26/03/2022

Le manifeste WaVE sur l’avenir du patrimoine lié à l’eau

 Cinq chercheurs de l’université Delft des Pays-Bas ont étudié les patrimoines sociaux et historiques de l’eau dans le cadre du projet européen WaVE (Water-linked heritage Valorization by developing an Ecosystemic approach). Ils publient une synthèse de leur étude se terminant par un manifeste sur l’avenir du patrimoine lié à l’eau, que nous traduisons. Pour ces universitaires, le patrimoine lié à l’eau possède la capacité de relier environnement, société, économie tout en montrant son utilité pour les enjeux de ce siècle, à commencer par l’adaptation au changement climatique dans chaque ville, chaque territoire. Un appel à diffuser, notamment auprès des gestionnaires publics de l’eau qui, en France, ont bien trop négligé la dimension historique, patrimoniale, humaine de l’eau. Voire détruisent le patrimoine au nom de modes passagères nourries d'une amnésie culturelle et historique.



L'eau et son patrimoine associé jouent un rôle très particulier dans les villes et les régions d'Europe. Les infrastructures hydrauliques historiques telles que les ponts, les quais et les berges, les installations portuaires, les écluses, les barrages ou les moulins, les paysages urbains et ruraux spécifiques basés sur l'eau, mais aussi les aspects immatériels du patrimoine lié à l'eau, tels que les connaissances sur la gestion de l'eau, les valeurs et traditions, peuvent constituer une base solide pour une approche écosystémique du développement urbain et régional durable. Le patrimoine lié à l'eau est unique à cet égard car il relie les domaines environnemental, économique et social, reflétant les trois piliers de la durabilité. En valorisant le patrimoine lié à l'eau en tant que vecteur de transformation écosystémique des villes et des régions, nous pouvons exploiter son potentiel souvent négligé pour engager diverses parties prenantes, relier stratégiquement les lieux reliés par l'eau et transcender les frontières disciplinaires, administratives et sectorielles. En d'autres termes, l'eau et le patrimoine qui lui est lié peuvent être un puissant vecteur de changement dans les villes et les territoires qui permet de capitaliser sur les pratiques et équipements passés pour faire face aux défis de demain.

Manifeste sur l'avenir du patrimoine lié à l'eau

1 Le patrimoine lié à l'eau est peut-être le plus vulnérable aux impacts du changement climatique, mais il peut aussi nous inciter à développer des solutions basées sur la nature pour l'adaptation au climat, en s'appuyant sur les techniques et les connaissances du passé.

2 Étant donné que l'eau est cruciale pour l'identité locale et représente des valeurs partagées, le patrimoine lié à l'eau est un atout pour sensibiliser les parties prenantes et les citoyens aux impacts du changement climatique et à la nécessité d'adopter l'eau plutôt que de s'efforcer de la tenir à distance.

3 Il est nécessaire de s'éloigner de la prise de décision descendante vers un engagement plus inclusif et ouvert des divers acteurs et groupes sociaux dans la valorisation du patrimoine lié à l'eau pour identifier et saisir les opportunités qu'elle peut apporter à nos villes et régions.

4 Engager les parties prenantes dans la co-exploration du statu quo, la co-conception d'actions de valorisation du patrimoine lié à l'eau et la co-décision sur les stratégies de leur mise en œuvre permet d'identifier de nouveaux potentiels, souvent négligés, et de sortir des sentiers battus pour relever les défis.

5 La co-création de connaissances et de solutions pour la valorisation du patrimoine lié à l'eau est un processus qui nécessite de construire et d'entretenir des relations avec les parties prenantes, qui porte ses fruits en créant des liens et des réseaux qui durent, en soutenant la collaboration à long terme, l'appropriation et l'acceptation sociale des stratégies de valorisation du patrimoine et impacts durables.
 
6 La narration d'histoires sur le patrimoine lié à l'eau est un outil puissant pour galvaniser l'attention et l'engagement des parties prenantes et créer une dynamique pour un changement de grande envergure. La narration sur le patrimoine lié à l'eau doit mettre l'accent sur l'identité du lieu (âme), les valeurs et les liens partagés (confiance), le potentiel du patrimoine à créer des lieux meilleurs et plus vivables (qualité) grâce à l'engagement créatif du public (théâtre), aux interventions et stratégies audacieuses, visionnaires, fortes (courage) qui, ensemble, nourrissent la fierté collective et l'appropriation des stratégies et des politiques.

Au lieu d'une approche centrée sur l'humain pour la valorisation du patrimoine lié à l'eau, nous avons besoin d'une approche écosystémique, dans laquelle les connaissances passées et les valeurs patrimoniales informent la conception de nouveaux paysages et voies vers la durabilité. Dans cette approche, l'eau est un élément important reliant les visions de profondes transformations écosystémiques urbaines et régionales aux transitions nécessaires dans les éléments de base des systèmes et des structures urbaines (énergie, mobilité, espaces bleu-vert).

8 Pour réaliser le potentiel du patrimoine lié à l'eau en tant que vecteur de changement écosystémique, nous devons élargir notre compréhension du patrimoine, pour inclure non seulement les bâtiments et les infrastructures, mais aussi le patrimoine culturel immatériel et le patrimoine naturel.

9 Alors que nos sociétés deviennent de plus en plus diversifiées et mobiles, nous devons repenser et enrichir la signification du patrimoine lié à l'eau en nous appuyant sur les contributions de citoyens ayant des valeurs, des origines culturelles et des expériences différentes, et en exploitant le potentiel du patrimoine en tant que vecteur d'inclusion et d'intégration sociale.

10 Le patrimoine, comme l'eau, est toujours en mouvement. Au lieu de le conserver dans son état actuel, nous devons oser l'utiliser pour développer des zones riveraines dynamiques et multifonctionnelles, créer de nouvelles valeurs et de nouveaux usages du patrimoine à travers un processus de développement dans le dialogue, poussant nos villes et nos régions vers un avenir plus durable.

Référence : Dabrowski, M. M., Fernandez Maldonado, A. M., van der Toorn Vrijthoff, W., & Piskorek, K. I. (2022). Key lessons fro

20/03/2022

La scandaleuse destruction en cours des étangs du Châtillonnais

 Les gestionnaires publics – Office national des forêts, Parc national des forêts , services de l'Etat (DDT, OFB) – sont en train de détruire un par un tous les étangs, retenues, biefs et plans d'eau du Châtillonnais. Leur cible actuelle est formée par les étangs des Marots, un patrimoine naturel, culturel et paysager remarquable. Les riverains sont vent debout contre l'orientation actuelle vers la destruction de ces sites, qui ont déjà été asséchés et laissés sans remise en eau depuis 5 ans. Une pétition est lancée. Hydrauxois se joint au collectif local des associations et riverains dont la notre pour envisager des actions en justice si ce désastre devait persister. 



Voici bientôt 5 ans, la vidange des étangs des Marots situés en forêt domaniale de Châtillon a été réalisée dans la perspective d’en effectuer le curage et de procéder à la réparation des digues. Les riverains se sont réjouis de cette entreprise qui devait assurer la pérennité de ces petits plans d’eau.

La remise en eau devait être réalisée dans un délai variant entre un et deux ans après la vidange. Or, il n'en fut rien.

Selon les informations recueillies auprès des représentants de l’Office national des forêts, chargé de la gestion des lieux pour le compte de l’État, la poursuite des travaux était subordonnée à la réalisation d’aménagements à effectuer et imposés par la DDT et l'OFB, dont le coût, très élevé, ne pouvait être assuré par l’ONF.

Aujourd’hui, il serait question de l’effacement pur et simple de ces plans d’eau, au titre de la loi sur l’eau et de la continuité écologique, contrairement à ce qui avait été affirmé. Ces effacements feraient suite d’ailleurs à ceux des étangs Narlin, situés un peu en amont, entrepris il y a une quinzaine d’années et à l’effacement, en cours, de celui de Combe Noire, faute d’entretien.

Le parc national des forêts , nouvellement créé en 2019, vient d'appuyer la démarche d'effacement dans un note officielle publiée ce mois de mars 2022. 


Cette position soulève la stupeur et la colère des riverains. Les populations locales, très attachées à la beauté de la route d’accès à l’abbaye du Val-des-Choues (ou Choux), sont vent debout contre ce projet et demandent de sursoir à son exécution.

En effets, l'assèchement puis l'éventuelle destruction des étangs des Marots représentent :
  • la destruction d'un cadre de vie très apprécié, ces étangs étant fréquentés toute l'année par les riverains (quand ils sont en eau!),
  • l'altération de la recharge hydrologique des nappes et aquifères, dans une région qui connaît désormais des assecs sévères, aggravés par des travaux lourds de recalibrage des lits dans les années 1960-1980,
  • la perte de la biodiversité acquise autour des étangs, cette richesse faunistique et floristique ayant été documentées par des promeneurs passionnés et naturalistes (exemples ci-dessous),
  • l'élimination d'un patrimoine historique remarquable, les plus anciens sites datant probablement du XIIIe siècle,
  • le torpillage de l'attrait touristique et paysager du Parc des forêts, alors qu'une enquête avait montré que les visiteurs sont attirés à hauteur de 4% par les forêts et 44,9% par le milieu aquatique (rivières, plans d’eau, étangs).
La charte du Parc de forêts approuvée par décret du 6 novembre 2019 dit : "le cœur de parc national est avant tout un espace de conservation et de mise en valeur des patrimoines naturels, culturels et paysagers… C’est une 'vitrine' des patrimoines et des savoir-faire, un espace conservatoire de cibles à forte valeur patrimoniale, locale, régionale ou nationale…"

Pour cette raison, le patrimoine à la fois naturel, culturel et paysager des étangs des Marots doit être préservé et restauré dans toutes ses fonctions utiles au vivant et à la société. 

Hydrauxois se joint au collectif local d'associations et de riverains dont la notre, et engagera si nécessaire des démarches en justice pour empêcher le gestionnaire public de détruire un patrimoine remarquable. Nous appelons déjà à signer la pétition citoyenne en ce sens, qui a reçu plus de 1000 signatures locales en une semaine.


15/03/2022

Non à l'effacement de 800 ans d'histoire dans le parc National des Forêts

 



Vous n'êtes pas sans savoir que quatre des étangs qui bordent la route d'accès à l'abbaye du Val des Choux ont été asséchés depuis quelques années. Ces étangs, à forte valeur patrimoniale car datant du moyen-âge étant menacés de suppression pure et simple, les associations de défense de la nature du Châtillonnais se mobilisent pour leur sauvegarde.
Si vous n'approuvez pas ces mesures incompréhensibles de la part des services de l'état et si vous souhaitez soutenir notre  mouvement nous vous remercions de signer la pétition avec ce lien.

https://chng.it/WBbm5sdRQZ

construits il y a 800 ans afin d'alimenter en poissons la cour des Ducs de Bourgogne, les étangs ont été dernièrement asséchés, l'effacement des ouvrages hydrauliques reste une  priorité nationale  qui passe malheureusement  bien  avant la vraie problématique de nos cours d'eau, la pollution. Tout cela en contradiction avec  la loi Climat et résilience qui a posé  l’interdiction de destruction de l’usage actuel ou potentiel des ouvrages au nom de la mise en œuvre de la continuité écologique.
Le développement touristique dans notre parc doit rester une des priorités, il semble pour cela nécessaire de préserver les plans d’eau pas encore détruits. Nous pensons tout particulièrement à ceux qui ont un intérêt collectif comme les étangs des Marots ou le lac du docteur Parisot pour le 21.
Les chiffres de la fréquentation des parc nationaux sont là : 4% des visiteurs viennent  pour les forêts, 44,9% pour les lacs, cascade, rivières ….
 https://fr.calameo.com/read/002416533c14cefb73c0d

 Préservons donc les étangs, biens communs des habitants du Châtillonnais .

 
 Une réunion d'information sera organisée avec la Société Mycologique du Châtillonnais et la Société Archéologique et Historique du Châtillonnais.

 Elle aura lieu à de Châtillon-sur-Seine le mercredi 30 Mars 2022 à 18h salle Luc Schréder 

Une visite du site des étangs sera organisée à 16h en amont de cette réunion.
(rendez-vous sur le parking face à l’étang supérieur des Marots et l’aire de pique-nique).

Plaidoyer en faveur des étangs des Marots et de Combe noire

https://drive.google.com/file/d/1IB1Ib-XtIK_jCP30h1qjroL5fGUVRhgM/view?usp=sharing



L'eau comme bien commun, ce ne peut pas être l'eau figée en musée d'histoire naturelle

 Alors que la qualité de l'eau et de ses milieux avait été dramatiquement altérée au 20e siècle, des lois environnementales ont proposé un nouveau cadre de développement durable à partir des années 1970. Toutefois, ces mesures de bon sens et qui parvenaient à créer un consensus sur les actions nécessaires sont menacées depuis une quinzaine d'années par les excès d'une écologie dogmatique dénonçant systématiquement l'humain comme problème et voulant revenir à une nature sauvage. Au regard de la contamination d'une partie de l'administration par ces idées erronées et dangereuses, il est important que la prochaine loi sur l'eau recadre la politique publique de notre pays à ce sujet. L'eau est un bien commun car elle a de nombreux usages humains, et ce sera d'autant plus évident dans la reconfiguration actuelle du monde: transition énergétique, adaptation climatique, relocalisation productive, économie circulaire. 



La loi de 1992 a défini l'eau comme patrimoine commun de la nation, en ces termes : "L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général." (article L 210-1 du code de l'environnement)

En effet, l'eau accompagne les humains depuis toujours, et en particulier depuis l'apparition des sociétés sédentaires néolithiques, qui ont été amenées à maîtriser le cycle de l'eau. Cette eau sert à des usages multiples : alimentation, santé, hygiène, irrigation, élevage, énergie, navigation, industrie, agrément et loisir. 

Par ailleurs, l'eau est aussi dangereuse : ses sécheresses comme ses crues peuvent détruire et tuer. Les riverains se sont donc très tôt organisés pour réduire ces aléas, domestiquer le cours de l'eau afin que son défaut comme son excès ne se traduisent pas par des tragédies humaines. 

Dans les années 1920-1970, certains abus du développement technologique et économique ont conduit à ré-introduire la question naturelle dans l'équation de l'eau. En effet, l'eau se trouvait massivement polluée par des effluents domestiques, agricoles et industriels. Son usage sans limite pouvait conduire à des tensions sur la ressource car les uns vidaient les cours et les nappes dont devaient aussi profiter les autres. Les interventions trop systématiques des machines pour endiguer les berges, creuser et rectifier les lits, extraire des matériaux, ont mené à un appauvrissement des cours d'eau, et n'ont souvent fait que repousser à l'aval le problème des inondations. Les édifications de grands barrages sans passage pour les poissons et sans relargage des sédiments de la retenue menaient à divers problèmes.

Les politiques publiques ont donc vu la prise en compte croissante de thèmes écologiques sur la dépollution, les espèces, les milieux et les écosystèmes, des décennies 1970 à 2000. 

C'est une évolution heureuse. Toutefois, nous arrivons à un nouveau point d'équilibre. D'un excès, nous menaçons de verser dans un autre. 

De la défense du cadre de vie à l'exclusion des humains des cadres de vie
Certaines administrations, certains groupes sociaux ou politiques, inspirés des sciences naturelles, voudraient en effet aller nettement plus loin dans les mesures écologiques. Il ne s'agirait plus seulement de chercher un équilibre entre environnement, société et économie – le but premier d'un développement durable des humains dans leurs milieux –, mais d'exiger que les rivières, les lacs, les estuaires reprennent tous un fonctionnement "naturel" tel qu'il était lorsque les humains ne les utilisaient pas. 

Ces mesure dites de conservation et de restauration écologiques se sont répandues à compter des années 2000. Elles se fondent sur un idéal de "naturalité" ou "retour à la nature": le bonne eau serait l'eau d'une nature sans l'homme, ce dernier devant sans cesse réduire ses usages, si possible les faire disparaître.

L'écologie était la recherche d'un meilleur cadre de vie pour les humains : elle est devenue pour certains la recherche d'un cadre de vie... sans les humains, voire contre les humains!  

La question des ouvrages hydrauliques a été un exemple de cette radicalisation de certaines politiques écologiques, et c'est la raison pour laquelle ce sujet a été si souvent dans l'actualité judiciaire et parlementaire. Au lieu d'aménager des barrages, des seuils, des digues, des canaux pour les rendre conformes à des fonctionnalités écologiques tout en préservant leurs usages et leurs agréments, un discours violent a été tenu depuis 15 ans sur la nécessité de détruire purement et simplement ces ouvrages pour revenir à la nature passée. 

L'eau sera critique pour l'économie et la société à venir
Mais ce nouveau discours "hors-sol" où une écologie théorique décrit sa nature idéale passe très mal dans la réalité. Car nous avons toujours besoin d'eau. Plus encore, nous voyons que l'évolution du monde pousse chaque nation à mieux exploiter les ressources de son territoire, dans une logique certes durable mais aussi productive. 

Par exemple, nous devons assurer la sortie rapide des sources fossiles qui font les trois-quarts de notre consommation énergétique, ce qui passe par l'énergie de l'eau. Nous devons garantir l'adaptation au changement climatique qui va rendre le cycle de l'eau bien plus incertain, parfois critique dans des épisodes extrêmes de précipitation ou de sécheresse, donc demander des régulations et stockages. La souveraineté alimentaire, l'économie circulaire et le retour de certaines industries en France vont impliquer eux aussi des besoins accrus en eau dans certaines zones. De même, on pense que la démographie continuera de croître au moins jusqu'en 2050, avec 70 millions d'habitants : le souhait de favoriser de plus en plus le local sur le lointain pour des raisons d'économie de ressources et d'énergie fait que l'eau liée aux loisirs verra sans doute sa demande augmenter, chaque territoire devant avoir des offres attractives. 

Si l'eau est bien le patrimoine commun de la nation, si l'objectif des politiques publiques est bien sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, il est donc impossible de laisser croire que nous allons revenir à des milieux aquatiques tels qu'ils étaient dans le passé ou tels qu'ils seraient à l'avenir sans aucun usage humain. 

Pour sortir d'une certaine confusion des esprits, une évolution de la loi sur l'eau est sans doute nécessaire, comme nous le faisons à intervalle régulier (1964, 1992, 2006). Cette évolution devra préciser plus clairement que l'eau n'est ni un phénomène purement naturel lié à ses propriété physiques, chimiques et biologiques, ni un phénomène purement artificiel lié à ses usages sociaux, économiques et techniques, mais un phénomène hybride à la rencontre de tout cela. Cette évolution devra aussi rappeler plus fortement que l'eau comme bien commun inclut tous les usages que la société juge nécessaires et bénéfiques.

06/03/2022

Le patrimoine hydraulique exceptionnel de Clairvaux sera-t-il détruit?

 L’Etat va fermer la prison de Clairvaux, construite sur le lieu d’une abbaye cistercienne. Or, de premiers travaux de diagnostics montrent une ignorance complète de la dimension hydraulique fondatrice du site de Clairvaux, voire envisage la destruction pure et simple des ouvrages répartiteurs créant un vaste réseau annexe de biefs et sous-biefs. L’Etat laisse par ailleurs un site lourdement pollué faute de politique d’assainissement des effluents de la prison. Est-ce le comportement d’exemplarité que l’on attend de la puissance publique? Notre association et ses consoeurs montreront la plus grande vigilance sur ce dossier : la maîtrise de l’eau a fait naître Clairvaux et doit présider à sa renaissance.

 

La prison centrale de Clairvaux, où sont enfermés des détenus à longues peines, va fermer début 2023. La décision avait été annoncée en 2016 par le ministre de la Justice, et ce, malgré de récents travaux de rénovation d’un montant de 12 millions d’euros. 

Ce départ de l’administration pénitentiaire a suscité un projet de reconversion du site de Clairvaux, animé par un comité de pilotage regroupant l’État et les collectivités locales. Le site comprend une trentaine de bâtiments protégés au titre des monuments historiques, sur une surface totale de 27 000 m². La seule restauration du clos et du couvert de ces bâtiments est estimée à 150 millions € : l’enjeu est donc conséquent. Il a donné lieu à de premiers travaux de diagnostics culturels.

Pourtant, une dimension structurante du site semble oubliée : son statut de patrimoine hydraulique cistercien, où l’eau n’est pas un détail mais le guide même de l’édification des lieux. Cet oubli est d’autant plus dommageable que la France compte un réseau d’historiens de l’hydraulique monastique de réputation internationale, notamment à travers les recherches animées par Paul Benoit (voir par exemple Benoit dir 1997,  Benoit et Berthier dir 1998). 

Bernard de Clairvaux et l’hydraulique cistercienne
L'ordre cistercien est une branche réformée des bénédictins dont l'origine remonte à la fondation de l'abbaye de Cîteaux par Robert de Molesme, en 1098. Communauté vivant à l’intérieur d’une enceinte, les Cisterciens ont  grand besoin d’eau : pour la boisson des moines, pour la cuisson des aliments servis sans graisse, pour évacuer les déchets et les déjections, pour user de la puissance de l’eau à des fins de production de fer avec la première trace de forge hydraulique connu , mais aussi de farine, huile, textile (foulon), tannage (tan). La maison mère Cîteaux et ses quatre premières filles La Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond se trouvent en Bourgogne et en Champagne. 

Au milieu du XIIe siècle, un peu plus de cinquante ans après la fondation de Cîteaux, les abbayes se reconnaissant dans l’idéal cistercien constituent un ordre très solidement établi. Il connaît une extraordinaire expansion entre 1129 et 1150, au moment où l’action de Bernard de Clairvaux (1090-1153) s’impose en Europe. En 1153, à la mort de Bernard, il existe environ 350 monastères rattachés à l’ordre cistercien, dont une moitié en France (180). Depuis les sites de Bourgogne et Champagne, les abbayes disposent d’équipements hydrauliques.

Paul Benoit rappelle comment l’hydraulique a structuré le travail des cisterciens à Clairvaux (extrait de Benoit 2012) :
« Faute d’eau, ou manque d’eau en quantité suffisante, plusieurs abbayes ont dû déplacer leurs bâtiments, à commencer par Cîteaux implantée tout d’abord en un lieu qui deviendra la grange de la Forgeotte. 
L’exemple le mieux connu est celui de l’abbaye de Clairvaux. Bernard et ses compagnons arrivent en 1115 dans le Val d’Absinthe, vallon parcouru par un ruisseau affluent de l’Aube. Ils construisent sur place un monastère, appelé par la suite Monasterium vetus, qui se révèle dès les années 1130 trop petit pour une communauté en pleine croissance, tant le rayonnement de l’abbé Bernard est alors grand. Les différentes vies du saint montrent le conflit qui naît alors entre une majorité de moines souhaitant se rapprocher de l’Aube et Bernard qui estime l’opération trop coûteuse. La question est traitée sans détour par Arnaud de Bonneval dans la partie de la Vita prima qu’il rédige. Les questions financières mises en avant par l’abbé paraissent à la communauté insuffisantes face aux arguments des compagnons de Bernard, dont celui du cellérier Gérard, frère de Bernard, et selon le Grand Exorde de Cîteaux un véritable technicien. 
Un des aspects majeurs, et sans doute des plus coûteux du projet, consistait à faire venir une dérivation de l’eau de l’Aube dans l’abbaye. Déjà un bief sur l’Aube alimente alors en énergie un moulin situé à Ville-sous-la-Ferté en amont de Clairvaux. Les sources manquent de précision et les vestiges archéologiques s’avèrent peu lisibles du fait de l’entretien pluriséculaire de la dérivation qui alimentait les différents moulins situés dans l’abbaye. On ne sait si l’énorme débit qui conduit l’eau à Ville-sous-la-Ferté dont une part très importante retourne à l’Aube grâce à des vannes avant même d’actionner la roue du moulin, est dû à un travail des moines désireux de s’assurer une quantité suffisante d’eau en période de sécheresse. L’hypothèse est séduisante mais reste une hypothèse. »

Un héritage toujours vivant
Aujourd’hui et comme le montre ces cartes, le complexe hydraulique de Clairvaux est l’héritier de ces travaux commencés par les cisterciens et poursuivis pendant près d’un millénaire, ayant redessiné l’écoulement et la morphologie de la rivière et de ses biefs, afin d’alimenter entre autre une usine hydroélectrique construite à l’intérieur même de la prison.  


 Carte des archives départementales, réseaux hydrauliques de Ville sous la Ferté et Clairvaux.

 

Réseau hydraulique sur base du Plan de dom Milley, 1708

Un avant-projet a été  réalisé pour la communauté de communes de la région de Bar-sur-Aube par le cabinet SEGI en février 2020 (phase 2) avec 5 scénarios : effacement de l’ouvrage de répartition (baisse de 1,5m de la cote d’eau au niveau du moulin) ; démantèlement des vannes de l’ouvrage de répartition (baisse de 1,2m de la cote d’eau au niveau du moulin) ; démantèlement des vannes de l’ouvrage de répartition et ouverture sous le moulin (baisse de 1,7m de la cote d’eau au niveau du moulin) ; contournement de l’ouvrage ; remise en production de l’usine hydroélectrique (moulin). Une étude complémentaire est demandée par le syndicat de rivière SDDEA en  juin 2021.

En l’état, ces travaux diagnostiques posent de graves problèmes légaux.

Depuis 2021, la loi interdit de détruire l’usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques dans la restauration de continuité écologique des rivières en liste 2. En particulier les ouvrages de moulins. Donc l’ensemble des solutions visant à l’arasement ou au dérasement des ouvrages du complexe hydraulique de Clairvaux sont hors-la-loi et ne doivent plus faire l’objet du moindre financement public, y compris en études diagnostiques. 

Avant même cette interdiction, en 2016, la loi a introduit la notion de patrimoine dans la gestion durable de l’eau. L'article L 211-1 Code de l'environnement a intégré la disposition suivante : «III. – La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme.» 

En conséquence, une circulaire (18 septembre 2017) commune entre le ministère de la transition écologique et celui de la culture, a demandé d’établir un socle commun de connaissances, pour notamment intégrer le patrimoine culturel dans les études préparatoires aux travaux de restauration. Le document «Grille d’analyse de caractérisation et de qualification d’un patrimoine lié à l’eau»  ne semble pas avoir été établi et n’apparait pas dans le CCTP de juin 2021. 


Sources : photos SEGI (étude SEGI 2020, décembre 2018)

Indifférence au patrimoine… et à la pollution
Outre son désintérêt pour le patrimoine hydraulique, l’administration d’Etat a montré un manque total d’attention à la pollution. Le ruisseau qui sert d’exutoire à la prison s’appelle «la Merdeuse» : et pour cause, il fonctionne encore comme au temps des moines, n’ayant jamais été raccordé à un assainissement (Ville-sous-la-Ferté dispose pourtant d’une station d’épuration depuis 1992). 

Les riverains témoignent des matières fécales, des déchets, des médicaments. «En 2009, Jean-Jacques Skiba a commencé l'exploitation hydroélectrique du barrage des forges de Clairvaux, en aval de l'endroit où "la Merdeuse" débouche dans l'Aube. Très vite, il fait de drôles de découvertes. "Cela fait dix ans que je ramasse des médicaments, comme de la Dépakine, mais aussi des préservatifs, des milliers de cotons-tiges, des sachets de thé ou de café lyophilisé", énumère-t-il, en précisant que son ouvrage n'arrête pas tout. Cet écologiste revendiqué n'en "revient pas" que franceinfo se penche sur le problème : "J'avais écrit à un média national il y a quelques années et il ne s'était rien passé.» (voir cet article). 

Notre association, Hydrauxois, la CNERH et la FFAM sont aujourd’hui mobilisées pour suivre ce dossier. La tentative de destruction du patrimoine hydraulique de Clairvaux ou d’assèchement de ses milieux aquatiques ferait évidemment l’objet d’une plainte en justice. Nous souhaitons que les ouvrages hydrauliques soient rattachés, protégés et entretenus pour leurs miroirs d’eau  au même titre que les bâtiments classés monuments historiques du site. L’eau doit être la clé de la renaissance du site comme elle a été la clé de sa fondation cistercienne.