ainsi rédigée :

« 3.3.5.0. Travaux mentionnés ci-après ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à la réalisation de cet objectif (D) :
« 1° Arasement ou dérasement d'ouvrages relevant de la présente nomenclature, notamment de son titre III, lorsque :
« a) Ils sont implantés dans le lit mineur des cours d'eau, sauf s'il s'agit de barrages classés en application de l'article R. 214-112;
« b) Il s'agit d'ouvrages latéraux aux cours d'eau, sauf s'ils sont intégrés à un système d'endiguement, au sens de l'article R. 562-13, destiné à la protection d'une zone exposée au risque d'inondation et de submersion marine;
« c) Il s'agit d'ouvrages ayant un impact sur l'écoulement de l'eau ou les milieux aquatiques autres que ceux mentionnés aux a et b, sauf s'ils sont intégrés à des aménagements hydrauliques, au sens de l'article R. 562-18, ayant pour vocation la diminution de l'exposition aux risques d'inondation et de submersion marine ;
« 2° Autres travaux :
« a) Déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d'eau ou rétablissement de celui-ci dans son talweg;
« b) Restauration de zones humides ou de marais;
« c) Mise en dérivation ou suppression d'étangs ;
« d) Revégétalisation des berges ou reprofilage améliorant leurs fonctionnalités naturelles;
« e) Reméandrage ou restauration d'une géométrie plus fonctionnelle du lit du cours d'eau;
« f) Reconstitution du matelas alluvial du lit mineur du cours d'eau;
« g) Remise à ciel ouvert de cours d'eau artificiellement couverts;
« h) Restauration de zones naturelles d'expansion des crues.
« La présente rubrique est exclusive des autres rubriques de la nomenclature. Elle s'applique sans préjudice des obligations relatives à la remise en état du site et, s'il s'agit d'ouvrages de prévention des inondations et des submersions marines, à leur neutralisation, qui sont prévues par les articles L. 181-23, L. 214-3-1 et L. 562-8-1, ainsi que des prescriptions susceptibles d'être édictées pour leur application par l'autorité compétente.
« Ne sont pas soumis à la présente rubrique les travaux mentionnés ci-dessus n'atteignant pas les seuils rendant applicables les autres rubriques de la nomenclature. »
Notre association demandera l’annulation partielle de ce décret, non pour tout ce qui concerne la continuité latérale (zones humides, expansion de crue etc.) mais pour les dispositions relatives à la destruction des ouvrages hydrauliques accompagnée de l’assèchement de leurs milieux et de la disparition de leurs usages, soit le 1°, le 2° alinéa a) et c). 

16/09/2023

La notion de "limite planétaire" de l'eau douce a-t-elle un sens?

 Une étude récemment parue et fort commentée affirme que l'humanité aurait dépassé la "limite planétaire" de l'eau douce. Voilà qui soulève stupeur et frayeur. Mais qu'en est-il vraiment? L'analyse de la publication concernée montre que le calcul choisi est pour le moins étrange : les scientifiques y considèrent simplement qu'un écart de 10% des écoulements (en excès ou en défaut) par rapport à l'époque pré-industrielle formerait une "limite". Nous suggérons ici que ce choix méthodologique (contesté par d'autres chercheurs) n'a guère de sens, une déviation de la situation passée du Holocène n'étant pas assimilable en soi à une limite, ni même forcément à un danger. Cette approche facile à médiatiser mais difficile à justifier n'offre de surcroît aucun intérêt pour les enjeux concrets de gestion de l'eau douce : l'agrégat planétaire théorique est un artefact statistique découplé des réalités physiques et socio-économiques du cycle de l'eau.



Les médias ont parlé ces derniers temps du travail de Katherine Richardson et de ses collègues, qui aurait montré que l'humanité a franchi la "limite planétaire" de l'eau douce. Cette assertion pour le moins étonnante et inquiétante nous a conduit à examiner comme les chercheurs avaient calculé une telle limite.

Nous reproduisons ci-dessous l'extrait complet de l'article concerné sur l'eau douce (eau bleue des rivières et des nappes, eau verte du sol), résumant la méthode et la conclusion : 

"Afin de refléter de manière exhaustive les modifications anthropiques des fonctions de l’eau douce dans le système terrestre, cette limite est révisée pour prendre en compte les changements sur l’ensemble du cycle de l’eau sur terre. Nous utilisons ici le débit comme indicateur pour représenter l’eau bleue (eaux de surface et souterraines) et l’humidité du sol dans la zone racinaire pour représenter l’eau verte (eau disponible pour les plantes). Les variables de contrôle sont définies comme le pourcentage de la superficie annuelle mondiale libre de glace présentant des écarts de débit des cours d’eau / d’humidité du sol dans la zone racinaire par rapport à la variabilité préindustrielle. La nouvelle composante eau verte représente directement la régulation hydrologique des écosystèmes terrestres, du climat et des processus biogéochimiques, tandis que la composante eau bleue représente la régulation des rivières et l’intégrité des écosystèmes aquatiques. De plus, cette limite capture désormais les impacts sur le système Terre des augmentations et des diminutions d'eau sur une échelle mensuelle et inclut leurs modèles spatiaux.

Les variables de contrôle décrivent les écarts par rapport à l’état préindustriel (ici, 1661-1860), déterminés pour la première fois à l’échelle de la grille de 30 minutes d’arc, puis regroupés en une valeur annuelle globale. Pour les variables de contrôle de l'eau bleue et verte, les limites sont fixées au 95e centile de la variabilité préindustrielle, c'est-à-dire la variabilité du pourcentage de la superficie mondiale présentant des écarts [~ 10 % pour l'eau bleue et ~ 11 % pour l'eau verte]. Nous supposons que les conditions préindustrielles sont représentatives des conditions à plus long terme de l’Holocène et qu’un écart notable par rapport à cet état met en danger les fonctions du système terrestre d’eau douce. En attendant une évaluation complète des impacts des différents niveaux de transgression des limites des eaux bleues et vertes (par exemple, capacité réduite de séquestration du carbone, régulation climatique et perte de biodiversité ; voir les documents supplémentaires), les paramètres des limites sont préliminaires et hautement prudents. Actuellement, environ 18 % (eau bleue) et environ 16 % (eau verte) de la superficie terrestre mondiale connaissent des écarts humides ou secs d’eau douce. Ainsi, contrairement aux évaluations précédentes des limites planétaires où seule l’élimination de l’eau bleue était prise en compte, cette nouvelle approche indique une transgression substantielle de la limite de changement d’eau douce. Les transgressions des limites des eaux bleues et vertes se sont produites il y a un siècle, respectivement en 1905 et 1929. Ainsi, avec la définition révisée des variables de contrôle, l’eau douce aurait déjà été considérée comme transgressée lors des précédentes évaluations des limites planétaires. La précédente variable de contrôle à l’échelle mondiale indiquerait toujours que l’utilisation de l’eau douce reste dans la zone de sécurité, même avec des sources de données plus récentes que celles utilisées dans (1, 2). Les estimations récentes de la consommation mondiale d’eau bleue s’élèvent à environ 1 700 km3 an−1, soit bien en dessous de la limite précédente fixée à 4 000 km3 an−1."
(Source : Richardson et al 2023, Earth beyond six of nine planetary boundaries, Science Advances, DOI: 10.1126/sciadv.adh2458)

Plusieurs points de méthode posent problème dans cette démarche, en particulier dans le domaine de l'eau bleue (les écoulements des rivières ou nappes) :
  • la notion de limite planétaire est ici ramenée à un simple écart par rapport à la moyenne pré-industrielle du Holocène, mais sans préciser en quoi un écart représente en soi une limite, en comptant les excès d'eau comme des limites au même titre que les défauts (alors que l'idée de limite est associée à l'idée que la ressource est indisponible, pas simplement à l'idée qu'elle varie dans le temps selon différents facteurs de variation) ;
  • le choix du débit comme variable de contrôle est réducteur par rapport à la complexité des dimensions de l'eau;
  • l'anthropisation de l'eau ne signifie pas la disparition des structures et fonctions écologiques de l'eau, un bassin anthropisé peut aussi entrer dans un état écologique alternatif durable (pas les mêmes populations biologiques, pas les mêmes traits fonctionnels, mais un nouvel équilibre après perturbation initiale), ce qui a déjà été documenté dans la littérature scientifique examinant notamment l'aménagement de fleuves au fil des siècles;
  • la recherche scientifique montre que la modification du cycle de l'eau et du fonctionnement des bassins versants s'inscrit dans le temps long de la sédentarisation des sociétés humaines, sur plusieurs millénaires; il est intellectuellement peu sensé de suggérer que la forte croissance démographique et économique des sociétés humaines au fil des siècles pourrait se traduire par le maintien de conditions similaires de variabilité;
  • le calcul est globalisé alors que le cycle continental de l'eau douce se réalise dans des bassins versants qui n'ont pas la même situation et qui ne transfèrent pas entre eux les écoulements ; on ne voit pas le sens ni l'intérêt opérationnel d'une agrégation planétaire alors que la réalité de l'eau et de la tension sur l'eau dépend toujours de conditions locales (géologie, hydrologie, climatologie, écologie, démographie, usages des sols et de l'eau).
En fait, ce calcul des "limites planétaires" est loin de faire consensus dans la recherche internationale, pas seulement sur l'eau qui en est une dimension. La démarche a été initiée par l'équipe de Johan Rockström à la fin des années 2000, et elle a bénéficié d'une certaine médiatisation car elle donne des raccourcis frappants que les médias apprécient. Mais elle a reçu diverses critiques scientifiques concernant le cadre méthodologique et les conclusions (voir par exemple Brook, Ellis et Buettel 2017, une synthèse dans Biermann et Kim 2020). 

Dans une période déjà marquée par un scepticisme croissant sur des travaux scientifiques et leur vulgarisation, il paraît important que le débat public discerne plus clairement ce qui relève d'hypothèses de travail et ce qui relève de connaissances robustes. Pour la gestion de l'eau douce en particulier, le cadre des "limites planétaires" ne semble apporter ni pertinence ni efficacité pour les décideurs et les populations, confrontés avant tout à des équilibres locaux entre ressources et usages. Enfin, il se développe un discours selon lequel nous pourrions et devrions revenir à une "nature antérieure" d'il y a quelques siècles vue comme la "normalité" ou la "référence" : ce refus de l'évolution mène souvent à des impasses car il radicalise l'opposition entre la nature et l'humanité, nie les réalités déjà anciennes de leur hybridation, paralyse certaines réponses urgentes au changement climatique, n'offre guère d'horizon réaliste et consensuel pour guider l'action de 8 milliards d'humains.

27/08/2023

Pas d’effet cumulatif d’une chaîne d’étangs sur la température de l’eau (Touchart et al 2023)

 Etudiant une chaîne d’étangs sur une petite rivière du Limousin, des chercheurs montrent qu’il n’existe pas d’effet cumulatifs de réchauffement de l’eau. L’ombrage est le premier facteur de prévention de la hausse de température qui, avec une moyenne de 2°C en été, reste cependant raisonnable. Ces travaux font suite au constat de manque de connaissance scientifique de terrain sur l’effet cumulé des plans d’eau.



Dans le décret du 29 décembre 2011 «portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements», l’Etat français a imposé que, pour toute nouvelle création de retenue d’eau, les effets cumulés du projet avec ceux des plans d’eau déjà existants soient analysés. Cette obligation institutionnelle a réveillé une attention scientifique à un sujet déjà étudié par la recherche, mais de manière peu poussée : l’effet d’une chaîne de plans d’eau sur l’hydrologie et la température de l’eau. Une expertise collective sur l’état du savoir a acté en 2016 que les connaissances de terrain sont encore très rares.

Laurent Touchart et ses collègues ont étudié un cas sur le bassin de l’Oncre, en Limousin.

Au nord-ouest de Limoges, les plateaux du Haut Limousin sont drainés par un affluent de rive droite de la Vienne d’une quarantaine de kilomètres de longueur, la Glane. La rivière a trois plus grands affluents: la Vergogne (cours influencé par une grande retenue), le Glanet (cours peu impacté) et l’Oncre (cours influencé par une succession de plans d’eau). L’Oncre a donc été choisi comme objet d’étude. Les chercheurs exposent le système de retenues : « D’amont en aval, les superficies et les hauteurs e chaussée sont de 0,48 ha et 2,2 m pour l’étang à moine de Boscartus, 0,93 ha et 1,5 m pour les étangs Jumeaux (séparés par une digue longitudinale), dont 0,24 ha pour la partie ouest, la seule suivie, 3 ha et 3,5 m pour l’étang de la Cascade, 2 ha et 2 m pour celui Trois Iles, 17,5 ha et 4,5 m pour celui de Fromental et 2,5 ha et 2,5 m pour celui du Brudou. »

Ce schéma montre le site de l’étude (cliquer pour agrandir).


Cet autre schéma montre le bilan thermique sur un an (cliquer pour agrandir) :




Nous reproduisons la conclusion des chercheurs :

«Tant en valeur moyenne de réchauffement (environ 2 °C en été) qu’en longueur d’influence sur l’émissaire (environ 1,5 km), l’effet des cinq derniers étangs de la chaîne de l’Oncre est finalement du même ordre que celui d’un seul grand étang isolé (Touchart, 2001) ou d’un petit barrage (Zaidel et al., 2021) à déversoir. Le sixième étang, en remontant de la fin de la chaîne vers l’amont, étant le seul pourvu d’un moine, la température de référence de cette recherche, sans pouvoir être assimilée à celle de la source de l’Oncre, a néanmoins des caractères de fraîcheur et de faible amplitude diurne qui permettent de l’envisager comme un point de départ.

Dans le cas de la valeur de la température de l’eau, l’effet de la succession des plans d’eau est infraadditif, au sens de LaGory et al. (1989). L’impact cumulé géographique correspond ici à la somme du linéaire directement modifié par la chaîne étangs et du linéaire de l’émissaire influencé en aval sur la distance précédemment citée. Au lieu d’un effet cumulatif en valeur de réchauffement, il y a plutôt un fonctionnement presque indépendant de chaque étang de la chaîne. Cela tendrait à confirmer ce que Bolsenga (1975) avait exprimé il y a déjà longtemps pour les grands lacs naturels et qui a été validé depuis par Momii et Ito (2008), c’està-dire que la part radiative du bilan thermique d’un plan d’eau est en général si écrasante que la part hydrologique d’entrée et de sortie des cours d’eau est comparativement négligeable. Ici, dans le cas de la chaîne de l’Oncre, le filet d’eau qui passe d’un étang à l’autre, très réduit en été, ne pèse pas grand-chose sur le plan calorifique par rapport au bilan radiatif. Précédemment, Choffel (2019) avait montré qu’il existait des différences de température notables entre les parties ombragées et ensoleillées d’un étang isolé. Quant à Maxted et al. (2005) et Zaidel et al. (2021), ils concluaient que le réchauffement du réseau hydrographique dû aux petits plans d’eau à déversoir était surtout causé par le fait qu’ils fabriquent un espace plus large, donc ensoleillé, là où le cours d’eau était à l’ombre avant leur construction. D’une façon plus générale, la littérature internationale des dernières années commence à montrer que, même non barrés de plans d’eau, les petits cours d’eau présentent une hétérogénéité thermique conditionnée non seulement par les apports d’eau souterraine ou hyporhéique, mais aussi par les différences entre les parties à l’ombre et au soleil (Story et al., 2003, Malcolm et al., 2004, Webb et al. 2008, Marteau et al., 2022, Hoess et al., 2022).

Dans ce cadre, la présente étude aura donné quelques premiers résultats mesurant que, dans le cas d’étangs en chaîne, cette variable ombre/soleil est plus forte que l’effet de cumul de la succession des plans d’eau. Au moins de façon ponctuelle, un étang à l’ombre situé en milieu de chaîne est capable de laisser sortir de son déversoir une eau plus froide que celle qui y entre. Dans les moyennes cependant, la chaîne étudiée ici est construite de sorte que les deux étangs les plus en amont sont aussi les plus forestiers, les plus ombrés, si bien que, à l’intérieur du bilan calorifique, la variable radiative va dans le même sens que la variable hydrologique. Il conviendrait à l’avenir de lancer des études sur une autre chaîne d’étangs, où ces variables iraient dans un sens opposé.

En termes de recherche appliquée, il semblerait opportun de préconiser l’ombrage des déversoirs de surface des étangs et des premiers décamètres de leur émissaire fluvial là où ce n’est pas le cas, car l’efficacité de cette opération n’est pas n’est pas loin d’atteindre à celle de la construction d’un moine. D’autre part, le dernier étang de la chaîne est celui sur lequel doivent porter les principaux efforts. C’est lui qui, plus que le cumul de ce qui se passe en amont, conditionne la qualité de l’eau de l’émissaire fluvial.»

Discussion
L’absence d’effet de cumul thermique est une bonne nouvelle si elle se confirme par d’autres travaux comme un trait constant du bilan énergétique des successions de plans d’eau. La prédominance du terme radiatif du bilan (ensoleillement) suggère que le gestionnaire public doit avant tout proposer des bonnes pratiques de gestion des berges (ombrage).

Avec plus de 100 000 ouvrages formant retenues en lit mineur et sans doute près de 1 million de plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur, les systèmes lentiques et semi-lotiques sont une composante à part entière des bassins versants français.  Ils ont été très négligés comme objet d’étude, hormis les lacs (plus de 50 ha) et grands réservoirs pouvant être reconnus dans une nomenclature administrative. Ce décalage important entre la connaissance scientifique et la politique publique a suscité des controverses lorsque la seconde a prétendu statuer sur les plans d’eau d’origine artificielle en le désignant presque toujours comme des problèmes, mais sans réellement disposer à leur sujet de données hydrologiques, écologiques, sociologiques, géographiques ou historiques. Statuer sans savoir ou en sachant très peu est la définition du préjugé. Nous assistons à une lente correction de cette anomalie, ce dont il faut se féliciter.

15/08/2023

Définir scientifiquement les plans d’eau pour les intégrer dans les politiques publiques (Richardson et al 2022)

C'est un paradoxe : les mares, étangs, bassins, retenues et autres petits plans d'eau sont largement reconnus par la science comme ayant des fonctions écologiques et rendant des services écosystémiques importants, mais ils sont quasiment absents des législations de l'environnement. Ces dernières reconnaissent des rivières, des lacs ou des zones humides, mais sans identifier clairement la place du petit plan d'eau, bien qu'il forme 90% des systèmes lentiques (eau calme ou stagnante). Une équipe de chercheurs a passé en revue la littérature scientifique pour proposer une définition fonctionnelle du plan d'eau, notamment dans l'espoir que les gestionnaires de l'eau l'intègrent pleinement dans leurs analyses et préconisations. Ce sera un enjeu pour les prochaines révisions de la directive européenne sur l'eau en Europe et de la loi sur l'eau en France. 



Les Anglo-Saxons utilisent le mot "pond" pour désigner indifféremment la mare, l'étang, le petit plan d'eau, que son origine soit naturelle ou artificielle, connectée ou non à l'écoulement d'une rivière. Nous conserverons ici l'idée de plan d'eau pour restituer la diversité des sens de "pond". Dans une publication de la revue Scientific Reports, David C. Richardson et ses collègues observent qu’il n’existe pas de définition claire du plan d’eau. Le mot est utilisé de manière intuitive mais variable dans la littérature scientifique en hydrologie, limnologie et écologie pour désigner des milieux lentiques distincts des lacs (lakes) et des zones humides (wetlands). Dans les choix administratifs, cette difficulté se traduit par des délimitations très diverses. Eventuellement, la notion de lac est étendue : par exemple le Wisconsin définit comme « lac » des plans d’eau de moins de 0,1 ha, et au Danemark c’est même à partir de 100 m2 que commence un lac. Parfois, comme dans le Minnesota, tout petit plan d’eau est assimilé à une zone humide. Mais souvent, ce plan d’eau est purement et simplement absent de la nomenclature officielle, ne faisant donc pas l’objet d’une réflexion et d’un examen propres par les politiques publiques. 

Voici comment les chercheurs résument leur démarche et leur proposition de définition du plan d'eau en vue de l'intégrer plus systématiquement dans les nomenclatures :
« Les plans d'eau (ponds) sont souvent identifiés par leur petite taille et leur faible profondeur, mais l'absence d'une définition universelle fondée sur des preuves entrave la science et affaiblit la protection juridique. Ici, nous compilons les définitions existantes des plans d'eau, comparons les paramètres de l'écosystème (par exemple, le métabolisme, les concentrations de nutriments et les flux de gaz) entre les plans d'eau, les zones humides et les lacs, et proposons une définition du plan d'eau fondée sur des preuves. Les définitions compilées mentionnaient souvent la superficie et la profondeur, mais étaient largement qualitatives et variables. La législation gouvernementale définit rarement les plans d'eau, malgré l'utilisation courante du terme. 

Les plans d'eau, tels que définis dans les études publiées, variaient en origine et en hydropériode et étaient souvent distincts des lacs et des zones humides dans la chimie de l'eau. Nous avons également comparé la relation entre les paramètres de l'écosystème et trois variables souvent observées dans les définitions des plans d'eau : la taille du plan d'eau, la profondeur maximale et la couverture végétale émergente. La plupart des paramètres de l'écosystème (par exemple, la chimie de l'eau, les flux de gaz et le métabolisme) présentaient des relations non linéaires avec ces variables, avec des changements de seuil moyens à 3,7 ± 1,8 ha (médiane : 1,5 ha) en surface, 5,8 ± 2,5 m (médiane : 5,2 m) en profondeur, et 13,4 ± 6,3 % (médiane : 8,2 %) de couverture végétale émergente. 

Nous utilisons ces preuves et les définitions antérieures pour définir les petits plans d'eau comme des masses d'eau modestes (< 5 ha), peu profondes (< 5 m), avec < 30 % de végétation émergente et nous mettons en évidence les zones à étudier à proximité de ces limites. Cette définition éclairera la science, la politique et la gestion des écosystèmes de plans d'eau mondialement abondants et écologiquement importants. »
Cette infographie illustre les critères de décision en trois dimensions :



Ces graphiques montrent les relations entre la taille des masses d'eau lentiques (à l'exclusion des zones humides) et la structure et les fonctions de l'écosystème : (a) production primaire brute (GPP), (b) concentrations totales de phosphore (TP), (c) production nette de l'écosystème (NEP), (d) méthane (flux de CH4), (e) respiration (R), (f) concentrations de chlorophylle a (Chl a), (g) concentrations totales d'azote (TN), (h) plages de températures journalières (DTR) et (i) vitesse de transfert gazeux (k600). Les traits indiquent les zones de rupture de linéarité entre les propriétés des plans d’eau et des lacs :




Discussion
L’absence des plans d’eau dans les nomenclatures administratives et les politiques publiques a aussi été observée par des chercheurs français spécialistes des limnosystèmes (cf Touchart et Bartout 2020). C’est peu compréhensible au regard des enjeux attachés à ces milieux, et de leur nombre important. On peut faire plusieurs conjectures à ce sujet : caractère privé, abondant et dispersé de plans d’eau qui décourage l’intervention publique (mais beaucoup de zones humides sont aussi en propriété privée) ;  faible appétence de gestionnaires de plans d’eau privés (agriculteurs, pisciculteurs, forestiers) pour des politiques écologiques ayant tendance à ajouter des coûts sans soutien public à hauteur des demandes et sans paiement des services écosystémiques ; acteurs publics dans le domaine de la connaissance (par exemple Onema-OFB en France) ayant davantage une culture de la rivière et des systèmes lotiques ; vieille méfiance vis-à-vis des eaux stagnantes qui ont davantage été incitées au drainage qu’à la valorisation dans l’histoire politique moderne ; préjugés naturalistes sur le fait que des milieux souvent d’origine artificielle ne pourraient pas avoir un intérêt significatif en écologie.

Quoiqu’il en soit, une littérature scientifique désormais très abondante souligne que les plans d’eau sont une composante à part entière des hydrosystèmes et que leur gestion éclairée pourrait avoir des conséquences très appréciables sur la conservation de la biodiversité, la régulation et la stockage de l’eau, la dépollution et la décarbonation, les usages et aménités. Il est donc impératif de faire connaitre ces travaux scientifiques aux décideurs et aux administrations afin que les lois évoluent et que ces systèmes aquatiques soient reconnus comme tels.

Référence : Richardson DC et al (2022), A functional definition to distinguish ponds from lakes and wetlands, Sci Rep, 12, 10472

07/08/2023

Les zones humides peuvent atténuer les sécheresses... mais pas toujours (Wu et al 2023)

 

Les zones humides peuvent atténuer les sécheresses... mais pas toujours (Wu et al 2023)

Face aux sécheresses appelées à devenir plus fréquentes et intenses, les politiques publiques de l’eau présentent parfois la recréation de zones humides comme une idée nouvelle susceptible d’apporter la solution au problème. Toutefois, les observations empiriques sont ambivalentes et une modélisation hydrologique par des chercheurs chinois et canadiens vient de le confirmer. Les zones humides tendent à réduire le risque de sécheresse – ce qui légitime l'intérêt de leur protection ou restauration –, mais avec un effet modeste. Et dans certains cas, les zones humides peuvent au contraire aggraver un déficit de débit superficiel autour d’elles. Il ne faut donc pas donner de faux espoirs aux populations et il est nécessaire d’augmenter le niveau de rigueur sur les bilans d’expérimentations dans les bassins versants.


La sécheresse est un aléa exerçant une pression considérable sur les ressources en eau et les systèmes socio-écologiques. En raison du réchauffement climatique, la fréquence et la gravité des sécheresses ont augmenté au cours des dernières décennies, et ces caractéristiques devraient être encore exacerbées dans les décennies à venir. 

En prévention des sécheresses, on propose aujourd’hui des solutions fondées sur la nature comme les zones humides. L’idée est que la zone humide ralentit le passage d’une sécheresse météorologique (déficit de pluie) à une sécheresse hydrologique (déficit d’eau superficielle et dans les sols). 

Toutefois, la littérature scientifique ne donne pas des résultats clairs, certains travaux trouvant même que des zones humides peuvent jouer négativement sur les débits de surface en cas de sécheresse. Yanfeng Wu et ses collègues ont donc creusé le sujet par un modèle hydrologique intégrant les zones humides, dont la qualité de simulation a été confrontée à deux bassins versants (en Chine et au Canada). 

Voici le résumé de leur étude :
"Les zones humides ont été désignées comme une solution potentielle fondée sur la nature pour améliorer la résilience et réduire les risques d'extrêmes hydrométéorologiques. Cependant, si et dans quelle mesure les zones humides peuvent affecter les sécheresses hydrologiques n'est pas bien compris. Pour combler cette lacune, nous avons proposé un cadre général permettant de discerner l'effet des zones humides sur : (i) les caractéristiques (durée, sévérité, processus de développement et de récupération) des sécheresses hydrologiques, et (ii) la propagation des sécheresses météorologiques aux sécheresses hydrologiques. 

Premièrement, une modélisation hydrologique a été réalisée avec un modèle spatialement explicite intégré à des modules de zones humides. Ensuite, la théorie de la course et la méthode de mise en commun ont été sélectionnées pour reconnaître les événements de sécheresse hydrologique et identifier leurs caractéristiques. En outre, le coefficient de corrélation de Pearson, la méthode de décalage temporel et la transformée en ondelettes croisées ont été utilisés pour explorer les processus de propagation. Enfin, les caractéristiques et les processus de propagation ont été comparés pour quantifier les services d'atténuation des zones humides sur les sécheresses hydrologiques. Pour valider le cadre proposé, deux bassins fluviaux de Chine et du Canada (le Gan River Bain et le Nelson River Bain), avec une couverture terrestre distincte, ont été choisis pour effectuer une modélisation hydrologique et quantifier les effets des zones humides. 

Les résultats indiquent que les zones humides contribuent principalement à atténuer les sécheresses hydrologiques en ralentissant le processus de développement, en accélérant la récupération, en raccourcissant la durée et en réduisant la gravité des épisodes de sécheresse hydrologique. Cependant, les effets sont variables car ils peuvent avoir des impacts faibles et même aggraver les conditions de sécheresse. Les zones humides peuvent prolonger le temps de propagation de la sécheresse et affaiblir la transition des sécheresses météorologiques aux sécheresses hydrologiques. La probabilité de formation de sécheresse hydrologique due aux conditions météorologiques a diminué de 19% et 18% respectivement, pour le Gan River Bain et le Nelson River Bain, grâce aux services d'atténuation des zones humides. Ces résultats mettent en évidence les rôles d'atténuation de la sécheresse des zones humides et le cadre de modélisation proposé a le potentiel d'être utile pour aider la gestion du bassin sur les risques de sécheresse dans le contexte de l'atténuation du changement climatique."

Discussion
La discussion publique sur l’eau et les sécheresses parle souvent des « solutions fondées sur la nature ». Mais s’il est aisé d’en comprendre le principe, il est difficile de trouver des bases scientifiques précises sur les mécanismes et, surtout, sur les résultats attendus. Or, à moyens limités et face à un enjeu critique comme l’eau, une politique publique doit garantir l’efficacité de ses investissements. 

L’étude de Yanfeng Wu et de ses collègues est donc bienvenue. Ses résultats, encore très préliminaires, tendent à confirmer deux intuitions que l’on peut avoir : les zones humides ont un rôle plutôt bénéfique d’atténuation des sécheresses, mais ce rôle reste modeste (ce n’est pas une solution miracle) ; dans certains cas l’effet peut être négatif (c’est une solution à manipuler avec précaution). 

Nous souhaitons donc que les politiques publiques de l’eau accordent davantage d’importance à la nécessité de collecter des données précisés sur des expériences pilotes avant de généraliser à tous les bassins versants des outils dont on ne maîtrise pas vraiment les conditions d’efficacité. Les zones humides ont toutes sortes d’intérêt, y compris pour la riche biodiversité qu’elles hébergent. Mais si la promesse première est de sécuriser l’eau pour la société et le vivant, c’est ce critère hydrologique qu’il convient d’analyser plus en détail.

25/07/2023

Faible impact d'un moulin à eau sur la température de la rivière (Donati et al 2023)

Etudiant un moulin à eau dont le seuil et la retenue sont typiques de ce patrimoine hydraulique, des chercheurs ont analysé son impact sur les températures de l'eau. Leur travail très précis montre un impact faible en moyenne journalière, variable en tranche horaire et selon le niveau de la colonne d'eau, avec parfois des réchauffements et des refroidissements. Les auteurs concluent au faible effet thermique global de ce type de moulins à eau. Ces études sur les ouvrages hydrauliques sont à généraliser, car les politiques publiques les concernant ont une base scientifique faible en données, ainsi que des biais bien identifiés. 



Le moulin étudié sur l'Erve en Mayenne, photos et illustrations extraites de Donati et al 2023, art. cit.

La question de l'impact des retenues d'eau sur le régime thermique des rivières est souvent évoquée, mais il existe encore peu de données précises de terrain. C'est le cas en particulier pour les moulins à eau, qui forment avec les étangs l'une des principales sources de retenues en lit mineur de rivière.  

Sept chercheurs (Francesco Donati, Laurent Touchart, Pascal Bartout, Quentin Choffel, François Le Cor, Célia Carceles et Alban Cairault) ont procédé à une analyse détaillée d'un moulin de la rivière Erve. Le moulin de Thévalles est situé sur cet affluent de rive droite de la Sarthe, dont le bassin versant couvre 380 km2. À son exutoire, la rivière a une longueur de 71 km et un module de 2,72 m3/s – "dans la classe des cours d'eau mésoréiques modérés, l'une des plus répandues en métropole"; précise l'étude. 

Le moulin exploite le cours d'eau grâce à un seuil de 10 m de large et 2 m de haut. La hauteur nette de la chute du déversoir varie de 1,40 à 1,50 m en débit moyen. En période de hautes eaux, la chute peut disparaître par effacement de la différence entre l’amont et l’aval. Au centre du lit, deux vannes de décharge servent à vidanger la retenue. La surverse se fait à un niveau égal à celui du seuil en rivière. Au niveau du moulin proprement dit, une vanne ouvrière permet la mise en mouvement de la roue hydraulique, d'un diamètre de 5,60 m. La retenue créé par le seuil a une surface de 2 ha, une longueur de 1500 m et un volume de 31000 m3. Ces caractéristiques placent plutôt le moulin à eau étudié dans la catégorie des ouvrages les plus importants de ce type. Donc a priori les plus impactants pour la grandeur ici étudiée, à savoir la température de l'eau. 

Cette température de l'eau a été mesurée sur une année complète par des chaînes de 6 capteurs à différentes profondeurs, avec un point de mesure dans la retenue, un point de mesure à 100 m en amont du remous de la retenue, un autre à 100 m en aval du seuil, dans l'émissaire. "Grâce à cette méthodologie, 75177 données de température ont été collectées pour l'ensemble des stations de mesures pendant la période d'observation. Elles donnent un aperçu des effets du moulin et de ses annexes sur la température de l'eau", notent les auteurs.

Voici leurs principales conclusions :

"L'étude menée au niveau du moulin de Thévalles, un site assez représentatif de la réalité française en termes d'hydrologie et d'infrastructures qui l'équipent, donne un aperçu inédit des effets thermiques de ce type d'ouvrage, notamment en ce qui concerne les moments de fonctionnement de leur roue hydraulique. Des effets sur la température de l'eau ont été observés uniquement pendant l'été et le début de l'automne, quand la retenue de seuil qui s'étale à l'amont du moulin était stratifiée. Pendant les périodes d'inactivité du moulin, les eaux rejetées par le seuil en rivière ont engendré à la fois des réchauffements et des refroidissements de l'eau, perceptibles uniquement à l'échelle horaire et rarement supérieurs au degré centigrade. Pendant les périodes d'activité du moulin, les eaux qui franchissent la vanne de fond et actionnant la roue hydraulique ont eu un effet à peine observable sur la température de l'eau du tributaire, majoritairement dû à l'effet dilution des eaux rejetées par le seuil en rivière. Ainsi, bien que d'autres études soient sans doute nécessaires pour pouvoir les confirmer, les résultats obtenus montrent une faible emprise de l'activité des moulins à eau sur la température de l'eau pour des rivières comme l'Erve."

Plus en détail, la recherche montre qu'il existe une amplitude thermique entre la température de surface et la température de fond (image ci-dessous, cliquer pour agrandir), surtout marquée en été. Cela souligne qu'un seul point de mesure ne permet pas forcément de trancher. Et que le régime des petites retenues est complexe, avec une stratification thermique à variation saisonnière. 



Cette autre figure montre la différence de température dans la colonne d'eau un jour d'été. 


Si l'écart moyen journalier est faible entre l'amont et l'aval, il peut varier au sein de la journée, avec des hausses ou des baisses comme le montre cette autre figure ci-dessous (cliquer pour agrandir). 


Le tableau ci-dessous montre finalement les températures moyennes mensuelles à l'amont et à l'aval de la retenue de seuil de Thévalles pendant les périodes d'inactivité du moulin :


Les auteurs remarquent : "Pour mieux comprendre l'ampleur des effets thermiques engendrés par la retenue de seuil de Thévalles quand le moulin n'est pas en activité, nous les avons comparés à ceux observés par L. TOUCHART (2001) au niveau de l'étang du Theil, dans le département de la Haute- Vienne. En effet, ce plan d'eau présente un volume (23300 m3) similaire à celui de la retenue de Thévalles et il est équipé d'un déversoir de surface, dont le fonctionnement est similaire à celui d'un seuil en rivière. À l'échelle journalière, cet étang réchauffe son émissaire de mars à octobre et le refroidit de novembre à février : juin est le mois où l'on observe les augmentations de température les plus fortes, +6,97°C en moyenne, alors que janvier est celui où les diminutions de température sont les plus marquées, -2,19°C en moyenne. Sur trois années de mesure, le réchauffement moyen de l'émissaire a été de 2,1°C. En raison de ces considérations, nous pouvons affirmer que l'effet des moulins sur la température des cours d'eau quand ils ne sont pas en activité semblerait être faible, voire négligeable comparé à d'autres facteurs pouvant altérer la température de l'eau (radiation solaire, température de l'eau, ripisylve), du moins pour ce qui concerne les rivières qui présentent des conditions similaires à celles de l'Erve."

Discussion
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les politiques publiques concernant les ouvrages hydrauliques (directive cadre européenne sur l'eau 2000, loi française sur l'eau 2006) ont été lancées sur une base scientifique faible. Les retenues sont très nombreuses (sans doute un demi-million en France sur lit mineur ou en connexion directe de lit mineur), mais elles sont très peu étudiées, contrairement à d'autres milieux (rivière, lac, estuaire). Dans les travaux qui se publient et qui informent les politiques publiques, ces retenues sont presque toujours analysées sous un angle naturaliste et ichtyologique assez ciblé (la déviation locale de population biologiques en lien à un ouvrage, en particulier les assemblages de poissons ou les poissons migrateurs), mais elles ne sont pas considérées comme des biotopes à part entière dont les propriétés physiques, chimiques, biologiques doivent être inventoriées et comprises avec précision. Au demeurant, les sciences sociales de l'eau sont aussi très lacunaires concernant les représentations, pratiques et usages de la petite hydraulique. Pourtant, l'ouvrage en rivière est au centre de nombreux choix publics sur l'énergie, le patrimoine, le paysage, la régulation de l'eau, la biodiversité, le tourisme, les loisirs et agréments. Mais cette complexité a été gommée au profit d'un discours simpliste ne voyant qu'un "obstacle à l'écoulement". 

Ce travail mené par Francesco Donati et ses collègues est donc précieux. Il confirme ce que pressentait le sens commun, à savoir que l'effet d'un ouvrage est proportionné en premier ordre à ses dimensions. L'hydraulique ancienne est de taille modeste, pas si différente de phénomènes naturels comme des barrages d'embâcles ou de castors : on ne s'attend donc pas à des impacts très significatifs, hors la création d'un milieu propre (retenue, bief) qui aura localement un fonctionnement et un peuplement un peu différents des tronçons non barrés de la rivière en amont et en aval. 

Nous souhaitons la généralisation de tels travaux, tant au plan de la recherche scientifique que dans les programmes d'acquisition de données des syndicats de rivières, fédérations de pêche, bureaux d'études, agences de l'eau, offices de la biodiversité, conservatoires d'espaces naturels et autres acteurs locaux de l'eau. Nous souhaitons également que certains biais de perception et de représentation disparaissent dans la conception des politiques publiques, en particulier l'incroyable négligence des milieux semi-anthropisés et anthropisés, qui forment l'essentiel des linéaires de rivière et plans d'eau dans les bassins versants à très ancienne occupation humaine. Nous avons grand besoin d'une écologie, d'une hydrologie, d'une géographie et d'une sociologie des milieux hybrides comme les retenues et biefs de moulins, mais aussi tout le reste du patrimoine hydraulique et des écosystèmes transformés par les occupations successives des bassins versants. 


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