20/02/2022

L'Office français de la biodiversité, meilleur ennemi de la transition énergétique

 Consulté dans le cadre de la programmation pluri-annuelle de l'énergie, l'Office français de la biodiversité vient de publier une nouvelle note incendiaire contre l'hydro-électricité, accusant les petits ouvrages comme les grands barrages de tous les maux des rivières. Le raisonnement des auteurs de cette note mène à des aberrations intellectuelles : aucune source d'énergie ni aucune activité humaine alimentée par cette énergie n'existant sans modification des milieux, nous ne devrions rien faire. Reprocher à l'hydro-électricité et aux ouvrages hydrauliques d'avoir changé les régimes des rivières au fil de l'histoire ne mène à aucune réponse constructive face au défi du changement climatique. Cela contribue à aggraver le retard de la France dans la transition bas-carbone, alors que nous avons une génération pour faire disparaître le fossile représentant 70% de nos usages d'énergie. 


Le Conseil supérieur de la pêche (dont le principe fut acté sous Pétain) était devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema, 2006) avant de devenir l'Office français de la biodiversité (OFB, 2019), établissement public de l'Etat. 

Comme nous l'avions montré à de multiples reprises à l'époque de l'Onema, les personnels publics d'expertise sur les milieux aquatiques ont une solide aversion pour les ouvrages hydrauliques (voir les articles en notes ci-dessous).

La nouvelle synthèse de l'OFB sur l'hydro-électricité ne déroge pas à cette règle, elle est consultable en cliquant ce lien.



Nous avions publié avec le CNERH une synthèse de 100 études scientifiques récentes, françaises et européennes seulement (hors études Asie, Amérique, Afrique), concernant soit des analyses d'impacts d'ouvrage soit des analyses de restauration écologique de rivière (télécharger à ce lien). Plusieurs chercheurs ont publié récemment un livre collectif sur l'analyse critique de la gestion écologique des rivières (voir Lévêque et Bravard dir 2020). Vous pouvez procéder à un exercice amusant : vérifiez si l'OFB prend bien soin d'intégrer toutes les études scientifiques parues dans la littérature revue par les pairs. Vous constaterez que bizarrement, un certain nombre références ne sont pas intégrées ni discutées par l'OFB dans sa note... Il faut dire qu'elles amèneraient éventuellement à nuancer et à réfléchir, ce qui n'est pas l'objectif de certaines expertises publiques dont le rôle est davantage de certifier que les directions ministérielles d'Etat ont toujours raison dans leurs choix. 

L'humain modifie la nature... depuis qu'il est humain
Mais bien entendu, nous ne remettons pas en cause les études citées par l'OFB. Ces travaux sont simplement des choses que l'écologie et la biologie de la conservation répètent dans de nombreuses monographies : les rivières des 20e et 21e siècles ont perdu le fonctionnement et le peuplement qu'elles avaient auparavant dans l'histoire. 

Voilà par exemple la conclusion de synthèse de la note:

"Au final, en impactant les variables hydrologiques et morphologiques à l’origine de la création des habitats aquatiques et de leur connectivité, ainsi que les processus biologiques et le déplacement des organismes, les aménagements hydroélectriques et les ouvrages transversaux ont des conséquences plus ou moins importantes non seulement sur la continuité écologique et les communautés biologiques mais également et plus largement sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques"

Or cette conclusion est un truisme. 

Dans sa forme la plus simple, elle peut s'écrire : si l'humain occupe et exploite un environnement, cet environnement est changé. Nul ne le nie ! Une des conclusions les plus intéressantes de la recherche en histoire et archéologie de l'environnement ces 30 dernières années est justement d'avoir montré que les modifications humaines des milieux sont bien plus anciennes et profondes qu'on ne le pensait, en particulier les changements de morphologie des bassins versants amorcés dès la fin du néolithique. 

L'énergie fait partie des usages de l'eau qui ont modifié ce profil des bassins versants. Mais le même phénomène s'observe dans tout usage de milieu en vue d'extraire des ressources. Dans le même registre, l'OFB peut donc aussi décrire comment des fermes éoliennes vont artificialiser les sols et modifier le cycle de vie des oiseaux, chauve-souris ou insectes, comment des fermes solaires feront de même quand elles remplacent un sol végétalisé, comment l'usage de la biomasse est en concurrence avec les milieux de prairies et forêts, comment les sources fossiles ont évidemment des influences majeures à travers leurs effets d'extraction, pollution et réchauffement... et donc ? 

L'obsession des ouvrages hydrauliques, ou quand l'arbre cache la forêt
Par ailleurs dans le cas des milieux aquatiques, l'OFB charge les ouvrages hydrauliques de tous les maux en omettant de signaler aux décideurs publics la réalité globale de ce qui impacte les rivières, donc de mettre en perspective le cas particulier de l'ouvrage hydraulique. 

L'une des références citées par l'OFB pour blâmer l'hydro-électricité (Reid et al 2018) permet de le comprendre. Voilà ce que dit en fait cette référence (chacun peut la lire en accès libre), qui est loin de citer les seuls barrages comme le laisse entendre le rapport de l'OFB:
  • l'hydro-électricité altère les écosystèmes aquatiques
  • le changement climatique altère les écosystèmes aquatiques
  • le commerce des espèces exotiques altère les écosystèmes aquatiques
  • les pathologies infectieuses altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les blooms algaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les pollutions émergentes altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les nanomatériaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les microplastiques altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la pollution sonore et lumineuse altère les écosystèmes aquatiques
  • la salinisation altère les écosystèmes aquatiques
  • la baisse du calcium altère les écosystèmes aquatiques
  • les stress cumulatifs altèrent les écosystèmes aquatiques
Et cette publication signale que ces altérations s'ajoutent en fait à d'autres déjà bien connues depuis la synthèse de Dudgeon at al 2006 :
  • l'exploitation de ressources biologiques altère les écosystèmes aquatiques
  • l'eutrophisation altère les écosystèmes aquatiques
  • l'usage de l'eau et le changement de débit altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la destruction d'habitats par aménagements altère les écosystèmes aquatiques
Sur chacun de ces sujets, on pourrait faire des notes comportant des dizaines, centaines, milliers de références, comme l'OFB vient de le faire sur l'hydro-électricité. Et l'on conclurait toujours la même chose : si l'on veut des écosystèmes aquatiques "non altérés", il faudrait cesser les activités humaines non seulement sur la rivière, mais dans le bassin versant. Pas juste l'hydro-électricité. 

Fin des humains = fin des perturbations humaines : est-ce à ce genre d'impasse intellectuelle qu'il faudrait désormais se convertir? A quoi mène ce mode de raisonnement quand nous devrions être 70 millions de Français et 10 milliard d'humains à la mi-temps de ce siècle?

Poser les priorités, redéfinir une écologie d'intérêt général
Au lieu de refuser toute évolution de la nature sous l'effet de notre espèce et d'imaginer que nous pourrions mettre sous cloche le vivant en le séparant de l'humain, nous devons donc en revenir à des politiques publiques ayant quelque lucidité :
  • si le climat et l'énergie sont des problèmes existentiels pour les sociétés humaines, il faut hiérarchiser les enjeux et poser des priorités par rapport à la biodiversité, car aucune politique écologique durable ne se tiendra dans un contexte de désorganisation et de chaos,
  • les études comparatives d'impact en hydro-écologie (et non les monoographies locales sur sites ou tronçons) montrent que l'utilisation humaine des bassins versants est le premier prédicteur de dégradation des milieux aquatiques à travers les excès de pollutions et d'extractions d'eau, ce sont donc ces deux sujets qui sont à traiter en premier, pas l'énergie hydraulique qui a l'avantage d'être bas carbone, qui ne fait pas disparaître l'eau et qui n'altère pas ou peu sa composition chimique,
  • les rivières à très faible présence humaine et forte "naturalité" sont peu nombreuses (8,4% des tronçons en France), c'est éventuellement la protection de certaines qui importe si l'on souhaite conserver des fonctionnements et peuplements d'un certain type,
  • les rivières modifiées par la présence humaine depuis longtemps ne sont plus dans leur état écologique (biologique, morphologique) originel (à supposer que ce mot ait un sens dans l'évolution permanente du vivant), et elles n'y reviendront pas de toute façon ; il est donc peu utile d'imaginer comme standard un état passé de ces rivières, mais plutôt nécessaire de débattre sur des fonctionnalités que l'on juge d'intérêt (comme la connectivité ou la rétention d'eau) tout en conservant et améliorant les usages anthropiques,
  • les experts en écologie ne doivent pas faire des monographies sur les impacts sans apporter de solutions ni de hiérarchie des problèmes, ce qui n'apporte rien à l'intelligence du débat public ni à l'éclairage des décideurs. 
Les politiques publiques ont un urgent besoin de redéfinir le sens de l'écologie comme choix d'intérêt général. Et la transition bas-carbone a un urgent besoin de libérer toutes les énergies en France, sans quoi nous fonçons encore dans le mur de l'échec à force d'entraver les projets dans tout le pays. 

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