30/01/2017

Livre blanc du syndicat des énergies renouvelables et hydro-électricité



Placer toute l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et du climat, et non de celle de l'eau et la biodiversité pour les petites puissances ; rendre les prescriptions environnementales compatibles avec nos objectifs ambitieux de transition énergétique : ces deux mesures parmi d'autres seront défendues par le Syndicat des énergies renouvelables auprès des candidats à l'élection présidentielle. Un autre enjeu important est à défendre pour les moulins, étangs et riverains : simplifier grandement les procédures d'autoconsommation avec injection du surplus, afin que chacun puisse produire facilement.  


Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) vient de publier son Livre blanc. Le mardi 31 janvier, à l’occasion de son colloque annuel, le  SER invitera les principaux candidats à l’élection présidentielle à présenter leur vision du rôle des énergies renouvelables dans le mix énergétique français. Il leur proposera de se positionner sur les orientations stratégiques détaillées dans ce Livre blanc.

Deux propositions à soutenir: une tutelle administrative de l'énergie (et non plus de l'eau), une révision en profondeur de la continuité écologique
Nous publions ci-dessous quelques extraits du chapitre consacré à l'hydro-électricité. Parmi les points que nous appelons à soutenir tout particulièrement dans les prochains mois, tant auprès des candidats à la présidentielle que de ceux à la députation:

  • placer toute l'hydro-électricité (petite ou grande) sous le tutelle de la direction de l'énergie et du climat.  La direction de l'eau et de la biodiversité est aujourd'hui en charge de la petite hydro-électricité, mais elle n'est pas dans son domaine premier de compétence et, pour l'essentiel, cette direction travaille à freiner le développement de cette énergie renouvelable au lieu de le favoriser, ce qui rend la politique publique illisible;
  • réviser en profondeur la réforme de continuité écologique, qu'il s'agisse de son périmètre, de ses méthodes, de sa gouvernance, de son suivi, de ses analyses coût-bénéfice et de son financement. La continuité est un angle légitime de gestion des rivières mais sa mise en oeuvre administrative s'est révélée coûteuse, complexe et conflictuelle, ainsi que contraire à l'objectif de développement de l'hydro-électricité (soit par destruction pure et simple du potentiel énergétique, soit par exigence d'aménagements à financement public défaillant, dont le surcoût imposé et la perte de productible annulent tout espoir de rentabilité pour beaucoup d'exploitants). Au-delà des amendements d'urgence déjà votés, c'est une remise à plat complète de cette continuité qui s'impose, pour en faire un instrument consensuel, durable et réaliste de la politique des rivières et plans d'eau. 

Une proposition à construire: faciliter l'autoconsommation pour des dizaine de milliers de sites potentiels
Notre regret concernant ce Livre blanc: l'absence de proposition sur l'autoconsommation avec injection du surplus. Des premières mesures ont été prises dans la loi de transition énergétique et son ordonnance d'application, mais elles sont encore insuffisantes pour l'objectif : que les foyers soient réellement incités à produire avec l'énergie locale dont ils disposent.

Chaque rivière française de taille petite ou moyenne possède des ouvrages de moulins susceptibles de relancer facilement la production qui était la leur jusqu'au XXe siècle (voir cette synthèse). L'obstacle n'est pas technologique: roue, vis, turbine, hydroliennes permettent de produire à toute hauteur et tout débit, avec des génératrices adaptées. Mais la puissance de ces sites, de quelques kW à dizaines de kW, n'est pas toujours suffisante pour motiver le montage d'un dossier complet d'injection, dans le cadre d'une activité considérée aujourd'hui comme industrielle, avec ce que cela implique en complexité (création de société commerciale, souscription d'un contrat de 20 ans, instruction détaillée par le service administratif, etc.). Nous sommes devant un paradoxe: alors qu'il est techniquement simple de produire sur un site (l'équivalent de plusieurs dizaines à centaines de m2 de panneaux solaires), c'est administrativement et fiscalement compliqué.

La relance des moulins se heurte ainsi à des obstacles qu'il appartient de surmonter: régime fiscal clair pour les particuliers, contrat d'injection du surplus (à prix de marché, sans aucune subvention), intégration des effacements et des protections de découplage dans les compteurs intelligents, soutien public (indispensable) aux dispositifs écologiques d'accompagnement, dont la continuité, Turpe dimensionnée à la taille très modeste du productible, dossier environnemental simplifié.

La double modernisation écologique et énergétique des moulins est un enjeu qui intéresse tous les territoires, chaque département comptant des centaines à des milliers de sites. Mais elle ne peut réellement progresser que par un contrat simple et universel incitant les gens à produire leur électricité et à injecter ce qu'ils ne consomment pas sur le réseau local. L'aide publique peut être nulle pour l'énergie (le maître d'ouvrage assume totalement son équipement, il ne bénéficie pas d'un tarif spécial de rachat pour le surplus d'électricité produite), mais elle doit en revanche être totale pour l'écologie: la collectivité doit financer les équipements qu'elle exige quand ces équipements relèvent de la poursuite d'un bien commun, et non pas de l'intérêt particulier du maître d'ouvrage (qui se voit au contraire imposer une nouvelle servitude d'entretien et surveillance des dispositifs écologiques mis en place).

Extraits du Livre blanc du SER (hydro-électricité)
Avec plus de 25 000 MW de puissance installée, l’énergie hydraulique délivre chaque année 70 TWh d’électricité, soit 65 % de l’électricité produite par les énergies renouvelables, constituant ainsi la 1ère filière de production d’énergie électrique renouvelable en France. L’activité génère plus de 20 000 emplois à l’échelle nationale (étude BIPE 2012 pour le SER).

1. Améliorer la gouvernance liée à l’hydroélectricité au niveau de l’État pour mieux articuler les politiques publiques qui lui sont applicables
Les projets hydroélectriques, qu’ils soient soumis à une autorisation au titre de la loi sur l’eau (< 4,5 MW) ou au régime des concessions (> 4,5 MW) ne bénéficient pas de la même tutelle alors que les problématiques économiques,  fiscales ou environnementales sont de même nature. L’hydro-électricité fait appel à de très nombreuses problématiques techniques, industrielles et scientifiques. Ces enjeux de natures diverses et d’un niveau technique élevé rendent complexes, voire contradictoires, un certain nombre de dispositions applicables à la  filière.

Le SER propose que l’ensemble de la  filière relève, au sein du ministère de l’Energie, de la direction en charge de l’énergie, qui doit pouvoir compter sur une expertise de haut niveau. Cette nouvelle organisation doit permettre de renforcer la cohérence entre les politiques publiques liées d’une part au développement des énergies renouvelables et d’autre part à la préservation de l’environnement.

2. Concilier politique environnementale et énergétique
La nécessité de prendre en compte les enjeux environnementaux a permis d’engager l’hydroélectricité dans le sens de l’amélioration et de la préservation du bon état écologique des eaux. La  filière s’est désormais largement approprié cette préoccupation, comme en témoigne sa mobilisation pro-active en faveur d’une hydroélectricité de haute qualité environnementale. 

Néanmoins, l’ampleur, la précision et la généralisation des prescriptions environnementales n’ont cessé de croître au détriment de la production d’électricité renouvelable, générant un empilement de normes de différentes natures et de prérequis disproportionnés. C’est ainsi que la contribution de la  filière au développement durable, aux objectifs de qualité de l’eau et de respect de la biodiversité, s’est traduite dans les faits par l’obligation de mise en œuvre de prescriptions environnementales très lourdes (franchissement piscicole notamment) sans bilan coût-efficacité et par une baisse importante du potentiel de développement de nouveaux aménagements ainsi que du productible des aménagements existants. 

La profession plaide donc en faveur d’une meilleure transparence sur les objectifs et les résultats de la politique environnementale, afin d’aboutir à un cadre règlementaire et législatif plus équilibré. La révision de la Directive cadre sur l’eau (DCE) doit être l’opportunité pour l’Europe comme pour la France de concilier plus efficacement les politiques environnementale et énergétique. La législation française sur l’eau et sa mise en œuvre doivent être fondées sur la conciliation des usages de l’eau, adossées à une analyse scientifique et contradictoire des enjeux et à l’évaluation du ratio coûts / bénéfices, ainsi que le prévoit la DCE.

A noter également : nouveau scénario négaWatt

Le nouveau scénario négaWatt 2017-2050, avec objectif 100% renouvelables, a été rendu public le 25 janvier 2017. Ce scénario prévoit une production hydraulique constante, mais avec des pertes de productible dues à des aménagements de biodiversité et à une baisse tendancielle estimée à 15% de débit disponible. En d'autres termes, pour tenir cet enjeu de production hydro constante avec 15% de débit (donc puissance) en moins, il faut en réalité augmenter la puissance actuellement installée. Donc restaurer énergétiquement des milliers de sites déjà en place mais ne produisant plus (le potentiel des moulins seuls, hors barrages, serait de l'ordre de 1000 MW). A noter que pour négaWatt, le stockage se fait par la voie du biogaz (méthanation) et non pas par des STEP (ou par l'hydrogène couplé à l'hydro-électrique, comme cela commence à apparaître). En fait, il faudra sans doute équiper davantage les moulins et usines à eau si l'on ne parvient pas à tous les objectifs de réduction de la consommation énergétique prévus dans ce scénario négaWatt. Pour rappel, ces objectifs (baisse de 63% de l'énergie primaire et de 50% de la consommation finale) sont jugés très ambitieux par les énergéticiens vu ce qu'ils demanderaient en investissement constant sur 3 décennies dans les infrastructures logement, transport et chauffage, alors que la puissance publique ne parvient déjà pas à impulser et financer des objectifs intermédiaires beaucoup plus modestes.

22/01/2017

Pragmatisme et discernement dans la gestion de l'eau: une proposition sénatoriale

Nous avions évoqué le rapport très critique du sénateur Rémy Pointereau sur la mise en oeuvre de la politique de l'eau, notamment dans le domaine de la continuité écologique qui nous intéresse au premier chef. Dans la suite de son action, l'élu a déposé au Sénat une proposition de résolution. Elle est articulée autour de 4 axes: la gestion qualitative de l'eau, la gestion quantitative de l'eau, la simplification des procédures et l'allègement des normes,la planification et la gouvernance. Plusieurs articles concernent la question des ouvrages hydrauliques. Nous en publions ci-dessous des extraits et nous invitons nos lecteurs à en informer instamment leurs sénateurs afin qu'ils soutiennent cette proposition lors de son prochain examen.


Cette proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à agir avec pragmatisme et discernement dans la gestion de l'eau, peut être consulté à ce lien. Elle n'a pas de force législative, mais son adoption indiquerait au gouvernement (actuel, futur) la ferme volonté du Sénat d'engager une réforme de la loi sur l'eau, 10 ans après son adoption.

Cette réforme est plus que nécessaire : mauvais résultats dans la mise en oeuvre de la directive sur l'eau DCE 2000 et probabilité quasi-nulle d'atteindre le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau en 2027 ; confiscation des décisions par une oligarchie administrative lointaine et de plus en plus décriée ; prolifération réglementaire qui assomme les riverains, usagers, propriétaires dans un maquis illisible de normes et d'obligations ; gabegie d'argent public dans des mesures violentes (destructions d'ouvrages) à l'efficacité non démontrée ; indifférence aux attentes nombreuses (patrimoine, paysage, loisir, économie, etc.) et blocage du dialogue environnemental au profit d'une écologie punitive et autoritaire ; analyse coût-bénéfice et analyse en services rendus par les écosystèmes absentes, alors que les riverains n'ont nul sentiment que les milliards dépensés chaque année leur apportent des changements concrets et utiles, et alors qu'on s'apprête de surcroit à lever une nouvelle taxe GEMAPI...

La proposition du sénateur Pointereau ne soulève qu'une partie de ces problèmes et, dans le détail, nous ne souscrivons pas forcément à chacune de ces orientations. Mais elle va globalement dans la bonne direction, en particulier sur la question des ouvrages hydrauliques. Il y a eu depuis 5 ans une accumulation de rapports critiques sur la politique de l'eau, sur ses acteurs institutionnels et sur ses résultats (Cour des comptes, CGEDD, Commission européenne, OCDE, rapport Lesage, rapport Levraut, rapport Dubois-Vigier, rapport Pointerau...). Il est impensable que la prochaine législature et le prochain gouvernement ne placent pas la réforme de cette politique au programme de leurs actions prioritaires.

Motifs (extraits)
Dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, la commission de l'aménagement du territoire et du développement du Sénat a considéré qu'il était naturel que la Haute Assemblée se penche sur l'application de la « LEMA », sur l'impact qu'elle a eu sur les collectivités territoriales mais également sur les différents acteurs de la politique de l'eau et sur les difficultés qui sont apparues dans la mise en oeuvre des changements et des principes portés par le texte. C'est à titre qu'un débat a été tenu au Sénat le 19 octobre 2016 sur les conclusions du rapport d'information : « Eau : urgence déclarée » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective) et sur les conclusions du rapport d'information sur le bilan de l'application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable).

Cette proposition de résolution trouve ainsi son origine dans les conclusions et propositions du dernier rapport, qui dresse un bilan mitigé de l'application des principales dispositions de ce texte de loi. En effet, si la quasi-totalité des acteurs du monde de l'eau sont attachés aux grands principes posés par la loi, beaucoup regrettent une mise en oeuvre concrète problématique.

C'est pourquoi la proposition de loi identifie, à travers quatre pans de la loi de 2006 (1 - la gestion qualitative de l'eau, 2 - la gestion quantitative de l'eau, 3 - la simplification des procédures et l'allègement des normes et 4 - la planification et la gouvernance), plusieurs solutions de simplification, concrètes et pragmatiques dans le domaine de la gestion de l'eau, dont les acteurs de l'eau mesurent chaque jour le degré de complexité.

Ainsi, la présente proposition de résolution suggère de veiller à ce que les normes applicables s'en tiennent au strict respect des directives européennes, de simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés ; de raccourcir les procédures et alléger les contraintes d'autorisation de pompage, mais également de raccourcir les délais d'instruction pour les dossiers de création de réserves en eau. Il faut donner à la simplification la priorité qu'elle mérite.

Il convient également de doter la politique de l'eau des moyens matériels, humains et financiers nécessaires à sa mise en oeuvre. Une politique dont l'efficacité dépendra des acteurs qui y seront associés. (...)



Résolution

Pour une meilleure gestion qualitative de l'eau :

  • Veiller à ce que les normes applicables s'en tiennent au strict respect des directives européennes et fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, afin de pouvoir mesurer les progrès réels effectués en matière de politique de l'eau;
  • Interdire tout prélèvement par l'État sur le fonds de roulement des agences de l'eau, afin de garantir un financement stable de la politique de l'eau et d'atteindre les objectifs de qualité de l'eau fixés au niveau européen; appliquer le principe de « l'eau paye l'eau »;
  • Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble;
  • Mieux utiliser les moyens du fonds de garantie boues mis en place par la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques;
  • Renforcer les moyens financiers pour les collectivités locales dans la protection des captages, des réseaux d'assainissement et stations d'épurations.

Pour une meilleure gestion quantitative de l'eau :

  • Soutenir financièrement les collectivités pour lutter contre les fuites d'eau sur les réseaux d'eau potable et mettre en place un plan d'action visant à acquérir une connaissance plus approfondie de ces réseaux, rechercher et réparer les fuites ou renouveler les conduites;
  • Sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective (OUGC) en clarifiant les liens entre les OUGC et les irrigants;
  • Renforcer la présence des acteurs et professionnels concernés au sein des comités d'orientation des organismes uniques de gestion;
  • Promouvoir le développement de contrats avec les agriculteurs pour effectuer des prestations de services environnementaux;
  • Définir des plans d'action qui concilient protection de la qualité de l'eau et potentiel de production et qui prennent mieux en compte l'évaluation des risques (inondations, sécheresse, etc.) en favorisant par exemple des bassins d'écrêtement des crues;
  • Favoriser la recharge des nappes phréatiques en dehors des périodes d'étiages ou lorsque la situation le permet;
  • Favoriser les retenues de substitution et collinaires avec la possibilité de remplissage dès lors que les niveaux d'eau sont suffisants ou excédentaires en période de crue;
  • Encourager la recherche en matière de techniques d'accroissement de la ressource en eau ;
  • Réutiliser les captages d'eau potable abandonnés pour des usages non alimentaires (irrigation, arrosage public, etc.).

Pour une simplification des procédures et l'allégement des normes applicables à l'eau :

  • Simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés;
  • Raccourcir les procédures et alléger les contraintes d'autorisation de pompage, et de mise en oeuvre des organismes uniques de gestion collective, notamment les obligations en matière d'études préalables pour l'obtention de l'autorisation unique de prélèvement;
  • Raccourcir les délais d'instruction pour les dossiers de création de réserves en eau et les sécuriser juridiquement;
  • Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste , c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable;
  • Agir avec pragmatisme et discernement pour un arasement non systématique des seuils et préserver le fonctionnement des moulins qui font partie du patrimoine national.

Pour une meilleure gouvernance et planification de l'eau :

  • Revoir le contenu des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux en y intégrant notamment un volet prospectif sur l'anticipation au changement climatique et en les simplifiant;
  • Rééquilibrer la composition des instances de bassin sur la base d'une répartition prévoyant un tiers de consommateurs et associations agrées par l'État, un tiers de collectivités et un tiers d'utilisateurs industriels et agricoles;
  • Reconnaître les propriétaires ruraux comme des acteurs environnementaux;
  • Attribuer la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) à une collectivité correspondant davantage à un bassin versant (département ou syndicat de rivière) à condition de leur transférer les moyens financiers pour en assurer la mise en oeuvre en lien étroit avec les agences de l'eau.

20/01/2017

Le potentiel hydro-électrique de la France, victime des bureaucraties et des lobbies

On ne cesse de répéter que le changement climatique est la première menace sur l'équilibre des sociétés et des milieux à échelle du siècle, que tout doit être fait pour sortir rapidement de notre dépendance à l'énergie fossile, qu'agir trop tard placera les générations futures devant le fait accompli de déséquilibres planétaires. Et pourtant, malgré un potentiel de développement de plusieurs milliers de MW très bas carbone, l'hydro-électricité française stagne depuis quinze ans. La principale raison? La pression conjointe des lobbies antibarrages et des administrations tatillonnes en charge de l'eau a gelé les initiatives et alourdi tous les coûts de développement. Pire encore, la France a massivement engagé un processus de destruction des seuils et barrages qui permettraient de produire un peu partout sur le territoire. Pour obtenir des gains écologiques modestes et limités à quelques espèces, quand ce n'est pas pour satisfaire les exigences dérisoires de pêcheurs de truites, notre pays se prive de la plus ancienne, de la plus régulière et de la mieux répartie de ses énergies renouvelables. Cette dérive n'a que trop duré: il faut libérer l'énergie de nos rivières!


Lors des vagues de froid, et alors que plusieurs réacteurs nucléaires sont en maintenance, l'énergie hydraulique a été mobilisée tant pour contribuer à la base en journée que pour répondre aux besoins de pointe en matinée et soirée. Cela malgré les conditions défavorables du gel et de la forte sécheresse hivernale que connaît la France. L'hydro-électricité a ainsi pu produire sur le réseau jusqu'à l'équivalent de 10 réacteurs nucléaires.

Pourtant, cette énergie hydro-électrique est en berne. On peut le constater sur ce graphique extrait du récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE 2017, pdf) consacré à la transition énergétique en France.


On observe que depuis 2000, les capacités hydro-électriques françaises restent bloquées entre 25.000 et 25.400 MW.

L’AIE est sceptique sur la capacité la France à garantir sa sécurité d’approvisionnement en électricité alors qu’elle entend réduire à 50% la part du nucléaire tout en avançant très lentement dans la mise en service de nouvelles capacités de production. Le constat de l'Agence revient ainsi à souligner que les pouvoirs publics promettent, mais n'agissent pas en conformité à leurs promesses. Un travers auquel nous ne sommes que trop habitués et qui contribue au discrédit de la parole institutionnelle.

Les capacités hydro-électriques françaises ne sont nullement saturées
Pourquoi l'hydro-électricité en particulier peine à se développer? Contrairement à une idée reçue et fausse véhiculée par ses adversaires, ce n'est nullement parce que les capacités de développement sont saturées :
  • le rapport de convergence (très conservateur et non complété dans toutes les régions) UFE-Ministère 2013 fait état de 2476 MW de potentiel (8950 GWh de production) en nouveaux sites;
  • le même rapport conclut à 261 MW (921 GWh) en équipement de seuils et barrages existants;
  • ces travaux de 2013 ignorent (volontairement) les puissances de moins de 100 kW, qui sont certes individuellement modestes, mais très nombreuses puisqu'elles forment une majorité des 80.000 ouvrages hydrauliques recensées dans le référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (les forges et moulins produisaient pour la plupart de l'énergie voici 100 ans, ils pourraient le faire de nouveau sans grande difficulté, voir cette synthèse sur la petite hydro-électricité);
  • il faut ajouter l'approche multi-usages et la possibilité d'installer des turbines hydro-électriques sur des infrastructures dédiées à d'autres fins (réseau d'adduction, retenues collinaires, réservoirs d'écrêtement de crue, d'irrigation ou d'eau potable,  étangs piscicoles, etc.).
Ce ne sont donc pas les perspectives de développement qui font défaut, et ceux qui répètent sans cesse que "le potentiel est déjà réalisé à 95%" trompent l'opinion.

Outre l'attachement au choix électronucléaire des années 1970 encourageant l'inertie sur les autres sources d'énergie, le problème de l'hydro-électricité en France tient à l'opposition virulente de certains groupes de pression. On peut en lire un rappel dans les actes du séminaire Hydroélectricité, autres usages et reconquête de la biodiversité (2016), récemment mis en ligne par le CGEDD. Les pêcheurs (FNPF) et les environnementalistes (FRAPNA-FNE) se montrent invariablement opposés à tout développement de l'hydro-électricité (particulièrement en rivière et fleuve), en dehors au mieux de quelques grands barrages EDF en stations de pompage-turbinage.

Des lobbies minoritaires très actifs, mais surtout très entendus au ministère de l'Environnement
Après tout, nous sommes habitués à ces voix contestataires qui ne sont d'accord avec rien, voient midi à leur porte, refusent telle ou telle énergie "dans leur jardin" et mettent un point d'honneur à rejeter tout compromis au nom de la pureté de leur idéal. Hélas, pour minoritaires que soient les plus farouches opposants à l'hydro-électricité, ils ont trouvé en France une oreille attentive au sommet de l'Etat. Le potentiel hydro-électrique le plus important (petite et moyenne hydrauliques) a en effet été placé sous l'autorité de la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'Environnement, et non pas de la direction énergie et climat. Or, il est notoire que la DEB fait preuve depuis 15 ans d'une forte hostilité aux moulins et usines à eau, ainsi que d'une non moins forte porosité aux positions radicales des lobbies précédemment cités. Il en résulte un découragement des initiatives et une explosion peu réaliste des exigences environnementales imposées à chaque projet, même quand ces exigences correspondent à des gains écologiques faibles, voire non démontrés. Vu les délais (plusieurs années) et l'issue imprévisible des dossiers soumis au bon vouloir de l'administration, sans compter d'incessantes modifications réglementaires en ce domaine, les investisseurs comme les particuliers préfèrent se détourner.

Non seulement la France ne développe pas son potentiel hydro-électrique pour satisfaire quelques lobbies minoritaires jouant habilement leurs cartes dans les commissions opaques des bureaucraties environnementales, mais notre pays a même entrepris de détruire ce potentiel sous couvert de continuité écologique. Le cas de la Sélune est exemplaire : alors que 99% des citoyens de la vallée veulent conserver les barrages et leurs lacs, alors que ces ouvrages représentent 18% des énergies renouvelables du département, l'Etat a décrété qu'il fallait les détruire, à un coût public de près de 50 millions d'euros, cela pour gagner quelques milliers de saumons sur quelques dizaines de km d'une rivière par ailleurs polluée (tout en perdant la diversité des espèces inféodées aux deux retenues)... Pour ces deux barrages intéressant plus que d'habitude les médias car Ségolène Royal y a fait des déclarations intempestives (et de bon sens), on compte des milliers d'autres ouvrages hydrauliques menacés d'une destruction silencieuse et honteuse.

Prioriser selon le bilan carbone des filières énergétiques, réviser la politique des rivières
Cette politique est un non-sens complet au plan énergétique. Contrairement au solaire, au biocarburant ou à d'autres filières massivement soutenues par les choix publics (et l'argent du contribuable), l'énergie hydraulique a un bon bilan carbone en région tempérée, tout particulièrement au fil de l'eau. Or, c'est bien ce bilan carbone qui forme le premier critère de décision de nos choix climatiques et énergétiques, ainsi que la justification pour les contribuables d'une énergie plus chère. Le charbon, le gaz et le pétrole ont beaucoup d'avantages : on choisit de s'en priver pour ne pas aggraver l'effet de serre, donc pour le bilan carbone. Chaque partie par million de CO2 atmosphérique forme un enjeu pour nos sociétés, c'est cela qui compte.

Outre son empreinte carbone favorable, quand l'hydro-électricité se développe sur des ouvrages déjà existants, elle n'aggrave pas l'impact morphologique sur les milieux ; quand de nouveaux sites sont construits, ils peuvent intégrer dans le cahier des charges des objectifs sédimentaires ou piscicoles (en petite ou moyenne hydraulique, car les impacts des grands barrages sont difficiles voire impossibles à corriger). Par ailleurs, cette énergie contribue bien sûr à restaurer ou entretenir le patrimoine hydraulique en place, à créer des revenus et des emplois pour les territoires, particulièrement dans les zones rurales ayant aujourd'hui le sentiment d'être la périphérie délaissée de la France.

Qu'il s'agisse de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) ou du paquet énergie-climat 2020, notre pays accuse retards et échecs sur ses politiques de l'environnement et de l'énergie. L'OCDE le lui a récemment rappelé, donc le scepticisme de l'Agence internationale de l'énergie n'est pas un phénomène isolé.

Dans le cas de l'hydraulique, il est particulièrement navrant de voir qu'une partie de ces retards peut être imputée à une idéologie hors-sol qui passe son temps à dire "non", une idéologie dont les exigences mal placées détournent notre pays de ses enjeux essentiels: réduire la charge en pollution dans l'eau, l'air, le sol ; réfréner l'usage des énergies fossiles et fissiles pour atténuer le changement climatique, tout en assurant notre indépendance énergétique et en créant des emplois non délocalisables. La France connaîtra une transition politique d'ici quelques mois. Quel que soit le pouvoir issu des urnes, on attend de lui une révision en profondeur de notre politique de l'eau et de l'énergie.

A lire en complément
Sur le taux d'équipement énergétique des rivières

16/01/2017

Plus de 20.000 ouvrages hydrauliques dans la mire des casseurs… stop!

Après dix ans de discours monolithique des administrations, la continuité écologique devient enfin un objet de débat en France, tant sur son acceptabilité sociale que sur ses bases scientifiques. On découvre à cette occasion le nombre réel d'obstacles à l'écoulement concernés par le classement en liste 2 des rivières : plus de 20.000 ! Chiffre qui fait de la France le seul pays au monde à prétendre détruire ou transformer son patrimoine hydraulique dans de telles proportions et sur un délai aussi court. Il ne faut plus seulement ralentir, mais stopper cette politique aventureuse et coûteuse dont la démesure est désormais patente.


Sur la rivière Rouvre, on casse.

Le 23 novembre 2016, quatre scientifiques invités à l'Assemblée nationale ont remis en question la politique actuelle de continuité écologique (voir cet article). L'omerta des services administratifs a vécu et ces interventions sont depuis lors abondamment commentées dans le "petit monde de l'eau". C'est également le cas sur Internet comme le montre la tribune de Marc Laimé (excellent blog critique Eaux glacées) sur l'intervention des experts à l'Assemblée, observant sans pincettes que "lesdits experts ont littéralement dynamité le consensus convenu sur ladite 'continuité écologique', révélant les enjeux cachés d’une véritable supercherie, qui a déjà provoqué des dégâts considérables depuis une dizaine d’années".

Le journal spécialisé en ligne Actu Environnement s'est également fait l'écho de la question. On y apprend une donnée nouvelle: il y aurait plus de 20.000 ouvrages menacés, et non pas 15.000 selon le chiffre qui circulait jusqu'à présent : "Au 1er janvier 2016, selon le référentiel des obstacles à l'écoulement, 20.665 ouvrages figuraient sur les cours d'eau classés en liste 2. Une partie d'entre eux est concernée par l'obligation d'aménagement ou l'arasement. Au titre du dixième programme, les six agences de l'eau se sont fixées un objectif de près de 5.000 ouvrages à traiter sur la période 2013 - 2018."

Sur la rivière Sienne, on casse

On observera que les Agences de l'eau programment 5000 dossiers sur 2013-2018, soit le quart des chantiers au mieux, alors que l'obligation réglementaire était censée s'exercer sur 5 ans. Le sur-dimensionnement de la réforme est flagrant, d'autant que beaucoup de dossiers d'études financés par les Agences de l'eau ne donnent lieu à aucun chantier, en raison du refus de financement public de travaux au coût disproportionné pour les particuliers, les petits exploitants ou les collectivités modestes. Sauf si l'on casse, bien sûr, puisque les représentants de l'Etat au sein des Agences ont généralement mis en avant cette solution comme préférable, donc finançable de 80 à 100%. L'argent des Français dépensé à détruire les moulins de leur pays comme soi-disant urgence écologique des années 2010: en cette année électorale où l'égarement des élites est un thème d'actualité, où l'on ne sort pas de la crise sociale et où l'on espère une conduite exemplaire de l'Etat, les citoyens ne vont pas manquer d'interpeller à ce sujet les prétendants à leurs suffrages...

Actu Environnement acte les carences en connaissance scientifique (que notre association dénonce depuis plusieurs années déjà): "le constat d'un besoin de travaux de recherche sur cette question semble plus largement partagé. Une expertise scientifique collective avait également pointé, en mai 2016, le déficit de connaissance concernant les impacts cumulés des retenues d'eau. 'Nous manquons de retour d'expérience concernant le rétablissement de la continuité écologique, estime également Philippe Boët, directeur adjoint scientifique du département Eaux de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). Des collègues de l'Inra ont fait un état des lieux pour le projet d'effacement de barrages sur la Sélune et devaient faire le suivi scientifique sur un long laps de temps mais l'arasement a été bloqué par des oppositions locales'."

Le même chercheur (P. Boët, Irstea) souligne au passage que le changement climatique fait évoluer la donne, y compris pour les espèces migratrices cibles de la continuité: "Ce qu'il faut défendre, c'est la capacité d'adaptation des espèces (…). Toutefois, nous sommes entrés dans l'anthropocène… Et il est illusoire de penser que ce type de populations de poisson pourrait être autosuffisant. Elles ont maintenant besoin de notre aide. Mais faut-il continuer à faire des efforts pour rétablir le saumon en Garonne sachant qu'avec l'élévation de température, nous aurons aussi des diminutions de débit ?… La question se pose !". Contrairement à ce que pérorent les idéologues du Ministère sur leur site ("idées fausses" auxquelles répondent point à point nos "idées reçues"), de nombreux aménagements conçus pour certaines espèces auront une valeur et une fonctionnalité incertaines au fil des changements thermiques et hydrologiques annoncés pour ce siècle. Sans compter que la continuité ne peut pas tout, comme le montrent par exemple 40 ans d'efforts publics sans grand succès pour le saumon de l'axe Loire-Allier. Si les rivières continuent d'être réchauffées, polluées, colmatées, pompées, si les grands barrages de 10, 20 ou 50 m sont sans projet de continuité, ce n'est pas l'effacement de quelques ouvrages d'Ancien Régime qui fera revenir des poissons dont les riverains les plus âgés témoignent qu'ils étaient encore présents avant les 30 Glorieuses.

Sur la rivière Morgon, on casse

Le débat est donc lancé, et on ne peut que s'en féliciter tant le ronron circulaire et le blabla autosatisfait des administrations devenaient caricaturaux sur ce sujet de la continuité.

Mais ce n'est que la partie émergé de l'iceberg:

  • la politique de l'eau souffre d'une dérive technocratique et antidémocratique massive, l'essentiel des normes étant décidé à Bruxelles ou Paris, reproduit au siège de chaque Agence de l'eau, imposé de manière verticale et descendante sans que le riverain ne soit consulté pour autre chose que les détails d'exécution de décisions déjà prises ailleurs, avec des représentants politiques manifestement dépassés par la technicité du sujet et laissant la gouvernance réelle aux compromis issus des équilibres instables lobbies-administrations,
  • le "paradigme écologique" (voir Morandi et al 2016) qui a saisi depuis les années 2000 la direction de l'eau du Ministère de l'Environnement, les Agences de l'eau les syndicats, parcs et autres acteurs territoriaux ne parvient pas à intégrer les dimensions non-environnementales (paysagères, patrimoniales, ludiques, esthétiques, etc.) des rivières et plans d'eau, en contradiction frontale avec leur perception sociale dominante  (voir ce texte sur les attentes négligées des rivières), 
  • cette gestion dite "écologique" se précipite dans l'action pour l'action (plus de 2 milliards d'euros à dépenser chaque année par les Agences de l'eau) et ignore les enseignements des travaux scientifiques sur l'écologie des milieux aquatiques, montrant entre autres choses que les restaurations physiques des écoulements ne produisent pas de résultats importants ou durables si les pollutions chimiques et les usages des sols dégradés des bassins persistent (or, la France est en retard sur la transition vers une agriculture plus durable comme sur la mise aux normes des assainissements face aux pollutions diffuses ou émergentes). Par ailleurs, les diagnostics écologiques de beaucoup de bassins versants ne sont pas à la hauteur d'une politique censée être fondée sur les faits et les preuves (voir ce texte), donc on agit de manière désordonnée voire hasardeuses (problème du greensplashing où les bonnes intentions tiennent lieu de gouvernail, tant pis si l'action n'a pas d'effet significatif sur les milieux),
  • la recherche d'un "état de référence" des masses d'eau posée comme critère par la DCE nous précipite vers l'échec et l'incohérence, car contrairement à ce que pensaient dans les années 1990 certains gestionnaires à la DG Environnement de Bruxelles, les cours d'eau anthropisés de longue date ne vont pas retrouver en quelques années ou même décennies des profils physiques, chimiques et biologiques comparables à des cours d'eau non-anthropisés formant la supposée "référence" à atteindre (voir Bouleau et Pont 2015). Ce conservationnisme naïf a été inspiré par une écologie du milieu du XXe siècle ignorant la dynamique des milieux et la profondeur historique des évolutions dans le cas des rivières, ainsi que par des modèles simplistes pression-impact dont la recherche écologique montre les limites face à une réalité autrement plus complexe,
  • l'engagement volontariste dans la transition écologique et énergétique – déjà plus déclaratif qu'effectif vu nos retards sur tous les objectifs pointés par l'OCDE – exigerait de mobiliser sans arrière-pensée les capacités hydro-électriques bas-carbone des fleuves et rivières (voir ce texte), qui ont un meilleur coût de revient que les énergie marines, mais l'Etat envoie des signaux totalement contradictoires et assomme les trop rares projets d'un cortège d'exigences dénuées de réalisme économique. 

Sur la rivière Loing, on casse

Le débat est donc nécessaire, et il ne fait que commencer. Mais les riverains et propriétaires d'ouvrages, sans qui aucune avancée sur le dossier ne sera possible (certainement pas sur les pharaoniques objectifs de 20.000 seuils et barrages), ne sont pas vraiment disposés à débattre tant qu'on gare la pelleteuse moteur chauffant dans leur cour. Le délai de 5 ans consenti cette année est une cautère sur une jambe de bois, car une solution insolvable et inacceptable en 2017 le sera tout autant en 2022. Le moratoire sur les effacements d'ouvrages est donc plus que jamais le préalable à une discussion de fond sur l'avenir de la continuité écologique. Car celle-ci a certainement un avenir. Mais il ne réside pas dans le rapport de force imposé sur ce dossier par l'Etat ni dans la destruction du patrimoine des ouvrages anciens comme mesure prioritaire de défragmentation.

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11/01/2017

Puissance maximale fondée en titre: le Conseil d'Etat contredit l'administration

Dans un arrêt important, le Conseil d'Etat vient de confirmer que la puissance hydraulique d'un ouvrage fondé en titre est bien la puissance maximale théorique telle qu'elle se déduit du génie civil, et non pas la puissance moyenne d'équipement ou la puissance signalée dans des documents anciens. Une interprétation que nous avions très exactement appelée de nos voeux.



Dans un article paru en septembre 2015, nous avions souligné ce problème de la puissance hydraulique, problème que le Conseil d'Etat vient de trancher en choisissant la solution (claire) que nous préconisions à l'époque. On ne peut donc que se féliciter de cette nouvelle jurisprudence.

Quel est l'enjeu?
Lorsque vous souhaitez relancer un ouvrage hydraulique fondé en titre (c'est-à-dire existant avant 1789 sur les cours d'eau non domaniaux et 1566 sur les cours d'eau domaniaux), il fait l'objet d'un porté à connaissance de l'administration (article R 214-18-1 CE), parfois d'une règlementation administrative (un nouveau règlement d'eau, qui ne peut s'opposer à l'exploitation du fondé en titre mais peut en spécifier certaines règles). Ce processus demande de définir la puissance hydraulique du site.

Quel est le problème?
Profitant de ce qu'il n'existe pas de définition légale claire de la puissance hydraulique fondée en titre, le ministère de l'Environnement a publié le 11 septembre 2015 un arrêté bavard et confus permettant plusieurs interprétations (voir l'arrêté, voir cet article). Dès avant cet arrêté, certains services administratifs essayaient de brider la puissance des droits d'eau fondés en titre — une situation très variable selon les départements en raison de l'arbitraire interprétatif et donc du parti-pris prévalant au sein de chaque préfecture. Plusieurs conflits ont été signalés avec des DDT(-M) souhaitant que la puissance du site soit celle des anciens états statistiques (fiscaux) du XIXe siècle ou du XXe siècle, voire celle estimée à partir des équipements anciens (roues, chambres d'eau).

Que vient de poser le Conseil d'Etat ?
Il existait un conflit entre la société SJS et l'administration du Doubs concernant un site hydraulique fondé en titre à Bourguignon. Le pétitionnaire estimait la puissance du site à 3358 kW, l'administration n'en a reconnu que 180 kW. Le tribunal administratif de Besançon et la cour administrative d'appel ont donné raison à l'usinier contre l'administration. Le ministère de l'Environnement a porté l'affaire au Conseil d'Etat.

Le Conseil d'Etat vient de confirmer les jugements de première instance et d'appel (arrêt n°393293 du 16 décembre 2016).

Voici le considérant essentiel de cet arrêt :
Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droit 
Concrètement, cela signifie :
  • tout ouvrage fondé en titre peut revendiquer sa "puissance maximale théorique",
  • celle-ci est le produit de la hauteur de chute (entre prise d'eau et restitution d'eau) par le débit maximum de la dérivation (en entrée du canal d'amenée ou au fil de l'eau) par l'intensité de la pesanteur (g, force de gravité),
  • il en résulte que les équipements anciens ou les puissances mentionnées dans des documents antérieurs ne peuvent être opposés au porteur de projet pour brider la puissance fondée en titre,
  • il en résulte aussi que la puissance fondée en titre n'est pas une puissance "moyenne" (par exemple au débit du module ou au débit d'équipement), mais bien "maximale" (le meilleur cas de figure du site) et "théorique" (même si ce cas de figure ne sera pas la puissance équipée),
  • l'état actuel d'un ouvrage antérieur à 1789/1566 est présumé fondé en titre, sauf preuve contraire apportée par l'administration.
Le Conseil d'Etat confirme là une jurisprudence déjà ancienne, commencée au XIXe siècle avec l'arrêt Ulrich (CE, 28 juillet 1866, Ulrich). La puissance d'un site hydraulique n'est pas bridée par la capacité de tel ou tel équipement technologique (qui évolue sans cesse), mais uniquement définie par les grandeurs physiques dérivées du génie civil du site, définissant la hauteur et le débit exploitables sur la propriété.

Que faire ?
Les porteurs de projets de restauration énergétique de sites fondés en titre doivent désormais citer cette jurisprudence dans leur dossier de porté à connaissance de l'administration. Leur dossier comportera un relevé topographique et altimétrique montrant les valeurs physiques essentielles (hauteur de chute, débit maximum) mesurées sur les ouvrages fondés en titre (attention, cela ne concerne pas d'éventuelles modifications plus récentes). Toute tentative de pinaillage sur des valeurs de puissance issues de données anciennes ou d'équipements anciens doit se voir opposer une fin de non-recevoir ferme, le cas échéant un contentieux si le préfet valide l'attitude de ses services instructeurs.

Conclusion
Par sa volonté de vider les droits d'eau fondés en titre de leur substance, par son incitation à détruire les ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique et par la complexité et/ou le coût disproportionné des dossiers et compensations demandés en cas de relance énergétique, une partie de l'administration avait clairement déclaré la guerre aux moulins et usines à eau. Cette dérive est un échec qui a produit de la défiance et du découragement au bord des rivières. Engagés dans la transition énergétique et en retard sur nos objectifs, nous avons besoin au contraire d'encourager fortement les sources de production bas-carbone et de simplifier grandement le parcours des porteurs de projets. L'arrêt du Conseil d'Etat va en ce sens.

Illustration: équipement ancien d'un moulin (scierie de Vénarey-les-Laumes sur la Brenne). La puissance d'un moulin en projet énergétique doit être définie par les grandeurs physiques dérivées de son génie civil fondé en titre, et non par des valeurs historiques ou technologiques passées.

07/01/2017

Seuils et barrages aident-ils à préserver la diversité génétique des truites?

Une étude génétique sur les truites du département de la Loire, menée par des fédérations de pêche associées à l'INRA, montre que les salmonidés de souche méditerranéenne n'y subsistent qu'en de rares poches autour du massif du Pilat. Cette lignée ancestrale a été surtout altérée par un siècle d'alevinage de souches atlantiques récentes, issues d'élevage à fin halieutique. Quand on observe les deux principaux bassins où subsistent les souches méditerranéennes, on constate la présence de nombreux seuils et barrages. Ces ouvrages ont sans doute limité les mélanges entre souches endémiques et souches déversées. La fragmentation aurait-elle certaines vertus pour la biodiversité? En tout cas, le constat ne plaide pas pour une suppression sans discernement des obstacles. Ce que le rapport des fédérations de pêche ne peut hélas s'empêcher de préconiser pour certains cours d'eau du département, même quand il existe une bonne préservation locale des truites en présence des ouvrages.



En Europe, il existe cinq souches de truites, que l'on nomme des "lignées évolutives significatives" (ESU, evolutionary significant unit): atlantique, adriatique,  marmoratus (sous-espèce adriatique), danubienne et méditerranéenne. En France, la truite relève de bassins hydrographiques méditerranéen (lignée MED) ou atlantique (lignée ATL). Dans le détail, on distingue 4 groupes au sein des deux grandes lignées évolutives présentes dans notre pays : les truites corses et méditerranéennes, de la lignée MED, les truites atlantiques ancestrales et modernes (baltiques), de la lignée ATL. La forme atlantique baltique, issue de mutations génétiques lors de la dernière glaciation, est celle qui tend à dominer, en raison notamment de plus d'un siècle d'élevage en pisciculture et déversement dans les rivières par les instances de gestion piscicole. Les formes ancestrales MED et ATL avaient divergé voici 0,5 à 2 millions d'années, mais elles tendent donc aujourd'hui à s'uniformiser.

Des truites méditerranéennes réduites à quelques poches préservées autour du Pilat
Un projet commun a vu le jour au début des années 2010 entre 8 fédérations de pêche FDPPMA et deux laboratoires de l’INRA (laboratoire de génétique des poissons à Jouy-en-Josas et le centre alpin de recherche sur les réseaux trophiques et écosystème limnique à Thonon). Les scientifiques référents en sont René Guyomard (INRA Jouy-en-Josas) et Arnaud Caudron (INRA Thonon). L’ensemble du projet a été porté par l’Association pour la recherche collaborative ARC Pêche et Biodiversité, créée en mars 2012 sous l’impulsion de l’INRA. Un réseau d’échantillonnage d’environ 700 secteurs de cours d’eau a été mis en place sur le réseau hydrographique de 8 départements limitrophes, permettant de cartographier assez finement le versant atlantique et méditerranéen des hydro-écorégions Massif central et Alpes du Nord.

Dans le département de la Loire, la truite commune (Salmo trutta) de souche MED est encore présente sur les bassins versants du sud-est, autour du Pilat (Gier, Déôme-Cance, affluents rhodaniens). Le rapport venant de paraître donne les résultats détaillés des pêches et des analyse génétiques. Le génotype de chaque individu pêché a été caractérisé par un indice d’hybridation compris entre 0 et 12 correspondant au nombre total d’allèles atlantiques observés sur six marqueurs connu pour leur variabilité.

La principale conclusion est que la souche MED (la plus intéressante au plan de la diversité génétique, puisque la souche ATL domine les empoissonnements) n'existe plus à un niveau élevé de conservation que sur deux bassins du département de la Loire : le Gier amont, la Déôme aval (Déôme, Riotel, Ternay, Argental).

Quelques observations sur la portée de ce projet
L'objectif est d'améliorer les pratiques piscicoles, notamment de parvenir à la gestion patrimoniale (sans déversement d'élevage, avec faible prélèvement de pêche) sur les bassins où la truite est encore densément présente, ainsi que de définir des zones de conservation prioritaire là où les truites montrent une certaine diversité génétique.

Cet objectif, louable en soi, ne doit pas faire oublier que la truite commune est une espèce non menacée aujourd'hui, ce qui n'est pas le cas de quelques dizaines d'autres espèces pisciaires en Europe. Il existe déjà les projets GENESALM et GENETRUTTA ayant pour objectif de décrire la diversité génétique de la truite commune sur l’ensemble du territoire national. On peut donc s'interroger sur la priorisation des actions concernant la biodiversité, en observant à nouveau la tendance à confondre enjeu halieutique et enjeu écologique. Ce point devra être soulevé si la Fédération des pêcheurs de la Loire entend promouvoir des mesures qui ne concernent pas seulement le monde de la pêche, mais aussi d'autres parties prenantes de la rivière.


Exemple de caractérisation "à dire d'experts" des impacts. Ces informations trop vagues ne permettent pas de corréler les données biologiques (précises) avec les données d'impact pour identifier des facteurs influençant la qualité locale des populations de truite.

La caractérisation des populations de truite (génétique, scalimétrie, structure d'âge, densité selon un référentiel local) paraît rigoureuse dans le rapport, l'analyse génétique en particulier ayant été réalisée par une post-doctorante de l'Inra. En revanche, le rapport mêle ces données quantifiées avec des évaluations à dire d'experts sur chaque bassin versant (qualité physico-chimique, continuité, thermie, morphologie, débit, autres influences anthropiques, exemple ci-dessus). Ce mélange des genres n'est pas souhaitable. La disposition de données biologiques de bonne qualité sur un réseau assez dense appelle à un couplage avec d'autres mesures de même qualité pour essayer de discriminer scientifiquement les impacts sur les populations de truite et leur structure génétique. Il est dommage que ce travail ne soit pas fait [Edit 9 janvier 2017 : la Fédé de pêche 42 nous signale que ces mesures sont faites, mais non publiées dans le rapport, voir précision en commentaire de cet article] .

Appels (comme toujours) précipités à des dérasements d'ouvrages... malgré la bonne qualité des populations!
La nécessité d'une analyse plus rigoureuse des impacts paraît d'autant plus évidente que le rapport se permet déjà quelques préconisations dans ses synthèses. En voici un exemple :
"L’Isable est un cours d’eau de bonne qualité physico-chimique, cloisonné par de nombreux ouvrages infranchissables et d’une extrême sensibilité à l’étiage avec des phases d’assecs par tronçons de plus en plus récurrentes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le niveau salmonicole sur la partie amont est encore bon. Des zones refuges existent (poches d’eau ne s’asséchant pas en été dans un relatif confort thermique et physico-chimique) et permettent la recolonisation des truites après les épisodes d’assecs connus (2003, 2005, 2009, 2015). Il apparait important de mener un programme ambitieux de décloisonnement du cours d’eau par dérasement de vieux ouvrages hydrauliques sans usage et aménagement de ceux possédant encore une fonction hydraulique."
On voit le problème : une population de truite est encore en bon état malgré un cloisonnement par des ouvrages anciens ; on qualifie le résultat de "paradoxal" sans chercher davantage d'explications et on appelle à un programme ambitieux de "dérasement".

Ce genre de dérapage, dont certains milieux de la pêche (en particulier la minorité des pêcheurs de salmonidés) sont familiers, n'est plus acceptable aujourd'hui. Effacer le patrimoine ancien est une préconisation radicale qui sème la discorde et ignore certaines dimensions d'intérêt de la rivière. Et, quand elle est assise sur des résultats contre-intuitifs de populations bien conservées, cette orientation sème aussi le doute sur le bien-fondé des politiques de continuité. Si le constat d'une population altérée comme celui d'une population conservée mènent à la conclusion identique d'une nécessité d'effacer les ouvrages, on est davantage dans le dogme qu'autre chose...

Discontinuités longitudinales : sont-elles si mauvaises pour la truite? Il semble que non...
Ce problème est encore plus manifeste quand on expose (ce que n'ont pas fait les auteurs du rapport) le niveau de fractionnement des bassins ayant réussi à préserver des souches MED peu introgressées.

Voici les zones de conservation proposée du Gier amont (image du haut) et leurs obstacles à l'écoulement (image du bas, point rouge = seuil, point orange = barrage, ROE Onema).


Voici les zones de conservation proposée de la Déôme (image du haut) et leurs obstacles à l'écoulement (image du bas, point rouge = seuil, point orange = barrage, ROE Onema).



Le message est assez limpide : non seulement la présence d'un grand nombre de seuils (et de deux barrages pour le bassin du Gier) n'a pas empêché la préservation de la truite méditerranéenne, mais il y a de bonnes chances que la fragmentation (l'isolement conséquent) y ait quelque peu contribué en limitant la communication avec des zones où la truite atlantique d'élevage domine (cas par exemple de l'ensemble du Gier aval).

Faut-il chercher à préserver des souches "pures" de truites communes? Ce combat n'est sans doute pas prioritaire pour la biodiversité et la qualité des rivières, qui ne résument pas à des espèces de portée symbolique ou d'intérêt halieutique. Les moyens sont déjà rares face à des besoins conséquents dans le domaine de l'eau, il est douteux qu'un travail d'extrême précision sur des sous-populations de salmonidés appelle des investissements disproportionnés. Mais pour ceux qui endossent cet objectif, une réflexion plus approfondie sur la fragmentation des cours d'eau est certainement nécessaire. Sur des bassins massivement modifiés dans leur peuplement, il paraît difficile de promouvoir à la fois la libre circulation maximale des poissons et la préservation de quelques souches endémiques très localisées.

Pour conclure, rappelons les ambiguïtés de la pêche, qui se présente en France à la fois comme une prédation et une protection du patrimoine piscicole. Un bon moyen de protéger des espèces consiste à ne pas prélever leurs géniteurs dans les rivières et ne pas introduire des compétiteurs ou des pathogènes. Ou alors on doit accepter que l'homme modifie les trajectoires biotiques et produit une biodiversité hybride – ce qui correspond assez massivement à la réalité des cours d'eau français et européens.

Référence : Fédération de pêche FDAPPMA 42 (2016), Identification de la diversité génétique et programme de sauvegarde des populations de truites du département de la Loire.  Intégrant le Projet commun interfédéral (départements :03, 38, 42, 43, 63, 69, 73, 74) de recherche collaborative pour mieux localiser, identifier et gérer la diversité génétique chez la truite commune (Salmo trutta) à des échelles spatiales cohérentes (2012-2015). Lien d'accès (pdf).

Illustrations : en haut, Salmo trutta fario, domaine public ; autres, extraites du rapport cité ci-dessus, droit de courte citation.