23/01/2016

Mission parlementaire Dubois-Vigier: trop en retrait par rapport aux problèmes de la continuité écologique

Les députés Françoise Dubois et Jean-Pierre Vigier viennent de présenter leur rapport de mission parlementaire sur les continuités écologiques aquatiques. Ce document contient certains éléments positifs, comme la demande à l'Etat de chiffrer les coûts réels de la continuité écologique ou la proposition de prioriser les enjeux sur les rivières avec présence attestée de grands migrateurs. Mais le rapport est dans l'ensemble en retrait par rapport aux problèmes rencontrés sur le terrain, notamment les coûts exorbitants pour les particuliers et les petites exploitations comme le refus de la majorité des propriétaires de détruire leurs ouvrages face à des enjeux environnementaux très modestes. De même, la politique de continuité écologique ne peut pas continuer sans un audit scientifique de ses méthodes et de ses résultats. Nous ferons savoir aux élus que cette absence d'écoute persistante sur les problèmes de fond entrave toute mise en oeuvre apaisée de la réforme. 


Voici tout d'abord la liste des orientations et propositions du rapport présenté par les deux élus.
Orientation n°1 : définir les priorités sur les grands cours d’eau migrateurs 
– Introduire un niveau de priorité supplémentaire au sein de la liste 2, réservé aux cours d’eau sur lesquels sont présents les grands migrateurs.
– Garantir un financement intégral des travaux de restauration des continuités écologiques aquatiques sur les cours d’eau classés « grands migrateurs ».
– Baisser la fiscalité sur les aménagements favorables à la continuité écologique. 
Orientation n°2 : Coordonner la gouvernance locale 
– Généraliser l’élaboration de SAGE à l’ensemble des cours d’eau.
– Généraliser la constitution des établissements publics d’aménagements et de gestion de l’eau (EPAGE) essentiels à l’élaboration et à la mise en œuvre partenariale avec les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) de la politique de l’eau dans les bassins. 
Orientation n°3 : Renforcer la protection des poissons migrateurs
– Mettre en place une politique de gestion des prédateurs compatible avec la présence des migrateurs, en particulier le silure.
–Mettre en place une politique de gestion de la pêche (amateur et professionnelle) compatible avec la protection et la valorisation des populations de migrateurs, qui limite les méthodes susceptibles d’entraîner des captures accidentelles.
– Renforcer les opérations de contrôle de la pêche sur les cours d’eau où sont présents des poissons migrateurs.
– Garantir un niveau de qualité de l’eau dans les zones de reproduction compatible avec les exigences biologiques des espèces de migrateurs visées.
– Améliorer la compréhension des effets de l’anthropisation des cours d’eau sur les poissons migrateurs afin de garantir une restauration durable de leurs populations.
– Soutenir les programmes de recherche destinés à améliorer l’efficacité des passes à poissons et à réduire les coûts d’installation et d’entretien.
– Permettre aux investissements d’avenir de financer des actions destinées à protéger la biodiversité, notamment dans le domaine de la recherche et du développement. 
Orientation n°4 : Mieux communiquer sur le sujet des continuités écologiques aquatiques 
– Lorsqu’une opération d’aménagement ou d’effacement est envisagée, diffuser une fiche pédagogique rappelant les retombées positives attendues de l’opération.
– Sensibiliser les élus locaux aux enjeux liés à la restauration des continuités écologiques aquatiques afin de donner une impulsion nouvelle à cette politique publique.
– Accroître le soutien financier aux associations impliquées dans la sensibilisation des publics scolaires aux enjeux de la continuité écologique aquatique. 
Orientation n°5 : Garantir un meilleur accompagnement des propriétaires d’ouvrages 
– Permettre aux notaires d’informer les acheteurs de moulins de leurs devoirs en matière d’entretien de l’ouvrage.
– Créer, au sein des directions départementales des territoires, une unité capable, sur demande, d’entretenir les ouvrages en lieu et place des propriétaires. 
Orientation n°6 : Acquérir l’information indispensable à la planification des opérations d’aménagements et se donner les moyens de les réaliser 
– Créer une base de données recensant l’ensemble des travaux de restauration des continuités écologiques aquatiques menés en France et évaluant leur coût. Cette base de données pourrait être gérée par les agences de l’eau. Outre son caractère informatif, elle renforcerait le partage d’expériences.
– Estimer le coût global des travaux de restauration des continuités écologiques nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d’atteinte du bon état écologique des eaux.

Points positifs
  • Le rapport Dubois-Vigier reconnaît certains dysfonctionnements de la politique de l'eau, en particulier l'incapacité de l'administration à chiffrer le coût de la réforme et à en garantir le financement. Qu'on en soit à ce niveau de carence d'information dix ans après la Lema 2006, six ans après le Parce 2009 et quatre ans après le classement des rivières aurait pu être jugé plus sévèrement. 
  • Il est acté qu'avec 15.000 ouvrages à aménager en liste 2 et seulement 600 ouvrages aménagés par an en métropole, le délai de 2017 ne peut être tenu. Il faudrait un rythme six fois plus rapide pour arriver au résultat attendu. On en est très loin, d'autant que seuls les ouvrages les plus "simples" ont été aménagés à ce jour (accord du maître d'ouvrage et des riverains, financement disponible pour la solution retenue).
  • La volonté de recentrer la continuité écologique sur les axes grands migrateurs nous paraît une bonne chose. Les élus sont réalistes et demandent à l'avance que ce recentrage se fasse sur des cours d'eau où la présence des poissons est avérée (et non potentielle, comme le défendent souvent les services instructeurs). Mais il faut que la création d'une nouvelle liste prioritaire grands migrateurs se traduise par un déclassement des listes 2 non prioritaires (où, par exemple, l'aménagement pourrait devenir volontaire et non obligatoire).
  • L'action sur les notaires (transfert de droit d'eau, information des devoirs des propriétaires) est nécessaire, le CGEDD l'avait préconisé en 2012 déjà... sans effet, comme la plupart des recommandations jamais suivies par le Ministère. 
  • Il est appréciable que l'impact de la pêche commence à être reconnu, même si nous sommes loin de la demande d'une vraie analyse scientifique de ses effets passés et présents (demande déjà formulée en réunion à la Direction de l'eau et de la biodiversité, mais non reprise par le Ministère et l'Onema, probablement en raison du poids du lobby FNPF dans la politique de l'eau).
  • Il est également opportun que les élus rappellent le caractère non-automatique des effacements et demandent des efforts accrus pour des dispositifs de franchissement plus efficaces et moins coûteux.

Points négatifs
  • Le rapport reprend de manière non critique bien des éléments sur la continuité écologique n'ayant qu'une base scientifique faible, et un certain nombre d'idées reçues. Par exemple, il est encore prétendu que les barrages nuisent à l'auto-épuration des cours d'eau, ce qui est contredit par de nombreuses recherches. Quand va donc cesser la langue de bois de certains fonctionnaires et gestionnaires?
  • Plus généralement, le rapport évite la question centrale de l'analyse coût-avantage de l'ensemble de la réforme (pas seulement de tel ou tel projet local), notamment la faible probabilité que les démantèlements de masse changent l'état écologique et chimique des rivières au sens de la DCE 2000. Là aussi, on aurait pu espérer des attentes parlementaires nettement plus fermes sur l'impératif de rationalité, d'efficience et de transparence des politiques publiques.
  • Il est tout à fait paradoxal de souhaiter la défragmentation des cours d'eau et de craindre l'impact des espèces invasives (l'effacement pose problème de ce point de vue, comme nous l'avons montré). 
  • Certains coûts avancés (par exemple le coût annuel d'entretien des passes à poissons selon une étude LOGRAMI-Lyonnaise des eaux) sont disproportionnés pour les petits aménagements et donnent une image déformée de la réalité. 
  • Le problème économique est très euphémisé : les solutions non destructives de continuité sont inabordables pour les petits ouvrages particuliers, qui forment plus de 80% des cibles du classement des rivières. Le problème reste entier, et le refus des effacements (seule solution efficacement subventionnée) n'est pas acté comme une réponse sociale forte aux choix centralisés et autoritaires du Ministère ou des Agences de l'eau.
  • Il est totalement irréaliste de vouloir confier aux DDT-M (services instructeurs de l'administration déconcentrée) une mission de maîtrise d'ouvrage a fortiori de maîtrise d'oeuvre par délégation.
  • La position des représentants des riverains, des moulins et des ouvrages hydrauliques est soit passée sous silence, soit caricaturée. Nous n'acceptons pas le slogan vide selon lequel la réforme souffre d'un problème de compréhension et de pédagogie : la continuité écologique est fort bien comprise, et elle n'est pas acceptée pour ce qu'elle est, en particulier quand elle s'adresse à l'hydraulique ancienne et modeste des moulins à eau.
  • Le rapport oublie largement tous les aspects négatifs de la continuité écologique sur le patrimoine, sur le paysage, sur le potentiel énergétique, sur les usages locaux des ouvrages et sur la valeur foncière des propriétés affectées. Et inversement, il néglige les services rendus par les écosystèmes aménagés. Autant dire qu'il laisse de côté la plupart des motifs d'opposition sur le terrain.
Au final, on voit que les points négatifs sont plus nombreux et plus importants que les points positifs. Les élus ont fait un seul déplacement de terrain (en Sarthe) pour rencontrer des moulins et, de toute évidence, ils n'ont pas assez enquêté sur les problèmes rencontrés par les propriétaires et riverains (nous leur avions proposé une audition et une visite, ils n'ont pas donné suite). Pourtant, ces problèmes sont désormais abondemment couverts par les médias, comme ils sont reconnus par certaines Agences de l'eau. Ils sont proclamés par les 1000 élus et 250 institutions soutenant le moratoire sur le classement des rivières, soit 120.000 personnes déjà représentées au bord des cours d'eau classés. La réforme de continuité écologique est inapplicable en l'état : ce qui aurait dû être le principal message de la mission Dubois-Vigier reste inaudible dans leur rapport.

Illustration : ouvrage fondé en titre sur l'Ignon. Les moulins et petites usines à eau sont largement majoritaires sur les rivières classées en liste 2, sans nécessairement d'enjeu migrateur immédiat et sans impact sédimentaire notable. Rappelons que l'essentiel de la littérature scientifique sur la continuité écologique concerne l'impact des grands barrages, et non de la petite hydraulique.

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