02/05/2020

Moulins et étangs anciens co-existent sans problème avec le vivant dans les rivières réservoirs biologiques

L'administration française classe certaines rivières en "réservoirs biologiques" présentant un grand intérêt pour la faune aquatique alors que ces rivières possèdent des moulins, étangs et autres plans d'eau depuis fort longtemps. Dans le même temps, l'administration prétend que de tels ouvrages hydrauliques seraient incompatibles avec le vivant, au mépris de l'évidence d'une co-existence séculaire sans problème, et même dans certains cas de la création de milieux du plus haut intérêt écologique. Si les ouvrages avaient les effets délétères qu'on leur prête, aucun réservoir biologique n'existerait sur les rivières qui les hébergent. Dans le monde d'après le covid-19, ces contradictions et absurdités doivent cesser, surtout quand elles signifient des gabegies de destruction d'ouvrages anciens, au prix d'un argent public rare devant désormais être dédié aux questions essentielles. 



Un bief de moulin du Morvan (rivière Romanée), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.

Un point que nous entendons au bord des rivières jalonnées d'ouvrages anciens de moulins ou d'étangs: l'incompréhension des propriétaires et des riverains face à une soi-disant mise en danger de la vie aquatique alors que l'ouvrage est présent de très longue date et que la vie est elle aussi toujours présente en amont, en aval et dans le bief ou la retenue. Et en effet : si vous mettez un poison dans un cours d'eau, la disparition de la vie est immédiate et visible. Si les ouvrages hydrauliques sont assimilés à des poisons, au bout de quelques années, décennies, siècles, l'effet devrait être le même. Or il n'en est rien. Non seulement il n'en est rien, mais la présence d'ouvrages n'est nullement incompatible avec une riche vie biologique, comme nous allons le voir.

Les réservoirs biologiques attestent de rivières jugées en bon état écologique
Les services de l'Etat définissent ainsi la notion de "réservoir biologique" pour une rivières :
Les réservoirs biologiques, au sens de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 (LEMA, art. L214-17 du Code de l'Environnement), sont des cours d’eau ou parties de cours d’eau ou canaux qui comprennent une ou plusieurs zones de reproduction ou d’habitat des espèces aquatiques et permettent leur répartition dans un ou plusieurs cours d’eau du bassin versant. Ils sont nécessaires au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant. (source)

La circulaire DCE no 2008/25 du 6 février 2008 précise :
"Le réservoir biologique n’a ainsi de sens que si la libre circulation des espèces est (ou peut être) assurée en son sein et entre lui-même et les autres milieux aquatiques dont il permet de soutenir les éléments biologiques. Cette continuité doit être considérée à la fois sous l’angle longitudinal (relations amont-aval) et latéral (annexes fluviales, espace de liberté des cours d’eau). C’est pourquoi les réservoirs biologiques sont une des bases du classement des cours d’eau au titre du 1o de l’article L. 214-17-I et qu’ils peuvent également être mis en continuité avec d’autres secteurs du bassin grâce aux classements au titre du 2o.
L’article R. 214-108 indique les communautés biologiques à considérer pour la définition des réservoirs biologiques, à savoir le phytoplancton, les macrophytes et phytobenthos, la faune benthique invertébrée et l’ichtyofaune. Cette liste fait référence directe à l’annexe V de la DCE (éléments de qualité pour la définition du bon état écologique).
Elle exclut explicitement la prise en compte directe des mammifères, des amphibiens et des oiseaux dans l’identification des réservoirs biologiques (ce qui n’exclut pas les milieux abritant ces groupes lorsqu’ils contribuent au maintien des communautés biologiques de l’annexe V de la DCE)."

On notera que c'est la continuité longitudinale de dévalaison qui était mise en avant.

A la suite du vote de la loi de 2006, il a donc été demandé de repérer ces réservoirs biologiques et d'en faire un motif de classement d'une rivière en "liste 1" de la continuité écologique.

Partant de cette logique, une rivière en réservoir biologique est une rivière qui, en l'état de l'examen de sa faune aquatique, présente selon l'administration une bonne qualité écologique et un bon potentiel de conservation du vivant.

Si les moulins et les étangs, présents depuis plusieurs siècles, avaient un potentiel de destruction des milieux et des espèces que leur prêtent certains fonctionnaires et lobbies, il ne devrait exister aucune rivière en réservoir biologique présentant de tels ouvrages. Et, puisque le moulin et l'étang sont censés bloquer les sédiments, réchauffer l'eau, empêcher l'auto-épuration, entraver la circulation, détruire les habitats, toutes les rivières présentant de tels ouvrages devraient être fortement dégradées au fil du temps, et n'être à l'arrivée que des déserts biologiques.

Il n'en est rien.


Le lac de Saint-Agnan (rivière Cousin), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.

Exemple d'un bassin du Morvan, pourvu de nombreux ouvrages depuis un millénaire
Voici un exemple familier à nos lecteurs : le bassin versant du Cousin est classé en réservoir biologique (comme de nombreuses autres tête de bassin), zones en couleur orange.

Le bassin du Cousin-Trinquelin, réservoir biologique.

Or ce bassin comporte plusieurs dizaines de moulins qui sont tous fondés en titre, d'aussi nombreux petits étangs datant de l'époque du flottage du bois ou de la pisciculture vivrière et un lac créé à la fin des années 1960 à fin de réserve d'eau potable et de production hydro-électrique.

Le bassin du Cousin est donc l'héritier d'un millénaire de présence humaine sur le lit mineur sous forme d'ouvrages de retenue et dérivation.

Dans de telles conditions, si les ouvrages signifiaient le déclin de la faune, il serait impossible d'avoir classé le bassin du Cousin en réservoir biologique. Ce ne fut pas le cas. A dire vrai, même certains sites d'étangs de ce bassin sont classés en ZNIEFF (exemple) ou autres zones spéciales de conservation, ce qui indique combien les ouvrages et leurs annexes hydrauliques présentent de l'intérêt pour diverses espèces.

On notera que pour l'espèce repère du Cousin, la moule perlière, un article scientifique récent a montré que les biefs de moulin forment des secteurs de sauvegarde et que dans certaines situations de sécheresse, il peut être préférable de conserver autant d'eau dans le bief que dans le tronçon de la rivière, afin de préserver des colonies de moules (Sousa et al 2019; voir aussi Matasova et al 2013 sur la présence observée de moules perlières dans les biefs de moulins à bonnes conditions hydrauliques). On notera aussi que ces moules perlières sont présentes malgré plus d'un millénaire d'existence des étangs et moulins, donc leur éventuelle raréfaction est à rapporter à d'autres causes tenant à des changements plus récents d'usage ou de condition (même remarque que pour les écrevisses du Morvan).


Etang du Griottier-Blanc en Morvan (ru des Paluds), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique. 

On peut consulter la carte en ligne des réservoirs biologiques (exemple de Seine-Normandie). Chacun verra que beaucoup de ces rivières ou tronçons de rivières sont des zones comportant des moulins et étangs. Nous conseillons aux associations de mettre ce point en valeur, car il contredit totalement le jargon administratif et halieutique ayant inventé un impact très grave, alors que l'on parle le plus souvent de la simple variation locale de densité de quelques espèces d'eau vives ou de salmonidés, sans rapport aucun avec une destruction du vivant, bien au contraire.

Divertir l'attention sur les ouvrages, c'est être aveugle aux causes de la crise écologique
Cette réalité ne fait que traduire ce que nous répétons depuis des années : les ouvrages anciens ne représentent pas des dégradations majeures des cours d'eau et aucune recherche scientifique n'a montré que les obstacles à l'écoulement provoquent au premier titre la dégradation de l'état écologique DCE des masses d'eau ou une perte de biodiversité. Au contraire, toutes les recherches scientifiques menées avec assez de données quantitatives et qualitatives montrent que les pollutions et les usages des sols en lit majeur sont les causes premières de dégradation de l'eau, des berges, des faunes et des flores (voir cette idée reçue, voir Villeneuve et al 2015Corneil et al 2018). Par ailleurs, un nombre croissant de travaux s'attachent à souligner l'importance des écosystèmes aquatiques créés par l'humain comme abritant aussi de la diversité biologique, que ce soit les étangs et petits plans d'eau (Davies et al 2008Wezel et al 2014Bubíková et Hrivnák 2018Four et al 2019), les canaux de dérivation (Aspe et al 2015Guivier et al 2019), les biefs de moulin (Sousa et al 2019a), les canaux d'irrigation (Sousa et al 2019b), les lacs réservoirs (Beatty et al 2017).

La dégradation des écosystèmes aquatiques s'est fortement accélérée depuis les années 1940-1950, et cela pour des causes connues :
  • pression démographique
  • mécanisation agricole, érosion de sols, drainage de zones humides
  • artificialisation des lits majeurs et suppression des annexes des rivières
  • explosion des polluants de synthèse qui se retrouvent en exutoire dans les rivières (fertilisants, pesticides, médicaments, additifs industriels, vernis, ignifuges, plastiques, ruissellement des produits de combustion des voitures, etc.)
  • surexploitation de l'eau pour les activités humaines, déficit des lits et des nappes, en particulier lors du stress estival de l'étiage
  • altération de nombreuses berges et ripisylves, perte des fonctions de régulation hydroclimatique locale des arbres et végétations
  • réchauffement climatique modifiant les régimes thermiques et les assemblages biologiques.
Les ouvrages ne figurent pas dans les impacts majeurs. Leur seul effet négatif notable (pour le cas des ouvrages infranchissables à toutes conditions) a concerné la migration vers l'amont de certaines espèces de poissons, ce dont on trouve trace dès l'Ancien Régime où des manoeuvres de vannes suffisaient en général à réguler ce problème. Bien des ouvrages anciens ont été conçus en connaissant ce problème, et il a été montré qu'ils ne bloquent pas les migrations d'espèces ayant de réels besoins de mobilité (voir Ovidio 2007Newton et al 2017). Mais cette question de montaison est de toute façon négligeable à échelle des problèmes écologiques de l'eau et des milieux aquatiques comme des enjeux de la biodiversité.

La crise que nous subissons va amener à réviser les politiques publiques pour les recentrer sur l'essentiel. Le choix d'arrimer fortement l'écologie des rivières à l'hydromorphologie et l'hydromorphologie à la question des ouvrages en lit mineur et à la continuité en long a été une erreur, car ce n'est pas le premier enjeu pour l'eau et le vivant. Cela a du sens de mener des programmes de continuité en long dans quelques rivières où des migrateurs protégés peuvent revenir rapidement, mais ce n'est pas une priorité. Même au sein du poste continuité, les annexes latérales d'un cours d'eau et la qualité de ses berges sont des enjeux plus importants en création de zones à haute diversité et services rendus. Le choix de détruire les ouvrages anciens est quant à lui une gabegie et une erreur grave à l'heure où nous devons garder le maximum de moyens de gérer l'eau localement en phase de changement climatique.

Dans le monde d'après covid-19, il faut associer les ouvrages hydrauliques à l'écologie au lieu de les opposer. Car contrairement à la destruction dogmatique des moulins et étangs, la bonne information des propriétaires et la bonne gestion de

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