12/04/2017

Veut-on signer un chèque de 2 milliards d'euros pour la continuité écologique?

Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique est avare de détails sur les coûts de cette réforme, alors que le caractère exorbitant des dépenses est, depuis le début, ce qui choque profondément les élus, les riverains et les propriétaires. L'argent public est déjà rare dans la ruralité, cela ne prédispose pas à accepter des chantiers altérant le cadre de vie sans bénéfice direct pour les citoyens ni même objectifs clairs de résultats écologiques. A partir des quelques données chiffrées du rapport CGEDD sur les coûts des chantiers 2007-2012, nous pouvons produire une première estimation du coût total du classement en liste 2: il s'élèverait à 2 milliards d'euros. Cette somme exorbitante ne concerne qu'une dimension de la morphologie (continuité longitudinale) et quelques espèce spécialisées de poissons, ne produira pas par elle-même le bon état écologique et chimique demandé par l'Union européenne, n'est pas assortie d'une estimation des gains écologiques réels. Cette dépense a aussi des externalités négatives indéniables : perte d'éléments appréciés du patrimoine et du paysage, du potentiel énergétique, de la capacité de stockage local d'eau à l'étiage, de la biodiversité propre aux chutes, retenues et biefs quand ils sont détruits, etc. Nous n'avons réalisé à date que 15% de ce programme ruineux, incertain et contesté: il faut le stopper de toute urgence afin de remettre à plat l'ensemble du dispositif. Au propre comme au figuré, arrêtons les frais! 



Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique reste malheureusement flou sur le coût observé des travaux de mise en conformité. C'est pourtant, comme le reconnaissent les enquêteurs, l'un des problèmes majeurs avancés par les personnes concernées. Mais l'administration ne semble pas considérer que le réalisme économique de ses réformes mérite un examen plus attentif que cela.

Une indication macro-économique est donnée : le poste de restauration et gestion des milieux aquatiques des 10es programmes des Agences de l'eau (2013-2018) prévoit un budget de 1,361 milliard d'euros. Mais ce poste recouvre plusieurs types de chantier : continuité, reméandrage, restauration de berge, animation, etc. Les agences de l'eau ont programmé une aide sur 4 620 ouvrages pour cette période 2013-2018. En supposant que la continuité absorbe la moitié du budget actuel de restauration physique (vu l'urgence liée au caractère obligatoire du délai de 5 ans), cela signifierait que chaque ouvrage pourrait coûter en moyenne environ 147 k€ pour les seules aides publiques à l'effacement ou à l'aménagement.

Sur la base chiffrée des chantiers 2007-2012, le coût total du classement liste 2 devrait atteindre 2 milliards €
Une indication plus précise nous est cependant donnée avec les chantiers effectivement réalisés entre 2007 et 2012. L'avantage est que ce sont des opérations passées, dont le bilan est donc réaliste par rapport aux estimations (traditionnellement trop optimistes) de la planification publique.

Le nombre d'ouvrages traités est de 1377 sur cette période. Les sommes dépensées sont de 138 millions d'euros. Le montant moyen de la dépense publique des agences sur chaque chantier est donc de 100 k€. Mais les agences ne couvrent 100% des dépenses que dans certains cas particuliers (effacement en rivière prioritaire), sinon c'est plutôt la moitié du coût qui est pris en charge. On peut prendre comme hypothèse de travail que l'aide des agences représente 80% du coût final moyen de chaque chantier, ce qui fait que la mise en conformité à la continuité coûterait environ 125 k€ en moyenne par ouvrage. Certains chantiers sont peu coûteux (effacement de petits seuils isolés ou remplacement de buses), mais d'autres ont des coûts considérables (grands obstacles, ouvrages en milieu urbain ou ayant des usages impossibles à supprimer, chantiers appelant des confortements, reprofilages ou déplacements de lits, etc.). On notera que les données économiquement chiffrées des retours d'expérience de l'Onema aboutissaient à un coût moyen de 256 k€ (mais un coût médian de 85 k€, montrant la variété des chantiers et la forte dispersion de leurs budgets).

Le nombre total d'ouvrages en liste 2 est de 20.665, donc le coût total de la continuité écologique à raison de 125 k€ par ouvrage en moyenne serait de 2,58 milliards d'euros.

Même en admettant que 20% de ces ouvrages seront finalement considérés comme franchissables en l'état ou pouvant avoir une simple ouverture de vannes (chiffre très au-dessus de nos observations pour le moment), cela signifie un coût global de 2 milliards d'euros pour la mise en conformité à la continuité écologique des rivières en liste 2.

Cette estimation ne prend pas en compte les équivalents temps plein (agences, DDT, AFB, syndicats, collectivités, fédérations de pêche) des personnels publics (ou associations à agrément public) qui sont dédiés à la préparation, accompagnement et réception de chantiers de continuité écologique. Elle n'inclut pas non plus le cout des éventuels ajustements et corrections après travaux (par exemple, 200 k€ à Saint-Céré pour réparer des erreurs de conception de la continuité et la mise à sec de canaux latéraux, cas qui ne restera sans doute pas isolé).

Une urgence : redimensionner la continuité écologique et le classement, évaluer les premiers résultats avant de poursuivre
Cette somme de 2 milliards € est censée être dépensée dans les 5 ans à venir au plus tard au regard des obligations légales et réglementaires prévues dans le code de l'environnement. Et une partie non négligeable de cette somme est censée être payée par un petit nombre de particuliers ou de collectivités propriétaires des ouvrages concernés. Nous sommes évidemment dans l'excès, pour ne pas dire plus :
  • la somme est exorbitante pour la dépense publique de l'eau, qui a d'autres priorités, en commençant par celles de la directive cadre européenne sur l'eau (les obligations DCE ne sont pas superposées à celles du classement de continuité, beaucoup de rivières côtières ou de tête de bassin en bon ou très bon état DCE sont classées au titre de la continuité, donc avec des dépenses non prioritaires vis-à-vis de nos obligations européennes, ce qui représente autant d'argent non investi dans les masses d'eau n'atteignant pas le bon état écologique ou chimique, plus de la moitié en France à 10 ans seulement de l'échéance 2027),
  • la somme restant due est plus exorbitante encore pour les particuliers et petits exploitants, aucune réforme n'a jamais condamné en France une classe de citoyens à subir des contraintes économiques aussi fortes, ce qui est à l'origine d'une bonne part de l'exaspération observée au bord des rivières,
  • le délai légal d'exécution est intenable dans les programmes financiers des Agences, donc on est dans une situation surréaliste d'une obligation que l'on sait impossible à tenir mais dont on continue à prétendre qu'elle sera tenue (comme tout le monde sait que c'est faux, ce déni ruine évidemment la qualité ou même le sens de la concertation),
  • aucune évaluation sérieuse (quantifiée sur la base de méthodes scientifiques) n'est donnée de ce programme, on continue de planifier des destructions ou des aménagements sans être capable de vérifier la nature exacte des gains sur la biodiversité ni, dans le cas des migrateurs, d'exposer la hausse observée des populations par rapport à l'état initial de la rivière et par rapport au coût engagé (cela sur un échantillon de tronçons restaurés représentant tous les types de rivières concernés, et non la mise en avant de tel ou tel exemple local dont la réussite est parfois surestimée, voir cet exemple, et dont le biais de sélection fausse l'évaluation objective de l'ensemble de la réforme),
  • la continuité longitudinale n'est qu'une petite part des problèmes morphologiques de la rivière, morphologie n'étant elle-même qu'un paramètre rarement décisif du bon état écologique et chimique (une rivière altérée par des pesticides, nutriments et micropolluants ou asphyxiée par des matières fines n'aura probablement pas de gains très significatifs, même sans barrage ; de même pour une rivière n'ayant pas les pools biologiques de recolonisation des espèces d'intérêt ou les habitats ad hoc sur les tronçons défragmentés). On ne comprend pas comment on pourrait dépenser 2 milliards € sur ce seul poste tout en maintenant et même accentuant l'effort nécessaire sur les autres impacts (pour rappel le plan Ecophyto 1 est par exemple un échec complet, donc la lutte contre les pesticides devrait elle aussi exiger des efforts publics conséquents).
Comme nous l'avons montré dans un précédent article, seuls 15% du programme de continuité en liste 2 ont été réalisés à date. Il faut arrêter les frais, au sens propre comme au sens figuré. Nous demanderons au gouvernement et au parlement de stopper de toute urgence la poursuite de cette planification défaillante, afin de procéder à une remise à plat complète de ses méthodes et de ses objectifs.

Faire des essais et erreurs n'a rien de choquant: la vie comme la société procèdent ainsi, la gestion adaptative des bassins versants est fondée sur l'aller-retour entre l'expérimentation et la programmation. Observer une erreur massive, en nier la réalité et persévérer dans l'indifférence est en revanche intenable. La continuité écologique doit se ré-inventer en corrigeant les travers observés depuis 2006 et en tirant les enseignements des bonnes pratiques. Mais ce n'est pas possible d'agir intelligemment, calmement et efficacement tant que l'on reste dans le cadre pharaonique, précipité et conflictuel des arrêtés de classement de 2012-2013 et d'une obligation d'action à 5 ans seulement sur plus de 17.000 ouvrages toujours orphelins de solution acceptée et solvabilisée. Nous attendons des pouvoirs publics un retour à la raison et une redéfinition en profondeur de la réforme.

11/04/2017

Sévère constat du CGEDD sur la continuité: 85% des ouvrages en rivière orphelins de solution, la "crédibilité de l'État" fragilisée

Révélation (enfin) chiffrée officiellement du rapport CGEDD : 20.665 ouvrages hydrauliques sont concernés par le classement de continuité écologique en liste 2 (imposant une conformité sur un délai obligatoire)  mais plus de 85% d'entre eux n'ont pas fait l'objet de chantier, alors que le délai légal touche à sa fin. Au rythme de traitement observé depuis 2007 (environ 340 ouvrages par an), il faudrait encore 51 ans pour achever le programme de restauration de continuité écologique dans les seules rivières de la liste 2.  C'est donc un échec, une réforme pharaonique dont le manque total de réalisme met la pression sur les propriétaires, les riverains, les syndicats, les administrations, expliquant une bonne part des tensions et des précipitations observées sur le terrain. Le CGEDD pointe un problème majeur, admet qu'il mine la crédibilité de l'Etat mais ne donne aucune solution pour en sortir réellement. Il va falloir les trouver. Le silence, l'inertie et le pourrissement du dossier ne sont plus des options sur un sujet dont l'audit reconnaît qu'il nuit désormais gravement à l'image de la politique française de l'eau et de la biodiversité. Alors que le dialogue et le compromis sont de mise sur tous les autres impacts des bassins versants, alors que la loi française demande seulement des solutions d'équipement et de gestion tout comme l'Union européenne encourage les atténuations d'effet des ouvrages, la continuité longitudinale est le seul domaine où l'administration s'est cru investie du droit de développer un discours agressif de destruction préférentielle des sites et des cadres de vie. Avec le résultat que l'on constate. Pour sortir de cette impasse, nous proposons à la réflexion quelques hypothèses d'évolution de la continuité.



Le CGEDD fait le bilan chiffré des opérations de mise en conformité à la continuité écologique menées dans le cadre du Plan de restauration de 2009 puis du classement de 2012-2013 (chiffres valables pour fin 2015). Toutes les opérations étant aidées par les agences de l'eau (sauf les ouvertures de vanne, solution marginale aujourd'hui car peu acceptée par les administrations), c'est leur bilan qui permet de faire le point sur les chantiers. Il en ressort que :
  • 1 377 ouvrages ont été aidés par les agences sur la période 2007-2012 (PARCE),
  • 1 676 ouvrages ont été aidés depuis 2013 (classement),
  • 20 665 obstacles sont identifiés sur les cours d'eau de la liste 2
Dans la meilleure hypothèse (tous les sites traités depuis 2007 sont en liste 2), 14,7% des ouvrages ont été traités. Dans la pire hypothèse (les ouvrages 2007-2012 ne sont pas dans le périmètre des classements), ce serait seulement 6,7%. Il existe éventuellement des obstacles reconnus comme franchissables en l'état, mais nous n'avons trouvé aucune indication chiffrée à ce sujet, et l'expérience locale suggère que c'est marginal puisque même des ouvrages très modestes ou des ouvrages dont les vannes sont déjà déposées font l'objet de chantiers de mise en conformité.

En 9 ans (2007-2015), les Agences de l'eau ont bouclé 3053 dossiers, ce qui signifie 340 ouvrages trouvant une solution chaque année en moyenne. A ce rythme là, il faudrait 51 ans pour traiter tous les ouvrages restants – et encore, on peut supposer que les chantiers réalisés ont été les plus simples, ceux qui avaient un accord du maître d'ouvrage et des riverains ou qui ne représentaient pas des aménagements trop lourds (comme le chantier des barrages de la Sélune, bloqué par le gouvernement après la vive opposition locale et au regard du coût pharaonique du projet).

C'est donc un échec, puisqu'au terme du premier délai de 5 ans, alors que les propriétaires étaient censés avoir mis en conformité (ou expliqué aux administrations leur choix définitif d'aménagement), plus de huit ouvrages sur dix sont en réalité orphelins de solution viable.

Un objectif impossible qui "fragilise la crédibilité de l'État"
Le CGEDD est obligé de reconnaître dans sa conclusion que le caractère totalement irréaliste du classement des rivières affaiblit la parole publique sur ce dossier :

"Même si les réalisations et les études connaissent une forte augmentation depuis 2013 (voir point 2.2), les délais de 5 ans ne seront pas tenus et ne sont pas tenables au regard du temps nécessaire depuis les études jusqu'aux travaux, des difficultés de terrain, des moyens des services et de la faible adhésion à cette politique pendant sa période incitative.

Cette impossibilité manifeste compte tenu du nombre d'opérations avec des délais aussi contraints fragilise la crédibilité de l'État. Cette situation se répète puisque les délais de 5 ans qui préexistaient dans les classements au titre de l'ancien article L 432-6 du code de l'environnement ou des rivières réservées, n'avaient pas non plus été respectés, malgré des progrès globalement constatés au profit de la continuité.

La révision du classement des cours d'eau de 2012-2013 (voir point 2.3.1) a elle-même été très ambitieuse, se montrant aussi hétérogène selon les départements et les bassins, tant en linéaire que par rapport à la liste d'espèces-cibles pour chaque tronçon classé. Elle semble aussi irréaliste, pour ne pas dire illusoire, aux yeux de nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission, y compris parmi les techniciens des collectivités et services de l'État, tant vis-à-vis des espèces visées que des délais de mise en œuvre.

La fixation de délais plus espacés, avec un phasage dans la mise en œuvre et des objectifs intermédiaires, aurait sans doute rencontré une meilleure adhésion.

Tel n'a pas été le cas. Sauf à le réviser à la baisse, c'est le classement publié qui fixe officiellement le niveau des exigences avec un caractère exhaustif. Pourtant, la mission a eu connaissance, dans un bassin au moins, d'une instruction du préfet de bassin sur proposition du secrétariat technique de bassin (DREAL, agence de l'eau, ONEMA), invitant les services à concentrer leurs efforts sur une liste de 55 cours d'eau ou tronçons de cours d'eau au sein de la liste 2, avec localisation des ouvrages prioritaires, en deçà donc du classement officiel du bassin."

Quelles solutions pour sortir du blocage? 
Notre association comme ses partenaires de l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages ne vont évidemment pas en rester là. Après les élections, le gouvernement et les parlementaires seront saisis pour leur exposer notre lecture de ce diagnostic du CGEDD et leur demander la mise en oeuvre rapide de solutions viables.

Les propriétaires et les riverains en liste 2 ne supportent pas de vivre avec une épée de Damoclès sur les ouvrages hydrauliques, sans aucune visibilité sur leur avenir, en pleine confusion d'une réforme de continuité écologique ne cessant d'être amendée tant elle pose de problèmes d'exécution. Le nouveau délai de 5 ans consenti en 2016 n'a pas plus de réalisme que le précédent (ni que la continuité au nom du L 432-6 CE, n'ayant déjà pas été appliquée auparavant pour les mêmes raisons). Ce délai ne correspond pas au besoin (qui serait de 50 ans!) et il ne fait de toute façon que repousser le problème à plus tard, car la même politique provoquera le même rejet des options de destruction et la même insolvabilité face au coût des travaux exigés en rivière, inaccessibles à des particuliers ou des petits exploitants.

Il existe au moins quatre hypothèses de travail, qui ne sont pas forcément exclusives les unes des autres mais qui demandent un choix politique national d'orientation (soit un choix législatif si l'on change les dispositions de l'article L 214-17 CE, soit un choix gouvernemental si l'on change le périmètre des arrêtés de classement et/ou les principes d'application définis à toutes les préfectures)  :
  • on distingue les ouvrages sur une base objective – par exemple, les cinq classes de leur score de franchissabilité ICE –, on revient strictement aux poissons ayant un impératif de migrations dans leur cycle de vie, et on exempte d'obligation tous les sites qui montrent une franchissabilité partielle (0.33, 0.50 ou 0.66), ce qui permet de concentrer dans un premier temps les efforts sur un nombre plus limité d'ouvrages infranchissables à toutes espèces et tous débits (cela ne règle pas la question sédimentaire, même si elle est assez faible pour la plupart des sites classés ne bloquant pas le transit lors des crues morphogènes). Une autre hypothèse de révision "objective" serait de choisir le score IPR (notre bio-indicateur poisson lié à une obligation européenne) et d'exempter les ouvrages sur les rivières dont l'IPR est déjà bon ou excellent, car elles ne sont pas (trop) dégradées sur ce compartiment (mais cela vaut davantage pour les rivières sans grands migrateurs, puisque l'IPR n'est pas un indicateur dédié à cet aspect particulier)  ;
  • on débloque rapidement et massivement des fonds publics (agences, régions, intercommunalités) incluant le financement à 80-100% des solutions consensuelles et douces de non-destruction, puisque l'essentiel du blocage réside non dans la continuité en soi, mais dans son coût et dans le refus de casser les ouvrages et les plans d'eau (cette option aurait toutefois un coût public non négligeable en l'état des chantiers observés depuis 10 ans, de l'ordre de 2 milliards € pour les 20.000 ouvrages en liste 2, elle ne résout pas le problème du trop grand nombre d'ouvrages classés, du manque de personnel pour faire des dossiers sérieux sur les enjeux des bassins versants et prendre le temps de la concertation dans le délai imparti); 
  • on annule les arrêtés de liste 2 de 2012-2013 et on révise ce classement liste 2 à la baisse dans de nouveaux arrêtés, pour revenir à un nombre réaliste de quelques centaines à milliers d'ouvrages réellement prioritaires devant être traités, en ciblant les axes des migrateurs amphihalins menacés montrant un bon potentiel de recolonisation à court terme. Dans cette hypothèse, on vise ensuite un cycle raisonnable de classements itératifs, définis à chaque renouvellement de SDAGE (tous les 5 ans), à la condition que ces futurs classements aient une base rigoureuse, concertée et transparente sur leur enjeu écologique (processus scientifique et participatif de désignation des rivières classées), que les SDAGE soutiennent équitablement toutes les solutions (non la priorité de principe et le surfinancement du seul effacement) et que la capacité de financement de chaque programme quinquennal soit garantie au moment où paraît l'arrêté de classement (évitons de sans cesse promettre et programmer sans argent pour réaliser, un travers français...) ; 
  • on supprime dans la loi le caractère obligatoire dans un délai donné du classement en liste 2, en remplaçant cette obligation par de l'incitation et du volontariat (appels à projet effacement ou aménagement lancés par les agences en ciblant les rivières ou tronçons d'intérêt), ce qui peut être modulé s'il y a un usage industriel des ouvrages (par exemple, l'obligation de franchissabilité peut être préservée en cas de relance de projets hydro-électriques sur des sites de plus de 150 kW, dont le revenu peut amortir le coût des dispositifs). Dans cette option, la notion même de liste 2 perd son importance car toutes les rivières et tous les sites peuvent faire l'objet d'une politique de continuité avec incitation financière, ce sont les syndicats de bassin qui font remonter du terrain des opportunités d'aménagement ou d'effacement. Si la continuité se trouve ainsi généralisée à tous les cours d'eau comme un paramètre à contrôler et le cas échéant améliorer (ce qui serait logique), le risque est évidemment que les propriétaires perdent toute motivation (surtout au regard de la mauvaise réputation née de la forme actuelle de la continuité…). Mais ce risque peut être conjuré de diverses manières, si l'on se donne un peu plus de temps et d'argent pour faire bien les choses : offres d'aménagement écologique (y compris effacements) assorties d'aménagements paysagers qui valorisent les sites et leurs usages, propositions de solutions non destructrices de franchissement dans la limite du débit réservé (ce qui ne nuit pas à la consistance légale du droit d'eau et peut intéresser les propriétaires), travail avec des associations de moulins et riverains dans une logique gagnant-gagnant (où l'on ne cherche pas à imposer des solutions maximalistes contre la volonté des gens, mais à déjà montrer l'exemple et améliorer les choses où c'est possible), arrêtés préfectoraux ad hoc dans les cas où des ouvrages ont des impacts écologiques graves et démontrés, mais une inertie du propriétaire, etc. 
Et si l'on avançait ? 
Au fond, pourquoi ces réformes ou d'autres allant dans le même sens ne sont pas déjà prises ? Pourquoi persister dans une politique qui a suscité dès le PARCE 2009 (huit ans déjà) troubles et conflits, au lieu de simplement admettre la nécessité de sa révision?

Parce qu'un certain nombre d'élus et d'administrations semblent tétanisés à l'idée de reconnaître les erreurs dans la mise en oeuvre de la continuité écologique? Mais le CGEDD vient de les admettre, et le Conseil avait déjà tiré le signal d'alarme en 2012, de même que plusieurs rapports parlementaires ont posé la nécessité d'évolutions substantielles (Dubois-Vigier 2016Pointerau 2016). Le diagnostic est tout de même clair désormais, il est reconnu par des autorités indépendantes des usagers ou des riverains. Tout le monde comprend que la continuité répond à des enjeux écologiques, mais tout le monde (ou presque) admet aussi que ces enjeux ne justifient pas de proposer en première intention de tout casser, certainement pas le patrimoine ancien ou les plans d'eau appréciés localement, ni de dépenser des centaines de millions voire des milliards d'euros sans évaluer la réalité exacte des bénéfices écologiques qui en découlent. Cela sans oublier que la continuité longitudinale en tant que telle répond rarement à ce que l'Europe demande réellement à la France pour le bon état de ses masses d'eau, or notre pays a des résultats bien définis à respecter vis-à-vis de ses engagements, sans rapport direct avec les migrateurs. Ce qui implique de redéfinir nos priorités, de trouver et financer des solutions viables là où elles sont indispensables.

Parce qu'à la moindre révision efficace (donc substantielle) de la continuité, un certain nombre de lobbies pêcheurs ou environnementalistes vont crier très fort que c'est une "régression" et une "trahison"? Mais outre que ces mêmes lobbies passent leur temps à crier très fort quelle que soit la gravité réelle des enjeux concernés, ce qui n'aide pas vraiment à éduquer l'opinion sur la hiérarchie des problèmes environnementaux, c'est eux qui ont contribué à l'échec de la réforme par leur pression non argumentée en faveur du maximalisme, leur refus répété d'admettre clairement la légitimité de l'hydro-électricité et du patrimoine hydraulique, leur confusion entre des problématiques écologiques importantes et des intérêts halieutiques de second ordre, leur volonté d'importer et promouvoir en France un idéal marginal de "rivières sauvages" qui ne respecte pas les grands principes de la gestion durable et équilibrée de l'eau, leur incapacité à comprendre qu'une écologie punitive et autoritaire est une écologie régressive provoquant le recul de causes environnementales chez les riverains et semant le conflit entre les usagers de la rivière. Donc on peut en effet choisir d'écouter ces lobbies, mais on constate tous les jours l'impasse où cela nous a mené! Par ailleurs, il existe un consensus parlementaire très large sur le fait que les chaussées et barrages n'ont pas vocation à être détruits en première intention, même chez les représentants des élus écologistes, donc la question se pose de la légitimité démocratique réelle des lobbies qui s'accrochent à des positions aussi radicales et refusent d'admettre que les ouvrages ont aussi des intérêts pour les riverains.

Il serait temps de sortir de ces postures de conflictualité détestable dont la France a le secret, de reconnaître une bonne fois pour toutes le droit d'existence des ouvrages hydrauliques autorisés et de se mettre autour d'une table pour faire de l'écologie avec des méthodes acceptables, des objectifs partagés et des visées pragmatiques.

Illustration : le seuil Nageotte d'Avallon (rivière Cousin) qui, comme les trois-quarts des chantiers financés par l'Agence de l'eau Seine-Normandie, a été détruit.

09/04/2017

18 769 moulins en France? Un inventaire imprécis et un chiffre minimisé

Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique reprend le chiffre de 18 769 moulins en France (dont 5 811 menacés sur les rivières classées en liste 2). Nous rappelons dans cet article que les moulins ne sont pas les seuls éléments d'intérêt patrimonial, paysager ou esthétique des rivières. Nous montrons surtout que le système de comptage utilisé par l'AFB et le CGEDD (mention "moulin" dans la base ROE de l'Onema) n'intègre pas l'ensemble des anciennes chaussées de moulin sur les rivières. Il existait plus de 100 000 moulins à leur apogée du XIXe siècle, leur nombre exact aujourd'hui reste hélas inconnu. Plusieurs pistes sont proposées pour parvenir à un comptage plus réaliste.


Voici l'extrait du rapport CGEDD 2016 à ce sujet (p. 8 du rapport complet) :
Le Référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE) de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) constitue la seule base de données nationale permettant d'approcher la réalité des ouvrages transversaux sur les cours d'eau. Cette base a beaucoup progressé au cours des deux dernières années et le nombre d'ouvrages ainsi que la description de chacun d'entre eux vont encore être complétés à l'avenir.Au début de l'année 2016, le ROE identifiait 87 479 obstacles sur l'ensemble du linéaire des cours d'eau français, soit un obstacle tous les 5 km en moyenne. (…) 
Parmi ces obstacles, il est possible avec le ROE d'approcher le nombre de seuils de moulins ou d'anciens moulins, en comptabilisant les ouvrages dont le nom comprend le terme "moulin" : une certaine prudence est de mise pour utiliser ces résultats, mais il n'existe pas d'autre source au niveau national. Une telle définition du "moulin" est à la fois : 
• restrictive dans certains cas, puisqu'il existe aussi de véritables "moulins" qui possèdent d'autres dénominations, par exemple celles évoquant leurs usages (forges, filatures, scieries,...) ; 
• trop large dans d'autres cas, car si à l'origine la plupart des seuils en rivière ont été construits pour alimenter un moulin, de nombreuses installations ont par la suite évolué ou disparu pour dériver l'eau à des usages ne nécessitant plus la force motrice de l'eau (irrigation, eau potable, pisciculture, étang,...). 
Ces précautions d'interprétation étant prises, le ROE recense 18 769 "moulins" sur l'ensemble des cours d'eau dont 5 811 "moulins" sur ceux de la liste 2. L'annexe 6 détaille l'ensemble de ces données et les présente par bassins en fonction du classement des cours d'eau.

Avant d'examiner ces données, plusieurs remarques.

D'abord, la question du patrimoine hydraulique ne se réduit pas aux moulins strito sensu : les forges, étangs, lavoirs, douves, canaux, ponts, barrages, écluses, etc. ont également une dimension patrimoniale et esthétique. Le plus souvent, ces éléments existent par des obstacles à l'écoulement permettant de dériver l'eau d'une rivière ou représentent eux-mêmes un obstacle sur la rivière.

Ensuite, la transformation d'un moulin en un autre usage que sa destination originelle ne lui fait généralement pas perdre le statut originel de moulin au plan juridique ainsi qu'au plan du ressenti par son propriétaire. Des petites centrales hydro-électriques ou des demeures d'agrément sont aujourd'hui couramment perçues comme des moulins, ou bien s'inscrivent dans la ré-invention de ces moulins, montrant au passage que ce patrimoine est vivant et peut changer de destination au fil des époques.

Pour ce qui est des chiffres donnés par le CGEDD à la lumière des informations de l'AFB (ROE Onema), voici quelques raisons pour lesquelles le nombre exact de moulin est plus élevé que l'évaluation de 18.769 sites.

Données historiques - Depuis l'inventaire napoléonien (enquête sur les moulins à blé lancée par la Commission des subsistances, 1809) jusqu'aux statistiques de forces motrices, les recensements suggèrent la présence de 80.000 à 110.000 ouvrages hydrauliques que l'on peut aujourd'hui considérer comme d'intérêt historique et patrimonial pour ceux d'entre eux qui ont survécu (voir par exemple Nadault de Buffon 1841 vers leur probable maximum). Ces diverses statistiques avaient jusqu'en 1945 une vocation économique et industrielle, donc elles sont muettes sur les ouvrages encore présents mais ayant perdu leur vocation de production, parfois sur les ouvrages trop modestes pour que les taxes d'usage soient prélevées (abandon progressif de la "taxe de statistique" dans les années 1920 et 1930). Avec le temps (exode rural, déclin de la meunerie traditionnelle et de la proto-industrie à force hydraulique), ces ouvrages sans usage (donc absents des statistiques) sont progressivement devenus majoritaires. Par exemple, plus de 30.000 ouvrages hydrauliques produisaient encore au début des années 1930 (Statistique de le production de 1931), mais ce chiffrage économique ne correspond pas à la totalité du patrimoine historique alors en place sur les rivières. Il est raisonnable de penser qu'il y a eu de l'ordre de 100.000 moulins en France à leur apogée au XIXe siècle. On considère qu'il y a plus de 500.000 km de linéaire de cours d'eau en incluant tout le chevelu de tête de bassin, donc cela ferait une moyenne d'un moulin tous les 5 km (chiffre cohérent avec les observations, sachant que les rivières moyennes sont les plus densément équipées par rapport aux très petites rivières et aux fleuves). Une proportion de ces moulins a disparu par démolition ou par défaut d'entretien et destruction naturelle (crue), mais une disparition de 80% d'entre eux paraît très peu probable au regard de la bonne concordance (généralement supérieure à 50%) observée aujourd'hui entre les cartes anciennes d'Ancien Régime et les ouvrages toujours présents. En 2006, le rapport Dambrine sur la relance de l'hydro-électricité avait estimé à 30.000 le nombre de moulins encore présents et faciles à équiper au plan énergétique, sans fournir de chiffre global incluant les autres ouvrages de moindre intérêt énergétique. (A noter : si la disparition de 80% des ouvrages de moulins avait été avérée, cela aurait signifié un impact en très forte régression tendancielle, rendant encore plus douteuse leur implication dans la détérioration de la qualité des rivières au XXe siècle.)

Données ROE - Le CGEDD se fonde uniquement sur les informations fournies par l'Onema à travers le référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE). Or, l'examen des descripteurs du ROE montre que la mention "moulin" est loin de correspondre à une donnée précise ou exhaustive. Ainsi, le ROE mentionne souvent des notions comme "barrage", "digue", "radier", "écluse", "retenue", "déversoir", "vannage", "seuil" qui sont en fait pour certains des chaussées de moulin (sans que le mot "moulin" n'apparaisse pour autant). Le ROE choisit parfois des descriptions de moulins par leurs noms d'usage liés à une spécialisation ou à une électrification ("foulon", "scierie", "forge", "usine", "centrale"). Enfin, le ROE se contente aussi parfois d'une indication géographique sans précision d'origine ou d'usage ("seuil de …"), Donc, en terme de provenance des ouvrages au plan historique comme de droit d'eau au plan juridique, le ROE ne peut pas être considéré comme une source précise si l'on se contente de chercher la mention "moulin". A sa décharge, ce n'était pas sa fonction lors de sa création.

Données locales - Sur les cours d'eau que nous connaissons de manière directe par notre action associative (Armançon, Serein, Cousin, Seine amont et affluents), la majorité des obstacles transversaux encore présents aujourd'hui correspond à des seuils de moulins, forges ou étangs, qui sont déjà présents sur les cartes de Cassini ou les cartes de l'abbé Delagrive. Il n'y a pas lieu de penser que la Bourgogne diverge radicalement des autres régions françaises, même si elle présente des particularités historiques comme le flottage du bois dans sa partie sequanienne (création d'étangs).

Conclusion : intégrer un descripteur historique dans la base ROE, un enjeu de connaissance
La manière la plus rigoureuse d'estimer le nombre de moulins et étangs fondés en titre ou réglementés avant 1919 encore en place serait d'en demander l'inventaire aux DDT-M, puisque ces services ont en charge la gestion des droits et règlements d'eau, disposant au moins des archives pour les seconds (un droit d'eau fondé en titre n'a pas forcément d'autorisation administrative écrite, donc pas toujours de visibilité d'archivage). Lors du classement des rivières de 2012-2013, les services DDT-M ont adressé des courriers à chaque propriétaire, en précisant parfois la question du droit d'eau, ce qui signifie qu'ils disposent déjà d'une base de travail a priori plus précise que le ROE de l'Onema. Il serait souhaitable que le ministère de l'Ecologie procède à cet inventaire administratif, et il est dommage que le CGEDD n'en ait pas perçu la nécessité dans une visée patrimoniale pourtant mise en avant dans le rapport.

Une option complémentaire serait d'enrichir le ROE de l'Onema (AFB aujourd'hui) de descripteurs historiques et patrimoniaux, à partir d'une méthodologie construite à cette fin avec les Drac, les Dreal et l'AFB. Cette hypothèse s'inscrit dans la logique du rapport du CGEDD visant à intégrer le patrimoine dans la politique publique. En mode participatif (si la méthode retenue le permet), il serait possible d'associer les fédérations de moulins et leurs associations adhérentes dans ce processus d'inventaire plus complet. Cette option aurait aussi des avantages pour la recherche écologique en histoire de l'environnement, car un descripteur d'ancienneté des ouvrages peut aider à modéliser l'évolution des populations piscicoles (par exemple, comparer des rivières très anciennement fragmentées avec des rivières sans obstacles et des rivières à obstacles récents, pour analyser s'il existe des différences significatives). Il pourrait également être utile de signaler les ouvrages connus jadis mais disparus, pour les mêmes raisons de compréhension dynamique des évolutions morphologiques et biologiques au fil du temps.

Illustration : la forge de Quemigny-sur-Seine (en cours de restauration) et son étang. Les moulins ne sont pas les seuls éléments patrimoniaux d'intérêt des rivières.

06/04/2017

Le CGEDD appelle à une réforme complète de la politique de continuité écologique


Le CGEDD (conseil général de l'environnement et du développement durable) est une instance administrative en charge  de procéder à des audits des politiques publiques. Suite à la demande de la ministre de l'Ecologie en décembre 2015, deux inspecteurs ont enquêté pendant une année sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Leur rapport vient d'être rendu public. Dans ce premier article, nous publions les 15 recommandations avec un rapide commentaire. Dans l'ensemble, si le CGEDD souligne que certaines opérations de restauration sont des succès, il constate et appelle à dépasser les nombreuses carences que nous avons exposées depuis 5 ans : mauvaise prise en compte de l'énergie, du patrimoine, du paysage et des usages riverains par la politique de l'eau ; nécessité d'un bilan rigoureux des opérations de continuité et d'une veille scientifique aujourd'hui quasi-inexistante ; intégration des représentants des moulins dans l'ensemble des instances de concertation et délibération, dont ils sont exclus ; changement d'orientation de la politique des ouvrages lors des renouvellements des SAGE et des SDAGE. Dont acte. Certaines recommandations sont discutables, et une en particulier est tout à fait inacceptable pour le monde des moulins (annulation automatique des droits d'eau fondés en titre en cas de non usage). Quoiqu'il en soit, l'enseignement le plus évident et le plus massif de ce rapport est que la continuité écologique a besoin de réformes de fond. Le déni de cette réalité par la direction de l'eau et de la biodiversité, les agences de l'eau, les syndicats et établissement de bassin ou les lobbies FNE-FNPF n'est plus tenable. Tous les députés et sénateurs devront être informés des conclusions de ce rapport pour la révision (déjà lancée au Sénat) de la loi sur l'eau de 2006.


Les textes ci-dessous en caractère gras sont extraits de la synthèse du rapport CGEDD. Nous reviendrons dans plusieurs articles à paraître sur des détails intéressants du rapport complet.

Orientation globale du CGEDD

"La notion de bon état écologique, trop souvent présenté comme un concept scientifique, ne relève pas que de la science écologique. C'est à la société de lui donner une déclinaison opérationnelle. La notion de bon état, comme celle de bon potentiel, incite à se poser les questions : bon état pour quoi ? Bon état pour qui ? Pour la santé humaine ou pour celle des poissons ? Pour produire de la biomasse ou pour satisfaire des besoins ludiques ? Pour contribuer à l'économie industrielle ou pour satisfaire les mouvements militants ? Pour répondre aux exigences de Bruxelles ou pour améliorer notre cadre de vie ? Ce qui renvoie, selon le cas, à des questions relatives soit au fonctionnement écologique, soit aux usages des systèmes, soit encore à des considérations éthiques ou esthétiques."
Christian Lévêque

Cette citation est extraite de l'ouvrage récent de Christian Lévêque, dans lequel les cours d'eau sont examinés avec une vision scientifique élargie aux aspects historiques, patrimoniaux, économiques, culturels et sociologiques. La continuité écologique y est présentée comme l'une des composantes d'une politique de l'eau. C'est justement une telle approche que la mission propose de promouvoir.
A l'issue de ses travaux et après avoir rencontré une large variété de cas, entendu un grand nombre et une forte diversité d'interlocuteurs, la mission a pu faire la part entre les réussites, les difficultés et les blocages rencontrés dans les opérations de restauration de la continuité écologique qui concernent les moulins.
La mission a constaté que ces blocages ne se réduisaient pas aux deux seules questions patrimoniales et énergétiques, mais qu'ils touchaient aussi les fondements même de la restauration de la continuité écologique.
C'est pourquoi la mission souscrit à la nécessité d'une vision renouvelée et élargie de cette politique. L'application, en synergie, des trois lois structurantes pour ce dossier et relatives à la biodiversité, au patrimoine et à la transition énergétique doit trouver un terrain d'application et de convergence sur le cas des moulins : une fois que services, propriétaires et associations s'en seront approprié les objectifs ils pourront définir, dans les spécificités de chaque situation, des solutions conciliant les différents enjeux, sous le signe du développement durable et dans une logique "gagnant-gagnant".
Il paraît en effet aujourd'hui souhaitable de rechercher − et possible d'obtenir ‒ un meilleur équilibre entre les trois objectifs de continuité écologique, de valorisation du patrimoine lié à l'eau et de développement des énergies renouvelables.
C'est dans ce sens et cet état d'esprit que la mission a établi ses propositions et recommandations, afin de contribuer à l'atteinte de cette nouvelle ambition.
Une telle approche nécessitera très certainement du temps, ainsi que des amendements complémentaires aux outils de la politique de l'eau, qui sortent du champ de la présente mission. Sa mise en œuvre requiert, au-delà des recommandations de la mission, un signal politique fort de la part de l'État mais aussi un engagement important des collectivités territoriales.


Nous partageons le constat, et nous nous réjouissons que le point de vue équilibré de Christian Lévêque en anime la philosophie. En effet, la continuité écologique ou plus largement la restauration de cours d'eau n'a pas besoin d'une réforme cosmétique, mais d'une refondation démocratique sur la base d'une vision élargie et ouverte de la rivière. Notre association a toujours souligné que la continuité écologique est un outil légitime de gestion des cours d'eau et de leur biodiversité, à la condition expresse qu'elle ne soit pas dogmatique ou précipitée dans sa mise en oeuvre, partielle dans ses objectifs ni irréaliste dans ses coûts.

Un "signal fort" de l'Etat, c'est ce que nous attendons, mais n'obtenons pas (autrement que dans des déclarations non suivies d'effet de telle ou telle personnalité politique). Le contenu de ce signal est pourtant simple : la reconnaissance explicite par l'administration que le patrimoine hydraulique est un élément légitime des rivières françaises, et que ces rivières n'ont pas vocation à être systématiquement "renaturées" dans l'ignorance de leur évolution historique, sociale et économique. Un peu plus qu'un signal, c'est donc un changement de paradigme qui est nécessaire, fondé sur la réalité des dimensions multiples de la rivière.

1. En préalable à tout nouveau projet de restauration écologique, mettre en place une démarche territoriale concertée de type SAGE, grâce à laquelle, à l'issue d'un diagnostic approfondi, les objectifs et les moyens de la restauration à l'échelle d'un axe ou d'un bassin versant seront établis de manière partagée. Ces diagnostics territoriaux devront intégrer la perspective du changement climatique et comprendre:
- un volet consacré aux paysages et au patrimoine lié à l'eau, dont celui des moulins,
- une analyse du potentiel de petite hydroélectricité sur le territoire,
- une analyse des autres usages des seuils,
- un volet consacré à la problématique de franchissabilité des seuils pour les pratiquants d'activités nautiques non motorisées (dont canoë-kayak),
- une réflexion sur les pollutions agricoles diffuses.

Nous sommes d'accord avec cette proposition, le fait qu'elle soit formulée signale combien les SAGE (ou contrats globaux) actuels sont incomplets. C'est aussi vrai pour les SDAGE. Nous demandons que les attendus de cette révision soient inscrits dans les parties législatives et réglementaires du code de l'environnement, afin d'être opposables aux établissements publics en charge de l'eau et de signer l'engagement durable de l'Etat dans une approche pluraliste de la rivière.

2. Sur la base des propositions de la mission et du groupe de travail national sur les moulins patrimoniaux, transmettre aux préfets une méthodologie de reconnaissance d'un "moulin patrimonial" validée par le ministère de la culture et de la communication et le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Leur demander de prendre en compte le statut patrimonial ainsi défini, voire sa labellisation à terme, lors de la programmation, de la conduite et du suivi des opérations, ainsi que dans le mode de financement.

Pourquoi pas, mais une telle méthodologie doit être concertée avec les associations. Nous n'accepterons pas davantage l'arbitraire administratif dans l'évaluation patrimoniale que nous ne le tolérons aujourd'hui dans l'évaluation écologique, avec des "moulins à deux vitesses", ceux qui auraient un intérêt et ceux qui n'en auraient pas. Il existe de très nombreuses expériences de moulins (ou forges) ayant un piètre aspect au moment de leur achat, mais qui ont été remarquablement restaurés par leurs propriétaires. On doit donc avant tout encourager cette restauration patrimoniale, sans se contenter de "muséifier" un panel de moulins d'ores et déjà restaurés.

3. Lorsque le diagnostic territorial aura fait apparaître un réel potentiel mobilisable, qu'une orientation en faveur de l'équipement des seuils pour la production hydroélectrique aura été donnée par le maître d'ouvrage de la démarche territoriale et que le propriétaire aura décidé de s'engager dans l'étude d'un projet de mise en service de son seuil pour l'hydroélectricité, alors les études de projets individuels de restauration de la continuité écologique devront intégrer un volet consacré à l'hydroélectricité, de manière à rendre cohérentes les deux démarches.

Nous sommes d'accord avec cette proposition (voir notre article sur la nécessité de travailler sur le taux d'équipement des rivières). Mais nous mettons une réserve : si le "potentiel" de quelques kW des moulins est souvent jugé négligeable par les autorités en charge de l'eau ou de l'énergie, il ne l'est nullement pour le propriétaire qui peut assurer tout ou partie de sa consommation d'énergie. Le point de vue macro-économique seul ne doit pas prévaloir pour les moulins de faible puissance, pas plus qu'il ne prévaut au demeurant pour toutes les autres solutions individuelles de transition énergétique (pompe à chaleur, panneau solaire, chauffage bois, etc.)  Là encore, nous refuserons tout régime inégal où les "bons" moulins seraient uniquement ceux qui disposent de plusieurs dizaines ou centaines de kW de puissance et où tous les autres (bien plus nombreux) seraient classés comme sans intérêt, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui.

4. Développer, à l'initiative de chaque agence de l'eau et pour chaque bassin, un programme pluriannuel de suivi des milieux concernés par les opérations de restauration de la continuité écologique, à l'échelle d'axes de cours d'eau ou de bassins versants, avec un nombre représentatif de la diversité des cours d'eau du bassin et un protocole minimal défini à l'échelle du bassin. Ce suivi devra inclure la réalisation d'un état initial des milieux aquatiques avant travaux et d'un état après travaux, puis être poursuivi au fil du temps avec une évaluation écologique.

C'est une urgente nécessité, le CGEDD acte ici notre constat : les retours d'expériences sur la continuité sont aujourd'hui insuffisants, souvent sélectifs et non pas choisis aléatoirement (pour éviter tout biais de confirmation), sans méthodologie transparente et réplicable, etc. Mais attention au protocole de suivi, qui doit être construit en concertation, cohérent à travers les agences de bassin et bancarisé pour ses résultats : ce protocole ne saurait concerner uniquement la présence ou l'absence de migrateurs, ni une estimation (peu normalisée à date) de l'attractivité morphologique. Il faut que l'ensemble des scores de qualité écologique pertinents (et intervalidés en Europe) soient suivis, que l'échantillonnage avant chantier soit spatialement et temporellement représentatif, que les résultats soient détaillés (nature exacte des évolutions densité, biomasse, richesse spécifique, etc.), que les typologies théoriques anciennes et non mises à jour scientifiquement soient abandonnées, que la pollution chimique avant / après soit aussi étudiée et, dans certains cas témoins, qu'une analyse complète de biodiversité avant /après soit menée. En face, il faut bien sûr mettre les coûts économiques directs et indirects de la restauration de continuité, si possible une évaluation avant / après en service rendus aux citoyens par les écosystèmes. Le rapport du CGEDD est trop imprécis sur ces exigences.

5. Associer les propriétaires de moulins par une représentation dans les comités de pilotage des programmes territoriaux de restauration de la continuité mis en place par les collectivités et prévoir de les entendre lorsque leur projet est examiné par ce comité.
Assurer un pilotage et réaliser une évaluation des programmes et projets de restauration de la continuité écologique des cours d'eau au niveau de chaque bassin, par une instance existante du comité de bassin, associant pour l'occasion les représentants des propriétaires de moulins ainsi que les DRAC ou leur représentant.
Élargir la commission administrative de bassin à la DRAC du bassin qui serait désignée à cet effet.

Nous sommes évidemment d'accord avec cette proposition, qui reconnaît l'absence actuelle de concertation et de représentation des principaux concernés par la continuité, ainsi que l'indifférence manifestée par l'administration de l'eau envers les questions culturelles.

6. Organiser une véritable veille scientifique en matière de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, à l'intention de tous les acteurs.
Solliciter un avis des conseils scientifiques du CSPNB, de l'AFB et des comités de bassin qui en sont dotés, afin d'orienter la stratégie de restauration de la continuité écologique au niveau national et au niveau des bassins.
Veiller à ce que les conseils scientifiques de l'AFB et des comités de bassin soient davantage pourvus dans les disciplines des sciences humaines, du paysage, de l'histoire et du patrimoine.

S'il faut organiser une "véritable" veille, c'est que celle aujourd'hui menée est très insuffisante. C'est notre cheval de bataille avec plus de 100 recensions d'articles scientifiques sur la restauration physique ou sur les ouvrages hydrauliques (nous reviendrons dans le détail sur le désaccord entre le CGEDD et Hydrauxois à propos de Van Looy et al 2015, point assez mineur au demeurant). Mais là encore, nous serons très vigilants dans la mise en oeuvre : il est notoire que les chercheurs en écologie ne développent pas tous les mêmes paradigmes scientifiques, que les travaux publiés ont des robustesses très variables dans leur méthodologie, leurs outils statistiques et l'évaluation de leurs incertitudes, qu'une bonne part de la littérature est "grise" donc à fiabilité assez faible, etc. Nous sommes très favorables à une expertise scientifique collective, que nous avons demandée aux agences de l'eau (le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC a décliné), mais à condition qu'elle soit faite dans des conditions comparables à ce que pratiquent dans d'autres domaines le monde de la recherche et les établissement scientifiques (Inserm, CNRS, etc.). Ainsi par exemple, le travail récent mené par l'Agence de l'eau RMC (cité par le CGEDD) ne répond pas du tout à ce cahier des charges : nous avons montré que la littérature scientifique disponible sur l'impat des ouvrages est loin d'y être analysée en totalité, voire d'y être correctement interprétée pour certains résultats (cf cette recension).

7. Constituer au niveau départemental un groupe de travail au sein de la CDNPS, instance de médiation, de validation et d'arbitrage du volet patrimonial, pour suivre le processus de mise en conformité des "moulins patrimoniaux".

Même réserve que pour la proposition n°2.

8. Demander à la DEB, au titre de la politique de l'eau, d'organiser un pilotage intra et interministériel du programme de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, dont le champ se verra élargi, en renforçant la coordination avec la DGEC (hydroélectricité), la DHUP (sites et paysages), la DGPR (risques naturels) et la DGITM (cours d'eau navigables) au sein du MEEM et en la développant avec la DGPAT (architecture et patrimoine) du ministère de la culture et de la communication (MCC).

Entièrement d'accord avec ce pilotage élargi, qui reflète la diversité des dimensions de la rivière et de ses ouvrages.

9. Actualiser les instructions aux préfets sous la forme d'une circulaire interministérielle tenant compte d'un élargissement du champ de la politique de restauration de la continuité écologique.
Sans attendre, préciser les modalités de mise en œuvre du nouveau délai de cinq ans prévu par la loi sur la biodiversité, en abordant en outre les modalités de contrôle et les suites à donner aux situations non conformes et en insistant sur le contrôle des obligations d'entretien des ouvrages.

Nous attendons de lire la circulaire en question. Après 10 ans de dérive, il va sans dire que l'on est sceptique sur la capacité de la direction de l'eau et de la biodiversité à modifier ses vues et à interpréter de bonne foi la volonté manifeste des parlementaires de protéger désormais les moulins. Mais nous ne demandons qu'à être contredit !

10. Adapter et faire converger les règles de financement des agences de l'eau en matière de restauration de la continuité écologique des cours d'eau.

En ce domaine, le rapport CGEDD insiste insuffisamment sur le problème n°1, l'insolvabilité de la réforme par les charges exorbitantes pesant sur des particuliers ou petits exploitants (dizaines à centaines de milliers d'euros pour chaque chantier, ce qu'aucune loi n'a jamais demandé à une classe de citoyens!). Nous refusons totalement la prime actuelle à 100% de financement pour l'effacement des ouvrages, choix idéologique (et de notre point de vue contraire au texte comme à l'esprit de la loi de continuité). Poser a priori un régime financier incitatif vers les solutions les plus radicales, c'est avancer des positions dogmatiques selon lesquelles un effacement serait toujours bon pour la biodiversité (ce qui n'est pas démontré au-delà des seuls migrateurs et ce qui est manifestement faux sur certains sites), sans compter l'indifférence totale aux dimensions non-écologiques dont le CGEDD lui-même rappelle l'importance. Cette posture est totalement incompatible avec la prétention à faire du "cas par cas" (puisqu'on décide à l'avance que la destruction est préférable), donc elle ruine la crédibilité de la parole publique et la possibilité même d'une concertation. Nous appelons d'ores et déjà les associations à saisir tous les élus des comités de bassin pour que le 11e programmes 2019-2024 des Agences de l'eau abolisse une fois pour toutes cette clause scélérate de la prime à la casse, qui est un casus belli symbolique pour les moulins, mais surtout l'expression manifeste d'un parti-pris indigne d'une politique publique de la rivière et incompatible avec une réussite de la continuité.

11. Étudier un élargissement de l'action de labellisation de la Fondation du patrimoine permettant aux propriétaires de moulins reconnus comme patrimoniaux de bénéficier de déductions fiscales pour les travaux de restauration de la continuité écologique, assorties d'une ouverture au public.

Nous sommes favorables à cette proposition, même réserve que les points 2 et 7.

12. À l'occasion du prochain renouvellement des comités de bassin (2020), assurer une représentation des associations de valorisation des moulins au sein du collège des usagers non économiques de l'eau.

Nous sommes bien sûr favorables à cette proposition, voir le point 5.

13. Dans la perspective de la troisième génération de schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour 2022-2027, réfléchir dès à présent à une prise en compte accrue des patrimoines liés à l'eau dans leurs orientations.
Établir une note méthodologique pour les services traitant de l'articulation entre la Directive cadre sur l'eau, la Directive européenne sur les énergies renouvelables et la Convention européenne sur les paysages.
Expertiser et, si nécessaire, faire évoluer la portée des SAGE en termes patrimonial et énergétique.

Nous sommes favorables à cette proposition.

14. Mettre à l'étude, dans le cadre de la préparation des XIes programmes d'intervention des agences de l'eau, une modification de la redevance "obstacle" comme levier supplémentaire de la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, afin de rendre cette redevance plus incitative et plus juste en répartissant mieux les efforts.

Il s'agit d'étendre la redevance obstacle (perçue aujourd'hui pour les ouvrages de plus de 5 m) à tous les ouvrages de plus de 1 m. Nous avons plusieurs réserves sur le principe : pourquoi lever une taxe alors que désormais, les agences et les syndicats refusent le plus souvent de cofinancer les travaux d'entretien des ouvrages et vannages (ce qu'ils faisaient encore jusque dans les années 1990), donc que le propriétaire en assume seul le coût d'entretien? Pourquoi les propriétaires devraient payer une taxe sur les ouvrages dont le revenu fiscal sert à détruire d'autres ouvrages, finalité que nous dénonçons fermement comme contraire à l'intérêt général? Combien coûtera la collecte de cette taxe, vu le nombre d'ouvrages, et sera-t-elle seulement à bilan positif vu les équivalents temps-plein nécessaires? La condition préalable de discussion de cette évolution fiscale paraît que l'Etat s'engage formellement à respecter les ouvrages au lieu de les détruire, tout en considérant que l'aide publique à leur entretien participera à l'avenir d'une bonne gestion de la rivière. Mais globalement, il faut mener une réflexion critique et chiffrée sur les effets pervers du régime taxe-subvention, qui a montré en de nombreux domaines son inefficacité (et qui a abouti si souvent au détournement progressif de sa finalité d'origine). Au regard des résultats médiocres de la politique française sur la qualité écologique et chimique de l'eau, malgré plus de 2 milliards d'euros dépensés chaque année par les Agences de bassin, nous sommes davantage en situation d'exiger l'évaluation par la Cour des comptes de l'efficacité de la dépense publique sur les rivières qu'à signer un blanc-seing à l'expansion de la fiscalité qui la nourrit…

15. Instaurer une procédure de déchéance des droits fondés en titre qui ne seraient pas utilisés à compter d'un certain délai, par exemple le second délai de cinq ans après publication des classements des cours d'eau, et rendre ces droits non transmissibles.

Nous sommes en absolue opposition avec cette mesure, et nous saisirons l'ensemble des élus pour repousser toute évolution législative en ce sens. D'abord, le CGEDD reconnait in fine que l'intérêt des moulins ne se limite plus aujourd'hui à l'énergie comme jadis, donc le droit d'eau s'est trouvé investi d'autres significations avec le temps (il est le droit de conserver une certaine consistance légale des écoulements attachés au génie civil hydraulique d'un bien, que ces écoulements servent pour l'énergie, mais aussi pour l'agrément, le patrimoine, le paysage, les usages, etc.). Au-delà des moulins, étangs, piscicultures et ouvrages d'irrigation dépendent parfois de ce régime. Ensuite et surtout, s'il n'y avait pas eu la protection juridique des droits d'eau fondés en titre ou sur titre, rien n'aurait pu s'opposer efficacement à la politique arbitraire et brutale de destruction des ouvrages par l'Etat. Car une chose est claire à la suite de la séquence 2006-2017 dont le CGEDD fait le bilan : des fonctionnaires centraux ou territoriaux sont prêts à appuyer froidement sur des boutons pour harceler les maîtres d'ouvrage, détruire leurs propriétés et faire disparaître le patrimoine hydraulique de nos rivières. Il faudra davantage qu'un rapport pour apaiser la défiance et la colère des propriétaires et riverains, et la violence institutionnelle de l'Etat n'incite en rien à abandonner la seule vraie protection juridique dont bénéficient leurs ouvrages. Nous utiliserons donc tous les moyens à notre disposition pour conserver le droit à l'existence des moulins comme garantie ultime face aux dérives administratives.

Conclusion : et maintenant ?
Constatant que sur les 11 recommandations de son premier rapport en 2012, neuf n'ont pas été réellement suivies d'effets (voir notre article à ce sujet), le CGEDD déplore cette inertie de l'Etat et observe : "Il est regrettable que quatre années aient ainsi été perdues, ce qui, à n'en pas douter, a contribué à aggraver ces difficultés".

On ne saurait mieux dire.

Mais on s'inquiète évidement du destin de ce nouveau rapport, publié par le ministère de l'Ecologie en pleine période de transition politique. Est-ce à dire qu'une fois de plus, les autorités administratives en charge de l'eau choisiront les seules recommandations qui les avantagent, se gardant bien de mettre en oeuvre celles qui dérangent leur routine ou déplaisent à leurs convictions? Que le travail du CGEDD sera pour l'essentiel enfermé dans un tiroir, afin de persister dans la confrontation avec les ouvrages, d'opposer encore et toujours aux riverains le dogme si peu partagé de la renaturation des rivières, de privilégier outrageusement les positions de quelques lobbies de la casse?

La réponse à ces questions tiendra notamment dans la capacité des représentants des moulins, riverains, étangs, forestiers, hydro-électriciens, protecteurs du patrimoine et du paysage à saisir leurs élus pour leur faire partager les principaux constats du CGEDD et pour aller plus avant dans l'adaptation nécessaire de la continuité écologique aux réalités de terrain.

Les plus importantes réformes sont devant nous : restons unis, fermes et solidaires!